BGE 141 III 596
 
79. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. SA contre B. SAS (recours en matière civile)
 
4A_643/2014 du 25 novembre 2015
 
Regeste
Vorausverzicht auf die Anhebung einer Beschwerde an das Bundesgericht.
 
Sachverhalt


BGE 141 III 596 (597):

A. La société de droit suisse A. SA, sise dans le canton de Vaud, s'est liée à la société de droit français B. SAS par un "contrat d'architecture intérieure" signé le 14 octobre 2005. La convention contenait en particulier les clauses suivantes:
    "ARTICLE 16 DROIT APPLICABLE ET FOR
    16.1 Le présent contrat est régi par le droit suisse à l'exclusion des règles sur la loi internationale privée.
    16.2 Les parties s'efforceront de résoudre tous différends de manière amiable. Tous différends découlant du présent accord que les parties n'auraient pas résolus aimablement [sic!] seront tranchés définitivement par les tribunaux compétents vaudois. Les parties restent pourtant libres de demander des mesures provisionnelles auprès des tribunaux ordinaires compétents sans pour autant modifier la soumission principale aux cours compétentes vaudoises."
En exécution de ce contrat, l'entreprise française a réalisé deux boutiques dont le mobilier et l'équipement présentaient des défauts. La cliente suisse a refusé de payer diverses factures.
B. Le 17 octobre 2006, l'entreprise française a déposé une demande en paiement contre la cliente suisse devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois. Cette autorité a partiellement admis la demande, condamnant la cliente à payer 563'154 euros plus intérêts à sa cocontractante. La Cour d'appel civile du Tribunal cantonal a rejeté l'appel formé par la cliente.
C. La cliente (ci-après: la recourante) saisit le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile dans lequel elle requiert le rejet de la demande. L'entreprise (ci-après: l'intimée) conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
D. La cour de céans a tenu une séance publique le 23 juin 2015. A la majorité, elle a jugé que le recours était irrecevable. Par la clause 16.2 du contrat, les parties avaient valablement renoncé à recourir au

BGE 141 III 596 (598):

Tribunal fédéral; parmi les griefs invoqués (appréciation arbitraire des preuves; violation du droit d'être entendu; violation des art. 363 ss CO), aucun n'appartenait aux griefs intangibles, c'est-à-dire non susceptibles de renonciation. A la majorité, la cour a décidé de mettre en oeuvre la procédure de coordination prévue par l'art. 23 LTF. La cour a en outre voté sur la proposition de rejeter le recours au fond, pour le cas où le résultat de l'échange de vues conduirait à déclarer le recours recevable. A l'unanimité, la cour a jugé que le recours devrait être rejeté sur le fond dans la mesure où il était recevable. Elle a également statué sur les frais et dépens de la procédure. La cause a été suspendue jusqu'à l'issue de la procédure de coordination.
E. La cour de céans a formulé en ces termes la question juridique à résoudre par les cours intéressées du Tribunal fédéral:
    "Les parties peuvent-elles convenir qu'un jugement étatique à venir au sujet de prétentions qui relèvent de leur libre disposition ne pourra pas faire l'objet des recours prévus aux chapitres 3 et 5 de la Loi sur le Tribunal fédéral, sous réserve des griefs auxquels il n'est pas possible de renoncer?"
Le président de la Conférence des présidents a transmis cette question aux présidents des autres cours du Tribunal fédéral. Deux cours se sont déclarées intéressées, soit la Deuxième Cour de droit civil et la Cour de droit pénal. Celle-ci a émis une contre-proposition tendant à répondre par la négative à la question juridique.
Le président de la Conférence des présidents a convoqué les trois cours intéressées à une séance, afin qu'elles tranchent la question juridique en vertu de l'art. 23 al. 2 LTF. La séance s'est tenue à huis clos le 19 octobre 2015. Le quorum posé par l'art. 23 al. 3 LTF a été atteint, deux tiers au moins des juges ordinaires de chacune des cours intéressées étant présents. Les cours réunies ont répondu à la majorité par la négative à la question juridique. Cette décision lie la cour de céans (art. 23 al. 3 in fine LTF).
(résumé)
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 1
1.1 La recourante aborde spontanément la question de la recevabilité du recours au regard de la clause contractuelle 16.2 selon laquelle les différends "seront tranchés définitivement par les tribunaux compétents vaudois". D'après sa lecture de la jurisprudence rendue sous l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ; RS 3 521), les parties

