BGer 9C_960/2009
 
BGer 9C_960/2009 vom 24.02.2010
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
9C_960/2009
Arrêt du 24 février 2010
IIe Cour de droit social
Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,
Kernen et Seiler.
Greffière: Mme Moser-Szeless.
Parties
Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité, rue de Lyon 97, 1203 Genève,
recourant,
contre
F.________,
intimé.
Objet
Assurance-invalidité,
recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève du 7 octobre 2009.
Faits:
A.
F.________ est titulaire d'un certificat fédéral de capacité de vendeur. Après avoir travaillé comme vendeur et cuisinier, il n'a plus exercé d'activité lucrative depuis l'an 2000. Invoquant souffrir de toxicomanie et d'une dépression, il a présenté une demande de prestations de l'assurance-invalidité le 10 janvier 2005. L'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité (ci-après: OCAI) a recueilli l'avis du docteur A.________, généraliste (rapport du 22 avril 2005), puis a mandaté le docteur L.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, pour une expertise. Celui-ci n'a pas retenu de "diagnostic psychiatrique invalidant" et a conclu que l'assuré serait capable de travailler à plein temps dans les activités exercées antérieurement s'il cessait de consommer de la drogue (rapport du 13 août 2007). Se fondant sur ces conclusions, l'OCAI a rejeté la demande de prestations par décision du 28 janvier 2008, au motif que l'incapacité de gain présentée par l'intéressé était avant tout due à sa toxicodépendance, qui n'était pas invalidante au sens de la loi.
B.
F.________ a déféré cette décision au Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève. Par ordonnance du 28 novembre 2008, le Tribunal cantonal a confié une expertise au docteur U.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. A titre de diagnostics avec incidence sur la capacité de travail, l'expert a retenu un syndrome de dépendance aux opiacés (avec suivi d'un régime de substitution sous surveillance médicale), un syndrome de dépendance à la cocaïne (avec abstinence depuis novembre 2008), un trouble dépressif récurrent (épisode actuel moyen), ainsi qu'un trouble hyperkinétique (sans précisions), et fait état de difficultés liées au logement et aux conditions économiques; en tant que diagnostic sans répercussion sur la capacité de travail, le psychiatre a indiqué des troubles mixtes de la personnalité (traits de personnalité anxieuse et dépendante). Il a par ailleurs conclu à une incapacité totale de travail (rapport du 4 mai 2009). Par jugement du 7 octobre 2009, le Tribunal cantonal a admis le recours de l'assuré et annulé la décision du 28 janvier 2008; il a mis F.________ au bénéfice d'une rente entière de l'assurance-invalidité à compter du 1er janvier 2006 et renvoyé la cause à l'OCAI afin qu'il calcule le droit aux prestations de l'intéressé.
C.
L'OCAI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont il demande l'annulation. Il a en outre requis l'effet suspensif à son recours, ce qui lui a été accordé par ordonnance du 19 janvier 2010.
F.________ et l'Office fédéral des assurances sociales ont tous deux renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
1.1 Bien que le dispositif du jugement entrepris renvoie la cause à l'office recourant, il ne s'agit pas d'une décision incidente au sens de l'art. 93 LTF car la juridiction cantonale a statué définitivement sur les points contestés, le renvoi de la cause ne visant que le calcul de la rente d'invalidité allouée. Le recours est dès lors recevable puisqu'il est dirigé contre un jugement final (cf. art. 90 LTF; arrêt 9C_684/2007 du 27 septembre 2007 consid. 1.1, in SVR 2008 IV n° 39 p. 131).
1.2 Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit au sens des art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'examine en principe que les griefs invoqués (art. 42 al. 2 LTF) et fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF auquel cas il peut les rectifier ou les compléter d'office (art. 105 al. 2 LTF).
2.
2.1 Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente (entière) d'invalidité, singulièrement sur l'existence d'une atteinte à la santé invalidante au sens de la loi. A cet égard, le jugement entrepris expose correctement les règles légales et la jurisprudence sur les notions d'invalidité et d'atteinte à la santé psychique ainsi que les principes jurisprudentiels relatifs à l'appréciation des preuves et à la valeur probante des rapports médicaux. Il suffit donc d'y renvoyer.
2.2 Comme l'a à juste titre rappelé la juridiction cantonale, la dépendance, qu'elle prenne la forme de l'alcoolisme, de la pharmacodépendance ou de la toxicomanie, ne constitue pas en soi une invalidité au sens de la loi. Elle joue en revanche un rôle dans l'assurance-invalidité lorsqu'elle a provoqué une maladie ou un accident qui entraîne une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique nuisant à la capacité de gain, ou si elle résulte elle-même d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui a valeur de maladie (ATF 124 V 265 consid. 3c p. 268).
