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Informationen zum Dokument  BGer 1B_485/2020  Materielle Begründung
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BGer 1B_485/2020 vom 29.01.2021
 
 
1B_485/2020
 
 
Arrêt du 29 janvier 2021
 
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président, Chaix et Jametti.
 
Greffier : M. Kurz.
 
Participants à la procédure
 
A.________ SA,
 
représentée par Me Manuel Piquerez, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
B.________,
 
représentée par Me Christian Favre, avocat,
 
intimée,
 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD.
 
Objet
 
Procédure pénale; séquestre, restitution,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, du 14 juillet 2020 (552 - PE19.023965-JUA).
 
 
Faits :
 
A. Le 26 février 2020, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois a ouvert une enquête contre C.________ pour abus de confiance et escroquerie, sur plainte de B.________. Cette dernière avait confié à C.________ trois véhicules, dont une BMW Z8 Roadster, pour des travaux d'entretien, mais C.________ avait vendu les véhicules et s'en serait approprié le prix. Il avait en particulier vendu la BMW Z8, par l'intermédiaire d'un ami garagiste D.________, pour environ 145'000 fr. (alors que la plaignante en voulait au moins 200'000 fr.) à la société A.________ SA (ci-après: la société) qui l'avait remise en vente en ligne, pour 208'500 fr. A la requête de la plaignante, le Ministère public a ordonné le 26 mars 2020 le séquestre du véhicule en mains de A.________ SA, avec interdiction d'aliéner, jusqu'à l'audition d'un représentant de la société. Celle-ci s'est expliquée par courrier du 2 avril 2020 et a requis la levée du séquestre, estimant avoir pris toutes les précautions d'usage et indiquant avoir effectué pour environ 25'000 fr. de réparations sur le véhicule.
1
Par ordonnance du 29 mai 2020, le Ministère public a levé le séquestre, considérant que le prix d'acquisition du véhicule n'était pas suspect, que son état d'entretien n'était pas optimal et qu'il n'y avait pas lieu de douter des travaux effectués. La société paraissait de bonne foi. Un délai de 20 jours était imparti à la plaignante pour agir au civil, à l'échéance duquel le véhicule serait restitué à A.________ SA, sauf requête de mesures provisionnelles, de séquestre civil ou de convention désignant l'ayant droit.
2
B. Par arrêt du 14 juillet 2020, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par la plaignante contre l'ordonnance du 29 mai 2020. La différence importante entre les prix d'acquisition (145'000 fr.) et de vente (208'500 fr.), même après déduction du montant des travaux, pouvait évoquer un potentiel acte délictueux. En outre, la société n'avait pas prouvé l'acquisition du véhicule, la facture et l'avis de débit étant établis au nom d'une autre société (E.________ SA). La légitimité de la possession n'étant pas rendue vraisemblable, le séquestre a été levé en faveur de la plaignante, un délai de 20 jours étant imparti à la société pour agir au civil, à l'échéance duquel le véhicule serait restitué à la plaignante à moins d'une requête de mesures provisionnelles, d'un séquestre civil ou d'une convention.
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C. Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ SA demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal et d'ordonner la levée du séquestre et la restitution du véhicule en sa faveur en impartissant éventuellement à l'intimée un délai pour agir au civil. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à l'instance cantonale pour nouvelle décision. La recourante a déposé une demande d'effet suspensif qui a été admise par ordonnance du 16 octobre 2020.
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La cour cantonale renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. Le Ministère public se réfère à l'arrêt attaqué. B.________ conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.
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En réplique, la recourante a maintenu ses conclusions et s'est déterminée sur l'existence d'un préjudice irréparable.
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Considérant en droit :
 
