BGE 71 II 107 - Gefährliches Scheibenschiessen
 
24. Arrêt de la Ire Cour civile
du 22 mai 1945 dans la cause Schneider et Rey contre Haymoz.
 


BGE 71 II 107 (107):

Regeste
Art. 50 OR.
Wer ein gefährliches Scheibenschiessen improvisiert, ohne Vorsichtsmassregeln zu treffen, haftet solidarisch für den Unfallschaden, der durch einen Teilnehmer am Schiessen einem Dritten zugefügt wird (Erw. 2).
Der Wirt, der in seinem Unternehmen einen gefährlichen Zustand (improvisiertes Scheibenschiessen) duldet, haftet bei Unfall aus unerlaubter Handlung (Erw. 3).
Er haftet aus Vertrag, da er verpflichtet ist, seine Gäste vor Gefahr zu schützen; Kumulation beider Haftungsgründe ist möglich (Erw. 4).
 
Sachverhalt
 
A.
Le dimanche 3 août 1941, une troupe théâtrale d'amateurs, composée de militaires et de civils, décida

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de faire une répétition en plein air. Elle se réunit à 10 h. du matin à Fribourg où elle prit une première consommation. Puis elle se mit en route pour Villars-sur-Glâne. Treize personnes en faisaient partie, soit huit militaires dont un officier, le lieutenant Michel Schneider, et cinq civils dont trois demoiselles. Les acteurs firent une halte chez des parents de l'officier, qui leur offrirent un apéritif. Vers midi et demi, ils arrivèrent à destination et s'installèrent pour pique-niquer dans le jardin de I'Auberge de la Glâne. L'aubergiste leur servit trois litres de fendant, suivis de trois autres litres au cours de l'après-midi. Le repas se termina par des cafés avec liqueurs.
Au lieu de répéter la pièce de théâtre, la troupe accepta la proposition d'organiser un tir au pistolet-flobert faite au Lt. Schneider par le soldat complémentaire André Banfi, qui avait apporté l'arme, des cartouches de 6 mm. et des cibles. Une cible fut fixée à un sapin au fond du jardin, bordé de ce côté-là par le ravin abrupt et profond de la Glâne. Les tireurs se postèrent à 10 m. Banfi et Schneider ouvrirent ce match improvisé auquel participèrent la plupart des membres de la troupe, notamment deux demoiselles qui n'avaient jamais tiré.
Après avoir eu son tour, l'un ou l'autre tireur se rendait dans une salle de l'auberge où l'on dansait.
Pendant le tir contre la cible, quatre jeunes gens de Fribourg, parmi lesquels Louis Haymoz, âgé de dix-huit ans, s'assirent à une table se trouvant à huit mètres environ à droite des tireurs, Iégèrement en arrière.
Le tir durait depuis près d'une heure, lorsque le Lt Schneider prit pour objectif les verres et les bouteilles placés sur la table du pique-nique, à six metres au plus en face des tireurs. Ces buts étaient aussi plus près des quatre jeunes gens. L'exemple donné par Schneider fut imité par plusieurs de ses camarades, y compris une demoiselle. Au bout d'un quart d'heure environ de ce jeu, une balle tirée par André Banfi fit ricochet sur un verre et vint atteindre Louis Haymoz à l'oeil droit. La

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victime reçut rapidement des soins médicaux, mais la perte fonctionnelle totale de l'oeil ne put être empêchée. Traduit devant le Tribunal militaire de la 1re division, Banfi fut condamné à dix jours d'emprisonnement avec sursis pour lésions corporelles causées par imprudence.
 
