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Informationen zum Dokument  BGer 1A.69/2004  Materielle Begründung
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BGer 1A.69/2004 vom 11.08.2004
 
Tribunale federale
 
{T 1/2}
 
1A.69/2004 /col
 
Arrêt du 11 août 2004
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
 
et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
 
du Tribunal fédéral, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
 
Greffier: M. Jomini.
 
Parties
 
Commune de Bardonnex, 1257 La Croix-de-Rozon,
 
recourante, représentée par Me François Bolsterli, avocat,
 
contre
 
Société d'Art Public, section genevoise de la Ligue du patrimoine national Heimatschutz, intimée, représentée par Me Alain Maunoir, avocat,
 
Société catholique romaine de Saint-Sylvestre,
 
partie intéressée,
 
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République et canton de Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
 
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1.
 
Objet
 
autorisation de construire en zone agricole,
 
recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Genève
 
du 10 février 2004.
 
Faits:
 
A.
 
La Commune de Bardonnex a demandé l'autorisation de construire un bâtiment scolaire et communal au lieu-dit "Compesières", sur son territoire. Ce bâtiment de trois niveaux, occupant au sol une surface supérieure à 600 m2, comporterait six classes, plusieurs salles (salle de sociétés, salle de rythmique, salle polyvalente) et différents autres locaux. Le terrain appartient à la commune (parcelles n° 13854, 13857 et 13859) et à la Société catholique romaine de Saint-Sylvestre (parcelles n° 13855 et 13858).
 
La réalisation de ce projet requiert la démolition d'une ferme (bâtiment n° 226, ferme de Compesières, dite également "ferme Garin"), de dépendances de la ferme (bâtiments n° 225 et 424) ainsi que de trois autres bâtiments provisoires (clapier, boxes à voitures et pavillon scolaire provisoire). La commune et la Société catholique romaine ont déposé une demande d'autorisation de démolir ces bâtiments.
 
Les parcelles concernées - au total 34'639 m2 - sont toutes classées dans la zone agricole, définie à l'art. 20 al. 1 de la loi cantonale d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LaLAT). Elles font partie du site ou hameau de Compesières, qui comporte notamment un ancien château (la Commanderie, abritant la mairie), une église et l'école communale.
 
Le Département cantonal de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL, ci-après: le département cantonal), compétent pour délivrer les autorisations de construire et de démolir, a requis des préavis de différents organes administratifs. Le 9 octobre 2001, il a octroyé l'autorisation de construire à la commune (autorisation DD 96520); cette décision est notamment fondée sur l'art. 26 LaLAT, disposition qui, à cette date, fixait les conditions des dérogations hors des zones à bâtir. Le 14 novembre 2001, il a accordé l'autorisation de démolir (autorisation M 4570), assortie de la condition que les travaux de démolition ne pourront pas être entrepris avant l'entrée en force de l'autorisation de construire DD 96520.
 
B.
 
La Société d'Art Public, section genevoise de la Ligue du patrimoine national Heimatschutz, a recouru contre ces deux autorisations auprès de la Commission cantonale de recours en matière de constructions. Cette autorité a effectué une inspection des lieux et elle a requis un avis de la Commission cantonale des monuments, de la nature et des sites (CMNS) au sujet du projet de démolition. La sous-commission "monuments et antiquités" (SCMA) a communiqué ses observations à la commission de recours le 19 juin 2002. Celle-ci a rejeté les recours, en confirmant les deux autorisations, par une décision du 9 avril 2003. Elle a considéré en substance que la démolition de l'ancienne ferme se justifiait, vu son état de "quasi déréliction", et qu'elle avait d'emblée été admise par la commission consultative spécialisée en matière de monuments historiques (CMNS), laquelle s'était prononcée en faveur du projet de nouveau bâtiment scolaire et communal. La Commission de recours a par ailleurs écarté le grief de violation de l'art. 26 al. 2 LaLAT (dans sa teneur antérieure à une révision du 28 mars 2003, entrée en vigueur le 24 mai 2003), norme du droit cantonal correspondant à l'art. 24 LAT (RS 700); elle a considéré en effet qu'aucun intérêt prépondérant du point de vue de l'agriculture ou de la protection de la nature et des sites n'était lésé, et que l'emplacement de l'école était imposé par sa destination (proximité de locaux scolaires existants, site central entre les différents villages et hameaux de la commune, cadre approprié à l'épanouissement des enfants).
 
