BGE 142 I 195
 
19. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Fondation Armée du Salut Suisse et Société coopérative Armée du Salut Oeuvre Sociale contre Grand Conseil et Conseil d'Etat de la République et canton de Neuchâtel (recours en matière de droit public)
 
2C_66/2015 du 13 septembre 2016
 
Regeste
Art. 8 Abs. 1, Art. 10 Abs. 2, Art. 13 Abs. 1, Art. 15 und 36 BV; Art. 8 und 9 EMRK; Art. 35a des Gesundheitsgesetzes des Kantons Neuenburg. Gesetzliche Verpflichtung der staatlich subventionierten gemeinnützigen Einrichtungen, den begleiteten Suizid bei sich zu dulden; Widerstreit zwischen der Freiheit, die Form und den Zeitpunkt des eigenen Lebensendes selbst zu wählen, und der Glaubens- und Gewissensfreiheit; Grundsatz der Rechtsgleichheit.
 
Sachverhalt


BGE 142 I 195 (196):

A. Le 4 novembre 2014, le Grand Conseil de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Grand Conseil) a adopté une loi modifiant la loi du 6 février 1995 de santé (ci-après: LS ou la loi sur la santé; RSN 800.1). A l'issue du délai référendaire, qui n'a pas été utilisé, le Conseil d'Etat de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le Conseil d'Etat) a promulgué cette modification législative par arrêté du 4 novembre 2014, publié dans la Feuille d'avis officielle dudit canton du 17 décembre 2014 et entré en vigueur le 1er janvier 2015. Les nouvelles dispositions ont la teneur suivante:


    BGE 142 I 195 (197):

    "Art. 35a Assistance au suicide a) principe
    1 Toute personne capable de discernement a le droit de choisir les modalités et le moment de sa mort.
    2 Les institutions reconnues d'utilité publique doivent respecter le choix d'une personne patiente ou résidente de bénéficier d'une assistance au suicide en leur sein, par une aide extérieure à l'institution, si les conditions suivantes sont remplies:
    a) la personne souffre d'une maladie ou de séquelles d'accident, graves et incurables;
    b) toute prise en charge thérapeutique envisageable en fonction de son état de santé, en particulier celle liée aux soins palliatifs, lui a été présentée et la personne a explicitement pris position à ce sujet;
    c) la personne n'a plus de domicile ou son retour dans son logement n'est pas raisonnablement exigible.
    3 Les institutions non reconnues d'utilité publique doivent informer clairement les personnes patientes ou résidentes de leur politique interne en matière d'assistance au suicide.
    4 Le Conseil d'Etat précise au besoin les modalités d'application de cet article.
    Art. 35b b) saisie de l'autorité de surveillance
    En cas de refus d'une institution de respecter le choix de la personne patiente ou résidente, cette dernière peut saisir l'autorité de surveillance des institutions."
B. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Fondation "Armée du Salut Suisse" et la Société coopérative Armée du Salut Oeuvre sociale (ci-après: la Société coopérative Armée du Salut) demandent au Tribunal fédéral d'annuler la loi neuchâteloise du 4 novembre 2014 portant modification à la loi sur la santé. Elles invoquent une violation de la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), ainsi que du principe d'égalité (art. 8 Cst.).
Le Grand Conseil conclut à l'irrecevabilité du recours de la Fondation "Armée du Salut Suisse", subsidiairement à son rejet, et au rejet du recours de la Société coopérative Armée du Salut. Le Conseil d'Etat a fait savoir qu'il n'avait pas d'observations à formuler.
Par ordonnance du 17 février 2015, le Président de la IIe Cour de droit public a rejeté la requête d'effet suspensif des recourantes.
Le Tribunal fédéral rejette le recours dans la mesure où il est recevable.
 


BGE 142 I 195 (198):

Extrait des considérants:
3.1 Le Parlement fédéral n'a pas légiféré en matière d'assistance au suicide, les deux chambres ayant jugé en 2011 et 2012 que le droit actuel était suffisant (à cet égard, cf. Rapport du 15 mai 2009 du Département fédéral de justice et police sur l'assistance organisée au suicide: examen approfondi des solutions envisageables et de la nécessité d'une nouvelle réglementation fédérale). Les dispositions touchant au suicide assisté sont, dès lors, les suivantes: l'assistance au suicide n'est pas punissable sauf si elle est poussée par un mobile égoïste et tombe ainsi sous le coup de l'art. 115 CP; l'euthanasie active indirecte (utilisation de substances dont les effets secondaires peuvent accélérer la survenance du décès) de même que l'euthanasie passive (renonciation à la mise en oeuvre de mesures de maintien de la vie ou interruption de celles-ci) peuvent, selon les circonstances, ne pas être punissables; le meurtre sur demande de la victime est réprimé par l'art. 114 CP et l'euthanasie active directe (homicide intentionnel visant à abréger les souffrances d'une personne), sans demande de la personne, par l'art. 111 CP; (ROUILLER/ROUSSIANOS, Le droit à la vie et le droit de mourir dignement, Jusletter 12 juin 2006, ch. III.2).
L'Académie suisse des sciences médicales a édicté des directives intitulées "Prise en charge des patientes et patients en fin de vie" qui traitent notamment de l'assistance au suicide (www.samw.ch/fr/Ethique/Directives/actualite.html). Ces directives prévoient que les conditions suivantes doivent être remplies pour accéder à la demande d'assistance au suicide d'un patient (ch. 4.1):
- la maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche;
- des alternatives de traitements ont été proposées et, si souhaitées par le patient, mises en oeuvre;
- le patient est capable de discernement; son désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne résulte pas d'une pression extérieure et