B.
Le 18 novembre 1941, Haymoz actionna Schneider et Rey solidairement devant le Tribunal de la Sarine en paiement de la somme de 38813 fr. 50 avec intérêt à 5% dès le 3 août 1941, sous réserve de plus amples frais de traitement et de la revision du jugement pendant deux ans.
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et subsidiairement à la fixation d'un certain ordre des responsables, André Banfi étant recherchable en premier lieu. Le 23 mars 1944, le Tribunal condamna chacun des défendeurs à payer au demandeur la somme de 34 558 fr. 50 avec intérêt à 5% dès le 3 août 1941, le paiement fait par l'un des défendeurs éteignant la dette de l'autre et le dommage devant être supporté en définitive dans la proportion des trois quarts par Schneider et d'un quart par Rey, sous réserve d'un droit de recours éventuel contre d'autres personnes responsables.
La Cour d'appel du Canton de Fribourg a confirmé ce jugement par arrêt du 19 décembre 1944 en admettant toutefois la solidarité des deux défendeurs. Le dispositif de l'arrêt est le suivant :
    "1. Louis Haymoz est admis en principe dans les fins de ses conclusions, Michel Schneider et Elie Rey étant condamnés à lui payer solidairement la somme de 34 558 fr. 50 avec intérêt à 5% dès le 3 août 1941.
    2. Le droit de recours éventuel des deux défendeurs contre d'autres personnes responsables du dommage est réservé, l'un à l'égard de l'autre les défendeurs répondant de la réparation du dommage dans la proportion de 3/4 en ce qui concerne Schneider et de 1/4 en ce qui concerne Rey.
    3. Les frais sont mis en entier à la charge des deux défendeurs solidairement, dans la même proportion quant à leurs rapports internes.
    4. Acte est donné au demandeur de la réserve qu'il a faite pour de plus amples frais de traitement et pour la revision du jugement pendant deux ans."


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La Cour a rejeté toutes autres conclusions des parties.
 
C.
Les deux défendeurs ont recouru contre cet arrêt au Tribunal fédéral en reprenant leurs conclusions originaires.
L'intimé a conclu au rejet du recours.
 
Erwägungen
Considérant en droit:
 
Erwägung 1
Le juge est ainsi appelé à dire si l'un et l'autre défendeurs sont tenus d'indemniser le demandeur et, dans ce cas, si cette obligation est solidaire. Il convient donc d'examiner successivement la responsabilité de chacun des défendeurs.
 
Erwägung 2
La proposition d'organiser un tir au pistolet-flobert avec balles de 6 mm. émanait du soldat complémentaire Banfi. Mais elle fut immédiatement acceptée et approuvée par Schneider. C'était une faute. Sans doute la troupe théâtrale n'était-elle pas soumise au régime militaire et le Lt Schneider n'y exerçait-il aucun commandement. Il n'en reste pas moins que sa qualité d'officier Iui imposait des devoirs même en dehors des heures de service et lui conférait une autorité morale et de fait. On peut sans

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hésiter admettre que si, au lieu de se prêter à l'improvisation d'un tir dangereux dans un jardin d'auberge accessible au public, il s'y était opposé, comme il aurait du et pu le faire, Banfi et les autres participants n'auraient point passé outre. En agissant comme il l'a fait, le défendeur a assumé un rôle important et même prépondérant dans l'entreprise commune des plus imprudentes qui a causé le dommage; car c'est le tir lui-même, tel qu'il était improvisé et exécuté, qui apparaît comme la véritable cause de l'accident, une balle tirée par le défendeur ayant pu atteindre le demandeur tout comme la balle tirée par Banfi. Cela est d'autant plus vraisemblable que l'accident ne s'est pas produit au cours du tir sur la cible fixée contre un arbre au fond du jardin, mais lors du tir encore plus dangereux sur les bouteilles et les verres se trouvant à une faible distance des tireurs et de tiers attablés à proximité. Le risque de ricochet sur des objets durs et lisses est particulièrement grand. Et il y a encore le danger d'éclats de verres projetés dans toutes les directions. Au dire de l'expert consulté à titre privé par le demandeur, mais dont l'avis n'a pas été écarté par la juridiction cantonale, le tir avec le pistolet utilisé le jour de l'accident exige des précautions spéciales: ciblerie enfermée et aucune personne dans son voisinage (les balles auraient pu être mortelles à 200 m.). En l'espèce, aucune mesure de prudence n'a été prise. Le demandeur affirme à la vérité qu'une sentinelle a été placée à l'entrée du jardin, mais le jugement cantonal ne constate pas ce fait et en tout cas elle n'a pas interdit à des tiers de s'asseoir dans le voisinage des tireurs et des buts. Or, ce tir extrêmement imprudent sur la verrerie, non seulement n'a pas été empêché par le défendeur qui aurait dû s'y opposer catégoriquement si une autre personne en avait eu l'idée, mais c'est lui-même qui l'a inauguré de son propre mouvement. Il a donné l'exemple en changeant de but et il a incité les autres tireurs à l'imiter en leur passant l'arme. De la sorte, il a été l'instigateur et l'organisateur de cette

