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Informationen zum Dokument  BGer 1A.198/2003  Materielle Begründung
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BGer 1A.198/2003 vom 08.01.2004
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
1A.198/2003 /col
 
Arrêt du 8 janvier 2004
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
 
Greffier: M. Kurz.
 
Parties
 
la société W.________,
 
la société I.________,
 
la société J.________,
 
C.________,
 
recourants,
 
tous représentés par Me Shelby du Pasquier, avocat,
 
contre
 
Juge d'instruction du canton de Genève,
 
case postale 3344, 1211 Genève 3,
 
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.
 
Objet
 
Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec le Koweït,
 
recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 18 juillet 2003.
 
Faits:
 
A.
 
Le 19 juin 1995, le Procureur général de l'Etat du Koweït a adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire dans le cadre d'une enquête dirigée contre les anciens hauts responsables de K.________, société détenue par la société P.________, appartenant elle-même à l'Etat du Koweït. Chargée d'organiser les transports terrestres et maritimes de matériel nécessaire à la réalisation d'un port et à la modernisation d'une raffinerie, K.________ avait confié ces transports à des sociétés allemande (M.________) et japonaise (N.________), avec l'intervention d'un sous-traitant japonais (B.________). En 1986, M.________ et B.________ adressèrent après coup des factures supplémentaires en prétendant à l'application d'un tarif supérieur. Coordinateur du groupe de transports auprès de K.________, C.________ avait approuvé ces nouvelles factures, dont certaines sont mentionnées à titre d'exemples. Ces suppléments avaient été versés auprès de la banque U.________, alors que les règlements se faisaient habituellement auprès d'une banque allemande. L'autorité requérante soupçonne C.________ d'être intervenu pour faciliter le paiement des suppléments par K.________, pour un montant total de plus de 17 millions de dollars, et d'avoir ensuite reçu certaines sommes au comptant. Les dispositions pénales applicables en droit koweïtien concernent essentiellement les infractions commises par des fonctionnaires ainsi que les faux dans les titres. L'autorité requérante estime que les dispositions du droit suisse sur l'abus de confiance, le recel, l'escroquerie, la gestion déloyale et les délits de faux seraient applicables. Elle indique les personnes physiques et morales qui, outre C.________, seraient impliquées, et demande la documentation bancaire relative à ces personnes auprès de la banque U.________ et de la banque T.________, dès 1983, ainsi que le séquestre des avoirs disponibles.
 
B.
 
Le Juge d'instruction du canton de Genève, chargé d'exécuter cette demande, est entré en matière et a obtenu, notamment, la production des documents relatifs aux comptes bancaires suivants:
 
- n° aaa détenu par C.________ auprès de la banque U.________;
 
- n° bbb, ccc, ddd et eee détenus par C.________ auprès de la banque T.________;
 
- n° fff, ggg et hhh, détenus auprès de la banque T.________ par W.________, I.________ et J.________, dont C.________ est l'ayant droit, ces comptes ayant été clôturés entre 1990 et 1993.
 
C.________ et les trois sociétés précitées ont recouru en vain auprès de la Chambre d'accusation genevoise contre l'ordonnance d'entrée en matière.
 
C.
 
Par ordonnance du 20 février 2003, le juge d'instruction a ordonné la transmission à l'autorité requérante de la documentation remise par les banques, concernant notamment les comptes précités. La saisie conservatoire des avoirs encore disponibles a été confirmée.
 
Par ordonnance du 18 juillet 2003, la Chambre d'accusation a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours formé par C.________ et les trois sociétés. C.________ n'avait qualité pour recourir que dans la mesure où la décision de clôture concernait ses propres comptes. La demande d'entraide était suffisamment motivée. Sans égard au rôle tenu par C.________, les faits décrits seraient punissables, en droit suisse, comme infractions de faux et de gestion déloyale, la question de la prescription n'ayant pas à être examinée. Le principe de la proportionnalité était respecté: C.________ ayant travaillé auprès de K.________ de 1981 à 1986, on ne pouvait exclure que les agissements aient débuté en 1983; il y avait par ailleurs lieu de retracer le cheminement des fonds jusqu'à ce jour.
 
D.
 
C.________, W.________, I.________ et J.________ forment un recours de droit administratif contre cette ordonnance. Ils concluent à l'annulation de cette décision ainsi que de l'ordonnance de clôture, et à l'irrecevabilité de la demande d'entraide.
 
La Chambre d'accusation se réfère à son ordonnance. L'OFJ conclut au rejet du recours; il relève que la prescription selon le droit suisse - qui aurait dû être examinée - n'est pas atteinte s'agissant d'escroqueries commises jusqu'en 1992.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Interjeté dans le délai et les formes utiles contre une décision de clôture confirmée en dernière instance cantonale, le recours de droit administratif est recevable (art. 80e let. a et 80f al. 1 de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1).
 
1.1 Les sociétés recourantes sont chacune titulaire d'un compte bancaire au sujet duquel le juge d'instruction a ordonné la transmission de renseignements; elles ont ainsi qualité pour recourir (art. 80h let. b EIMP et 9a let. a OEIMP). C.________ a également qualité, en tant qu'il s'oppose à la transmission de renseignements relatifs à ses propres comptes; il ne peut agir en tant qu'ayant droit économique des comptes des sociétés.
 
