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Informationen zum Dokument  EGMR 48311/10 - Axel Springer AG v. Germany II  Materielle Begründung
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I. Les Circonstances de l'Espèce
A. La genèse de l'affaire
B. L'article litigieux
C. La procédure litigieuse
1) Le jugement du tribunal régional ...
2) L'arrêt de la cour d'appel ...
3) La décision de la Cour fédérale de justic ...
4) La décision de la Cour constitutionnelle féd&eac ...
II. Le Droit et la Pratique internes pertinents
I. Sur la Violation alléguée de l'Article 10 de la Convention
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Thèses des parties ...
2. Observations de la tierce partie ...
3. Appréciation de la Cour ...
II. Sur l'Application de l'Article 41 de la Convention
A. Frais et dépens
B. Intérêts moratoires
Bearbeitung, zuletzt am 15.03.2020, durch: Michelle Ammann, A. Tschentscher  
 
Arrêt
 
 par la Cinquième Section au 10 Juillet 2014  
-- Application No. 48311/10 --  
En l'affaire  
Axel Springer AG c. Allemagne (no 2),  
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de: Mark Villiger, président, Angelika Nußberger, Bostjan M. Zupancic, Ganna Yudkivska, Vincent A. De Gaetano, André Potocki, Ales Pejchal, juges, et de Claudia Westerdiek, greffière de section,  
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 juin 2014,  
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date:  
 
Procedure
 
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 48311/10) dirigée contre la République fédérale d'Allemagne et dont une personne morale de de droit allemand, la société anonyme Axel Springer AG ("la requérante"), a saisi la Cour le 19 aout 2010 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ("la Convention").
1
2. Le requérant a été représenté par Me U. Börger, avocat à Hambourg. Le gouvernement allemand ("le Gouvernement") a été représenté par ses agents, Mme K. Behr et M. H.-J. Behrens, du ministère fédéral de la Justice.
2
3. La requérante allègue que l'interdiction qui lui a été faite de publier de nouveau deux phrases est contraire à l'article 10 de la Convention.
3
4. Le 28 mars 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
4
5. L'association non gouvernementale Media Legal Defence Initiative s'est vu accorder l'autorisation d'intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement).
5
 
En Fait
 
 
I. Les Circonstances de l'Espèce
 
6. La requérante est une société anonyme dont le siège est à Hambourg. Elle édite entre autres le quotidien à grand tirage BILD.
6
A. La genèse de l'affaire  
7. Le soir du 22 mai 2005, à la suite d'une défaite sévère de son parti social-démocrate SPD aux élections dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le chancelier fédéral Gerhard Schröder, chef du gouvernement fédéral au pouvoir depuis 1998, annonça la tenue d'élections législatives anticipées à l'automne dont l'échéance normale aurait été en septembre 2006. Parce que les élections anticipées ne pouvaient avoir lieu qu'après la dissolution du parlement allemand (Bundestag), et que celle-ci ne pouvait être prononcée que par le président fédéral d'Allemagne et uniquement après l'échec d'une motion de confiance du chancelier fédéral, le chancelier Schröder posa la question de confiance le 1er juillet 2005 et la perdit, 148 des 304 députés des parties composant son gouvernement s'étant abstenus, comme les y avait invités le chancelier. Le 21 juillet 2005, le président fédéral Horst Köhler prononça la dissolution du Bundestag. Cette manière d'obtenir la dissolution du parlement donna lieu à des discussions en public et parmi les députés et fit également l'objet de recours à la Cour constitutionnelle fédérale qui, à la majorité, les rejeta en déclarant le procédé critiqué conforme à la Loi fondamentale (voir notamment la décision du 25 aout 2005, nos 2 BvE 4/05 et 7/05).
7
8. Les élections eurent lieu le 18 septembre 2005. Elles ne furent remportées par aucune des grandes parties politiques avec une majorité suffisante, mais eurent pour conséquence que les partis politiques composant le gouvernement Schröder jusque-là (SPD et Les Verts) n'avaient plus la majorité. Par la suite, les partis conservateurs (CDU et CSU) et le parti social-démocrate convinrent de former une coalition sous la présidence de Mme Angela Merkel, candidate des partis conservateurs. Le 22 novembre 2005, M. Schröder cessa ses fonctions et Mme Merkel fut élue nouvelle chancelière fédérale.
8
9. Le 9 décembre 2005, à l'occasion d'une cérémonie pour le début des travaux du gazoduc à travers de la mer baltique ("Ostseepipeline"), fut publiée l'annonce que M. Schröder avait été nommé président du conseil de surveillance du consortium germano-russe "NEGP" (Konsortium Nordeuropäische Gaspipeline). L'objectif du consortium dont le siège était en Suisse et qui était contrôlé par la société russe "Gazprom", était de construire le gazoduc pour acheminer du gaz russe vers l'Europe de l'Ouest. L'accord de principe sur la construction du gazoduc avait été signé le 11 avril 2005 par la société allemande BASF et Gazprom en présence de M. Schröder et du président russe Vladimir Poutine. La signature du contrat même, initialement prévue pour la mi-octobre lors d'un sommet de l'énergie à Moscou, eut lieu le 8 septembre 2005 également en présence de MM. Schröder et Poutine, dix jours avant les élections anticipées.
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10. Le jour de l'annonce, un rédacteur de BILD contacta en vain le porte-parole adjoint du gouvernement S. (qui continuait d'occuper cette fonction sous le nouveau gouvernement) afin d'avoir des informations à ce sujet. Le lendemain, il fit un nouvel essai qui resta également sans réponse. A la suite d'une troisième demande du même jour, le porte-parole adjoint informa le journaliste que M. Schröder n'avait rien à ajouter à la déclaration du 9 décembre 2005 d'après laquelle il était volontiers prêt à donner suite à la demande des partenaires d'assumer la responsabilité au conseil de surveillance du consortium.
10
11. Le dimanche 11 décembre 2005, un journaliste de BILD appela le vice-président du groupe parlementaire du parti libéral-démocrate F.D.P., Carl-Ludwig Thiele.
11
12. Dans une déclaration tenant lieu de serment du 14 décembre 2005, le journaliste affirme que M. Thiele se demandait si le chancelier Schröder avait déjà parlé avec les Russes concernant un poste lucratif avant l'annonce des élections en mai 2005. En réponse à la demande du journaliste ce qu'il voulait dire par là, M. Thiele avait répondu: "Le coup des nouvelles élections doit être vu aujourd'hui dans une lumière nouvelle". Le journaliste demanda alors à M. Thiele s'il voulait dire par là que Schröder aurait éventuellement provoqué les nouvelles élections sur le fond des promesses russes. M. Thiele répondit: "Il faut poser cette question". M. Tiele indiqua que, d'après son expérience en politique, une question de changement d'activité personnelle d'une telle importance avait du être réglée bien avant le mois de mai. Puis, il posa deux autres questions: "Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu'on lui avait proposé des postes lucratifs? Avait-il des motifs personnels lorsqu'il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée?"