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seconde partie du tir. Le fait qu'il est ensuite entré dans le café et qu'il était absent au moment où le coup fatal a été tiré ne l'excuse point; son devoir eut été de ne pas se désintéresser du jeu de massacre périlleux imaginé par lui. Par tout son comportement, il s'est rendu coupable d'une très grave imprudence qui a été sinon la cause unique, directe et immédiate de la lésion subie par le demandeur, du moins une cause adéquate et même primordiale.
Le défendeur a ainsi engagé sa responsabilité, solidairement avec Banfi et peut-être d'autres personnes dont, dans le présent procès, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner le rôle, excepté celui du défendeur Rey (art. 50 CO). A l'égard de la victime, Schneider est tenu de réparer la totalité du préjudice.
Pour se libérer, il invoque l'arrêt du Tribunal fédéral du 14 avril 1905 dans la cause Müller contre Müller (RO 31 II 248). Suivant cet arrêt, la responsabilité solidaire n'existe pas lorsque l'auteur de l'acte qui a produit directement le dommage est connu, en sorte que Banfi pouvait seul être recherché. Mais le Tribunal fédéral n'a pas maintenu cette jurisprudence dans ce qu'elle avait d'absolu. Selon l'arrêt du 15 septembre 1931 en la cause Frick et consorts contre Suter (RO 57 II 420), la responsabilité est établie au même degré pour tous les participants a un acte illicite et cela aussi pour les conséquences de l'acte qui n'avaient été ni voulues ni prévues par certains d'entre eux ou par tous, dès qu'ils ont eu ou auraient dû avoir conscience du danger créé en commun. Lors donc que -- comme ce fut le cas en l'espèce -- le coup fatal a pour auteur un des participants, tous ceux qui ne pouvaient ignorer ce risque ont l'obligation de réparer le dommage, sous réserve de leurs droits de recours réciproques (art. 50 al. 2 CO). La. loi ne distingue pas, par rapport au lésé, entre instigateur, auteur et complice (art. 50 al. 1er). L'importance de la collaboration de chacun d'eux, la gravité de la faute n'entrent en consi

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dération que pour le règlement de compte entre les coresponsables. Il n'y a pas de motif de s'écarter de cette jurisprudence qui est d'ailleurs conforme au principe général suivant lequel celui qui crée ou maintient un état de choses dangereux pour autrui est responsable si le tiers souffre dommage.
Le défendeur Schneider ne peut échapper à cette responsabilité.
 
Erwägung 3
Les juges du fait constatent que Rey avait connaissance du tir organisé et exécuté dans son jardin. Il est d'autre part établi que Rey ne s'est pas opposé à cet exercice dangereux.
Cette omission lui est imputable à faute. Indépendamment de ses obligations contractuelles qui seront encore examinées, il avait le devoir de ne pas contribuer à créer ou à maintenir dans son établissement un état de choses dont, en homme d'âge mûr et ayant fait son service militaire comme fusilier, il devait reconnaître les risques et qu'il était en mesure d'empêcher ou de faire cesser.
La présence d'un officier atténue à la vérité sa faute, mais ne saurait le disculper complètement. Il a dû voir que non seulement le tir n'était pas régIé et surveillé méthodiquement, mais qu'aucune précaution effective n'était même prise. Il n'a pu lui échapper qu'il y avait un va-et-vient des tireurs entre le jardin, la salle de danse et le café, et que le lieutenant Schneider lui non plus n'était pas constamment au jardin.
Malgré ces circonstances, le défendeur n'est pas intervenu. Son attitude passive implique une autorisation