1. L'arrêt attaqué, rendu en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), ordonne la levée du séquestre et la restitution à l'intimée du véhicule séquestré. Il s'agit d'une décision en matière pénale, susceptible d'un recours au sens de l'art. 78 al. 1 LTF.
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1.1. La jurisprudence considère qu'en général, une décision portant sur le maintien ou la levée d'un séquestre est une décision incidente (ATF 140 IV 57 consid. 2.2 p. 59 s.). Le recours n'est dès lors recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF. En l'occurrence toutefois, la recourante, qui n'est pas prévenue, a le statut de tiers saisi au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP. L'ordonnance de restitution met dès lors fin à la procédure pénale en ce qui la concerne et revêt par conséquent un caractère final. Il n'y a dès lors pas lieu de s'interroger sur le respect des conditions posées à l'art. 93 al. 1 LTF.
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1.2. La recourante a pris part à la procédure cantonale (art. 81 al. 1 let. a LTF). Elle dispose d'un intérêt à la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. b LTF) qui statue en sa défaveur.
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Pour le surplus, le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 LTF.
10
1.3. La recourante produit diverses pièces, dont certaines ne figurent pas au dossier de la cause. Dans la mesure où il s'agit de pièces nouvelles, elles sont irrecevables (art. 99 al. 1 LTF).
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2. La recourante se plaint exclusivement d'arbitraire dans l'établissement des faits. Elle expose que le prix d'achat de 145'000 fr. a été convenu en raison de l'état du véhicule, qui nécessitait des travaux estimés entre 25'000 et 30'000 fr. La mise en ligne d'une annonce de vente au prix de 208'500 fr. était destinée à tester le marché; le prix aurait par la suite été réduit à 189'500 fr. Lors de son audition du 17 juin 2020, D.________ avait confirmé les modalités de la vente. La cour cantonale ne pouvait se fonder sur le fait que la facture était au nom de la société E.________ SA pour retenir que la recourante n'était pas l'acquéreuse du véhicule, dès lors que les deux sociétés sont détenues par la même personne (A.________). La cour cantonale n'indiquerait pas quelles vérifications auraient encore dû être opérées par la recourante, alors que tant la police (rapport du 10 août 2020) que le Procureur (ordonnance du 29 mai 2020 et prise de position du 25 juin 2020) ont considéré qu'elle était de bonne foi.
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2.1. Dans le recours en matière pénale, les constatations de fait de la décision entreprise lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF). Il n'en va différemment que si le fait a été établi en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 et les arrêts cités), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le grief d'arbitraire doit être invoqué et motivé de manière précise (art. 106 al. 2 LTF). Le recourant doit exposer, de manière détaillée et pièces à l'appui, que les faits retenus l'ont été d'une manière absolument inadmissible, et non seulement discutable ou critiquable. Il ne saurait se borner à plaider à nouveau sa cause, contester les faits retenus ou rediscuter la manière dont ils ont été établis comme s'il s'adressait à une juridiction d'appel. Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 143 IV 500 consid. 1.1).
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2.2. L'arrêt cantonal est fondé sur trois motifs: la différence entre le prix payé à l'achat du véhicule (145'000 fr). et celui proposé à la vente (208'000 fr.), déduction faite de 25'000 fr. de travaux, soit 38'000 fr. environ, évocatrice selon elle d'un potentiel acte délictueux; l'absence de vérifications suffisantes de la recourante, hormis le fait de se fier à la mention sur la facture selon laquelle le véhicule était libre de tout engagement et de vérifier l'absence de leasing; enfin, la facture et l'avis de débit étaient établis au nom de E.________ SA, entité distincte de la recourante, laquelle ne pouvait donc être tenue pour l'acquéreuse du véhicule.
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2.3. Selon l'art. 267 al. 5 CPP, l'autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile. Lorsque la situation est suffisamment claire, le Ministère public peut ordonner une restitution en se fondant sur l'art. 267 al. 1 CPP (arrêt 1B_288/2017 du 26 octobre 2017 consid. 3). Lorsque tel n'est pas le cas, il doit procéder selon l'art. 267 al. 5 CPP en s'inspirant des solutions du droit civil. Les objets sont donc attribués provisoirement au possesseur (art. 930 CC), lequel est en outre présumé de bonne foi (art. 3 al. 1 CC). L'autorité procède à un examen prima facie, sur la base de l'examen du dossier. Elle répartit ainsi de façon provisoire le rôle des parties dans la procédure civile à venir, sans préjudice de la décision éventuelle au civil (LEMBO/NERUSHAY, in Commentaire Romand CPP, 2ème éd. 2019, n° 18 ad art. 267).
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2.4. La cour cantonale a considéré que l'intermédiaire D.________, malgré ses liens étroits avec le prévenu et le fait qu'il paraissait impliqué dans cette affaire, n'avait pas été entendu sur les circonstances dans lesquelles il avait été approché par le prévenu pour vendre le véhicule litigieux, ni sur les circonstances de la vente à la recourante. Dans sa décision du 29 mai 2020, le Ministère public avait expressément renoncé à attendre l'audition de l'intermédiaire pour lever le séquestre. Celle-ci a toutefois eu lieu le 17 juin 2020. D.________, garagiste de profession, a confirmé le prix de vente, le fait que le véhicule avait fait l'objet d'un contrôle par un employé du Garage A.________, qu'un acompte de 5000 fr. en espèces avait été versé et que le solde avait été transmis par virement bancaire. Dans son audition du même jour, A.________ a expliqué être propriétaire de E.________ SA, ainsi que du Garage A.________ et de A.________ SA. Le prix initial de 208'500 fr. était délibérément au-dessus du marché, le véhicule ayant par la suite été mis en vente pour le prix de 189'000 fr. Ces éléments figuraient au dossier au moment où la cour cantonale a statué; elle ne pouvait par conséquent sans arbitraire les ignorer et retenir notamment qu'il existait une différence de 38'000 fr. (après déduction de 25'000 fr. de travaux) entre le prix d'achat et le prix proposé initialement à la vente. Sur la base d'un prix de vente de 189'000 fr., cette différence n'est plus que de la moitié, soit 19'000 fr. et n'apparaît pas 
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2.5. Sur le vu de ce qui précède, l'arrêt cantonal procède d'une appréciation en contradiction manifeste avec les éléments du dossier. L'arrêt attaqué doit dès lors être réformé en ce sens que le recours cantonal de l'intimée est rejeté, la décision du Ministère public - fondée sur une application correcte de l'art. 267 al. 5 CPP - étant confirmée. Les frais de l'arrêt cantonal sont mis à la charge de l'intimée B.________. Celle-ci versera en outre à la recourante une indemnité de dépens, pour les procédures cantonale et fédérale (art. 68 al. 2 et al. 5 LTF).
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 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1. Le recours est admis; l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que le recours cantonal est rejeté et que la décision du Ministère public du 29 mai 2020 est confirmée; les frais de la procédure cantonale, arrêtés à 1'210 fr., sont mis à la charge de l'intimée B.________.
 
2. Les frais judiciaires arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée B.________.
 
3. Une indemnité de dépens de 3'000 fr. est allouée à la recourante, pour la procédure cantonale et la procédure fédérale, à la charge de l'intimée B.________.
 
4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Ministère public central du canton de Vaud et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale.
 
Lausanne, le 29 janvier 2021
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Kneubühler
 
Le Greffier : Kurz
 
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