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Informationen zum Dokument  BGer 6S.82/2002  Materielle Begründung
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BGer 6S.82/2002 vom 11.06.2002
 
{T 0/2}
 
6S.82/2002/ROD
 
C O U R D E C A S S A T I O N P E N A L E
 
*************************************************
 
Séance du 11 juin 2002
 
Présidence de M. Schubarth, Président.
 
Présents: M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et
 
M. Karlen, Juges. Greffier: M. Denys.
 
______________
 
Statuant sur le pourvoi en nullité
 
formé par
 
X.________, représenté par Me François Canonica, avocat à
 
Genève,
 
contre
 
l'arrêt rendu le 1er février 2002 par la Cour de cassa-
 
tion genevoise dans la cause qui oppose le recourant au
 
Procureur général du canton de G e n è v e;
 
(confiscation de valeurs patrimoniales)
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
 
les f a i t s suivants:
 
A.- En juin 1992, le Ministère public genevois a
 
ordonné l'ouverture d'une enquête préliminaire à l'en-
 
contre de X.________, titulaire d'un passeport diplo-
 
matique de la République du Yémen et d'un passeport
 
argentin, domicilié en Espagne, pour blanchiment d'ar-
 
gent, défaut de vigilance en matière d'opérations finan-
 
cières, ainsi que faux dans les titres et certificats
 
étrangers. Le 18 juin 1992, le Ministère public a or-
 
donné la saisie de 6'240'177.40 US$ déposés sur le compte
 
n° 1964 auprès de la Banque Audi (Suisse) SA à Genève. En
 
juillet 1992, les mêmes fonds ont également été saisis à
 
titre conservatoire dans le cadre d'une requête d'en-
 
traide internationale émanant des autorités espagnoles.
 
La mesure de blocage des fonds requise par les autorités
 
espagnoles a par la suite été levée, la procédure espa-
 
gnole s'étant achevée par l'acquittement de X.________.
 
Les fonds sont cependant restés bloqués car les
 
faits reprochés à X.________ dans le cadre de l'enquête
 
genevoise étaient distincts de ceux qui étaient à l'ori-
 
gine de la procédure espagnole. Le 31 juillet 1995, le
 
Ministère public genevois a clôturé son enquête prélimi-
 
naire et introduit une requête en confiscation des fonds
 
saisis. Cette requête reposait en particulier sur l'im-
 
plication de X.________ dans un trafic illicite d'armes à
 
destination de pays de l'ex-Yougoslavie (Croatie et
 
Bosnie). Il lui était reproché d'avoir fourni aux autori-
 
tés espagnoles un document qui contenait une indication
 
mensongère quant à la destination d'armes chargées sur le
 
navire "Nadia" et d'avoir de la sorte obtenu l'autorisa-
 
tion pour le navire de quitter le port espagnol où il
 
transitait.
 
B.- Par arrêt du 22 septembre 1997, la Chambre
 
pénale de la Cour de justice genevoise a déclaré infondée
 
la requête en confiscation. Elle a notamment relevé que
 
l'infraction de trafic d'armes à destination de l'ex-
 
Yougoslavie était certes réalisée mais qu'elle n'était
 
pas punissable en Suisse, car les armes n'y avaient pas
 
transité et X.________ n'était pas citoyen suisse ni
 
domicilié dans ce pays.
 