C.
 
La Société d'Art Public a recouru auprès du Tribunal administratif cantonal contre la décision de la commission de recours. Elle a fait valoir que les conditions légales pour une dérogation en zone agricole n'étaient pas réunies et elle a critiqué, sur la base des dernières observations de la CMNS, l'autorisation de démolir l'ancienne ferme.
 
Par un arrêt rendu le 10 février 2004, le Tribunal administratif a admis le recours et annulé la décision de la commission de recours du 9 avril 2003 ainsi que l'autorisation de construire DD 96520 et l'autorisation de démolir M 4570, sauf en tant que cette dernière autorisation concerne le bâtiment n° 424 (petit bâtiment servant de salle de catéchisme, déclaré sans valeur historique ni esthétique).
 
Le Tribunal administratif a considéré, en substance, que la commission de recours avait écarté de manière arbitraire le dernier préavis en matière de protection des monuments historiques (observations de la SCMA du 19 juin 2002), qui demandait la conservation de la ferme et d'un mur d'une grange-écurie. S'agissant de ces bâtiments, l'autorisation de démolir a donc été délivrée à tort. En outre, l'octroi de l'autorisation de construire, pour une école et divers locaux communaux, viole l'art. 24 LAT car il aurait fallu engager préalablement une procédure de planification, afin de déclasser la zone agricole à cet endroit; or le département cantonal avait omis d'examiner cette question.
 
D.
 
Agissant par la voie du recours de droit administratif, la Commune de Bardonnex demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif et de confirmer l'autorisation de construire DD 96520 ainsi que l'autorisation de démolir M 4570. Elle se plaint d'une part d'une mauvaise application des art. 2 et 24 LAT, et d'autre part de violations du droit constitutionnel fédéral (art. 9, 26 et 29 Cst.).
 
La Société d'Art Public conclut au rejet du recours.
 
Le département cantonal propose l'admission des conclusions du recours de droit administratif.
 
Le Tribunal administratif s'en rapporte à justice.
 
La Société catholique romaine de Saint-Sylvestre n'a pas répondu au recours.
 
Egalement invité à répondre, l'Office fédéral du développement territorial (ODT) a déclaré qu'il n'avait pas d'observations à présenter.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 129 II 225 consid. 1 p. 227, 453 consid. 2 p. 456 et les arrêts cités).
 
1.1 La contestation porte sur deux autorisations cantonales: d'une part une autorisation de construire fondée sur l'art. 24 LAT et délivrée pour un projet hors de la zone à bâtir; d'autre part une autorisation de démolir, fondée sur des normes du droit cantonal, en matière notamment de protection des monuments historiques. Le département cantonal a toutefois subordonné le caractère exécutoire de la seconde autorisation à l'entrée en force de la première, selon une condition expresse de la décision du 14 novembre 2001. En d'autres termes, la démolition de l'ancienne ferme n'a été admise que pour autant que le bâtiment scolaire et communal puisse être construit. Ce lien entre les deux autorisations n'a jamais été contesté par les parties; dans sa réponse au recours de droit administratif, le département cantonal fait du reste valoir que l'objet principal des procédures administratives est la construction du nouveau bâtiment, les deux objets étant néanmoins "intimement liés" voire "indissociables". La question de la validité de l'autorisation de démolir M 4570 a donc un caractère subsidiaire; il serait en d'autres termes superflu de la traiter dans l'hypothèse où l'autorisation de construire DD 96520 serait définitivement annulée. Il faut dès lors déterminer en premier lieu si le recours de droit administratif est recevable en tant qu'il est dirigé contre l'annulation, par le Tribunal administratif, de cette autorisation de construire.
 