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il est persistant; cela doit avoir été vérifié par une tierce personne, qui ne doit pas nécessairement être médecin.
Le Tribunal fédéral a pris en compte ces directives médico-éthiques dans différents arrêts (ATF 133 I 58 consid. 6.3.4. p. 73; cf. aussi arrêt 2C_9/2010 du 12 avril 2010 consid. 3), dont le principal en matière de droit public sera détaillé ci-dessous (cf. consid. 3.2). Il a, depuis longtemps, reconnu la légitimité et la pertinence des directives de l'Académie suisse des sciences médicales, notamment pour déterminer le moment de la mort (ATF 98 Ia 508), dans le domaine de la procréation médicale assistée (ATF 115 Ia 234 consid. 3b p. 242; ATF 119 Ia 460 consid. 4c/cc p. 470), ainsi que des prélèvements et transplantations d'organes et de tissus (ATF 123 I 112 consid. 7c p. 127). La Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: CourEDH) admet, elle aussi, un renvoi de la loi à d'autres actes, en particulier lorsque le domaine à réglementer revêt un caractère technique (arrêt de la CourEDH Groppera Radio AG contre Suisse du 28 mars 1990, 10890/84, série A n° 173, p. 25-26, 65-68). En matière d'assistance au suicide, il n'est cependant pas question d'un renvoi direct (sur cette notion et celle du renvoi statique et dynamique, cf. ATF 136 I 316 consid. 2.4.1 p. 320; ATF 123 I 112 consid. 7c/cc p. 129) aux directives susmentionnées et le juge n'est pas lié par celles-ci. S'agissant d'un domaine sensible, le regard des professionnels et de leur commission d'éthique est néanmoins important.
Au niveau cantonal, le canton de Vaud a été le premier à autoriser l'assistance au suicide, dans des limites précises, en établissement sanitaire reconnu d'utilité publique (cf. art. 27d de la loi vaudoise du 29 mai 1985 sur la santé publique [LSP; RSV 800.01]).
3.2 En ce qui concerne la jurisprudence, dans l' ATF 133 I 58, le Tribunal fédéral s'est penché sur la question du droit à l'assistance au suicide. Il s'agissait d'un cas impliquant un recourant qui souffrait de sévères troubles bipolaires et qui, estimant que sa vie n'était plus digne d'être vécue, avait demandé à pouvoir obtenir un produit létal sans ordonnance médicale. Le Tribunal de céans a tout d'abord rappelé que la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) garantissait tous les aspects élémentaires de l'épanouissement personnel ("Persönlichkeitsentfaltung"); elle comprenait un seuil minimum de possibilités d'épanouissement ("Entfaltungsmöglichkeit"), ainsi que la faculté du citoyen d'apprécier certains faits et d'agir en conséquence; elle n'incluait, cependant, pas une liberté générale d'agir susceptible

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d'être invoquée par tout un chacun à l'encontre d'actes de l'Etat qui auraient des conséquences sur cette liberté personnelle; la portée de cette liberté, ainsi que la question de savoir dans quelle mesure celle-ci pouvait être limitée, devaient être définies dans chaque cas. Le Tribunal fédéral a ensuite constaté que l'art. 8 par. 1 CEDH conférait une protection analogue, au sein de laquelle les garanties de la liberté personnelle et de la protection de la sphère privée des art. 10 al. 2 et 13 al. 1 Cst. se recoupaient. De plus, le droit à l'autodétermination de l'art. 8 par. 1 CEDH comprenait pour chacun le droit de choisir la forme et le moment de la fin de sa vie, à tout le moins lorsque la personne concernée était en mesure de se déterminer librement et d'agir en conséquence (consid. 6.1 dudit arrêt). Il s'agissait d'une facette de la liberté personnelle qui pouvait devoir souffrir des restrictions (art. 36 Cst. et 8 par. 2 CEDH) au regard du droit à la vie (art. 10 al. 1 Cst. et 2 CEDH) avec lequel elle devait être conciliée (MICHEL HOTTELIER, L'aide au suicide face aux droits de l'homme, in Sterbehilfe im Fokus der Gesetzgebung, Frank Th. Petermann [éd.], 2010, p. 98 et 105).
Cependant, toujours selon le Tribunal fédéral, ce droit de mourir se différenciait du droit à bénéficier d'un suicide assisté par l'Etat ou par un tiers. Ni l'article 10 al. 2 Cst. ni l'article 8 par. 1 CEDH n'incluaient un droit de la personne souhaitant mourir de se voir accorder une assistance lors de son suicide, ou une euthanasie active au cas où elle ne serait pas en mesure de mettre fin à sa vie elle-même. L'Etat avait fondamentalement le devoir de protéger le droit à la vie (art. 10 al. 1 Cst. et 2 CEDH [consid. 6.2.1 dudit arrêt; arrêt 2C_9/2010 précité consid. 2.1]). Après avoir rappelé que la CEDH garantissait des droits effectifs et concrets, le Tribunal fédéral a jugé que, dans le cas en cause, la liberté de se donner la mort ou celle de pouvoir décider de sa propre qualité de vie n'était pas entravée, au regard des alternatives possibles, par le fait que l'Etat n'autorisait pas la remise sans conditions (nécessité d'obtenir une ordonnance médicale) d'un produit létal; pour une mise en oeuvre efficace de la liberté de décider de la fin de sa propre vie, une remise sans condition de ce produit n'était pas nécessaire. Une obligation pour l'Etat de mettre à disposition le produit approprié permettant de mettre fin à ses jours ne pouvait être déduite ni de l'art. 10 al. 2 Cst. ni de l'art. 8 par. 1 CEDH (consid. 6.2 dudit arrêt). Cet arrêt a été porté devant la CourEDH (cf. consid. 3.3 infra).