C.- Statuant sur le pourvoi cantonal du Ministère
 
public, la Cour de cassation genevoise l'a partiellement
 
admis par arrêt du 8 mai 1998. En bref, il ressort de cet
 
arrêt que le trafic illicite d'armes reproché à
 
X.________ constitue une infraction en droit suisse, soit
 
celle réprimée par l'art. 11 de l'ordonnance du Conseil
 
fédéral du 18 décembre 1991 sur l'acquisition et le port
 
d'armes à feu par des ressortissants yougoslaves (RO 1992
 
p. 25); il n'existe cependant aucun rattachement avec la
 
Suisse dès lors que les armes n'y ont pas transité, que
 
X.________ n'est pas domicilié dans ce pays, et qu'il
 
n'en est pas citoyen; pour la Cour de cassation
 
genevoise, cette situation n'exclut pourtant pas la
 
confiscation en vertu du droit suisse du produit de
 
l'infraction, pour autant que celle-ci soit également
 
punissable dans le pays de commission - condition de la
 
double incrimination abstraite; la Cour de cassation
 
genevoise a ainsi renvoyé la cause à la Chambre pénale
 
pour déterminer si le comportement imputé à X.________
 
tombait également sous le coup du droit espagnol.
 
Dans la suite de la procédure, le Ministère public
 
a ordonné la levée partielle de la saisie sur les fonds,
 
laquelle a été maintenue à concurrence de 3'315'000 US$,
 
montant qui correspondait au prix d'achat des armes
 
livrées en ex-Yougoslavie, majoré des intérêts courus. La
 
Chambre pénale genevoise a sollicité un avis de l'Insti-
 
tut suisse de droit comparé (ISDC) sur le droit espagnol.
 
L'ISDC a remis son avis le 10 février 1999, complété par
 
un courrier du 16 juillet 1999.
 
D.- Par un nouvel arrêt du 22 novembre 1999, la
 
Chambre pénale genevoise a admis la requête en confis-
 
cation du Ministère public. En particulier, le montant
 
confisqué a été arrêté à 3'315'000 US$ sur la base des
 
éléments suivants: Le compte n° 1964 auprès de la Banque
 
Audi à Genève a d'abord été approvisionné par deux ver-
 
sements, le premier de 7'388'140 US$ le 6 juin 1990 et le
 
deuxième de 2'909'950 US$ le 19 juin 1990, en provenance
 
d'un compte ouvert par l'épouse de X.________ auprès
 
d'une banque zurichoise; il a ensuite été crédité à six
 
reprises entre les mois de février et de juin 1992 de
 
différents montants d'un total de 2'300'000 US$ en pro-
 
venance d'un compte ouvert par le dénommé Y.________
 
auprès de l'Arab Bank (Switzerland); ce dernier compte
 
avait lui-même été crédité de deux versements en date du
 
7 février 1992, puis d'un troisième le 29 mai 1992, pour
 
un total de 2'649'000 US$; Y.________ a admis que les
 
fonds qui avaient transité sur son compte devaient servir
 
à l'acquisition d'armes destinées à la Croatie et à la
 
Bosnie; le compte n° 1964 auprès de la Banque Audi a été
 
débité à quatre reprises, les 14 et 26 février, 13 et 27
 
mai 1992, en faveur d'une société Cenrex, sise à
 
Varsovie, pour un total de 2'549'135 US$, qui équivalait
 
au prix d'achat des armes; la Chambre pénale a ainsi
 
considéré que la valeur des fonds qui provenaient du
 
trafic illicite d'armes pouvait être fixée à 3'315'000
 
US$, comme le requérait le Ministère public, ce qui
 
correspondait au prix d'acquisition des armes de
 
2'549'135 US$, arrondi à 2'550'000 US$, augmenté
 
proportionnellement de la plus-value de 30% dont avait
 
bénéficié le compte n° 1964 depuis sa saisie.
 
E.- X.________ a formé un pourvoi cantonal contre
 
l'arrêt du 22 novembre 1999. La Cour de cassation
 
genevoise a admis ce pourvoi par arrêt du 15 septembre
 
2000. Elle a rappelé que l'acquittement prononcé en
 
Espagne concernait d'autres faits que ceux liés au trafic
 
d'armes. Selon elle, l'infraction au droit espagnol
 
n'avait pas été déterminée avec une précision suffisante;
 
