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Informationen zum Dokument  BGer 6B_10/2021  Materielle Begründung
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BGer 6B_10/2021 vom 08.12.2021
 
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6B_10/2021
 
 
Arrêt du 8 décembre 2021
 
 
Cour de droit pénal
 
Composition
 
Mmes et M. les Juges fédéraux
 
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
 
Denys et van de Graaf.
 
Greffière : Mme Paquier-Boinay.
 
Participants à la procédure
 
A.________,
 
représentée par Maîtres Laïla Batou et
 
Sophie Bobillier, avocates,
 
recourante,
 
contre
 
Ministère public de la République et canton de Genève,
 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
 
intimé.
 
Objet
 
Arbitraire, droit d'être entendu, etc. (contravention à la Loi genevoise sur les manifestations sur le domaine public),
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 17 novembre 2020 (P/21176/2019 AARP/374/2020).
 
 
Faits :
 
A.
1
Par jugement du 18 mai 2020, le Tribunal de police genevois a reconnu A.________ coupable de non-respect des conditions fixées pour une manifestation et l'a condamnée à une amende de 200 fr., avec une peine privative de liberté de substitution de 2 jours.
2
B.
3
En date du 17 novembre 2020, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel formé par A.________ contre ce jugement, qu'elle a confirmé.
4
C.
5
Les faits à l'origine de cette condamnation sont en substance les suivants.
6
Une autorisation de manifester a été délivrée le 7 mars 2019 à A.________ par le Département de la sécurité, de l'emploi et de la santé en vue d'un rassemblement et cortège organisé par cette dernière à l'occasion de la Journée internationale des femmes le 8 mars 2019 dès 19h00. Cette autorisation précisait le parcours du cortège, les lieux des prises de parole ainsi que l'heure de la fin de la manifestation. Elle prescrivait par ailleurs que toutes les précautions devaient être prises pour éviter les incidents avec les flambeaux (ch. 7) et afin qu'il ne soit porté atteinte ni à la tranquillité publique ni à la sécurité et à l'ordre publics (ch. 8), que les participants devaient se conformer aux ordres de la police, qui interviendrait lors de tout débordement (ch. 14), qu'il incombait à A.________ de constituer un service d'ordre interne et identifiable durant toute la manifestation (ch. 15); elle rappelait enfin à cette dernière qu'elle avait personnellement l'entière et seule responsabilité de la manifestation, de sorte que tout débordement éventuel pouvait lui être imputé et qu'il lui incombait de tout mettre en oeuvre pour que les participants respectent les termes de l'autorisation (ch. 16).
7
Il ressort du rapport du 9 mai 2019 établi par le sergent-major B.________, quartier-maître du groupe de maintien de l'ordre, à l'intention du Service des contraventions que lors de la manifestation, la police a constaté que des manifestants avaient apposé des tags sur des vitrines et sur des bus des Transports publics genevois, utilisé des engins pyrotechniques ou encore tenté de prendre un itinéraire non conforme à celui autorisé, seule l'intervention de la police, qui avait barré le passage, ayant permis que les manifestants reprennent l'itinéraire autorisé. Il a été relevé en outre que le rassemblement final ne s'était pas tenu au lieu prévu. La police a encore noté que le service d'ordre n'était pas clairement identifiable au motif que ses membres portaient de simples colliers lumineux; ils se définissaient eux-mêmes comme une "team d'ambiance", n'avaient pas été correctement instruits par l'organisatrice et n'avaient pas été en mesure d'encadrer la manifestation, notamment afin que celle-ci emprunte l'itinéraire autorisé. L'organisatrice n'avait d'ailleurs pas dirigé le cortège, ni pris les mesures correctrices requises par la police lors de la manifestation.
8
D.
9
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué ainsi que, principalement, à son acquittement et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
10
 
Considérant en droit :
 