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3.3 Quant à la jurisprudence de la CourEDH relative à l'assistance au suicide, elle a évolué au cours des arrêts rendus en application des art. 2 CEDH (droit à la vie) et 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale).
Le premier arrêt( Pretty contre Royaume-Uni du 29 avril 2002 [2346/02]) concernait une requérante qui souffrait d'une maladie neurodégénérative conduisant à la mort dans de grandes souffrances. Ellesouhaitait mettre fin à ses jours mais avait pour cela besoin de la coopération de son mari car elle était totalement paralysée. Ce cas posait la question d'une obligation négative de l'Etat, à savoir celui de ne pas faire obstacle par la loi au choix du suicide assisté. La CourEDH a initialement examiné l'affaire sous l'angle de l'art. 2 CEDH en relevant qu'elle avait toujours mis l'accent sur l'obligation pour l'Etat de protéger la vie et qu'il n'était pas possible de déduire de cette disposition un droit de mourir ni un droit à l'autodétermination qui donnerait un droit de choisir la mort plutôt que la vie (§ 39). En revanche, tout en concluant à l'absence de violation de l'art. 8 CEDH, la CourEDH a émis l'hypothèse que le suicide assisté relevait du champ de la vie privée et de l'autonomie personnelle (§ 67).
L' ATF 133 I 58 susmentionné a été porté devant la CourEDH. Il en est résulté l'arrêt Haas contre Suisse du 20 janvier 2011 (31322/07) qui concernait une éventuelle obligation positive de l'Etat de fournir le moyen de se suicider de façon sûre et indolore; l'exigence d'une ordonnance médicale pour obtenir un produit létal a été jugée comme n'étant pas disproportionnée. La CourEDH y a mentionné que, sur la base de l'art. 8 CEDH, un individu a le droit de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu'il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d'agir en conséquence (§ 51).
La CourEDH a ensuite jugé l'affaire Koch contre Allemagne du 19 juillet 2012 (497/09) qui traitait d'une personne tétraplégique dont la vie n'était pas menacée et qui avait demandé à l'Institut fédéral des produits pharmaceutiques et médicaux une substance létale pour se suicider à son domicile. Selon la CourEDH, la décision dudit institut de rejeter la demande d'un produit létal et le refus des juridictions administratives d'examiner le fond de cette demande avaient constitué une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de l'intéressé. Le droit au suicide assisté devait pouvoir être porté devant les tribunaux malgré l'interdiction pénale en droit interne; l'Etat

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devait donc justifier son refus de faciliter le suicide (§ 71-72). La CourEDH a ainsi conclu à la violation de l'art. 8 CEDH sur ce point.
Finalement, avec l'arrêt Gross contre Suisse du 14 mai 2013 (67810/ 10), la CourEDH a affirmé (§ 60) que le souhait de la requérante de recevoir une substance mortelle afin de mettre fin à ses jours entrait dans le champ du droit au respect de la vie privée de l'art. 8 CEDH. L'intéressée, une octogénaire qui ne voulait pas voir ses facultés physiques et mentales décliner, s'était adressée en vain à plusieurs médecins, afin que lui soit prescrite une substance mortelle. La CourEDH a considéré que la principale question soulevée par l'arrêt était de savoir si l'Etat avait manqué à son obligation positive de définir suffisamment clairement dans quelles circonstances les médecins pouvaient remettre une ordonnance à une personne dans la situation de la requérante (§ 63). En Suisse, la délivrance d'une ordonnance pour du pentobarbital sodique était soumise à la règlementation sur les drogues et aux directives de l'Académie suisse des sciences médicales qui la réservait aux "cas limites" de patients en fin de vie dont la recourante ne faisait pas partie; ces directives n'avaient pas la qualité formelle de loi, car elles étaient fixées par une organisation non gouvernementale, à savoir l'Académie suisse des sciences médicales (§ 65); le droit suisse, tout en prévoyant la possibilité d'obtenir une dose létale de pentobarbital sodique sur ordonnance, n'offrait pas d'orientations suffisantes permettant de déterminer clairement la portée du droit de mettre fin à ses jours (§ 67). Cet arrêt n'est toutefois jamais entré en force, la Grande Chambre ayant jugé que le comportement de la requérante constituait un abus de droit: celle-ci avait demandé, après avoir finalement obtenu un produit létal, que son décès (survenu alors que sa cause était pendante) ne soit pas divulgué, afin que la CourEDH rende une décision (cf. Grande Chambre, Gross contre Suisse du 30 septembre 2014 [67810/10]).
On peut encore signaler que, dans une décision récente (Affaire Lambert et autres contre France du 5 juin 2015 [46043/14]) relative àl'arrêt des traitements maintenant artificiellement la vie, la CourEDH a souligné que, lorsque sont en cause des obligations positives de l'Etat et qu'elle est saisie de questions scientifiques, juridiques et éthiques complexes portant sur le début ou la fin de vie, elle reconnaît aux Etats une certaine marge d'appréciation (§ 144).
3.4 Il découle de ces arrêts qu'il existe pour chacun le droit de choisir la forme et le moment de la fin de sa vie fondé sur le droit à