cette infraction ne pouvait pas trouver sa source dans
 
l'embargo des Nations Unies sur le commerce d'armes à
 
destination des pays de l'ex-Yougoslavie car la résolu-
 
tion du Conseil de sécurité n'avait pas encore été mise
 
en oeuvre en Espagne à l'époque des faits reprochés,
 
contrairement à la Suisse avec l'ordonnance du Conseil
 
fédéral du 18 décembre 1991 sur l'acquisition et le port
 
d'armes à feu par des ressortissants yougoslaves; par
 
conséquent, seule une infraction "ordinaire" de la légis-
 
lation espagnole pouvait entrer en ligne de compte. La
 
Cour de cassation genevoise a ainsi renvoyé la cause à
 
la Chambre pénale pour qu'elle procède à un complément
 
d'instruction quant au droit espagnol.
 
L'ISDC a rendu un avis complémentaire le 2 février
 
2001.
 
F.- Statuant à nouveau par arrêt du 25 juin 2001,
 
la Chambre pénale genevoise a derechef admis la requête
 
en confiscation du Ministère public.
 
G.- Par arrêt du 1er février 2002, la Cour de
 
cassation genevoise a rejeté le pourvoi cantonal formé
 
par X.________ contre l'arrêt du 25 juin 2001.
 
La Cour de cassation genevoise a retenu les faits
 
suivants: Chargé d'armes, le navire "Nadia" a quitté,
 
probablement en avril 1992, le port de Ceuta (Espagne)
 
sur la base d'une autorisation des autorités espagnoles
 
obtenue grâce à une fausse déclaration de destination,
 
qui mentionnait le Yémen à la place de l'ex-Yougoslavie.
 
X.________ possédait la maîtrise de ce trafic d'armes
 
vers l'ex-Yougoslavie et a agi avec conscience et volonté
 
s'agissant de la fausse déclaration de destination.
 
La Cour de cassation genevoise a relevé que, de son
 
point de vue et alors que le Tribunal fédéral ne s'était
 
encore jamais exprimé sur cette question, il était
 
possible de prononcer une confiscation en vertu du droit
 
suisse même en l'absence de tout rattachement avec notre
 
pays. Il fallait pour cela que le comportement en cause
 
fasse l'objet d'une disposition pénale en droit étranger
 
comme en droit suisse et que soit ainsi réalisée la con-
 
dition de la double incrimination abstraite. Cette con-
 
dition était remplie en l'espèce. En droit suisse, le
 
comportement reproché à X.________, soit le fait d'avoir
 
porté sur un document administratif une indication
 
mensongère concernant la destination d'une cargaison
 
d'armes, tombait sous le coup de la loi fédérale sur le
 
matériel de guerre du 30 juin 1972 (RO 1973 p. 107), en
 
vigueur au moment des faits, dont l'art. 17 al. 1 let. b
 
réprime le comportement de celui qui donne des indica-
 
tions fausses ou incomplètes dans une demande en vue
 
d'une autorisation d'exporter du matériel de guerre. Le
 
comportement de X.________ tombait également sous le coup
 
d'une norme espagnole de droit pénal administratif,
 
l'art. 1.1 al. 1 ch. 6 de la "Ley Organica 7/82" du 13
 
juillet 1982. Dans la suite de son raisonnement, la Cour
 
de cassation genevoise a considéré que les fonds saisis
 
auprès de la banque genevoise se trouvaient dans un
 
rapport de connexité directe avec l'établissement de la
 
fausse déclaration et représentaient ainsi le résultat de
 
l'infraction. Elle a prononcé leur confiscation en vertu
 
de l'art. 58 aCP et non de l'art. 59 CP, lequel est entré
 
en vigueur le 1er août 1994, soit postérieurement aux
 
faits reprochés.
 
H.- X.________ se pourvoit en nullité au Tribunal
 
fédéral contre l'arrêt de la Cour de cassation genevoise
 
du 1er février 2002. Il conclut à son annulation.
 
Invité à se déterminer, le Procureur général gene-
 
vois conclut au rejet du pourvoi.
 