Toujours d'après la déclaration, M. Thiele était d'accord pour que ses propos soient cités. Le 14 décembre 2005, le journaliste appela M. Thiele de nouveau et lui demanda si, sur le fond de l'avertissement (Abmahnung) que M. Schröder avait adressé à BILD, il assumait toujours ses propos, ce que M. Thiele confirma.
12
B. L'article litigieux  
13. Dans son édition du 12 décembre 2005, le quotidien BILD publia sur la première page un article intitulé: "Que gagne-t-il vraiment au projet du gazoduc? -- Schröder doit révéler son salaire russe". Sur la page deux du quotidien, sous le titre "Salaire russe -- Schröder gagnera-t-il plus d'un million par an?", l'article se lisait ainsi:
13
    "L'ex-chancelier et le gaz russe: l'indignation suscite des remous dans tous les partis politiques. Car Schröder devient le chef du conseil de surveillance d'une entreprise qui veut construire pour quatre milliards d'euros un gazoduc à travers de la mer baltique depuis la Russie vers l'Allemagne. Lorsqu'il était chancelier, il avait poussé ce projet malgré maintes résistances.
    Le ministre-président de la Basse-Saxe, Christian Wulff (CDU) a invité Schröder à agir: soit il renonce à la présidence du Conseil d'administration du consortium NEGP, soit il doit révéler toutes ses revenus provenant du poste russe!
    Wulff dit à BILD: 'Par son comportement Gerhard Schröder a infligé un préjudice grave à la réputation de la politique en Allemagne. Schröder doit renoncer à la présidence du conseil de surveillance parce que sinon on peut avoir l'impression qu'il s'agit ici d'une récompense pour son engagement pour le gazoduc.'
    Et le politicien d'ajouter: Si Schröder accepte néanmoins la nomination au conseil de surveillance, il doit divulguer ses tantièmes. Cela est prévu par la réglementation concernant la divulgation [des revenus] qui a été renforcée par le gouvernement Schröder cette année. Le fait que la société de gazoduc a son siège en Suisse ne saurait constituer une raison pour que l'ancien chancelier fédéral ne respecte pas ces règles.
    Des initiés estiment que Schröder encaisse plus d'un million de dollars par an pour son job de gaz. En effet: les russes ne sont pas avares. Par exemple, cinq membres du conseil de surveillance de la société russe Northgas, une filiale de Gazprom, ont touché au total sept millions de dollars d'indemnités.
    Le fait que Schröder pantoufle dans l'entreprise commune germano-russe si peu de temps après avoir quitté le Gouvernement se heurte à l'incompréhension dans tous les partis. Ce qui est particulièrement délicat: Le 11 avril, le géant de l'énergie russe Gazprom et la [société] allemande BASF avaient signé un mémorandum à Hanovre portant sur l'exploitation commune d'un champ de gaz russe en présence de Schröder et du chef d'Etat russe Vladimir Poutine. Après la signature, les deux chefs de gouvernement sont restés ensemble jusque tard dans la nuit autour d'un verre de vin rouge.
    A cette époque, six semaines avant l'annonce de Schröder de tenir des élections anticipées, l'engagement pour la multinationale de gaz avait-il déjà fait l'objet d'entretiens?
    Le vice-président du groupe parlementaire du FDP, Carl-Ludwig Thiele: 'Il faut poser cette question!' Thiele a un soupçon monstrueux: 'Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu'on lui avait proposé des postes lucratifs? Avait-il des motifs personnels lorsqu'il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée?' Le coup de nouvelles élections devrait 'être vu aujourd'hui dans une lumière nouvelle'.
    Peter Ramsauer, chef du groupe parlementaire (Landesgruppe) de la CSU [parti conservateur] au Bundestag: 'On ne règle pas un tel deal d'un jour à l'autre; et Gerhard Schröder était encore chancelier il y a trois semaines. Il devrait désormais abattre ses cartes et dire si ces accords avaient été déjà été conclus pendant la durée de son mandat.'
    Le vice-président du groupe parlementaire de la CDU [parti conservateur], Wolfgang Bosbach: "Schröder devrait enfin dire ce qu'il en est (was Sache ist)".
    Le porte-parole pour des affaires économiques du groupe parlementaire "Les Verts", Matthias Berninger: 'Schröder doit maintenant garantir une transparence maximale et révéler le contrat et les rémunérations.' "
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14. L'article sur la page deux était accompagné d'une photo montrant M. Schröder avec une chapka sur sa tête. En contrebas se trouvait un petit article qui informait que le consortium NEGP était dirigé par un ancien major du ministère de la Sécurité d'Etat de l'ancienne République démocratique d'Allemagne et ami de M. Poutine.
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15. La nomination de M. Schröder au poste de président du conseil de surveillance provoqua des discussions en public et fit l'objet de reportages dans les médias et de débats au sein du parlement allemand, notamment le 15 décembre 2005.
16
16. Il ressort d'un article du magazine FOCUS (no 50/2005), paru le 12 décembre 2005, qu'un journaliste de ce magazine s'était adressé au gouvernement Schröder en aout 2005 afin de savoir si des informations en provenance de Moscou étaient justes d'après lesquelles Gazprom préparait un poste pour M. Schröder, et que le porte-parole du gouvernement avait dit que cela était absurde et qu'une telle offre n'existait pas.
17
17. En avril 2006, le public apprit que, fin octobre 2005, alors que les affaires gouvernementales étaient gérées de manière intérimaire par l'ancien gouvernement en attendant l'élection de Mme Merkel à la chancellerie, des cautionnements avaient été signés en vertu desquels le gouvernement allemand se portait garant à hauteur d'un milliard d'euros à l'égard de deux banques allemandes au bénéfice de Gazprom et d'une partie du gazoduc. M. Schröder fit savoir qu'il n'avait pas eu connaissance de ces signatures et Gazprom déclara de ne pas avoir recours aux cautionnements.
18
C. La procédure litigieuse  
18. A une date non précisée en 2006, Gerhard Schröder saisit le tribunal régional de Hambourg d'une demande tendant à interdire à la requérante toute nouvelle publication du passage suivant de l'article:
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    "Thiele a un soupçon monstrueux: 'Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu'on lui avait proposé des postes lucratifs? Avait-il des motifs personnels lorsqu'il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée?' "
20
1) Le jugement du tribunal régional
21
19. Par un jugement du 19 janvier 2007, le tribunal régional accueillit la demande. Il estima notamment que la citation litigieuse n'était ni une allégation de fait, ni un jugement de valeur, mais une conjecture sous forme de questions dont la légalité devait être appréciée à la lumière des principes établis pour des reportages portant sur des soupçons (Verdachtsberichterstattung). D'après ces critères, le juge devait apprécier si le reportage portait sur un sujet d'intérêt public, s'il y avait une base factuelle suffisante pour la conjecture, si le journal avait appliqué suffisamment de diligence lors de ses recherches et lors de la décision de publier le reportage et si la nature du reportage indiquait d'une manière suffisante qu'il s'agissait d'une conjecture et que la réalité des faits pouvait être différente. Le tribunal régional considéra que la publication du passage litigieux ne répondait pas à ces critères dans la mesure où la requérante n'avait pas cherché à obtenir l'avis de M. Schröder à ce sujet auparavant ni n'avait établi une base suffisante de faits de nature à justifier la diffusion du passage litigieux.