Cela étant, il ne se justifie pas d'examiner plus en détail la situation juridique du bâtiment n° 424 (salle de catéchisme) après l'annulation partielle de l'autorisation de démolir par le Tribunal administratif car, devant le Tribunal fédéral, la contestation ne porte pas sur le sort dudit bâtiment, bien distinct de l'ancienne ferme.
 
1.2 Aux termes de l'art. 34 al. 1 LAT, le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions prises par l'autorité cantonale de dernière instance sur des demandes de dérogation en vertu des art. 24 à 24d LAT. Cette voie de recours a donc, en l'espèce, été choisie à juste titre.
 
Dans la procédure du recours de droit administratif (art. 97 ss OJ), a qualité pour recourir en vertu de l'art. 103 let. a OJ quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée; c'est généralement le cas du propriétaire foncier à qui une autorisation de construire est refusée. La législation fédérale accorde également à certaines autorités un droit de recours (cf. art. 103 let. c OJ); il en va ainsi, dans le cadre de l'art. 34 LAT, des cantons et des communes (art. 34 al. 2 LAT). En l'espèce, la commune concernée a donc qualité pour recourir à ces deux titres.
 
Dans la mesure où il est dirigé contre l'autorisation de construire, le recours satisfait aux autres conditions de recevabilité des art. 97 ss OJ. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
 
2.
 
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 24 LAT car, en refusant une dérogation fondée sur cette disposition, le Tribunal administratif a selon elle mal appliqué les critères jurisprudentiels relatifs à la nécessité, pour certains projets, d'une planification préalable. Elle soutient, en se référant aux constatations de la Commission cantonale de recours, que les deux conditions de l'art. 24 LAT - implantation imposée par la destination du bâtiment, absence d'intérêt prépondérant contraire - sont satisfaites.
 
2.1 Comme le projet litigieux n'est manifestement pas conforme à l'affectation de la zone agricole et dès lors qu'il ne consiste pas en la transformation d'un bâtiment existant, une autorisation de construire ne peut être délivrée, sur la base de l'art. 24 LAT - qui permet en pareil cas certaines exceptions ou dérogations -, que si l'implantation de la construction hors de la zone à bâtir est imposée par sa destination (art. 24 let. a LAT) et si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (art. 24 let. b LAT). Les règles du droit cantonal à ce sujet (voir actuellement l'art. 27 LaLAT) n'ont pas une portée différente. Le Tribunal fédéral examine librement l'application de l'art. 24 LAT par la juridiction cantonale.
 
2.2 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif a rappelé la jurisprudence selon laquelle les projets dont les dimensions et les incidences sur la planification locale ou l'environnement sont importantes, doivent être prévus dans les plans d'aménagement (cf. art. 2 al. 1, art. 6 ss et 14 ss LAT), une dérogation selon les art. 24 ss LAT n'entrant alors plus en considération. Il en découle qu'il faut en principe délimiter, dans les plans d'affectation, les zones nécessaires à la réalisation de tels projets, qu'il s'agisse de zones à bâtir au sens de l'art. 15 LAT ou d'autres zones selon l'art. 18 al. 1 LAT. Les autorités ont ainsi une "obligation d'aménager le territoire" (cf. titre de l'art. 2 LAT) en concrétisant dans les plans d'affectation, de manière contraignante pour chacun, les buts et principes de la loi fédérale (ATF 129 II 63 consid. 2.1 p. 65, 321 consid. 3.1 p. 326 et les arrêts cités).
 
Appliquant cette jurisprudence, le Tribunal administratif a reproché au département cantonal d'avoir délivré l'autorisation de construire sans avoir examiné auparavant l'éventualité de l'adoption d'une mesure de planification pour ce projet, qualifié de relativement important à cause du volume du bâtiment et des aménagements extérieurs prévus (préau).
 