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l'autodétermination de l'art. 8 par. 1 CEDH et la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), à tout le moins lorsque la personne concernée est en mesure de se déterminer librement et d'agir en conséquence (cf. notamment: YVO HANGARTNER, Schwangerschaftsabbruch und Sterbehilfe: eine grundrechtliche Standortbestimmung, 2000, p. 72; REGINA KIENER, Organisierte Suizidhilfe zwischen Selbstbestimmungsrecht und staatlichen Schutzpflichten, RDS 129/2010 p. 271 ss, ch. 1, p. 275; RAINER J. SCHWEIZER, in Die schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, Ehrenzeller/Schindler/Schweizer/Vallender [éd.],3e éd. 2014, n° 22 ad art. 10 Cst., p. 292; le même, in Sicherheitsfragen der Sterbehilfe, Frank Th. Petermann [éd.], 2008, p. 46;MICAELA VAERINI, Droit à l'autodétermination et nouveau droit de protection de l'adulte: la question de la fin de vie, RMA 2012 p. 378 ss, ch. 1 p. 379).
Il n'y a en revanche pas de droit au suicide assisté que l'Etat devrait garantir. Les quatre arrêts de la CourEDH montrent que celle-ci a progressivement étendu le champ d'application de l'art. 8 CEDH: en l'état actuel, la jurisprudence de la CourEDH ne fait pas état d'un droit matériel au suicide assisté avec une obligation positive de l'Etat de garantir ce droit. Même si, selon certains auteurs, une telle obligation semble "être mûre" pour s'autonomiser totalement en découlant directement de la CEDH (PUPPINCK/DE LA HOUGUE, The Right to Assisted Suicide in the Case Law of the European Court of Human Rights, The International Journal of Human Rights, 2014, vol. 18, issue 7-8, p. 735 ss, fin du ch. 1.4; texte en français sur www.academia.edu; PUPPINCK/POPESCU/DE LA HOUGUE, Observations en tierce intervention dans l'affaire Gross c. Suisse, sur eclj.org, ressources, "Alda Gross contre la Suisse, n° 67810/10, Observations écrites", ch. 5 n° 12), la CourEDH n'a pour l'instant pas fait passer le suicide assisté de la qualité de liberté individuelle à celle de droit conventionnel imposant des obligations positives à l'Etat (HECTOR ENTENZA, La réglementation légale suisse en matière d'accès à l'assistance au suicide: réflexions autour de l'arrêt Gross c. Suisse, RSDIE 2014 p. 189 ss, ch. V p. 205).
Ainsi, l'individu qui désire mourir ne dispose pas d'un droit de bénéficier d'une aide au suicide, que ce soit par la mise à disposition des moyens nécessaires (lorsque les personnes concernées ne remplissent pas les conditions pour se voir octroyer une aide au suicide, selon les directives de l'Académie suisse des sciences médicales) ou par le biais d'une aide active (lorsque la personne concernée n'est pas

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en mesure de mettre elle-même fin à ses jours à cause de la paralysie; cf. MARTIN SCHUBARTH, Assistierter Suizid und Tötung auf Verlangen, ZStrR 127/2009 3 p. 7).
En revanche, le droit protège l'individu s'il est entravé illicitement dans son projet de suicide. Les personnes capables de discernement qui sont en mesure de prendre elles-mêmes le produit létal bénéficient ainsi d'un droit protégeant leur décision. En ce sens, il ne s'agit pas d'un droit de mourir, mais bien plutôt d'une liberté de mourir, dans la mesure où un droit porte sur une prestation que l'on peut exiger de l'Etat alors qu'une liberté vise à respecter l'autonomie de la personne, c'est-à-dire un choix qui est garanti par l'Etat.
Il s'agit à présent d'examiner les conséquences de l'existence de cette liberté. Par la suite, il sera indifféremment fait mention de "liberté" ou de "droit", l'art. 35 Cst., dont il est notamment question ci-dessous, concernant la réalisation des droits comme des libertés (PASCAL MAHON, in Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Aubert/Mahon [éd.], 2003, n° 1 ad art. 35 Cst.).
4. La tâche consistant à garantir aux citoyens l'accès à la jouissance effective de leurs droits incombe en premier lieu au législateur, par le biais du droit infraconstitutionnel (AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd. 2013, n. 163 p. 74, n. 120 p. 57 et n. 129 p. 60). Or, comme le souligne le Grand Conseil dans ses observations, la liberté des patients et des résidents des institutions reconnues d'utilité publique de choisir la forme et le moment de la fin de leur vie pouvait être violée par celles qui s'opposaient à la venue d'une organisation d'aide au suicide dans leurs locaux. C'est d'ailleurs lorsqu'un hôpital a refusé d'accéder à la demande d'un patient que le législateur neuchâtelois s'est saisi de la problématique. Le Parlement de ce canton a alors légiféré relativement à une liberté qui existe pour tout citoyen. Il a ainsi agi conformément à la séparation des pouvoirs qui fait peser la responsabilité de la mise en oeuvre des droits fondamentaux sur le législateur ou l'exécutif plutôt que sur le juge. Ceci est particulièrement judicieux, dans un domaine tel que celui en cause qui met en jeu des valeurs éthiques, philosophiques et théologiques (cf. CHRISTIAN SCHWARZENEGGER, Das Mittel zur Suizidbeihilfe und das Recht auf den eigenen Tod, Bulletin des médecins suisses, 2007, n. 19 843, p. 844), et qui relève de choix sociétal et politique qu'il appartient en premier lieu au législateur de trancher (cf. ATF 136 II 415 où le Tribunal fédéral a