22
2) L'arrêt de la cour d'appel
23
20. Par un arrêt du 8 avril 2008, la cour d'appel de Hambourg confirma le jugement du tribunal régional. Elle considéra que la publication de la citation litigieuse était contraire à l'article 823 § 1 du code civil combiné avec l'article 1004 § 1 (par analogie) du code civil et le droit à la protection de la personnalité (Allgemeines Persönlichkeitsrecht -- voir "Le Droit et la pratique internes pertinents") parce qu'elle suggérait au lecteur du quotidien que le chancelier Schröder avait pris la décision de tenir des élections législatives anticipées sur la base de motifs privés et intéressés. La cour d'appel releva qu'il n'y avait pas lieu de trancher si la citation litigieuse constituait une vraie question (ouverte) ou une allégation de fait sous forme d'une question car la requérante avait articulé un soupçon qui pouvait aussi être formulé sous forme d'une question. Le tribunal régional avait dès lors à raison appliqué les critères concernant les reportages portant sur des soupçons.
24
21. La cour d'appel observa que le reportage de la requérante ne se limitait pas à reproduire ce que M. Thiele avait dit, mais la citation s'inscrivait dans un article d'une certaine longueur dont l'intention était de conduire le lecteur vers une certaine direction. Elle rappela que l'article commençait par dire que M. Schröder et le président russe Poutine s'étaient rencontrés en avril 2005 et posait la question de savoir si, à cette occasion, l'activité du chancelier Schröder pour "Gazprom" avait été évoquée. D'après elle, le lecteur était dès lors invité à penser qu'il était possible qu'il y avait eu une entente sur le fait que M. Schröder intégrerait un poste dans le secteur privé et qu'il avait pris la défaite aux élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie comme prétexte pour déclencher une série d'événements à l'issue de laquelle il perdrait ses fonctions de chancelier. Elle ajouta que cette ligne de pensée se trouvait confirmée par les deux questions de la citation litigieuse et par l'emploi des expressions "coup d'élections anticipées" et "ce coup apparait dans une toute nouvelle lumière".
25
22. La cour d'appel releva que les principes concernant les reportages portant sur des soupçons s'appliquaient à l'affaire devant elle, même si le reportage en question ne soupçonnait pas M. Schröder d'avoir commis une infraction pénale. Ce qui était déterminant à cet égard, c'était que la requérante avait exprimé un soupçon qui comportait un reproche considérable et injurieux à l'égard de l'ancien chancelier. L'article suggérait en effet que celui-ci avait trompé le public et les électeurs sur les vraies raisons de la décision de tenir des élections anticipées et qu'il donnait la priorité à ses propres intérêts financiers par rapport au bien commun qu'il était tenu de servir en tant que chancelier fédéral. La cour d'appel considéra qu'un tel reproche figurait parmi les plus graves que l'on pouvait faire à un ancien détenteur d'une des plus hautes fonctions d'Etat. La citation litigieuse confirmait à ses yeux la gravité du reproche puisqu'elle employait l'expression "soupçon monstrueux".
26
23. La cour d'appel poursuivit que la requérante n'avait pas suffisamment tenu compte des principes établis relatifs aux reportages portant sur des soupçons. D'après ces principes, le reportage devait porter sur un objet d'intérêt public justifié, devait se fonder sur un minimum d'éléments de fait, devait décrire les faits d'une manière objective en indiquant et les circonstances confirmant le soupçon et celles en faveur de la personne visée, devait en principe avoir obtenu le commentaire de la personne visée relatif aux reproches faits et devait être le fruit de recherches satisfaisant aux exigences de la diligence journalistique.
27
24. Appliquant ces principes au cas devant elle, la cour d'appel releva d'abord que l'objet du reportage était d'intérêt public. Elle admit aussi qu'il y avait suffisamment de faits justifiant de rendre compte des soupçons en question. A cet égard, elle rappela le déroulement des événements formant le contexte de l'article, à savoir que M. Schröder, tout au long de la durée de son mandat de chancelier, s'était prononcé en faveur du projet de gazoduc, avait rencontré le président russe Poutine lors de la signature de la déclaration du 11 avril 2005 des deux entreprises russe et allemande qui relevait du secteur économique privé, avait décidé de tenir des élections anticipées à un moment où son parti politique se trouvait dans une situation difficile après la défaite aux élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, avait déclenché un développement qui aboutissait à la perte de son mandat de chancelier et que, d'après la cour d'appel, entre le jour des élections anticipées et le dernier jour de son mandat de chancelier, le public avait appris que M. Schröder avait obtenu un poste très bien rémunéré dans un consortium contrôlé par Gazprom.
28
25. La cour d'appel ajouta que la question de savoir comment il avait été possible que M. Schröder ait pu décrocher ce poste pouvait d'autant plus être posée que ces événements appartenaient au domaine originaire de la formation de l'opinion publique. Elle précisa que les exigences relatives à la légitimité d'un tel reportage ne devaient pas être trop élevées. Sinon, les médias risquaient d'être limités à ne pouvoir commenter les comportements de personnes politiques que s'il y avait déjà un faisceau d'indices corroborant les soupçons exprimés. Une telle limitation n'était cependant pas acceptable dans un tel domaine. La cour d'appel souligna que quiconque attirait l'attention du public, comme c'était le cas des personnes politiques, devaient accepter que le seuil à partir duquel son comportement faisait l'objet de recherches par les médias, était moins élevé que celui applicable à une personne n'oeuvrant pas dans la sphère publique.
29
26. La cour d'appel poursuivit que la publication attaquée manquait d'objectivité et de pondération. Elle rappela que l'exposé des faits d'un reportage ne devait pas s'analyser en une condamnation prématurée (Vorverurteilung) de la personne visée. Cela n'était pas seulement le cas lorsque le reportage donnait l'impression que la personne visée avait fait ce dont elle était soupçonnée, mais aussi quand un reportage était intentionnellement partial et falsifiait les faits dans le but de révéler une sensation, sans prendre en compte les circonstances plaidant en faveur de la personne visée. D'après la cour d'appel, tel était le cas du reportage litigieux puisqu'il ne mentionnait à aucun endroit des éléments affaiblissant les reproches faits, mais reproduisait exclusivement des circonstances corroborant ces soupçons qui se trouvaient d'une certaine manière concentrés dans la citation litigieuse.