Considérant en droit :
 
1.- a) S'opposant à la confiscation d'avoirs
 
bancaires lui appartenant, le recourant est légitimé à se
 
pourvoir en nullité en vertu de l'art. 270 let. h PPF.
 
b) Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal
 
fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269
 
PPF) sur la base d'un état de fait définitivement arrêté
 
par l'autorité cantonale (cf. 273 al. 1 let. b et 277bis
 
al. 1 PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené
 
sur la base des faits retenus dans la décision attaquée,
 
dont le recourant est irrecevable à s'écarter (ATF 126 IV
 
65 consid. 1 p. 66/67).
 
2.- a) Il ne ressort pas de la procédure cantonale
 
que l'Espagne aurait sollicité de la Suisse la confisca-
 
tion des avoirs bancaires du recourant en raison des
 
faits qui lui sont reprochés dans l'arrêt attaqué.
 
Quoique ces faits se soient passés hors de la Suisse, que
 
le recourant ne soit pas citoyen de ce pays et qu'il n'y
 
soit pas domicilié, la Cour de cassation genevoise a
 
admis qu'elle était compétente pour confisquer les avoirs
 
bancaires de ce dernier en vertu du droit suisse. Le
 
recourant le conteste.
 
b) La confiscation des valeurs patrimoniales a été
 
prononcée en vertu de l'art. 58 aCP, qui dispose qu'alors
 
même qu'aucune personne déterminée n'est punissable, le
 
juge prononcera la confiscation des objets et valeurs qui
 
sont le produit ou le résultat d'une infraction, qui ont
 
été l'objet d'une infraction ou qui ont servi à la com-
 
mettre ou qui étaient destinés à la commettre, s'il y a
 
lieu de supprimer un avantage ou une situation illicite
 
ou si les objets compromettent la sécurité des personnes,
 
la morale ou l'ordre public.
 
Il n'est pas contesté que sur le point ici
 
litigieux - la compétence des autorités suisses pour
 
confisquer les valeurs patrimoniales -, l'art. 58 aCP n'a
 
pas de portée distincte par rapport à la nouvelle
 
réglementation sur la confiscation, en vigueur depuis le
 
1er août 1994. Celle-ci sépare désormais la confiscation
 
d'objets dangereux (art. 58 CP) et la confiscation de
 
valeurs patrimoniales (art. 59 CP). L'art. 58 CP prévoit
 
qu'alors même qu'aucune personne déterminée n'est punis-
 
sable, le juge prononcera la confiscation d'objets qui
 
ont servi ou devaient servir à commettre une infraction
 
ou qui sont le produit d'une infraction, si ces objets
 
compromettent la sécurité des personnes, la morale ou
 
l'ordre public. Selon l'art. 59 ch. 1 al. 1 CP, le juge
 
prononcera la confiscation des valeurs patrimoniales qui
 
sont le résultat d'une infraction ou qui étaient desti-
 
nées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infrac-
 
tion, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en
 
rétablissement de ses droits.
 
c) La question de savoir si une confiscation peut
 
intervenir ou non du seul fait que les valeurs patrimo-
 
niales sont situées en Suisse, alors que l'infraction qui
 
en est à l'origine n'est pas poursuivable dans ce pays,
 
est débattue en doctrine.
 
Le courant majoritaire considère que la confisca-
 
tion suppose que la compétence territoriale suisse soit
 
établie en vertu des art. 3 à 7 CP ou d'une disposition
 
spécifique, comme l'art. 24 de la loi fédérale sur les
 
stupéfiants (RS 812.121; LStup), selon lequel les avan-
 
tages pécuniaires illicites qui se trouvent en Suisse
 
seront également acquis à l'Etat lorsque l'infraction
 
aura été commise à l'étranger (cf. Ursula Cassani,
 
Combattre le crime en confisquant les profits: Nouvelles
 
perspectives d'une justice transnationale, in Criminalité
 
économique, Groupe suisse de travail de criminologie,
 
vol. 17, 1999, p. 262/263 et les références citées sous
 
note 7; cf. aussi les références citées in ATF 122 IV 91
 
consid. 3b p. 94). Autrement dit, sous réserve d'une loi
 
spéciale, une confiscation n'est possible que si l'in-
 
fraction en relation avec les biens à confisquer ressor-
 
tit à la compétence du juge suisse.
 