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déclaré nul un accord portant sur l'assistance au suicide fournie par une organisation privée, passé entre le Ministère public du canton de Zurich et cette organisation). Le pouvoir législatif neuchâtelois a donc clarifié la situation juridique relative à l'assistance au suicide pour les citoyens en institutions reconnues d'utilité publique et précisé les contours de la liberté individuelle et de la protection de la vie, entérinant de la sorte un glissement allant de la liberté de mettre fin à ses jours vers un droit subjectif d'obtenir de l'aide d'autrui pour ce faire (OLIVIER GUILLOD, Soins et respect de la volonté du patient en fin de vie: regard de droit comparé, Jusletter 31 janvier 2011).
Ainsi, avec la novelle attaquée, le législateur neuchâtelois a garanti l'effectivité de la liberté de choisir la forme et le moment de la fin de la vie pour les résidents et les patients des institutions reconnues d'utilité publique, à savoir une liberté qui, sans cet acte normatif, resterait théorique pour les personnes concernées. Certes, la liberté de mourir, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 8 CEDH, n'implique que la personne qui veut mettre fin à ses jours. A l'inverse, l'assistance au suicide fait intervenir un tiers qui fournira à la personne concernée de quoi commettre elle-même cet acte. Il faut toutefois constater que la novelle elle-même n'induit pas une obligation de l'Etat dans le sens où ce n'est pas l'Etat, ou l'institution chargée d'une tâche d'utilité publique, qui doit organiser la procédure relative à l'assistance au suicide; elle ne fait qu'imposer aux institutions reconnues d'utilité publique, certes par le biais d'une mesure du législateur, de tolérer la présence des organisations privées d'aide au suicide et prohibe les entraves pratiques qui pourraient être instaurées pour empêcher cette assistance. L'acte normatif ne consacre ainsi pas un droit de mourir avec l'aide de l'Etat: il rend effectif le droit à l'autonomie personnelle qui permet à un individu de choisir la manière dont il entend mourir, par exemple en ayant recours au suicide assisté. Avec ce texte, un résident qui remplirait les conditions strictes de l'art. 35a LS et qui se verrait refuser l'accès à une organisation d'assistance au suicide par un EMS reconnu d'utilité publique pourrait porter sa cause devant l'autorité de surveillance (art. 35b LS). En revanche, comme susmentionné, il ne pourra pas exiger de l'Etat qu'il lui fournisse directement l'assistance au suicide (produit létal, accompagnement, etc.). En d'autres termes, le législateur n'a fait que concrétiser, pour les personnes en institutions reconnues d'utilité publique, le droit de mourir tel qu'il existe pour les personnes n'étant pas dépendantes d'une institution.


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Ceci ressort d'ailleurs de la novelle: l'art. 35a al. 1 LS rappelle que "Toute personne capable de discernement a le droit de choisir les modalités et le moment de sa mort". Outre cette condition de la capacité de discernement posée par l'Académie suisse des sciences médicales dans ses directives, l'art. 35a al. 2 LS reprend également celle des alternatives de traitement qui doivent être proposées au patient/ résident; la condition des directives qui veut que le patient soit en "fin de vie" est toutefois devenue "maladie ou [de] séquelles d'accident, graves et incurables" (souffrir d'une maladie ou de séquelles d'accident graves et incurables ne signifie pas forcément être en fin de vie; cette différence évoque aussi celle importante pour les médecins entre assistance au suicide et aide au décès [cf. Fédération des médecins suisses, Prise de position de janvier 2008; www.fmh.ch/files/pdf2/2008_01_28_meinung_sterbehilfe_f1.pdf]); l'art. 35a al. 2 LS ajoute une condition par rapport aux directives, à savoir l'absence de logement de la personne en institution ou le retour dans le logement qui n'est pas raisonnablement exigible.
La liberté de conscience et de croyance protège le citoyen de toute ingérence de l'Etat qui serait de nature à gêner ses convictions religieuses (pour plus de détails, cf. ATF 142 I 49 consid. 3.2 et 3.3 p. 52 ss; ATF 123 I 296 consid. 2b/aa p. 300). Elle confère au citoyen le

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droit d'exiger que l'Etat n'intervienne pas de façon injustifiée en édictant des règles limitant l'expression et la pratique de ses convictions religieuses (ATF 118 Ia 46 consid. 3b p. 52). Cette liberté comporte la liberté intérieure de croire, de ne pas croire et de modifier en tout temps sa religion et ses convictions philosophiques; elle comprend également la liberté d'exprimer, de pratiquer et de communiquer ses convictions religieuses ou sa vision du monde, dans certaines limites, ou de ne pas les partager (liberté extérieure). Cela englobe le droit pour le citoyen de se comporter conformément aux enseignements de sa foi et d'agir selon ses croyances intérieures - y compris celle de ne pas suivre de préceptes quelconques. Elle protège toutes les religions, quel que soit le nombre de leurs fidèles en Suisse (ATF 142 I 49 consid. 3.4 p. 53; ATF 139 I 280 consid. 4.1 p. 282; ATF 123 I 296 consid. 2b/aa p. 300).
La liberté religieuse est également garantie par l'art. 9 par. 1 CEDH, selon lequel toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La portée de cette disposition est ici pratiquement identique à celle de l'art. 15 Cst. L'art. 18 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II; RS 0.103.2) comporte un principe similaire.
Comme tout droit fondamental, la liberté de conscience et de croyance peut être restreinte. Aux termes de l'art. 36 al. 1 Cst., toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale; les restrictions graves doivent être prévues par une loi (ATF 139 I 280 consid. 5.1 p. 284 et les références citées); les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés. En outre, toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnée au but visé (cf. art. 36 al. 2 et 3 Cst.).
5.2 A l'origine, la jurisprudence ne reconnaissait la liberté de conscience et de croyance qu'aux personnes physiques (ATF 4 536 consid. 4 p. 34). Celle-ci a évolué et actuellement, si une société commerciale ne peut pas se prévaloir de ce droit constitutionnel, il en va différemment d'une personne morale qui poursuit, d'après ses statuts, un but religieux ou ecclésiastique (ATF 95 I 350

BGE 142 I 195 (208):