30
27. A cet égard la cour d'appel observa que le reportage ne mentionnait pas que la défaite dans les élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie en mai avait considérablement affaibli l'autorité de la majorité gouvernementale au niveau fédéral et pouvait valablement donner lieu à demander aux électeurs, par le biais d'élections anticipées, s'ils soutenaient encore cette majorité. De même, le reportage ne mentionnait à aucun moment que le chancelier Schröder ne s'était pas montré résigné, mais actif et combatif pendant la campagne électorale. Enfin, d'après la cour d'appel, il n'existait aucune information au moment de la parution de l'article émanant de personnes proches de M. Schröder que celui-ci avait fondé sa décision de tenir des élections anticipées sur des motifs injustifiés (sachfremd).
31
28. La cour d'appel ajouta que la requérante n'était pas fondée de faire valoir que ces circonstances étaient encore connues des lecteurs si bien qu'il n'avait pas été nécessaire de les rappeler dans le reportage puisque l'article entier cherchait à suggérer au lecteur qu'il n'existait pas de circonstances permettant de mettre en question les faits ainsi présentés. De même, le fait que l'objet du reportage était d'un intérêt public considérable n'était pas de nature à dispenser la requérante de présenter les faits de manière équilibrée. Sur ce point, la cour d'appel précisa que la requérante n'était pas empêchée de critiquer M. Schröder. Cependant, compte tenu de l'extrême gravité du reproche fait, on pouvait exiger d'elle qu'elle indiquât que les faits n'avaient pas encore été établis.
32
29. La cour d'appel estima enfin que la requérante n'avait pas fait suffisamment de recherches avant de publier l'article. Elle était d'avis qu'indépendamment de la question de savoir si le politicien cité aurait été tenu de faire des recherches avant de formuler ses questions, la requérante avait l'obligation d'éclairer davantage les faits avant de reproduire publiquement ces questions qui portaient sur des reproches d'une gravité considérable. Elle souligna qu'il y avait eu suffisamment de circonstances de rattachement à cet égard. Ainsi, d'après elle, la requérante aurait pu s'adresser au consortium en Suisse, à M. Schröder ou à l'un de ses collaborateurs afin de savoir quand le poste de M. Schröder avait été prévu ou créé, quand M. Schröder avait eu connaissance de l'existence de ce poste et quand et par qui ce poste lui avait été proposé. La cour d'appel ajouta que le fait que d'autres médias avaient rendu compte de soupçons comparables n'était pas de nature à décharger la requérante. Celle-ci n'avait par ailleurs pas non plus demandé l'avis de M. Schröder. Or, aux yeux de la cour d'appel, indépendamment de la question de savoir si l'avis de la personne visée devait toujours être sollicité dans le cas de reportages à soupçons, la presse, pour satisfaire aux exigences de diligence journalistique, était dans tous les cas tenue de s'adresser à la personne en question lorsqu'elle répandait publiquement des conjectures relatives à l'existence de motivations intérieures de cette personne et lorsqu'il était possible de joindre celle-ci. La cour d'appel conclut que cette obligation était d'autant plus impérative dans le cas devant elle que le reproche exprimé était d'une gravité particulière.
33
3) La décision de la Cour fédérale de justice
34
30. Par une décision du 13 janvier 2009, la Cour fédérale de justice rejeta la demande de la requérante tendant à autoriser le pourvoi en cassation au motif que l'affaire ne revêtait pas une importance fondamentale et n'était pas nécessaire pour l'évolution du droit ou pour garantir une jurisprudence uniforme.
35
4) La décision de la Cour constitutionnelle fédérale
36
31. Le 18 février 2010, une chambre de la Cour constitutionnelle fédérale n'admit pas le recours constitutionnel de la requérante (no 1 BvR 368/09). Elle précisa qu'elle s'abstenait de motiver sa décision.
37
 
II. Le Droit et la Pratique internes pertinents
 
32. L'article 823 § 1 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) énonce que celui qui, agissant intentionnellement ou par négligence, porte atteinte illicitement aux droits à la vie, à l'intégrité corporelle, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à un autre droit similaire d'autrui, est tenu à réparation du dommage qui en est résulté.
38
33. Aux termes de l'article 1004 § 1, s'il est porté atteinte à la propriété autrement que par usurpation ou détention illégale, le propriétaire peut exiger de celui qui en est l'auteur la cessation de l'atteinte. S'il y a lieu de craindre de nouvelles atteintes, le propriétaire peut agir pour obtenir des interdictions.
39
34. Dans un arrêt du 25 mai 1954 (no I ZR 311/53), la Cour fédérale de justice a reconnu le droit général à la protection de la personnalité en vertu des articles 1 § 1 (dignité de l'homme) et 2 § 1 (droit au libre épanouissement de la personnalité) de la Loi fondamentale.
40
 
En Droit
 
 
I. Sur la Violation alléguée de l'Article 10 de la Convention
 
35. La requérante allègue une violation de son droit à la liberté d'expression tel que prévu par l'article 10 de la Convention dont les parties pertinentes en l'espèce sont ainsi libellées:
41
    "1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...)
    2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (...)"
42
A. Sur la recevabilité  
36. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
43
B. Sur le fond  
1. Thèses des parties
44
a) La requérante
45
37. La requérante rappelle que l'objet de la présente requête est l'interdiction de reproduire la citation d'un député du parlement fédéral allemand qui a questionné les motifs d'une décision politique de l'ancien chancelier fédéral. La présente affaire se distinguerait donc de l'affaire Pedersen et Baadsgaard c. Danemark ([GC], no 49017/99, CEDH 2004-XI) qui concernait l'allégation d'un fait qui s'avérait être faux.
46
38. La requérante affirme qu'il n'y avait aucun indice que l'interrogation de M. Thiele n'était qu'une question rhétorique à laquelle la requérante n'aurait en réalité pas cherché à obtenir une réponse. Elle observe que les juridictions allemandes n'ont établi aucune preuve à ce sujet et que la question de savoir pourquoi M. Schröder avait provoqué des élections législatives anticipées avait été intensément débattue en public. Elle rappelle le déroulement des événements à la suite de l'annonce de M. Schröder de vouloir tenir des élections anticipées: la décision du chancelier de poser la question de confiance dans le but de la perdre, l'avancement de la signature du contrat avec Gazprom, les cautionnements donnés par le gouvernement intérimaire fin octobre, la renonciation inhabituelle de M. Schröder à son mandat de député et enfin l'annonce deux semaines et demi seulement après la cessation de ses fonctions de chancelier qu'il avait accepté le poste chez NGEP.
47
39. La requérante affirme que tous ces faits étaient encore présents lors de la parution de l'article. Elle souligne que d'autres politiciens et d'autres médias questionnaient également les motivations de M. Schröder. Ainsi, la revendication de M. Ramsauer, reporté dans l'article de BILD, que "Schröder devrait désormais abattre ses cartes et dire si ces accords avaient été déjà été conclus pendant la durée de son mandat" exprimait en définitive la même question que celles de M. Thiele.