1.2 En l'absence d'une convention liant la Suisse et l'Etat requérant, l'entraide judiciaire est entièrement régie par l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP, RS 351.11).
 
2.
 
Les recourants invoquent l'art. 28 EIMP en soutenant que l'exposé des faits ne comporterait pas d'indications suffisantes quant aux agissements reprochés aux sociétés et personnes visées. La procédure pénale a débuté en 1994 et l'autorité requérante devrait être en mesure d'étayer ses accusations.
 
2.1 Selon l'art. 28 EIMP, la demande d'entraide doit indiquer l'organe dont elle émane et, le cas échéant, l'autorité pénale compétente (art. 28 al. 2 let. a EIMP), son objet et ses motifs (art. 28 al. 2 let. b EIMP), la qualification juridique des faits (art. 28 al. 2 let. c EIMP), ainsi que la désignation aussi précise et complète que possible de la personne poursuivie (art. 28 al. 2 let. d EIMP). L'art. 10 OEIMP exige pour sa part l'indication du lieu, de la date et du mode de commission des infractions. On ne saurait toutefois se montrer trop exigeant quant à l'exposé joint à la demande. Il faut en effet tenir compte de ce que l'enquête ouverte - même depuis un certain temps - dans l'Etat requérant n'est pas terminée, puisque l'entraide est demandée précisément pour éclaircir certains faits. Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire pour vérifier que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (cf. ATF 129 II 97 consid. 3.2 s'agissant d'infractions de blanchiment; ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77).
 
2.2 La demande d'entraide, du 19 juin 1995, expose clairement les faits reprochés. Il est notamment expliqué que C.________ aurait profité de sa fonction de coordinateur du groupe de transports auprès de K.________, jusqu'en 1986, pour appuyer les prétentions abusives de sociétés de transport, soit M.________ (Allemagne) et N.________ (Japon). Le contrat de transport initial avait été conclu en 1983 avec M.________. B.________ aurait par la suite été chargée de la facturation, en 1985 pour M.________ et en 1986 pour N.________. Par la suite, M.________ et B.________ auraient présenté des factures supplémentaires, en prétendant à l'application d'un tarif supérieur. C.________ avait recommandé à K.________ le paiement de ces factures, pour un montant total de plus de 17 millions de dollars, versés auprès de la banque U.________ alors que les règlements se faisaient habituellement auprès d'une banque allemande. L'autorité requérante mentionne ainsi, à titre d'exemples, six factures majorées après coup. C.________ aurait encore donné des instructions après sa démission, en novembre 1986, et aurait reçu des paiements comptants de la part de B.________. Les autres personnes soupçonnées sont également mentionnées; il s'agit de dirigeants et partenaires de B.________ et M.________ et d'une société créée par C.________ après son départ de K.________.
 
Ces indications sont manifestement suffisantes pour juger du bien- fondé de la demande d'entraide judiciaire. Le rôle de C.________ est clairement précisé, ce que ne contestent pas les recourants. L'autorité requérante demande des informations sur les avoirs bancaires dont les personnes soupçonnées seraient titulaires ou bénéficiaires. Tel est le cas des comptes détenus par les trois sociétés recourantes: C.________ en est l'ayant droit, ce qui suffit à justifier les investigations requises sans que l'autorité requérante ait à fournir de plus amples précisions.
 
3.
 
Invoquant le principe de la double incrimination, les recourants relèvent que les infractions de droit koweïtien mentionnées par l'autorité requérante ne concernent que les fonctionnaires, alors que C.________ n'a jamais été employé public, K.________ étant une simple société anonyme. Les infractions de faux ne seraient pas étayées et les dispositions de la loi de 1993 ne seraient pas applicables en vertu du principe de non rétroactivité. En droit suisse, les infractions de gestion déloyale et de faux dans les certificats seraient prescrites, les faits s'étant déroulés jusqu'en 1992.
 
3.1 Selon la jurisprudence, il n'appartient pas à l'autorité suisse requise d'examiner la qualification juridique applicable dans l'Etat requérant (ATF 116 Ib 89 consid. 3c/aa p. 94 et les arrêts cités). Il n'est fait exception à ce principe que dans le cas où la punissabilité fait manifestement défaut dans l'Etat requérant, ce qui constituerait un défaut grave de la procédure pénale au sens de l'art. 2 EIMP, ainsi qu'un abus de l'entraide judiciaire (ATF 112 Ib 576 consid. 1b/ba p. 593). Tel n'est pas le cas en l'occurrence: le statut de K.________ n'est pas suffisamment précisé pour qu'on puisse nier avec certitude l'application des dispositions du droit étranger sur les délits dans l'administration publique. Quant à l'infraction de faux dans les titres, elle ne fait certes pas l'objet d'un exposé distinct, mais on peut aisément supposer que la commission de malversations du genre de celles qui sont décrites dans la demande s'accompagne de falsification de documents. Il n'y a donc pas de raison de mettre en doute les affirmations de l'Etat requérant sur la punissabilité des agissements décrits selon son propre droit.
 