Deux auteurs sont d'avis que la compétence territo-
 
riale pour la confiscation appartient au juge du lieu où
 
se trouve les valeurs patrimoniales, indépendamment de la
 
compétence pour l'action pénale contre l'auteur, lorsque
 
l'infraction est punissable aussi bien dans l'Etat où
 
elle a été commise qu'en Suisse - principe de la double
 
incrimination abstraite (cf. Niklaus Schmid, Kommentar
 
Einziehung, organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, vol.
 
I, Zurich 1998, art. 58 CP n° 30 ss, art. 59 CP n° 28 et
 
230; Das neue Einziehungsrecht nach StGB Art. 58 ff. in
 
RPS 113/1995 p. 321 ss, spéc. 325 et 332; Maurice Harari,
 
Corruption à l'étranger: quel sort réserver aux fonds
 
saisis en Suisse - in RPS 116/1998 p. 1 ss, spéc. 11 ss).
 
Pour fonder sa solution, la Cour de cassation genevoise
 
s'est référée à ces deux auteurs.
 
La jurisprudence a jusqu'ici suivi la doctrine
 
dominante et considère ainsi que, sous réserve d'une
 
norme spéciale comme l'art. 24 LStup, la confiscation
 
implique que la juridiction suisse soit compétente au
 
sens des art. 3 à 7 CP pour poursuivre l'infraction qui
 
est à l'origine des biens à confisquer, ou dont ces
 
derniers sont le produit ou l'instrument (ATF 117 IV 233
 
consid. 4 p. 238; 115 Ib 517 consid. 7g/aa p. 538 et 13c
 
p. 553; arrêt 1P.299/1993 du 8 novembre 1993, traduit in
 
SJ 1994 p. 110). Mais plus récemment, en référence à la
 
position émise par Schmid, elle a relevé que la question
 
faisait l'objet d'une controverse doctrinale (ATF 122 IV
 
91 consid. 3b p. 94).
 
d) Pour motiver sa solution, la doctrine minori-
 
taire se réfère au libellé de l'art. 58 CP, selon lequel
 
une confiscation peut être prononcée "alors même
 
qu'aucune personne déterminée n'est punissable" ("ohne
 
Rücksicht auf die Strafbarkeit einer bestimmten Person";
 
"indipendentemente dalla punibilità di una data
 
persona"), qu'elle applique également à l'art. 59 CP.
 
Cette clause est reprise de l'art. 58 aCP. Son extension
 
à l'art. 59 CP ne prête pas le flanc à la critique (cf.
 
FF 1993 III p. 298). Cependant, la vocation de cette
 
clause n'est pas de régler la compétence territoriale,
 
mais d'assurer la possibilité de confisquer, alors même
 
que l'auteur de l'infraction ne peut être identifié,
 
qu'il est décédé ou irresponsable ou qu'il ne peut être
 
poursuivi en Suisse pour d'autres raisons, par exemple
 
parce qu'il s'est enfui à l'étranger et qu'il n'a pas été
 
extradé (cf. Cassani, op. cit., p. 262).
 
Selon le message du Conseil fédéral relatif à la
 
révision qui a abouti aux actuels art. 58 ss CP, la
 
possibilité de confisquer des valeurs patrimoniales
 
"alors même qu'aucune personne déterminée n'est punis-
 
sable" n'a pas d'autre portée que le droit alors en
 
vigueur (l'art. 58 aCP) et vise en particulier les cas
 
où l'auteur n'est pas identifié ou si un acquittement
 
doit être prononcé, bien que les éléments constitutifs
 
de l'infraction soient réalisés, par exemple en raison
 
de l'irresponsabilité de l'auteur (cf. FF 1993 III
 
p. 298/299). Au moment de cette révision, la juris-
 
prudence précitée (ATF 117 IV 233 consid. 4 p. 238; 115
 
Ib 517 consid. 7g/aa p. 538 et 13c p. 553) avait déjà
 
relevé que la confiscation implique la compétence de la
 
juridiction suisse quant à l'action pénale selon les art.
 