48
40. La requérante dénonce l'avis de la cour d'appel selon lequel elle aurait du rendre le reportage plus pondéré en mentionnant aussi des circonstances qui contredisaient la supposition que M. Schröder avait provoqué la tenue des élections anticipées pour des motifs intéressés. Elle souligne que la constatation de la cour d'appel que M. Schröder s'était montré combatif pendant la campagne électorale, est une appréciation subjective et ouverte à d'autres interprétations et que l'on ne pouvait pas lui imposer de le mentionner.
49
41. La requérante soutient aussi que la cour d'appel a à tort constaté qu'elle n'avait pas cherché à obtenir l'avis de l'ancien chancelier. Elle rappelle que les journalistes de BILD se sont adressés trois fois au porte-parole adjoint du gouvernement avant d'obtenir la réponse que M. Schröder n'avait rien à ajouter à sa déclaration rendue publique la veille. La requérante souligne qu'elle a fait valoir ces circonstances devant les juridictions civiles.
50
42. La requérante est d'opinion que l'obtention d'un avis de M. Schröder n'aurait de toute façon pas été nécessaire puisqu'il ne s'agissait pas d'une suspicion pénale à l'égard d'une personne privée et inconnue, mais de la publication d'une question d'un député concernant le comportement d'un ancien chef du gouvernement. Or, d'après la requérante, un débat politique ne serait pas possible si les médias étaient obligés chaque fois qu'ils entendent publier des propos d'un politicien à l'égard d'un autre, d'obtenir l'avis de celui-ci au préalable. La requérante estime, qu'à l'instar du requérant dans l'affaire Gorelishvili c. Géorgie (no 12979/04, 5 juin 2007), elle n'était pas obligée de faire davantage de recherches avant de publier le passage litigieux.
51
b) Le Gouvernement
52
43. Le Gouvernement soutient que les tribunaux allemands, conscients qu'il s'agissait d'un reportage sur un thème politique d'un grand intérêt public, ont dument pris en considération l'importance de la liberté d'expression dans la présente affaire, mais ont estimé que la requérante n'avait pas respecté ses devoirs et responsabilités journalistiques. D'après lui, le passage litigieux devait être compris comme une allégation factuelle même s'il se présentait sous forme d'une question. En effet, le quotidien édité par la requérante ne visait pas à obtenir une réponse à la question posée par M. Thiele, mais à faire entendre son avis que le passage au secteur privé envisagé par M. Schröder aurait pu être un motif déterminant pour la mise en oeuvre des élections anticipées. De toute façon, même si l'on considérait que les propos de M. Thiele correspondaient à une vraie question ou constituaient un jugement de valeur, ils resteraient néanmoins illicites car ils n'étaient pas fondés sur une base factuelle suffisante.
53
44. Le Gouvernement rappelle que plus l'allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide (Pedersen et Baadsgaard, précité, § 78). Il affirme que l'allégation que M. Schröder avait négligé le bien commun faisait partie des reproches des plus graves que l'on pouvait faire au titulaire d'une fonction publique si bien que la requérante aurait été tenue d'obtenir l'avis de l'intéressé avant de publier le passage litigieux. Or, la requérante n'aurait entrepris aucune démarche à cet égard. Le Gouvernement précise sur ce point que la demande de renseignements de la requérante au porte-parole adjoint du gouvernement ne concernait que le consortium NGEP en général et n'avait aucunement trait à la question soulevée par le passage litigieux. De surcroit, M. Schröder n'aurait pas eu la possibilité de prouver que les soupçons pesant sur lui étaient sans fondement.
54
45. Le Gouvernement observe qu'aucune circonstance dans la présente affaire ne permet d'affirmer, comme le ferait la requérante en référence aux arrêts Dichand et autres c. Autriche (no 29271/95, 26 février 2002) et Gorelishvili (précité), que les obligations de diligence de la requérante se sont trouvées réduites. Il rappelle que si l'article portait incontestablement sur un sujet d'intérêt public, seul un passage particulier a été frappé par l'interdiction litigieuse. Tous les autres spéculations et reproches faits à M. Schröder dans l'article avaient une base factuelle suffisante et pouvaient dès lors être publiés.
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46. Le fait que le passage litigieux concernait la citation d'une tierce personne, de surcroit d'un homme politique, ne serait aux yeux du Gouvernement pas de nature à le rendre licite. Il pointe le risque que les médias pourraient diffuser des propos diffamatoires sans respecter aucune obligation de diligence journalistique pour peu qu'ils utilisent une citation d'une tierce personne. Cela serait d'autant plus vrai en l'espèce que dans l'article litigieux les frontières entre contribution propre et citation d'autrui sont floues. Pour le Gouvernement, il ne s'agissait en effet pas de la reproduction d'une déclaration faite par un homme politique auparavant dans l'espace public, mais de la réponse que M. Thiele avait donnée à une question précise et bien ciblée du journaliste du quotidien lors d'un entretien par téléphone.
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47. Pour le Gouvernement, le cas d'espèce présente des similitudes avec la situation dans l'affaire Pedersen et Baadsgaard précitée. Dans les deux affaires, les interdictions prononcées ne concernaient pas l'information générale du public sur un sujet d'intérêt public, mais une allégation concrète et isolée dont la qualité et la portée allaient au-delà du contenu général de l'émission et de l'article respectivement. Comme dans l'affaire Pedersen et Baadsgaard, (§§ 74-76), compte tenu de la phrase suivant la citation litigieuse de M. Thiele ("le coup d'élections anticipées" devant être vu "dans une toute nouvelle lumière"), le quotidien BILD n'aurait laissé au lecteur au bout du compte qu'une seule option, à savoir que l'ancien chancelier aurait instrumentalisé les élections à ses propres fins intéressés. Le Gouvernement ajoute que si la Cour a reproché aux requérants dans l'affaire Pedersen et Baadsgaard de ne pas avoir procédé à des recherches plus poussées et de ne pas avoir vérifié les déclarations de la témoin, la requérante dans la présente affaire n'aurait simplement pas effectué de recherches du tout. Par ailleurs, dans les deux affaires, les reproches faits aux personnes visées étaient d'une gravité particulière et les reportages avaient une diffusion importante.
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48. Le Gouvernement souligne enfin que les autres articles auxquels la requérante se réfère dans ses observations, reprochaient à l'ancien chancelier d'avoir pris ses dispositions privées en cas de défaite électorale, mais n'avaient pas insinué que M. Schröder avait perdu les élections intentionnellement. Il précise aussi que si la cour d'appel a reproché au quotidien de ne pas avoir mentionné l'attitude combattive de M. Schröder pendant la campagne électorale, cela ne doit pas être comprise comme une obligation générale de la requérante de rapporter aussi des propos "positifs" sur l'ancien chancelier. La cour d'appel a tout au contraire estimé que cette omission revêtait une importance particulière dans le cas devant elle car le quotidien avait ainsi privé ses lecteurs d'un fort indice militant à l'encontre des soupçons que la citation litigieuse insinuait. La cour d'appel en a conclu que la démarche de la requérante ne pouvait être qualifiée "de bonne foi" et en accord avec l'éthique journalistique.