2.3 Il n'est pas contestable que le bâtiment scolaire et communal peut être qualifié de projet important. Des bâtiments de ce genre trouvent normalement leur place dans les zones à bâtir des agglomérations ou des villages, en particulier dans les zones de constructions d'utilité publique. La collectivité publique responsable des constructions scolaires est généralement en mesure d'adopter ou de faire adopter de telles zones à bâtir spéciales, afin de satisfaire aux besoins dans ce domaine. Il n'y en principe pas de motifs d'implanter ce genre de constructions à l'extérieur du périmètre du territoire constructible (cf. Eric Brandt/Pierre Moor, Commentaire LAT, Zurich 1999, Art. 18, n. 21; cf. également, à propos de certaines installations sportives publiques, ATF 114 Ib 180 consid. 3c/ca p. 187). Le Tribunal administratif pouvait à juste titre constater en l'occurrence que le département cantonal n'avait pas examiné la possibilité de réaliser un nouveau bâtiment scolaire, sur le territoire de la commune recourante, à l'intérieur d'une zone à bâtir, existante ou à créer (en fonction des besoins pour l'activité en cause - cf. art. 15 LAT).
 
Quoi qu'il en soit, selon la jurisprudence, la première des deux conditions cumulatives de l'art. 24 LAT - l'implantation hors de la zone à bâtir imposée par la destination de la construction (art. 24 let. a LAT, correspondant à l'ancien art. 24 al. 1 let. a LAT, en vigueur jusqu'au 31 août 2000) - n'est réalisée que dans certaines situations particulières. Il en va ainsi lorsque l'ouvrage projeté ne peut être employé conformément à sa destination qu'en un endroit déterminé hors de la zone à bâtir, pour des raisons d'ordre technique, ou bien pour des motifs liés aux conditions d'exploitation économique d'une entreprise, ou encore à cause de la configuration ou des particularités du sol; de même, l'implantation hors de la zone à bâtir peut se justifier si l'ouvrage en question ne peut être édifié à l'intérieur de celle-ci en raison des nuisances qu'il occasionne. Il s'agit de critères objectifs, les points de vue subjectifs du constructeur ou les motifs de convenance personnelle n'entrant pas en considération dans l'appréciation (cf. ATF 123 II 256 consid. 5a p. 261, 499 consid. 3b/cc p. 508 et les arrêts cités). A l'évidence, les motifs invoqués par la recourante pour construire une école en zone agricole, même défendables et inspirés par l'intérêt public - la proximité d'autres bâtiments communaux, notamment de l'école communale existante (concept de groupe scolaire), une situation centrale par rapport aux différents hameaux de la commune, un environnement favorable à l'épanouissement des enfants -, ne correspondent pas à ceux de la jurisprudence pour une dérogation.
 
Dans ces conditions, l'annulation de l'autorisation de construire DD 96520 ne viole pas le droit fédéral. Les griefs de la recourante à ce sujet sont donc mal fondés.
 
2.4 Comme cela a déjà été exposé (supra, consid. 1.1), il n'y a plus lieu d'examiner les griefs à l'encontre de l'annulation de l'autorisation de démolir M 4570, qui ne peut de toute manière plus être exécutée après l'annulation de l'autorisation de construire.
 
3.
 
Il s'ensuit que le recours de droit administratif doit être rejeté.
 
Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ).
 
La commune recourante, qui succombe, doit être condamnée à verser des dépens à l'intimée Société d'Art Public, assistée d'un avocat (art. 159 al. 1 et 2 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours de droit administratif est rejeté.
 
2.
 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
 
3.
 
Une indemnité de 2'000 fr., à payer à l'intimée Société d'Art Public à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante et de l'intimée, à la Société catholique romaine de Saint-Sylvestre, au Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, à la Commission de recours en matière de constructions et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève ainsi qu'à l'Office fédéral du développement territorial.
 
Lausanne, le 11 août 2004
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: Le greffier:
 
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