1.
11
La condamnation litigieuse concerne une infraction de droit cantonal. Il en résulte que le CPP n'est pas applicable directement; il l'est à titre de droit cantonal supplétif (voir art. 8 de la loi genevoise d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale, RS/GE E 4 10). L'application du droit cantonal, y compris le droit fédéral appliqué à titre de droit cantonal supplétif, est uniquement examinée par le Tribunal fédéral sous l'angle d'une violation de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (voir ATF 140 III 385 consid. 2.3; 138 V 67 consid. 2.2).
12
2.
13
La recourante reproche en premier lieu à la cour cantonale d'avoir établi les faits de manière manifestement inexacte.
14
2.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat. Lorsque l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence à la présomption d'innocence, celle-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire (voir ATF 145 IV 154 consid. 1.1 p. 156 et les arrêts cités).
15
Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 145 IV 154 consid. 1.1 p. 155 s.).
16
2.2. La recourante s'en prend en premier lieu aux constatations de l'autorité cantonale relatives à la forme du service d'ordre et au caractère identifiable de ses membres.
17
Dans ce contexte, elle ne mentionne aucun élément de preuve pertinent qui aurait été omis ou interprété de manière arbitraire; elle semble en réalité reprocher à la police et à l'autorité cantonale qui a accordé l'autorisation de manifester de n'avoir pas donné d'indications suffisantes et de s'être défaussées de leur responsabilité. Son argumentation est irrecevable faute d'une motivation suffisante (art. 106 al. 2 LTF).
18
2.3. S'agissant de l'usage d'engins pyrotechniques, la recourante soutient qu'il n'est pas possible d'affirmer que de tels engins prohibés auraient été utilisés,
19
La cour cantonale a constaté que des engins pyrotechniques ont été utilisés pendant la manifestation et a, contrairement aux allégations de la recourante, précisé qu'il ne s'agissait pas de torches, ajoutant qu'il ne s'agissait pas d'un unique feu d'artifice.
20
La recourante ne montre pas que ces constatations seraient arbitraires; elle se contente de leur opposer sa propre version des faits, de sorte que son argumentation, appellatoire, est irrecevable.
21
2.4. Il en va de même s'agissant des tags apposés au cours de la manifestation. La cour cantonale a fait à ce propos des constations selon lesquelles la police a dû intervenir à plusieurs reprises notamment en relation avec l'apposition de tags, précisant qu'il ne s'agissait pas seulement de tags apposés avant l'intervention de l'oratrice à la rue U.________. Sur ce point également, l'argumentation de la recourante, de nature appellatoire, est irrecevable.
22
2.5. La recourante conteste avoir été l'une des trois jeunes filles ayant organisé l'édition précédente de la manifestation et fait valoir qu'elle ignorait par conséquent que sa place était en tête du cortège.
23
Il ressort des propres déclarations de la recourante que C.________, ancienne organisatrice de la manifestation, était présente dans le cortège. Dans ces circonstances, même dans l'hypothèse où la recourante n'aurait pas fait partie des organisatrices de la précédente édition de la manifestation, elle pouvait sans difficulté se renseigner auprès de quelqu'un qui disposait de cette expérience et on pouvait de toute évidence attendre d'elle qu'elle prenne une telle précaution, de sorte que le fait qu'elle ait ou non déjà participé à l'organisation de la manifestation n'est pas déterminant.
24
2.6. La recourante reproche à la cour cantonale de n'avoir pas instruit la question de savoir si les manifestantes qui ont tenté d'emprunter un itinéraire différent de celui qui avait été autorisé l'ont fait en l'absence de consignes du service d'ordre ou au mépris de celles-ci.
25
Il ressort de l'arrêt attaqué que la recourante n'a réagi qu'après que le trouble a été causé et même après l'intervention de la police qui lui a demandé de rappeler les manifestantes à l'ordre. Or on pouvait pour le moins attendre de la recourante et de son service d'ordre une communication suffisante pour que celle-ci soit informée des débordements qui pouvaient se produire et soit à même de prendre les mesures qui étaient dans ses compétences et au minimum d'informer la police.
26
Ces constatations sont suffisantes au regard de ce qui était reproché à la recourante, à savoir qu'elle n'avait pas satisfait à son devoir de collaborer avec la police. Il n'était ainsi pas nécessaire de mettre en oeuvre des mesures d'instruction complémentaires.
27
Mal fondé, le grief relatif à l'établissement des faits doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
28
3.
29
La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue ainsi que d'un déni de justice formel.
30