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2. Observations de la tierce partie
59
49. La Media Legal Defence Initiative soutient notamment que l'on ne saurait imposer aux médias de toujours faire leurs propres recherches avant de pouvoir publier un reportage qui pourrait contenir une allégation diffamatoire. Il est impératif de reconnaitre qu'il existe des cas portant sur un intérêt public important dans lesquels les médias ont le droit, voire le devoir, de publier des propos faits par un tiers dont ils n'ont pas vérifié la véracité auparavant. L'association intervenante pointe le doigt sur le risque d'abus si l'on obligeait les médias d'obtenir l'avis des personnes visées par un reportage lorsque celles-ci ont intérêt à étouffer ou à empêcher un débat public légitime sur le sujet les concernant. Elle met aussi en garde contre la conclusion que le fait d'omettre certains faits ou éléments signifie que le reportage en question manque d'objectivité. Il n'appartient pas aux Etats, mais aux médias de choisir le contenu et la forme de leurs reportages (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 81, 7 février 2012; Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, série A no 298). La tierce intervenante souligne aussi que le compte rendu d'informations relatif à un débat public se fait souvent de manière continue, si bien qu'une question soulevée dans un premier reportage pourra trouver une réponse dans un reportage ultérieur concernant le même débat.
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3. Appréciation de la Cour
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50. La Cour note qu'il ne prête pas à controverse entre les parties que les décisions judiciaires rendues en l'espèce constituent une ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la Convention et que l'ingérence était prévue par les articles 823 § 1 et 1004 § 1 du code civil, lus à la lumière du droit à la protection de la personnalité. Elle partage ce point de vue.
62
51. La Cour considère, comme le Gouvernement, que l'ingérence visait un but légitime, à savoir la protection de la réputation et des droits d'autrui, au sens de l'article 10 § 2 de la Convention. Dans la mesure où la requérante soutient que l'interdiction nuisait plutôt à la réputation de M. Schröder, la Cour estime que cet argument concerne davantage la question de savoir si l'ingérence était "nécessaire dans une société démocratique" (Dichand et autres, précité, § 33).
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52. La Cour doit donc rechercher si cette ingérence était "nécessaire dans une société démocratique", pour atteindre ces buts.
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a) Principes généraux
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53. A cet égard, la Cour renvoie aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, §§ 101-105, CEDH 2007-V; Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 40, 27 mai 2004; Ungvary et Irodalom Kft c. Hongrie, no 64520/10, §§ 37-48, 3 décembre 2013).
66
54. La Cour rappelle en particulier que l'article 10 § 2 ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou des questions d'intérêt général (Brasilier c. France, no 71343/01, § 41, 11 avril 2006). En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique, visé en cette qualité, que d'un simple particulier: à la différence du second, le premier s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103).
67
55. Dans un cas comme la présente affaire, la Cour tient aussi à souligner le rôle essentiel que joue la presse dans une société démocratique. Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation et des droits d'autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intéret général. A sa fonction qui consiste à diffuser des informations et des idées sur de telles questions s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir. S'il en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de "chien de garde" (Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, §§ 59 et 62, CEDH 1999-III, et Pedersen et Baadsgaard, précité, § 71).
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56. Il convient de rappeler, enfin, que dans des affaires comme la présente, qui nécessitent une mise en balance du droit à la liberté d'expression et du droit au respect de la vie privée, l'issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu'elle a été portée devant la Cour, sous l'angle de l'article 8 de la Convention, par la personne faisant l'objet du reportage ou, sous l'angle de l'article 10, par l'éditeur qui l'a publié. En effet, ces droits méritent a priori un égal respect. Dès lors, la marge d'appréciation devrait en principe être la même dans les deux cas. Si la mise en balance par les autorités nationales s'est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (Axel Springer AG, précité, § 87; Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012).
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57. Dans ses arrêts précités Axel Springer AG (§§ 89-95) et Von Hannover (no 2), (§ 108-113) la Cour a résumé les critères pertinents pour la mise en balance du droit à la liberté d'expression et du droit au respect de la vie privée dont notamment la contribution à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, la forme et les répercussions de la publication et la gravité de la sanction imposée (voir également Tanasoaica c. Roumanie, no 3490/03, § 41, 19 juin 2012; et Verlagsgruppe News GmbH et Bobi c. Autriche, no 59631/09, § 72, 4 décembre 2012; Küchl c. Autriche, no 51151/06, § 67, 4 décembre 2012; Ungvary et Irodalom Kft, précité, § 45).
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b) Application en l'espèce
71
i. La contribution à un débat d'intérêt général
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58. La Cour note que le passage litigieux fait partie d'un article paru dans un quotidien à large diffusion portant sur la nomination de M. Schröder au poste de président du conseil d'administration d'un consortium germano-russe très peu de temps après la cessation de ses fonctions de chancelier fédéral. Le reportage soulevait notamment la question de savoir si et dans quelle mesure M. Schröder avait profité des décisions politiques qu'il avait prises en tant que chef du gouvernement pour préparer ce changement. Le sujet du reportage présentait à l'évidence un grand intérêt général. Cela est d'autant plus vrai en ce qui concerne le passage interdit qui posait la question de savoir si M. Schröder avait voulu se défaire de sa fonction de chancelier fédéral en raison du poste qu'on lui avait proposé dans le consortium.
73
ii. Notoriété de la personne visée
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59. En ce qui concerne la notoriété de M. Schröder, force est de constater qu'il était à l'époque des événements dont rendait compte l'article le chef du gouvernement allemand et, partant, une personnalité politique d'une notoriété très élevée.
75
iii. L'objet du reportage et la nature de l'information
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60. Quant à l'objet du reportage, la Cour note que l'article ne se rapportait pas à des détails de la vie privée de M. Schröder dans le but de satisfaire la curiosité d'un certain public (cf. Axel Springer, précité, § 91), mais portait sur son comportement pendant l'exercice de son mandat de chancelier fédéral et son engagement contesté dans un consortium germano-russe peu après la cessation de ses fonctions de chancelier. Dès lors, la liberté d'expression appelle une interprétation ample dans la présente affaire.
77
61. La Cour observe que les juridictions allemandes ont interdit le passage en question au motif qu'il ne répondait pas aux critères établis pour des reportages portant sur des soupçons qui s'appliquaient à l'affaire devant elles. A cet égard, elles ont relevé que, même si M. Schröder n'était pas soupçonné d'avoir commis une infraction pénale, la requérante avait néanmoins exprimé un soupçon grave et injurieux à l'égard de celui-ci. Tout en reconnaissant que le reportage portait sur un sujet d'intérêt public elles ont notamment reproché à la requérante d'avoir manqué d'objectivité et de pondération et de ne pas avoir obtenu l'avis de M. Schröder ou d'un proche avant la publication.