[quant à l'impôt ecclésiastique; art. 49 al. 6 aCst.]; ATF 97 I 116 consid. 3a p. 120, 221 [de façon plus générale]; ATF 125 I 369 consid. 1b p. 372; ATF 118 Ia 46 consid. 3b p. 52 et les références citées; Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale [FF 1997 I 1 158 ad art. 13]). Il en va de même selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme: si les entreprises commerciales ne bénéficient pas de la liberté de religion, les églises et les communautés religieuses en jouissent pour elles-mêmes (Cha'are Shalom Ve Tsedek contre France du 27 juin 2000 [27417/ 95] § 72; cf. également GRABENWARTER/PABEL, Europäische Menschenrechtskonvention, 6e éd. 2016, n. 109 p. 361 et les références citées).
Le Tribunal fédéral a jugé que les domaines suivants tombaient dans la sphère de protection des personnes morales: un règlement municipal relatif au carillon (la recourante étant en l'occurrence une communauté ecclésiale: la "Kirchgemeinde Neumünster"; cas jugé sous l'angle de la liberté de culte [art. 50 aCst.]; ATF 36 I 374 consid. 2 p. 376); l'impôt ecclésiastique prélevé auprès de l'Eglise néo-apostolique de Suisse ("Neuapostolische Kirche in der Schweiz"; ATF 95 I 350); l'interdiction imposée par l'Etat à l'Association Université libre de théologie évangélique de Bâle ("Verein Freie Evangelisch-Theologische Hochschule Basel"), à savoir une école privée destinée à la formation de pasteurs au niveau universitaire, de se dénommer "Université libre de théologie évangélique" (ATF 97 I 116 consid. 3b p. 120); la forme de l'enterrement des membres de la communauté religieuse Eglise néo-apostolique de Suisse (éventuelle obligation pour les pouvoirs publics de veiller à ce que les funérailles correspondent aux dernières volontés du défunt; ATF 97 I 221

BGE 142 I 195 (209):

consid. 3c p. 227); la contribution accordée par l'Etat à une société privée s'occupant de problèmes posés par les sectes dont les activités de l'Eglise de Scientologie ("Verein Scientology Kirche"; ATF 118 Ia 46 consid. 3b p. 52; la qualité pour recourir a été admise sur la base du devoir de neutralité de l'Etat découlant des art. 49 et 50 aCst.); l'interdiction de la publicité déloyale ou trompeuse sur le domaine public qui entravait le recrutement d'adeptes de l'Eglise de Scientologie (ATF 125 I 369 consid. 5c p. 378) et la construction d'un lieu de culte pour l'Association des Témoins de Jéhovah (1C_366/2009 consid. 7.2, in RDAF 2012 I p. 465). Etait en cause dans ces cas la dimension extérieure de la liberté de conscience et de croyance.
    "Die Genossenschaft bezweckt in gemeinsamer Selbsthilfe die Führung und Förderung der sozialen und philanthropischen Tätigkeit der Heilsarmee in der Schweiz in Übereinstimmung mit den Zielen der internationalen Heilsarmee, betreibt im Rahmen ihrer gemeinnützigen Zielsetzung insbesondere soziale Einrichtungen in der Schweiz; kann Liegenschaften erwerben, mieten, vermieten, belasten und veräussern."
D'après les statuts de cette société, les activités sociales et philanthropiques qu'elle exerce doivent être menées en accord avec les buts de l'Armée du Salut internationale, étant précisé que, d'après la jurisprudence, "l'Armée du Salut est une association, ou une secte, religieuse" (ATF 15 682 consid. 3 p. 691; cf. aussi ATF 13 6 consid. 2 p. 9). Cette référence confère auxdites activités, qui constituent une spécificité de l'Armée du Salut, un aspect religieux, la vision du monde globalement et fondamentalement religieuse de ce mouvement étant notoire. Partant, la Société coopérative Armée du Salut bénéficie de la protection de la liberté de conscience et de croyance.
Cette société coopérative est propriétaire de l'EMS "Le Foyer", reconnu comme étant d'utilité publique, qui est lui-même soumis aux nouvelles dispositions attaquées. Celles-ci l'obligent à ouvrir ses portes aux organisations d'assistance au suicide, alors que la conviction religieuse de la recourante lui interdit d'aider quiconque à se suicider. Avec cette contrainte, le législateur porte atteinte à l'aspect externe de la liberté de conscience et de croyance qui garantit la possibilité d'agir conformément à ses convictions religieuses et de ne pas être astreint à procéder à des actes qui heurtent la croyance (cf.

BGE 142 I 195 (210):

AUBERT/MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, 2003, nos 5 ss ad art. 15 Cst., p. 141; AUER/ MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., n° 471 ss, p. 225; CAVELTI/KLEY, in Die schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3e éd. 2014, nos 10 ss ad art. 15 Cst., p. 398; HÄFELIN/HALLER/ KELLER/THURNHERR, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 9e éd. 2016, n. 405 ss, p. 126; PETER KARLEN, Das Grundrecht der Religionsfreiheit in der Schweiz, 1987, p. 261 ss; KIENER/KÄLIN, Grundrechte, 2e éd. 2013, p. 315; ANNE KÜHLER, Das Grundrecht der Gewissensfreiheit, 2012, p. 203; RENÉ PAHUD DE MORTANGES, in Basler Kommentar, Bundesverfassung, 2015, nos 34 ss ad art. 15 Cst., p. 337; RHINOW/SCHEFER, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2e éd. 2009, n. 1463 p. 288 ss; CHRISTOPH WINZELER, in Die Religionsfreiheit als individuelles und korporatives Grundrecht, L'homme et son droit, Zufferey/Dubey/Previtali [éd.], 2011, p. 611 ss). Contrairement à ce que prétend la recourante, le noyau intangible de sa liberté de conscience et de croyance n'est partant pas touché.
Un tel conflit existe en l'occurrence entre les deux libertés en cause, à savoir la liberté de conscience et de croyance et celle de se suicider.
5.6 En vue de résoudre un conflit de libertés, il incombe au juge de vérifier que la décision entreprise ménage un juste équilibre entre les différents principes constitutionnels et droits fondamentaux en jeu (ATF 140 I 201 consid. 6.7 p. 212; ATF 128 I 327 consid. 4.3.2 p. 344 s. et les références citées), étant rappelé que la Constitution fédérale ne prévoit elle-même aucune hiérarchie entre les droits fondamentaux (ATF 137 I 167 consid. 3.7 p. 176). Pour parvenir, de façon rationnelle et transparente, à l'établissement d'un tel équilibre, le juge se laissera en règle générale guider par les principes ancrés à l'art. 36 Cst., en les adaptant le cas échéant aux besoins spécifiques qui découlent des conflits entre plusieurs libertés ou intérêts collectifs fondamentaux. L'al. 2 de l'art. 36 Cst., qui exige que toute