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tacite par laquelle il s'est associé à l'entreprise dangereuse, en se rendant ainsi "complice" des tireurs, suivant l'expression de l'art. 50 CO. Pour qu'il puisse y avoir collaboration consciente, il n'est pas nécessaire que les participants se concertent. Il suffit qu'ils doivent reconnaître que leurs actes ou Ieurs omissions sont propres à causer le dommage qui se produit ensuite. Et un fait positif peut concourir avec une omission, I'un des participants commettant une imprudence et l'autre négligeant de s'y opposer comme il le devrait.
La Cour cantonale ne considère pas comme certain que le défendeur ait eu connaissance du tir sur la verrerie. On ne peut donc dire qu'en tolérant ce jeu périlleux, le défendeur s'y soit également associé. Mais en négligeant de surveiller ou de faire surveiller ce qui se passait dans le jardin de son établissement, l'aubergiste a commis une faute qui n'est pas sans relation de causalité avec l'accident. Vu l'insouciance du danger dont faisaient preuve les tireurs -- légèreté que la consommation d'alcool augmentait encore -- le défendeur devait craindre des imprudences. Un changement de but notamment n'était nullement impossible; il est notoire que les tireurs se lassent d'avoir longtemps le même objectif; -- en l'espèce, le tir sur la cible avait duré près d'une heure.
Dans l'accident du 3 août 1941, il y a un enchaînement de fautes par commission et par omission qui ont toutes concouru à causer de manière adéquate le dommage subi par le demandeur et qui, en vertu de l'art. 50 CO, obligent solidairement les défendeurs à le réparer.
Quant aux participants qui ne sont pas recherchés dans le présent procès, et qui n'ont pu dès lors faire valoir leurs moyens de défense, le Tribunal fédéral n'a pas à fixer leur responsabilité.
 
Erwägung 4
L'aubergiste qui reçoit un consommateur dans son établissement conclut avec lui un contrat sui generis (appelé

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dans la terminologie allemande "Gastaufnahmevertrag") qui l'oblige non seulement à lui offrir contre espèces des boissons et aliments de qualité correspondante, mais à les lui laisser consommer sur place, sans qu'il en résulte un préjudice pour sa santé ou son intégrité corporelle, et cette obligation n'est pas accessoire, elle est principale au même titre que les autres. Lors donc que le restaurateur ne prend pas toutes les mesures commandées par les circonstances pour assurer à ses hôtes la sécurité voulue, il n'accomplit pas ses obligations contractuelles; il est tenu de réparer le dommage en résultant, s'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable (art. 97 CO). Or, il ressort du considérant 3 ci-dessus que Rey n'a rien fait pour empêcher l'accident de se produire.
Les moyens tirés des Art. 41 et sv. et des art. 97 et sv. CO ne s'excluent pas en l'espèce et aucune disposition légale d'abord l'inexécution du contrat qui lui assurait d'emblée la réparation du dommage de la part de l'aubergiste sans qu'il ait besoin de faire la preuve d'une faute; il avait intérêt à établir de plus une faute extracontractuelle pour pouvoir bénéficier de la solidarité instituée par l'art. 50 CO.
 
Erwägung 5
 
Erwägung 6
 
Dispositiv
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
admet partiellement les deux recours et réforme l'arrêt cantonal dans ce sens de la somme de

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34 558 fr. 50 due solidairement par les défendeurs au demandeur court à partir du 1er octobre 1944.
Pour le surplus, rejette les recours et confirme l'arrêt attaqué.