78
62. La Cour note que les juridictions allemandes ont laissé ouverte la question de savoir si le passage litigieux s'apparentait à une déclaration factuelle ou un jugement de valeur, considérant que la requérante avait formulé un soupçon dont la licéité devait être appréciée à l'aune des critères concernant des reportages portant sur des soupçons. Le Gouvernement est d'avis que les juridictions allemandes ont à bon escient estimé que les propos de M. Thiele exprimaient une présomption de fait et qu'il s'agissait en réalité d'une question rhétorique à laquelle la requérante n'aurait pas cherché à avoir une réponse.
79
63. La Cour note d'abord que la requérante a reproduit dans l'article des propos que M. Thiele a incontestablement tenus. En ce qui concerne le contenu des questions mêmes, elle rappelle qu'il peut parfois s'avérer difficile de distinguer entre imputations de faits et jugements de valeur, notamment lorsqu'il s'agit, comme dans la présente affaire, d'allégations sur les motivations de la conduite d'un tiers (cf., mutatis mutandis, Fleury c. France, no 29784/06, § 49, 11 mai 2010). A la différence de l'affaire Pedersen et Baadsgaard, dans laquelle la Cour avait conclu que l'accusation formulée par les requérants constituait une déclaration factuelle dont la véracité était susceptible d'être prouvée (§ 76), les questions posées par M. Thiele quant aux motifs de M. Schröder de tenir des nouvelles élections étaient de par leur nature difficiles à prouver. A cet égard, la Cour rappelle qu'elle a déjà considéré que les conclusions portant sur les motifs ou les intentions éventuelles d'autrui constituaient plutôt un jugement de valeur qu'une imputation factuelle qui se prêtarait à démonstration (a/s Diena et Ozolins c. Lettonie, no 16657/03, § 81, 12 juillet 2007; Ungvary et Irodalom Kft, précité, § 52).
80
64. De toute manière, si, d'après la jurisprudence de la Cour, une déclaration équivalant à un jugement de valeur doit se fonder sur une base factuelle suffisante (Pedersen et Baadsgaard, précité, § 76), la Cour note que la cour d'appel, à l'opposé du tribunal régional, a estimé qu'il y avait suffisamment de faits qui justifiaient de rendre compte des soupçons à l'égard de M. Schröder. Ce que la cour d'appel a reproché à la requérante, c'était, d'une part, que celle-ci n'avait pas mentionné des éléments affaiblissant les soupçons, mais exclusivement des circonstances corroborant ceux-ci, et, d'autre part, que la requérante n'avait pas fait de recherches pour éclairer davantage les faits avant de publier les questions de M. Thiele et, en particulier, n'avait pas demandé l'avis de M. Schröder.
81
65. La Cour note d'abord que les questions frappées par l'interdiction s'inscrivaient dans un contexte politique d'intérêt général et, comme la cour d'appel l'a constaté, ne prétendaient pas que M. Schröder avait commis une infraction pénale. Par ailleurs, à aucun moment de la procédure il n'a été dit que le comportement de M. Schröder pouvait faire l'objet d'une enquête pénale. La Cour relève en outre, à l'instar de la cour d'appel, que les questions posées par M. Thiele pouvaient se fonder sur un certain nombre de faits et que l'annonce de M. Schröder a fait l'objet de nombreux articles dans la presse et d'un débat au sein du parlement. Puis, force est de constater que les questions de M. Thiele n'étaient pas les seules questions reproduites dans l'article de BILD, mais s'inscrivaient dans une série de citations de plusieurs personnages politiques provenant de différents partis politiques. La Cour rappelle à cet égard qu'il ne lui appartient pas, ni d'ailleurs aux juridictions internes, de se substituer à la presse dans le choix du mode de compte rendu à adopter dans un cas donné (Jersild, précité, § 31; Erla Hlynsdottir c. Islande, no 43380/10, § 70, 10 juillet 2012) ou dans la décision de savoir quelles informations doivent figurer ou non dans un reportage donné.
82
66. La Cour peut aussi partager l'avis de la requérante que les événements à partir de la décision du chancelier de tenir des élections anticipées jusqu'à l'annonce de celui-ci d'accepter le poste dans le consortium étaient suffisamment connus pour être encore présents dans l'esprit des lecteurs lors de la parution de l'article. Par ailleurs, la requérante fait à raison remarquer que le chef d'un gouvernement a des multiples possibilités de faire connaitre ses choix politiques et d'en informer le public. A cet égard, il n'est pas sans intérêt de noter qu'il ressort de l'article du magazine "Focus" du 12 décembre 2005 qu'un journaliste de ce magazine s'était adressé au gouvernement en aout 2005 afin de savoir si des informations étaient justes d'après lesquelles Gazprom préparait un poste pour M. Schröder, et que le porte-parole du gouvernement avait notamment dit qu'une telle offre n'existait pas (voir le paragraphe 16 ci-dessus).
83
67. Au vu de ces circonstances, la Cour ne saurait souscrire à l'avis des juridictions internes que l'article aurait du contenir aussi des éléments plaidant en faveur de l'ancien chancelier qui, puisqu'il occupait une des plus hautes fonctions politiques en République fédérale d'Allemagne, devait faire preuve d'une tolérance beaucoup plus élevée qu'un simple particulier (voir, mutatis mutandis, Lingens précité, § 43; Dichand et autres, précité, § 51; Feldek, précité, § 85).
84
68. La Cour note ensuite que si c'est la requérante qui a diffusé le passage litigieux dans son quotidien, l'auteur de ces questions était un homme politique et député du parlement allemand. Elle tient à réitérer qu'à la fonction de la presse de communiquer, dans le respect de ses devoirs et responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général s'ajoute le droit, pour le public, de recevoir les informations et idées sur de telles questions (voir le paragraphe 53 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de questions débattues dans l'arène politique, domaine dans lequel la liberté d'expression revêt la plus haute importance (Lingens, précité, § 41; Feldek, précité, § 83; Brasilier, précité, § 41).
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69. Elle rappelle aussi que des reportages d'actualités axés sur des entretiens, mis en forme ou non, représentent l'un des moyens les plus importants sans lesquels la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de "chien de garde" public. Sanctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d'un tiers dans un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d'intérêt général et ne saurait se concevoir sans raisons particulièrement sérieuses (Jersild, précité, § 35, Pedersen et Baadsgaard, précité, § 77; Gourguénidzé c. Géorgie, no 71678/01, § 42, 17 octobre 2006; Roberts et Roberts c. Royaume-Uni (déc.), no 38681/08, 5 juillet 2011). De la même manière, pour les acteurs politiques, la presse peut constituer un moyen important pour faire connaitre leurs idées.