BGE 142 I 195 (211):

restriction à un droit fondamental soit justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un autre droit fondamental, envisage en effet l'hypothèse de conflits entre libertés, en traitant de l'opposition entre, d'une part, le droit fondamental dont la restriction est contestée par un particulier et, d'autre part, soit un intérêt central d'un autre particulier, soit un intérêt public opposé qui tend, notamment, à défendre certaines valeurs ou droits fondamentaux de la collectivité face aux intérêts ou actions de l'individu (ATF 140 I 201 consid. 6.7 p. 212 et les références citées).
5.7 En l'espèce, il n'est pas contesté que l'art. 35a LS constitue une base légale (art. 36 al. 1 Cst.) suffisante pour restreindre la liberté de conscience et de croyance de la recourante. En outre, avec l'adoption de cette norme, il est important de souligner que le législateur neuchâtelois a procédé à une hiérarchisation légale des valeurs dans le contexte des institutions d'utilité publique touchant des subventions et a clairement opéré un choix en faisant prévaloir le droit à l'autodétermination des résidents et patients sur la liberté de conscience et de croyance des institutions reconnues d'utilité publique (art. 36 al. 2 Cst.). Il ressort en effet des travaux préparatoires que l'"Armée du Salut Suisse" avait déjà fait connaître son opposition à la novelle en cause lors de la procédure d'élaboration du projet de loi; la Commission Santé avait alors choisi: "tout en reconnaissant que le recours à l'assistance au suicide par un pensionnaire pouvait être difficile à admettre pour certaines institutions, ce qui a prévalu c'est le respect du choix de l'individu, pour autant que sa capacité de discernement soit toujours pleine et entière" ("Complément au rapport de la Commission santé - assistance au suicide, rapport au Grand Conseil, du 27 mars 2014, à l'appui d'un projet de loi portant modification à la loi de santé", ch. 1 et 4.3).
Sous l'angle de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il s'agit de déterminer si l'obligation de tolérer en son sein des personnes apportant de l'aide au suicide à un patient ou un résident est ou non supportable pour la recourante qui estime qu'un être humain ne peut pas mettre un terme à sa vie. A cet égard, il faut relever que les cas où une aide est requise en institution devraient rester peu fréquents (le canton de Vaud, pionnier en la matière, a eu douze cas en 2013 dans des hôpitaux ou EMS [www.npg-rsp.ch/fileadmin/.../VD_2014_interpell_Ehrwein_prevention_suicide.pdf]). De plus, l'Etat neuchâtelois a subordonné le suicide assisté dans les institutions qui touchent des

BGE 142 I 195 (212):

subventions à différentes conditions restrictives: il faut que la personne souffre d'une maladie ou de séquelles d'accident graves et incurables et que cette personne n'ait plus de domicile ou que son retour dans son logement ne soit pas raisonnablement exigible. Cette dernière condition implique que sont seuls concernés les résidents, dont il est à supposer qu'ils n'ont plus de domicile, et les patients (qui à la différence des résidents devraient encore en avoir un) qui ne peuvent plus y être transportés. En outre, lorsque les patients ont encore un domicile, les cas où le retour s'y avère impossible ne doivent pas être la règle. Ces éléments vont dans le sens d'une atteinte supportable à la garantie invoquée par la recourante. Dans les rares cas où toutes les conditions pour faire appel à une aide au suicide seraient remplies, la liberté de conscience et de croyance de la recourante se heurterait au droit fondamental du résident de choisir le moment et la forme de sa mort qui ne pourrait pas être respecté. Le Tribunal fédéral relève ici que la recourante ne devra prendre aucune part active dans ce processus de l'assistance au suicide et qu'il lui incombera uniquement de le tolérer. La recourante estime à cet égard qu'il faut tenir compte, dans la balance des intérêts, du point de vue de l'ensemble du personnel et des autres résidents; outre que ledit point de vue n'est pas établi, il est souligné qu'est ici en cause la liberté de conscience et de croyance de la recourante et non pas celle de tiers. De plus, en adoptant les conditions restrictives mentionnées à l'art. 35a LS donnant accès à l'aide controversée, le législateur a veillé à empiéter de la façon la plus restreinte possible sur le droit fondamental de la recourante. Il faut ajouter à cela, que la recourante peut se soustraire à l'obligation litigieuse en renonçant à son caractère d'utilité publique et, partant, aux subventions touchées à ce titre. A l'inverse, si la liberté de conscience et de croyance devait l'emporter sur la liberté de mettre fin à sa vie, cela signifierait que les résidents/patients (qui n'ont pas toujours le choix de l'établissement où séjourner) dans la position de réclamer l'aide en cause (qui ne peuvent donc plus physiquement rentrer chez eux) se verraient définitivement privés de leur droit à l'autodétermination, sans aucune alternative pour en bénéficier.