BGE 141 III 596 (599):

auraient le droit de renoncer à recourir au Tribunal fédéral, mais ne pourraient pas se priver d'un contrôle de leurs droits constitutionnels; transposée à la LTF, cette jurisprudence impliquerait que le recours en matière civile reste ouvert pour dénoncer la violation des droits constitutionnels.
A titre subsidiaire, la recourante plaide qu'en suivant l'analyse de la Cour d'appel selon laquelle l'aménagement des boutiques genevoise et californienne a fait l'objet de deux contrats d'entreprise distincts, l'on devrait alors constater que le contenu de ces contrats est indéterminé; l'on ne saurait présumer l'existence d'une clause de renonciation à recourir.
L'intimée objecte que quand les parties conviennent comme en l'espèce de renoncer à recourir au Tribunal fédéral, la jurisprudence réserve uniquement la faculté de faire valoir des droits fondamentaux inaliénables et imprescriptibles, que la recourante semble confondre avec les droits constitutionnels; or, aucun des griefs soulevés ne relèverait des exceptions admises par la jurisprudence.
Si les deux boutiques représentaient deux ouvrages distincts, il n'en demeure pas moins que les parties ont décidé de réglementer leurs relations par un contrat d'architecture intérieure signé en octobre 2005 (...). Il est patent que l'art. 16 de cette convention était destiné à régir l'ensemble de la relation contractuelle; l'art. 1 évoquait expressément la réalisation de boutiques à Genève et Beverly Hills. La recourante n'a du reste pas remis en cause l'élection du droit suisse prévue par l'art. 16.1, alors que le droit français serait normalement applicable (art. 117 al. 3 let. c LDIP [RS 291]).
La recourante souligne d'emblée que le droit de renoncer à saisir le Tribunal fédéral est reconnu tant par la jurisprudence que par la

BGE 141 III 596 (600):

doctrine, étant entendu que la validité d'une clause de renonciation est admise plus difficilement en matière arbitrale que dans un litige porté devant les tribunaux étatiques. Elle relève que dans l'arrêt 4C.202/2005, la cour de céans a interprété comme une clause de renonciation à recourir la réglementation contractuelle énonçant que la décision du "tribunal compétent à Lausanne (...) sera finale et liera les deux parties". La recourante traite ensuite des limites de la renonciation à recourir, inférant de l'arrêt précité et de l' ATF 113 Ia 26 que les parties ne peuvent pas valablement renoncer à soulever le grief de violation du droit constitutionnel. En conséquence, elle restreint ses griefs à l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et dans l'application du droit fédéral, respectivement à la violation du droit d'être entendu (motivation insuffisante).
Par ces explications, la recourante reconnaît qu'avec la clause 16.2 du contrat, les parties ont voulu renoncer à saisir le Tribunal fédéral en cas de litige. La partie adverse est du même avis. La cour de céans n'a donc pas à interpréter cette clause. Il reste à en examiner la validité.
 
Erwägung 1.4
La possibilité de renoncer à la voie ordinaire du recours en réforme a rapidement été reconnue (ATF 33 II 205 spéc. consid. 5 p. 208), pour autant que les parties jouissent du libre exercice de leurs droits et de leurs actions (ATF 48 II 129 consid. 3; 79 II 234 consid. 3 p. 237). En 1945, il a été jugé que le recours de droit public pour violation de l'art. 4 aCst. touchait à l'ordre public et ne pouvait pas se prêter à des arrangements entre parties (ATF 71 I 33 p. 36). Si toutefois les parties renonçaient par avance à saisir l'instance cantonale supérieure, elles se privaient ipso facto de la faculté d'exercer un recours de droit public; il importait peu de savoir si les parties avaient réellement et valablement renoncé à toutes les voies de droit cantonales, l'exigence d'épuisement des instances cantonales s'opposant de toute façon à une entrée en matière (ATF 66 I 174; 98 Ia 647 consid. 2).