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70. La Cour rappelle qu'il n'est pas contesté que M. Thiele a prononcé les propos reproduits dans l'article en question. Elle estime ensuite que l'on ne saurait imposer à un journal de vérifier systématiquement le bien-fondé de tout propos d'un politicien à l'égard d'un autre qu'il entend reproduire et qui a été tenu dans le contexte d'un débat politique public. Dans ce contexte, il y a lieu aussi de noter qu'il y aurait été loisible à M. Schröder d'engager des démarches judiciaires contre l'auteur des propos litigieux, M. Thiele. Dès lors, eu égard à la manière dont BILD a obtenu les propos de M. Thiele et compte tenu de l'actualité de l'information concernant l'ancien chancelier, diffusée trois jours avant la parution de l'article, et aussi du caractère éphémère général des informations (cf. Europapress Holding d.o.o. c. Croatie, no 25333/06, § 69, 22 octobre 2009), rien n'indique aux yeux de la Cour que la requérante ne pouvait pas publier les propos sans procéder à d'autres vérifications au préalable. La Cour relève par ailleurs que, si la cour d'appel a estimé que l'emploi de l'expression "soupçon monstrueux" dans le passage litigieux confirmait la gravité du reproche fait à M. Schröder et, en conséquence, aussi le côté tendancieux et partial de l'article, elle ne semble pas avoir pris en considération que l'utilisation de cette expression pouvait aussi signifier que la requérante entendait montrer qu'elle se distanciait des questions posées par M. Thiele (cf., mutatis mutandis, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 64, CEDH 2001-III; Erla Hlynsdottir, précité, § 67).
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71. Dans la mesure où le Gouvernement pointe le risque que les médias pourraient diffuser des propos diffamatoires sans respecter aucune obligation de diligence journalistique pour peu qu'ils utilisent une citation d'une tierce personne, la Cour estime nécessaire de rappeler qu'il s'agissait en l'espèce des propos faits par un homme politique et député parlementaire dans le cadre d'un débat politique d'intérêt public incontestable.
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72. En ce qui concerne la question de savoir si la requérante a cherché à obtenir l'avis de M. Schröder ou d'un proche de celui-ci au sujet de la question de M. Thiele, la Cour note que, d'après les juridictions civiles, la requérante n'avait fait aucune recherche dans ce sens. La requérante affirme pour sa part qu'un de ses journalistes avait essayé de contacter à trois reprises le porte-parole adjoint S. à la suite de la publication de l'information que M. Schröder avait accepté le nouveau poste, et qu'elle a fait valoir cette circonstance devant les juridictions civiles. Le Gouvernement se contente de remarquer, sans donner plus de précisions, que les demandes de renseignement de la requérante auprès du porte-parole adjoint ne portaient que sur le consortium NGEP en général et n'avaient pas trait au soupçon spécifique soulevé par M. Thiele.
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73. La Cour note que le Gouvernement n'a pas donné d'explications sur la raison pour laquelle les juridictions civiles n'ont pas tenu compte ni fait mention des tentatives de la requérante de contacter le porte-parole adjoint du gouvernement. A la lecture des observations des parties, la Cour n'a pas de motifs de croire que la requérante n'a pas fait les démarches indiquées. Elle estime qu'indépendamment de la question de savoir si la requérante a essayé de confronter le porte-parole adjoint aussi avec les questions posées par M. Thiele ou non, on ne saurait soutenir que la requérante n'a fait aucune démarche auprès de l'ancien chancelier et que celui-ci n'a pas eu d'occasion de réagir à de telles questions.
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iv. La forme et les répercussions de la publication
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74. En ce qui concerne la forme de la publication, la Cour note que le passage litigieux fait partie d'un article sur la décision du chancelier Schröder d'accepter le poste proposé par NGEP qui contient un certain nombre de commentaires de plusieurs personnages politiques à ce sujet, dont celui de M. Thiele, auteur du passage litigieux. Elle relève que l'article ne comporte pas d'expressions à l'égard de l'ancien chancelier qui de par sa nature pourraient poser un problème au regard de la jurisprudence de la Cour (cf. Axel Springer AG, précité, § 108; Tanasoaica, précité, §§ 52-53). Ni la forme de l'article, ni les expressions utilisées ni la publication de la photo l'accompagnant (voir paragraphe 14 ci-dessus) n'ont par ailleurs fait l'objet de contestations.
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75. Quant aux répercussions de la publication, la Cour a déjà estimé que l'ampleur de la diffusion d'un reportage peut, elle aussi, revêtir une importance, selon qu'il s'agit d'un journal à tirage national ou local, important ou faible (Axel Springer AG, précité, § 94; Von Hannover (no 2), précité, § 112). En l'espèce la Cour relève que le quotidien BILD a une diffusion nationale dont le tirage figure parmi les plus grands en Europe.
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v. La gravité de la sanction imposée à la requérante
94
76. En ce qui concerne enfin la gravité de la sanction imposée, la Cour note que la requérante n'a fait l'objet que d'une interdiction de droit civil de toute nouvelle publication d'un passage de l'article paru le 12 décembre 2005. Elle estime néanmoins que cette interdiction a pu avoir un effet dissuasif sur la requérante quant à l'exercice de la liberté d'expression (Brasilier, précité, § 43; Tanasoaica, précité, § 56; a/s Diena et Ozolins, précité, § 87).
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vi. Conclusion
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77. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour conclut qu'en publiant le passage incriminé, la requérante n'a pas franchi les limites de la liberté journalistique. Pour leur part, les juridictions allemandes et le Gouvernement n'ont pas réussi à établir de manière convaincante qu'il existait un besoin social impérieux de placer la protection de la réputation de l'ancien chancelier fédéral Schröder au-dessus du droit de la requérante à la liberté d'expression et de l'intérêt général qu'il y a à faire primer pareille liberté lorsque des questions d'importance publique sont en jeu. Dès lors, l'ingérence en cause n'était pas "nécessaire dans une société démocratique".
97
78. Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention.
98
 
II. Sur l'Application de l'Article 41 de la Convention
 
79. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
99
    "Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable."
100
A. Frais et dépens  
80. La requérante demande 31 338,25 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions civiles internes. Elle précise que bien qu'elle eut convenu d'un montant d'honoraires plus élevé avec ses avocats, elle ne réclame que les sommes correspondant aux barèmes fixés par la loi. Quant aux sommes réclamées pour l'introduction du recours devant la Cour constitutionnelle fédérale et de la requête devant la Cour, la requérante s'en remet à la sagesse de la Cour, tout en précisant qu'elle sollicite au moins 5 000 EUR pour chaque procédure.
101
81. Le Gouvernement conteste la somme réclamée pour la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale qui, lorsqu'elle n'admet pas un recours constitutionnel, fixe en règle générale la valeur du litige à 4 000 EUR. Les frais d'avocats correspondant s'élèveraient en ce cas à environ 500 EUR toutes taxes comprises.
102
82. La Cour estime les sommes réclamées raisonnables et, par conséquent, les accorde.
103
B. Intérêts moratoires  
83. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
104
Par ces motifs, la cour, à l'unanimité,
105
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable;  
2. Dit, qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention;  
3. Dit,  
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, la somme de 41 338,25 EUR (quarante-et-un mille trois cent trente-huit euros et 25 centimes), plus tout montant pouvant être du à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens;  
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage;  
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.  
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2014, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
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 Claudia Westerdiek (Greffière), Mark Villiger (Président)  
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