3.1. La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir refusé d'administrer des preuves à décharge, à savoir d'entendre des membres du service d'ordre ainsi que l'organisatrice de l'édition précédente de la manifestation. Elle fait valoir que l'administration de ces preuves aurait permis d'établir l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les participantes qui ont dévié de l'itinéraire autorisé et de savoir si elles l'ont fait faute d'information claire des organisatrices ou dans un esprit de subversion, faisant fi des instructions de celles-ci.
31
Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment celui de produire ou de faire administrer des preuves, à condition qu'elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 p. 103; 143 V 71 consid. 4.1 p. 72; 142 II 218 consid. 2.3 p. 222; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299 et les références citées). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude qu'elles ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion. Le refus d'instruire ne viole ainsi le droit d'être entendu des parties que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3 p. 435; 141 I 60 consid. 3.3 p. 64; 136 I 229 consid. 5.3 p. 236).
32
Selon l'art. 389 al. 1 CPP, lequel ne s'applique ici qu'en tant que droit cantonal supplétif s'agissant d'une infraction de droit cantonal, la procédure de recours se fonde sur les preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance. L'art. 389 al. 3 CPP règle les preuves complémentaires. Ainsi, la juridiction de recours administre, d'office ou à la demande d'une partie, les preuves complémentaires nécessaires au traitement du recours. Le droit d'être entendu, consacré par l'art. 107 CPP, garantit aux parties le droit de déposer des propositions relatives aux moyens de preuves (al. 1 let. e). Conformément à l'art. 139 al. 2 CPP, il n'y a pas lieu d'administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité ou déjà suffisamment prouvés. Cette disposition codifie, pour la procédure pénale, la règle jurisprudentielle déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. en matière d'appréciation anticipée des preuves (arrêts 6B_1191/2019 du 4 décembre 2019 consid. 1.1; 6B_738/2019 du 27 novembre 2019 consid. 4.2).
33
Il y a lieu de relever que la cour cantonale a évoqué à titre préliminaire le fait que la motivation des réquisitions de preuve de la recourante dans la procédure d'appel n'apparaissait pas suffisante. La recourante ne conteste pas cette motivation alors que lorsque la décision querellée repose sur une double motivation dont chaque pan est indépendant et suffit à sceller l'issue de la procédure cantonale, il importe, sous peine d'irrecevabilité, de discuter chacune de ces deux motivations (cf. ATF 133 IV 119 consid. 6.3 p. 120; cf. récemment arrêt 6B_1011/2021 du 9 novembre 2021 consid. 2); la recevabilité du recours est par conséquent douteuse sur ce point également.
34
Par ailleurs, comme cela a déjà été noté au consid. 2.6 ci-dessus, ce qui est reproché à la recourante est de n'avoir pas satisfait à son devoir de collaborer avec la police, de sorte que l'état d'esprit dans lequel ont agi les manifestantes est sans pertinence pour l'issue de la procédure.
35
3.2. La recourante soutient que sa condamnation violerait sa liberté de réunion, d'une part faute d'une base légale suffisante, d'autre part au motif que le principe de proportionnalité n'est pas respecté et de surcroît parce qu'une procédure pénale comme celle menée à son encontre viderait de son sens la liberté de réunion.
36
L'argumentation de la recourante à ce propos repose sur la prémisse que ce qui lui est reproché est de ne pas s'être tenue en tête de la manifestation à un moment donné du parcours, de ne pas avoir fait remonter certaines informations à la police, de ne pas être intervenue contre des participants faisant usage d'engins pyrotechniques et de ne pas avoir constitué un service d'ordre efficace. En réalité, la faute qui lui est imputée est de n'avoir pas rempli son devoir de collaboration avec la police (voir consid. 2.6 et 3.1 i.f.). Or il ressort de l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_225/2012 du 10 juillet 2013, mentionné au demeurant par la recourante, que l'obligation d'organiser un service d'ordre propre à concrétiser le devoir de collaboration des organisateurs avec la police est conforme à la Constitution (arrêt cité, consid. 3.7). La recourante n'apporte aucun argument susceptible de remettre cette jurisprudence en question. Elle ne montre par ailleurs pas en quoi le devoir de collaborer avec la police, qu'il lui est reproché de n'avoir pas satisfait, aurait été excessif, étant rappelé qu'il a été relevé au consid. 2.6 ci-dessus qu'elle n'a même pas mis sur pied une organisation suffisante pour être en mesure d'informer la police des débordements qui se sont produits.
37
4.
38
Mal fondé, le recours doit donc être rejeté dans la mesure où il est recevable. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
39
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
 
Lausanne, le 8 décembre 2021
 
Au nom de la Cour de droit pénal
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
 
La Greffière : Paquier-Boinay
 
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