3.2 Les recourants estiment que les infractions de faux dans les certificats et de gestion déloyale seraient atteintes de prescription absolue selon le droit suisse (art. 70 CP), s'agissant d'agissements commis jusqu'en 1992. Certes, la Chambre d'accusation a retenu à tort que la prescription selon le droit suisse ne devait pas être examinée. Cela est vrai à l'égard des pays liés avec la Suisse par une convention d'entraide judiciaire, dans la mesure où la prescription n'est pas prévue par cette convention comme motif de refus de l'entraide (ATF 117 Ib 53 concernant la CEEJ; 118 Ib 266 concernant le traité d'entraide avec les USA). En revanche, en l'absence de convention, l'art. 5 al. 1 let. c EIMP impose de déclarer la demande irrecevable si des mesures de contrainte sont requises et que la prescription empêche, en droit suisse, d'ouvrir une action pénale ou d'exécuter une sanction.
 
Si la cour cantonale s'est trompée sur ce point, cela ne porte pas à conséquence car l'argument relatif à la prescription doit de toute façon être écarté. Les recourants ne contestent pas en effet que les agissements décrits, commis jusqu'en 1992, seraient aussi constitutifs, en droit suisse, de faux dans les titres et d'escroquerie (de la part des entreprises qui ont obtenu des augmentations de tarif en bénéficiant de l'intervention d'un responsable de la société, dissuadant cette dernière de vérifier le bien-fondé de ces prétentions). Ces infractions sont passibles de la réclusion, et connaissent de ce fait une prescription absolue de quinze ans (art. 73 ch. 1 et 72 ch. 1 al. 2 CP). La prescription éventuelle d'autres infractions ne fait pas obstacle à l'octroi de l'entraide.
 
4.
 
Les recourants invoquent enfin le principe de la proportionnalité. Ils rappellent que l'autorité d'exécution doit s'assurer de l'existence d'un lien effectif entre les pièces à transmettre et les faits poursuivis, et estiment qu'il serait abusif de demander la documentation bancaire depuis 1983, pour des faits commis en 1986, les comptes des sociétés recourantes ayant d'ailleurs été ouverts après que C.________ ait quitté K.________. La demande tendrait en réalité à obtenir toutes les informations possibles sur l'ensemble des activités de C.________, et constituerait une recherche indéterminée de moyens de preuve. Il appartenait au juge d'instruction de limiter la transmission de renseignements aux seules opérations présentant un lien avec les faits poursuivis.
 
4.1 Le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part, l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF 121 II 241 consid. 3a). L'autorité suisse requise s'impose une grande retenue lorsqu'elle examine le respect de ce principe, car elle ne dispose pas des moyens qui lui permettraient de se prononcer sur l'opportunité de l'administration des preuves. Saisi d'un recours contre une décision de transmission, le juge de l'entraide doit lui aussi se borner à examiner si les renseignements à transmettre présentent, prima facie, un rapport avec les faits motivant la demande d'entraide. Il ne doit exclure de la transmission que les documents n'ayant manifestement aucune utilité possible pour les enquêteurs étrangers (examen limité à l'utilité "potentielle", ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371).
 
4.2 La demande fait état de malversations commises à grande échelle au détriment de K.________; elle mentionne certains agissements commis après la démission de C.________ en 1986. De manière générale, l'autorité requérante désire connaître toutes les personnes qui ont bénéficié des opérations frauduleuses au détriment de K.________. C.________ apparaît comme le principal suspect, et il est normal que l'autorité requérante s'intéresse à l'ensemble de ses avoirs. Dans la mesure où elle veut connaître les destinataires ultimes des transferts de fonds, il est aussi compréhensible que les investigations ne soient pas limitées dans le temps. Même si les comptes des sociétés recourantes n'ont été ouverts qu'après la démission de C.________, ce dernier a pu les utiliser pour recueillir ou transférer le produit de ses agissements. Les principales malversations ont été commises en 1986, mais la conclusion des contrats de transports remonte à 1983, et l'autorité requérante peut aussi vouloir s'assurer qu'aucune autre opération suspecte n'a pu être commise dès cette date. La période d'investigations définie par l'autorité requérante n'est donc pas disproportionnée.
 
4.3 Les recourants invoquent aussi l'obligation de procéder au tri et au caviardage des pièces recueillies, mais méconnaissent qu'il leur incombait de coopérer avec l'autorité d'exécution en lui indiquant les informations qu'il n'y aurait pas lieu de transmettre, ainsi que les motifs précis qui commanderaient d'agir de la sorte (ATF 127 II 151 consid. 4c/aa p. 155/156; 126 II 258 consid. 9b/aa p. 262; 126 II 258 consid. 9c p. 264). En se contentant d'affirmations générales, les recourants ont failli à leur devoir de collaboration et leur grief doit être écarté.
 
5.
 
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit administratif doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la charge des recourants, qui succombent.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Un émolument judiciaire de 5000 fr. est mis à la charge des recourants.
 
3.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.
 
Lausanne, le 8 janvier 2004
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: Le greffier:
 
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