3 à 7 CP ou une loi spéciale. Si le législateur fédéral
 
avait souhaité ouvrir la confiscation indépendamment de
 
toute compétence pour l'action pénale contre l'auteur, il
 
l'aurait clairement spécifié, comme il l'a par exemple
 
fait à l'art. 24 LStup.
 
La révision en cours de la partie générale du Code
 
pénal ne modifie pas cette solution. Le projet (art.
 
69 ss) reprend les dispositions actuelles relatives à la
 
confiscation (cf. FF 1999 p. 1914; BO 1999 CE p. 1129; BO
 
2001 CN p. 584). Les art. 3 à 8 du projet reprennent par
 
ailleurs les principes définis actuellement aux art. 3 ss
 
CP, sous réserve des délits sexuels contre les mineurs,
 
qui sont soumis à une compétence universelle (cf. FF 1999
 
p. 1798 ss). Les Chambres fédérales débattent d'intro-
 
duire à l'art. 7 du projet une compétence universelle en
 
cas de violation "des principes généraux de droit recon-
 
nus par la communauté des peuples" (cf. BO 2001 CN
 
p. 541). Quoi qu'il en soit, il n'est pas envisagé
 
d'admettre une compétence générale pour le prononcé d'une
 
confiscation au lieu de situation des avoirs.
 
Les art. 3 à 7 CP posent les règles d'application
 
du Code pénal, dont l'art. 59 CP fait précisément partie.
 
Pour qu'il puisse être question d'une infraction selon le
 
droit pénal suisse, il est indispensable qu'il existe un
 
point de rattachement avec notre pays, tel que défini aux
 
art. 3 à 7 CP. La confiscation selon l'art. 59 CP de
 
valeurs patrimoniales en relation avec une infraction est
 
aussi soumise aux art. 3 à 7 CP. Elle ne peut être ordon-
 
née que si l'infraction en cause ressortit à la compé-
 
tence de la juridiction suisse.
 
Il ne faut d'ailleurs pas minimiser la compétence
 
territoriale du juge suisse en matière de confiscation,
 
en particulier telle qu'elle peut découler de l'art. 7 CP
 
(cf. infra, let. e) ou encore de l'art. 305bis ch. 3 CP,
 
qui prévoit que les avoirs issus d'un crime à l'étranger
 
peuvent constituer un blanchiment en Suisse; par ce
 
biais, les fonds blanchis peuvent être considérés comme
 
le résultat au sens de l'art. 59 CP d'une infraction
 
commise en Suisse et ainsi être confisqués (cf. Cassani,
 
op. cit., p. 264/265). En outre, il faut évidemment
 
réserver la coopération internationale et la saisie
 
d'avoirs en Suisse à la requête d'un Etat étranger (cf.
 
notamment art. 63 al. 2 let. d EIMP [RS 351.1]; art.
 