BGE 141 III 596 (601):

En 1987, l'autorité de céans a été saisie par un cocontractant ayant convenu que d'éventuels litiges seraient tranchés par le tribunal de commerce en instance unique sous réserve du recours en nullité cantonal; elle a jugé que ce justiciable ne pouvait pas former un recours de droit public pour application anticonstitutionnelle du droit civil fédéral alors qu'il avait valablement renoncé au recours en réforme. Cela étant, elle a réservé les droits subjectifs strictement personnels échappant à la libre disposition des parties (notamment les droits de la famille et certains droits de la personnalité), respectivement les droits fondamentaux imprescriptibles et inaliénables (ATF 113 Ia 26).
Finalement, dans deux arrêts de 2006 traitant du même litige, la cour de céans a admis qu'il était possible de renoncer au recours en réforme comme au recours de droit public, sous réserve des droits énoncés à l' ATF 113 Ia 26. La jurisprudence précitée de 1945 apparaissait dépassée, eu égard notamment à l'art. 192 LDIP adopté en 1987, qui permettait de renoncer par avance à former un recours de droit public contre une sentence d'arbitrage international. L'élément déterminant pour admettre une renonciation à recourir était moins le type de griefs susceptibles d'être formulés que la nature juridique de la prétention litigieuse, autrement dit le point de savoir si les parties pouvaient disposer librement ou non des droits contestés. Sans doute était-ce ce genre de considération qui avait guidé le législateur lorsqu'il avait codifié le recours en matière d'arbitrage international et autorisé les parties à renoncer par avance audit recours (art. 192 al. 1 LDIP). En l'occurrence, la partie recourante dénonçait une appréciation arbitraire des preuves, une application arbitraire du droit de procédure cantonal et une violation du droit d'être entendu (refus d'examiner un argument). Aucun des droits réservés à l' ATF 113 Ia 26 n'étant en cause, le recours de droit public a été jugé irrecevable, tout comme le recours en réforme déposé parallèlement (arrêts du 17 juillet 2006, 4P.110/2006 consid. 1.1 et 4C.202/2005 consid. 2.1; cf. à ce sujet IVO SCHWANDER, in ZZZ 2007 p. 99 ss; SCHWEIZER/BOHNET, in RSPC 2007 p. 54 ss; VENTURI/FAVRE, Renonciation anticipée à former un recours de droit public: Revirement de jurisprudence, Jusletter 23 octobre 2006 p. 7 ss).
1.4.2 Sous l'ancien droit, la doctrine distinguait généralement selon la nature des prétentions en cause et selon le type de recours, ordinaire ou extraordinaire. Par recours extraordinaire, l'on entend une voie de droit qui n'empêche pas l'entrée en force et l'exécution de la décision attaquée, et ne permet généralement qu'un examen limité

BGE 141 III 596 (602):

de celle-ci. Par opposition, le recours ordinaire suspend l'entrée en force et l'exécution du jugement et permet en principe un large réexamen de la cause (FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2178 s.).
Dans les domaines relevant de la libre disposition des parties, l'on admettait généralement que celles-ci puissent valablement renoncer aux voies de droit ordinaires (cf. JEAN-FRANÇOIS POUDRET, in Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire [...], 1990, n° 6 ad art. 53 OJ et les réf. citées; WILHELM BIRCHMEIER, Handbuch des Bundesgesetzes über die Organisation der Bundesrechtspflege [...], 1950, p. 76; THEODOR WEISS, Die Berufung an das Bundesgericht in Zivilsachen, 1908, p. 93), mais pas aux voies extraordinaires telles que le recours en nullité ou la révision, qui permettaient de dénoncer des griefs particulièrement graves. Une renonciation à ces voies-ci, respectivement à de tels griefs, était jugée contraire aux moeurs ou constitutive d'un engagement excessif selon l'art. 27 al. 2 CC. Cette position a persisté après l' ATF 113 Ia 26 rendu en 1987 (SPÜHLER/DOLGE/GEHRI, Schweizerisches Zivilprozessrecht [...], 9e éd. 2010, p. 378 n. 46 s. et l'édition précédente de VOGEL/SPÜHLER, Grundriss des Zivilprozessrechts, 8e éd. 2006, p. 373 s. n. 68 s.; WALTHER J. HABSCHEID, Schweizerisches Zivilprozess- und Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd. 1990, p. 442 s.; MAX GULDENER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd. 1979, p. 501 s.).
Ces deux lois ont introduit des changements au niveau des voies de droit notamment. Le CPC prévoit désormais l'appel et le recours stricto sensu. Au niveau fédéral, la LTF a simplifié les voies de droit en instituant pour chaque domaine juridique (droit civil, droit pénal, droit public) un recours unifié dans lequel il est possible de dénoncer la violation du droit fédéral, y compris le droit constitutionnel (art. 95 let. a LTF; ATF 135 III 670 consid. 1.4). Il existe certes un recours limité au grief de violation des droits constitutionnels, mais il n'est ouvert qu'à titre subsidiaire, soit notamment lorsque la valeur litigieuse minimale n'est pas atteinte (art. 113 et 116 LTF). Au vu de la réglementation sur l'effet suspensif (art. 103 LTF), il est difficile