BGE 142 I 195 (213):

6. Selon la recourante, la novelle en cause viole également le principe d'égalité (art. 8 Cst.) en tant que celle-ci traite de manière différente les institutions reconnues d'utilité publique et celles qui ne le sont pas. Ce texte de loi n'impose, en effet, qu'aux premières de respecter, à certaines conditions, le choix d'une personne patiente ou résidente de bénéficier d'une assistance au suicide, par une aide extérieure à l'institution, au sein de celle-ci. Les institutions non reconnues d'utilité publique échappent à cette obligation.
Dans sa réponse au recours, le Grand Conseil affirme qu'il a légiféré afin, d'une part, d'assurer le respect du droit constitutionnel de chaque personne à mettre fin à ses jours (et d'en choisir les modalités et le moment) et, d'autre part, de respecter l'égalité entre les personnes ayant un logement privé et celles dépendant d'une institution, celles-là pouvant faire appel à une organisation d'assistance au suicide.
6.1 Aux termes de l'art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Les personnes morales peuvent également se prévaloir de ce principe (AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., n. 1029 p. 479). Une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer, ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 139 I 242 consid. 5.1 p. 254; ATF 137 V 334 consid. 6.2.1 p. 348). La question de savoir s'il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 138 I 225 consid. 3.6.1 p. 229, ATF 138 I 265 consid. 4.1 p. 267; ATF 137 I 167 consid. 3.5 p. 175).
En l'espèce, l'obligation faite aux institutions reconnues d'utilité publique de tolérer en leur sein l'aide au suicide assisté, alors même que les organisations privées y échappent, est susceptible de fonder une inégalité de traitement et entre dans le champ de protection de l'art. 8 al. 1 Cst.
 


BGE 142 I 195 (214):

Erwägung 6.2
L'Etat peut, en outre, conclure un contrat de prestations avec l'EMS qui est au bénéfice d'une autorisation d'exploiter et de la reconnaissance LAMal (art. 12 de la loi neuchâteloise du 28 septembre 2010 sur le financement des établissements médico-sociaux [LFinEMS; RSN 832.30]); il conclut ces contrats en fonction de la planification des besoins (art. 12 al. 2 LFinEMS). Le contrat de prestations, qualifié de contrat de droit administratif (arrêt 2P.83/2002 du 24 juin 2003 consid. 2.2; cf. ATF 128 III 250 consid 2b p. 253), règle les relations entre l'Etat et l'EMS, dans le respect de la politique définie par le Conseil d'Etat en matière de prise en charge des personnes nécessitant un hébergement en EMS. Il définit notamment les missions de l'EMS, les prestations à fournir par celui-ci et leur mode de financement (art. 11 LFinEMS).
La conclusion d'un tel contrat entraîne la reconnaissance d'utilité publique (cf. aussi art. 84 al. 1 LS) et permet l'obtention de subventions (art. 14 LFinEMS).
6.3 Les cantons ne sont en principe pas tenus de subventionner un EMS (sous réserve de l'art. 25a al. 5 dernière phrase de la loi

BGE 142 I 195 (215):

fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie [LAMal; RS 832.10]). Lorsqu'ils y procèdent, l'octroi de subventions peut être assorti de conditions appropriées. Ainsi, selon la jurisprudence, l'application par un canton d'un régime juridique distinct aux seuls EMS reconnus d'utilité publique ne viole pas per se l'égalité de traitement (entre concurrents directs). Par exemple, si ceux-ci ainsi que leurs pensionnaires ont, à l'inverse des EMS qui ne jouissent pas de la reconnaissance d'utilité publique, la possibilité de bénéficier de subventions cantonales, ils renoncent en échange au plein exercice de leur liberté économique et acceptent de se soumettre à des contrôles et modalités de gestion définies par le canton, notamment la fixation des tarifs pour résidents par le Conseil d'Etat (cf. ATF 138 II 191 consid. 4.4.2 p. 203; arrêt 2C_656/2009 du 24 juillet 2010 consid. 4.3). Cette jurisprudence démontre que la reconnaissance d'utilité publique et l'octroi de subventions ont des répercussions sur ces établissements.
Il est néanmoins exact, comme le relève la recourante, qu'en imposant l'obligation de tolérer les organisations d'aide au suicide uniquement aux institutions reconnues d'utilité publique, la liberté de choisir la forme et le moment de la fin de la vie n'a pas à être admise par les institutions non reconnues par l'Etat. Cette conséquence de la loi ne consacre cependant pas une violation du principe d'égalité pour la recourante, dès lors que, comme susmentionné, les deux types d'institutions ne sont pas dans la même situation et que seules celles accomplissant une tâche d'utilité publique - ce qui constitue en principe un critère de distinction objectif et raisonnable - touchent des subventions.
En conséquence, soumettre les seules institutions d'utilité publique à l'obligation de tolérer en leur sein les organisations privées d'aide au suicide ne viole pas le principe d'égalité. Le grief de violation du principe d'égalité est rejeté.


BGE 142 I 195 (216):

6.5 Le Tribunal fédéral relève encore ici qu'avec cet acte normatif le législateur a voulu garantir l'égalité (art. 8 al.1 Cst.; principe qui s'adresse en premier lieu au législateur) entre les individus qui peuvent avoir accès à l'assistance au suicide dans le cadre du domicile privé et les personnes se trouvant dans une institution et qui peuvent s'en voir priver par l'EMS où ils séjournent (Rapport du 27 mars 2014 de la Commission santé - assistance au suicide au Grand Conseil à l'appui de la loi portant modification à la loi de santé ch. 4.1, p. 2). Ce point est important dès lors qu'il est de notoriété publique que les places en EMS sont insuffisantes avec pour conséquence que les personnes concernées n'ont pas toujours le choix de l'établissement où séjourner. (...)