13 ss de la Convention n° 141 du Conseil de l'Europe
 
du 8 novembre 1990, relative au blanchiment, au dépis-
 
tage, à la saisie et à la confiscation des produits du
 
crime [RS 0.311.53]). D'ailleurs, en matière de collabo-
 
ration internationale, la possibilité d'une confiscation
 
autonome en vertu des art. 3 à 7 CP ou d'une loi spéciale
 
a une incidence. Par exemple, l'art. 13 de la Convention
 
n° 141 précitée oblige les Etats contractants à se prêter
 
mutuellement assistance en aménageant l'une des voies
 
suivantes: soit exécuter la décision de confiscation
 
rendue par l'Etat requérant (art. 13 ch. 1 let. a), soit
 
prononcer la confiscation par une voie autonome (art. 13
 
ch. 1 let. b); dans son message relatif à la ratification
 
de la Convention, le Conseil fédéral expose que la Suisse
 
empruntera la voie de la confiscation autonome lors-
 
qu'elle est compétente en vertu des art. 3 à 7 CP ou
 
d'une norme spéciale comme l'art. 24 LStup, alors que
 
s'il n'existe aucun rattachement, elle exécutera la déci-
 
sion étrangère de confiscation (cf. FF 1992 VI p. 21/22).
 
Une telle conception n'aurait aucun sens si l'on admet-
 
tait, en suivant la doctrine minoritaire, qu'une confis-
 
cation autonome en Suisse est possible en raison du seul
 
lieu de situation des valeurs patrimoniales.
 
e) En l'espèce, l'Espagne n'a pas requis la coopé-
 
ration de la Suisse pour les faits dont il est question
 
ici. La qualification de blanchiment n'a pas été retenue.
 
Il ne reste que l'art. 7 CP qui puisse fonder la compé-
 
tence du juge suisse pour l'action pénale, aucun autre
 
rattachement en vertu des art. 3 ss CP n'étant réalisé.
 
Selon l'art. 7 al. 1 CP, un crime ou un délit est
 
réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi, qu'au lieu
 
où le résultat s'est produit. Il a été reproché au recou-
 
rant d'avoir porté sur un document administratif une
 
indication mensongère concernant la destination d'une
 
cargaison d'armes et d'avoir ainsi obtenu des autorités
 
espagnoles l'autorisation pour le navire de quitter le
 
port. Pour la Cour de cassation genevoise, ce comporte-
 
ment est en droit suisse constitutif de l'infraction
 
réprimée par l'art. 17 al. 1 let. b de la loi fédérale
 
sur le matériel de guerre du 30 juin 1972 (RO 1973
 
p. 107). A ce stade de la procédure, une autre qualifi-
 
cation juridique ne saurait être envisagée. L'art. 17
 
al. 1 let. b précité punit de l'emprisonnement ou d'une
 
amende jusqu'à 500'000 francs, voire de la réclusion pour
 
cinq ans au plus dans les cas graves, celui qui inten-
 
tionnellement donne dans une demande formulée en vertu de
 
la présente loi des indications fausses ou incomplètes,
 
déterminantes pour l'octroi d'une autorisation, ou fait
 
usage d'une telle demande établie par un tiers.
 
Pour admettre un for pour l'action pénale rela-
 
tivement à cette infraction, il faudrait qu'elle ait
 
produit un résultat en Suisse au sens de l'art. 7 CP. Le
 
Tribunal fédéral a longtemps considéré, à la suite d'un
 
revirement de sa jurisprudence, que la notion de résultat
 
selon l'art. 7 CP s'interprétait de la même manière que
 
pour la définition du délit matériel (ATF 105 IV 326
 
consid. 3c à g p. 327 ss). Il s'est récemment distancié
 
de cette solution et est revenu à une interprétation plus
 
large de la notion de résultat. Il a ainsi estimé que la
 
lecture en Suisse de lettres diffamatoires par des per-
 
sonnes à qui elles avaient été adressées depuis l'étran-
 
ger était une conséquence suffisante de l'acte en Suisse
 
pour admettre un résultat au sens de l'art. 7 CP et,
 
partant, l'application du droit suisse, même si cette
 
prise de connaissance ne devait pas constituer un résul-
 
tat au sens technique des délits matériels (ATF 125 IV
 
177 consid. 2 et 3 p. 180 ss). Le Tribunal fédéral a
 
également examiné la question du résultat relativement à
 
la qualification d'abus de confiance. Il s'agissait d'un
 
acte commis à l'étranger ayant conduit à l'appauvrisse-
 
ment d'une société anonyme avec siège en Suisse, du fait
 
que le compte de celle-ci en Suisse n'avait pas été
 
crédité du montant correspondant à des marchandises sous-
 
traites. Le Tribunal fédéral a admis que cet appauvrisse-
 
ment constituait un résultat au sens de l'art. 7 CP pour
 
le motif qu'il représentait une diminution de patrimoine,
 
immédiatement provoquée en Suisse par l'infraction, ce
 
que ne pouvait ignorer l'auteur dès lors que le siège de
 
la société lésée était en Suisse (ATF 124 IV 241 consid.
 