BGE 141 III 596 (603):

de déterminer si le recours unifié est un recours ordinaire ou extraordinaire (BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 13 ad art. 103 LTF).
Avec les changements apportés par la LTF et le CPC, la distinction entre recours ordinaire et recours extraordinaire, telle qu'on l'entendait sous l'ancien droit, tend à devenir obsolète (MARTIN H. STERCHI, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, vol. II, 2012, n° 40 Intro. ad art. 308 CPC; SPÜHLER/DOLGE/GEHRI, op. cit., n. 17 p. 373).
Ni la LTF, ni le CPC ne réglementent la renonciation anticipée à recourir. De prime abord, le législateur paraît reconnaître une telle possibilité à l'art. 238 let. f CPC, où il requiert que les décisions des tribunaux indiquent les voies de recours si les parties n'ont pas renoncé à recourir (arrêt 5A_811/2014 du 29 janvier 2015 consid. 3; cf. entre autres STAEHELIN/REETZ, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger[éd.] [ci-après: Kommentar Sutter-Somm et al.], 2e éd. 2013, n° 31 ad art. 238 CPC et n° 28 Intro. ad art. 308-318 CPC; DENIS TAPPY, in CPC, Code de procédure civile commenté [ci-après: CPC commenté], 2011, n° 13 ad art. 238 CPC;BENEDIKT SEILER, Die Berufung nach der Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2011, p. 234 n. 607). A lire les travaux législatifs, il semble toutefois que cette disposition doive être lue en conjonction avec l'art. 239 CPC, qui permet au juge de communiquer le dispositif de jugement sans motivation écrite, auquel cas la renonciation à demander la motivation en temps utile vaut renonciation à l'appel ou au recours (cf. Rapport accompagnant l'avant-projet de la commission d'experts, juin 2003, p. 68 s. ad art. 127 et p. 113 s. ad art. 231).
1.4.4 La doctrine récente s'exprime essentiellement sur la renonciation aux voies de droit cantonales. La plupart des auteurs considèrent que les parties, nonobstant la renonciation, doivent pouvoir dénoncer des vices graves. En revanche, les avis varient quant à la manière de mettre en oeuvre ce postulat, dans un système où le recours extraordinaire a perdu les traits d'un instrument destiné à dénoncer uniquement les vices les plus graves. Sont considérés comme griefs intangibles les vices de procédure graves, la violation des garanties fondamentales de procédure et/ou des droits constitutionnels, l'arbitraire dans l'application du droit (cf. THOMAS ENGLER, in ZPO Kommentar, 2e éd. 2015, n° 15 ad art. 238 CPC; GASSER/RICKLI,

BGE 141 III 596 (604):

Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Kurzkommentar, 2e éd. 2014, n° 2 Intro. ad art. 308-334 CPC; DANIEL STAEHELIN, in Kommentar Sutter-Somm et al., op. cit., n° 33 ad art. 238 CPC; STAEHELIN/STAEHELIN/GROLIMUND, Zivilprozessrecht, 2e éd. 2013, § 25 n. 15; OLIVER M. KUNZ, in ZPO-Rechtsmittel Berufung und Beschwerde, 2013, nos 86-88 Intro. ad art. 308 ss CPC; TAPPY/JEANDIN, in CPC commenté, op. cit., n° 14 ad art. 238 et n° 17 Intro. ad art. 308-334 CPC; FRANCESCO TREZZINI, in Commentario al Codice di diritto processuale civile svizzero [CPC] [...], 2011, p. 1349 s.;LEUENBERGER/UFFER-TOBLER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2010, p. 391 n. 12.33; MEIER/SOGO, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2010, p. 523 s., suivi par KURT BLICKENSTORFER, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Kommentar, Brunner/Gasser/Schwander [éd.], 2011, n° 79 Intro. ad art. 308-334 CPC;SCHWANDER, op. cit., p. 103). Seule une minorité se contente de réserver les droits imprescriptibles et inaliénables, à l'instar de la jurisprudence rendue sous l'OJ (STERCHI, op. cit., n° 40 Intro. ad art. 308 CPC; LAURENT KILLIAS, in Berner Kommentar, op. cit., nos 23 s. ad art. 238 CPC).
Concernant la renonciation à recourir au Tribunal fédéral, d'aucuns précisent simplement qu'il est possible de renoncer au recours en matière civile (DANIEL STECK, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2e éd. 2013, n° 29 ad art. 238 CPC; MANUEL MEYER, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], 2010, n° 16ad art. 238 CPC). D'autres auteurs réservent expressément la possibilité de dénoncer une violation des droits constitutionnels par le recours subsidiaire de l'art. 113 LTF (STAEHELIN/STAEHELIN/GROLIMUND, op. cit., § 25 n. 15; MEIER/SOGO, op. cit., p. 524), ou se contentent de réserver les droits imprescriptibles et inaliénables (KILLIAS, op. cit., n° 25 ad art. 238 CPC).
1.4.5 A l'issue de ce tour d'horizon, il apparaît que la jurisprudence la plus récente, antérieure toutefois à la LTF, autorise les parties à renoncer par avance à recourir contre un jugement de dernière instance cantonale qui viendrait à statuer sur des prétentions à leur libre disposition (arrêts 4P.110/2006 et 4C.205/2005 précités). Sont tout au plus réservés les droits subjectifs strictement personnels et les droits fondamentaux inaliénables, exception qui a peu de portée pratique en droit des contrats (VENTURI/FAVRE, op. cit., p. 5). Les principaux arguments sous-tendant cette jurisprudence sont le caractère librement disponible des prétentions en cause et la possibilité conférée par l'art. 192 LDIP de renoncer à tout recours.

BGE 141 III 596 (605):

L'argument tiré de l'art. 192 LDIP doit être relativisé. Cette disposition concerne le domaine de l'arbitrage international et constitue une exception au principe selon lequel une sentence arbitrale doit pouvoir être déférée à la juridiction étatique pour qu'elle connaisse de certains griefs jugés essentiels (cf. art. 190 al. 2 LDIP; art. 393 CPC; art. 77 LTF; VENTURI/FAVRE, op. cit., p. 7 s.). Cette dérogation vise à favoriser l'attractivité de la place arbitrale suisse en évitant que la sentence soit soumise au double contrôle de l'autorité de recours et du juge de l'exequatur. Dans le même temps, l'art. 192 LDIP permet de décharger le Tribunal fédéral en évitant des recours dilatoires dans des affaires présentant peu de lien avec la Suisse; cette disposition requiert en effet que les parties n'aient ni domicile ou résidence habituelle, ni établissement en Suisse (Message du 10 novembre 1982 concernant une loi fédérale sur le droit international privé [loi de DIP], FF 1983 I 451 ad art. 178 du projet; ATF 133 III 235 consid. 4.3.2.1 et les réf. citées). Si cette condition n'est pas réalisée, la renonciation anticipée au recours n'est pas possible, la sentence étant attaquable aux conditions de l'art. 190 al. 2 LDIP. Au vu de ce qui précède, l'on ne peut guère tirer d'enseignement d'une règle particulière qui s'applique à des parties ayant opté pour la justice privée et qui est contrebalancée par la possibilité d'un contrôle au niveau de l'exécution, y compris lorsque celle-ci a lieu en Suisse.
L'autre argument invoqué par la jurisprudence de 2006 doit aussi être nuancé. Il existe certes une corrélation entre les prétentions matérielles et les règles de procédure. Ainsi, l'autonomie privée qui est au coeur du droit des obligations trouve son prolongement en procédure civile dans le principe de disposition( Dispositionsmaxime ). Il en découle principalement que le juge intervient seulement à l'initiative des parties, qu'il est lié par leurs conclusions et que les parties peuvent en tout temps mettre fin au procès (art. 58, 208 al. 2 et 241 CPC; cf. p. ex. MYRIAM A. GEHRI, in Basler Kommentar, op. cit., nos 1 et 3-9 ad art. 58 CPC; CHRISTOPH HURNI, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, vol. I, 2012, nos 3 et 7-10 ad art. 58 CPC). Les parties peuvent en outre soumettre à des juges privés les différends ayant pour objet des prétentions à leur libre disposition (art. 354 CPC; cf. aussi art. 177 al. 1 LDIP), en d'autres termes recourir à l'arbitrage, dont elles peuvent pour l'essentiel organiser la procédure. Cela étant, le fait que la nature de la prétention matérielle confère aux parties certains pouvoirs et libertés dans la procédure étatique - généralement mentionnés par le législateur -