4c et d p. 244/245).
 
Rien en l'occurrence ne permet d'appréhender les
 
versements opérés sur le compte bancaire à Genève comme
 
le résultat de l'infraction prise en considération, qui
 
réprime uniquement la fausse indication donnée par le
 
recourant aux autorités espagnoles afin d'obtenir une
 
autorisation de départ pour le navire. Cette indication
 
représente certes l'un des éléments qui a permis de
 
concrétiser le trafic d'armes. Mais elle n'a pas eu comme
 
conséquence directe et immédiate les versements d'argent
 
auprès de la banque genevoise. Contrairement à l'avis de
 
la Cour de cassation genevoise, la présente configuration
 
ne peut être assimilée à celle visée dans l'arrêt du
 
Tribunal fédéral du 4 mai 1999 (6S.819/1998, publié in SJ
 
1999 I 417), où la remise d'un chèque falsifié, réalisant
 
la qualification de faux dans les titres (art. 251 CP), à
 
une banque avait permis d'obtenir indûment de l'argent de
 
celle-ci; car dans ce dernier cas, c'est l'emploi du
 
titre falsifié auprès de la banque lésée qui avait direc-
 
tement procuré l'avantage illicite. En outre, il ne res-
 
sort pas de l'état de fait que le prix des armes aurait
 
directement été versé sur le compte à Genève. Or, il ne
 
suffit pas pour fonder un résultat au sens de l'art. 7 CP
 
que le prix payé ailleurs soit ensuite transféré en
 
Suisse. Encore peut-on relever que les versements sont
 
pour partie intervenus à des dates antérieures à celle
 
d'avril 1992 retenue pour le départ du navire.
 
Faute de connexité immédiate entre les versements
 
et l'infraction imputée au recourant, celle-ci n'a donc
 
pas produit de résultat en Suisse au sens de l'art. 7 CP,
 
susceptible de fonder la compétence des tribunaux
 
suisses. Il en découle qu'une confiscation en vertu de
 
l'art. 58 aCP, respectivement de l'art. 59 CP, est exclue
 
(cf. supra, consid. 2d). La confiscation prononcée viole
 
le droit fédéral. Le grief du recourant est fondé.
 
Il résulte de ce qui précède qu'en dehors de toute
 
coopération internationale requise de la Suisse par un
 
Etat étranger et de tout rattachement de l'infraction
 
avec la Suisse, des valeurs patrimoniales ne sauraient,
 
en l'état du droit, faire l'objet d'une confiscation. Le
 
cas échéant, il appartient au législateur fédéral de
 
définir à quelles conditions une mesure de confiscation
 
autonome pourrait intervenir en pareille situation.
 
3.- Le pourvoi doit être admis et l'arrêt attaqué
 
doit être annulé. Il est renoncé à la perception de frais
 
et une indemnité est allouée au recourant (art. 278 al. 3
 
PPF).
 
Par ces motifs,
 
le Tribunal fédéral :
 
1. Admet le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et
 
renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle
 
décision.
 
2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.
 
3. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
 
au recourant une indemnité de 3'000 francs à titre de
 
dépens.
 
4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
 
taire du recourant, au Procureur général du canton de
 
Genève et à la Cour de cassation genevoise.
 
_____________
 
Lausanne, le 11 juin 2002
 
Au nom de la Cour de cassation pénale
 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
 
Le Président,
 
Le Greffier,
 
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