BGE 141 III 596 (606):

et leur permette de se tourner vers la justice privée ne signifie pas qu'elles puissent procéder comme bon leur semble devant les tribunaux étatiques. La juridiction étatique est un service public qui doit offrir les garanties inhérentes à un Etat de droit. Son organisation et son fonctionnement ne peuvent être livrés à l'autonomie des parties. En l'occurrence, la convention des parties revient à écarter tout un pan de la procédure, soit renoncer à l'application de la LTF qui garantit et définit les conditions d'accès au Tribunal fédéral.
La doctrine soutient avec constance que la renonciation anticipée à recourir est inopérante pour certains griefs intangibles, respectivement pour certaines voies de droit permettant de faire valoir de tels griefs; en bref, certains griefs sont de type impératif tandis que d'autres sont de nature dispositive. De son point de vue, l'on ne peut renoncer aux premiers qu'après avoir pris connaissance de la décision attaquée. Cela étant, la doctrine ne donne pas de définition précise et uniforme des griefs intangibles. Sous l'ancien droit, elle se référait aux griefs constitutifs d'un recours en nullité ou autre recours extraordinaire; désormais, elle mentionne les vices graves de procédure, la violation des principes fondamentaux de procédure, la violation des droits constitutionnels, ou encore l'application arbitraire du droit. Or, avec la LTF, le législateur a conçu un recours uniforme au Tribunal fédéral, permettant de dénoncer toute violation du droit fédéral; pour mettre en oeuvre le point de vue doctrinal, l'autorité de céans devrait trier les griefs impératifs des griefs dispositifs et créer un recours praeter legem, alors que les parties ont renoncé à se tourner vers l'arbitrage et à aménager librement leur procédure. L'on ne saurait en arriver à une telle solution. Les conditions d'accès au Tribunal fédéral sont définies précisément par la LTF. L'on ne concevrait pas que les parties élaborent un recours "à la carte", en convenant des griefs susceptibles d'être soulevés devant l'autorité de céans. Or, tel est ce qui arrive en pratique lorsque les parties prévoient de renoncer à saisir le Tribunal fédéral, puisque certains griefs impératifs doivent être garantis. Sous l'OJ, la jurisprudence n'admettait pas qu'un justiciable interjette un recours de droit public pour faire valoir un grief - application arbitraire du droit fédéral - qu'il aurait pu invoquer dans la voie ordinaire du recours en réforme, à laquelle il a renoncé; elle ne tolérait pas non plus que les parties dérogent à l'exigence d'épuisement des instances cantonales. Il y avait bien là l'idée qu'une convention des parties ne peut pas conduire à modifier les conditions de saisine du Tribunal fédéral. L'on ne saurait non

BGE 141 III 596 (607):

plus ignorer l'exigence de sécurité et de prévisibilité du droit, qui importe particulièrement s'agissant des règles de procédure: les justiciables doivent être renseignés de manière claire et précise sur la manière de procéder, et en particulier sur les conditions de recours. La variété des avis doctrinaux rendus à propos de la renonciation aux voies de droit cantonales illustre suffisamment la nécessité de prédéfinir les conditions de recours dans une loi.
Tous ces éléments conduisent à la conclusion qu'il n'est pas possible de déroger aux conditions de recours telles qu'énoncées par la LTF; la renonciation anticipée à saisir le Tribunal fédéral est dès lors inopérante. Peu importe que la clause ait été convenue à une époque où la LTF n'était pas encore en vigueur, l'application du nouveau droit de procédure ne relevant pas de l'autonomie privée des parties.
Il convient de passer à l'examen des griefs, étant entendu que l'autorité de céans peut connaître de toute violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), et non pas seulement de la violation des droits constitutionnels, comme le plaide la recourante.