On ajoutera que la situation de fait doit faire l'objet d'une appréciation globale incluant aussi bien les causes que les conséquences de la dépendance, ce qui implique de tenir compte d'une éventuelle interaction entre dépendance et comorbidité psychiatrique. Pour que soit admise une invalidité du chef d'un comportement addictif, il est nécessaire que la comorbidité psychiatrique à l'origine de cette dépendance présente un degré de gravité et d'acuité suffisant pour justifier, en soi, une diminution de la capacité de travail et de gain, qu'elle soit de nature à entraîner l'émergence d'une telle dépendance et qu'elle contribue pour le moins dans des proportions considérables à cette dépendance. Si la comorbidité ne constitue qu'une cause secondaire à la dépendance, celle-ci ne saurait être admise comme étant la conséquence d'une atteinte à la santé psychique. S'il existe au contraire un lien de causalité entre l'atteinte maladive à la santé psychique et la dépendance, la mesure de ce qui est exigible doit alors être déterminée en tenant compte de l'ensemble des limitations liées à la maladie psychique et à la dépendance (sur l'ensemble de la question, cf. arrêt I 169/06 du 8 août 2006, consid. 2.2 et les arrêts cités; arrêt 9C_395/2007 du 15 avril 2008 consid. 2.2).
3.
Invoquant à la fois une appréciation arbitraire des preuves et une violation du droit, le recourant reproche en substance aux premiers juges d'avoir retenu, en se fondant sur les conclusions du docteur U.________, que l'intimé souffrait de troubles psychiques (trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité de l'adulte [TDAH], troubles du comportement avec traits de personnalité anxieuse) qui avaient entraîné la consommation de drogues, et considéré que ceux-ci étaient constitutifs d'une comorbidité psychiatrique grave à l'origine de la toxicomanie. Il leur fait également grief d'avoir écarté le rapport du docteur L.________ au motif qu'il était dénué de valeur probante.
3.1 Lorsque, comme en l'occurrence, l'autorité cantonale juge l'expertise judiciaire concluante et en fait sien le résultat, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'appréciation arbitraire que si l'expert n'a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d'une quelconque autre façon, l'expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier si toutes les affirmations de l'expert sont exemptes d'arbitraire; sa tâche se limite bien plutôt à examiner si l'autorité intimée pouvait, sans arbitraire, se rallier au résultat de l'expertise (arrêts 4P.263/2003 du 1er avril 2004 consid. 2.1, 9C_395/2007 du 15 avril 2008 consid. 4.1; voir également ATF 125 V 351 consid. 3b/aa p. 352 et les références).
3.2 Dans son rapport du 4 mai 2009 (anamnèse, p. 4 ss), qui répond aux exigences posées par la jurisprudence en la matière (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), l'expert a fait état des différents éléments qui l'avaient conduit - malgré la difficulté de diagnostiquer la présence d'un TDAH chez un sujet souffrant de toxicodépendance et d'un état anxio-dépressif chronique - à admettre que l'assuré était atteint d'un TDAH et présentait des traits de personnalité anxieuse et dépendante apparus très tôt dans son parcours. Il a par ailleurs expliqué que ces troubles, amplifiés par le traumatisme d'abus sexuel subi à l'âge de huit ans, avaient contribué au développement de la toxicodépendance, laquelle avait, à son tour, entraîné des séquelles neuropsychiatriques (notamment troubles sévères de la mémoire épisodique, déficit sévère de l'attention, trouble modéré à sévère des fonctions exécutives, troubles modérés de la mémoire de travail en modalité verbale), dont certaines étaient accentuées par l'état anxio-dépressif.
Quoi qu'en dise le recourant, qui se limite dans une large mesure à opposer sa propre appréciation à celle du psychiatre, les conclusions de l'expertise, qui confirment pour l'essentiel les évaluations antérieures des docteurs A.________ (rapport du 22 avril 2005) et M.________ (rapport du 26 février 2008) n'apparaissent ni contradictoires, ni entachées d'un défaut manifeste. L'évaluation spécialisée de l'état de santé psychique d'un assuré implique forcément que l'expert se prononce sur le passé de l'intéressé en se fondant tant sur les éléments rapportés par celui-ci que sur ceux ressortant du dossier médical. On ne voit dès lors pas en quoi le fait que l'expert s'est déterminé sur des faits remontant à l'enfance et l'adolescence de l'intimé impliquerait d'emblée un diagnostic erroné. De même, la gravité des troubles diagnostiqués par l'expert ne saurait être niée pour le seul motif que l'intimé a terminé sa scolarité obligatoire et obtenu un certificat fédéral d'apprentissage de vendeur comme le soutient le recourant. Selon les constatations des premiers juges, l'intimé a dès son plus jeune âge présenté d'importantes difficultés scolaires - selon le docteur A.________ (rapport du 22 avril 2005), il a été suivi pendant trois ans par un pédopsychiatre, présentant depuis l'enfance un état dépressif récurrent - et fait face à différents échecs au cours de son apprentissage, de sorte qu'on ne saurait douter du lien entre ces difficultés et les troubles mis en évidence par l'expert. L'argumentation que développe le recourant en rapport avec l'évaluation des séquelles neuropsychologiques effectuée par l'expert n'est par ailleurs pas pertinente, puisqu'il se contente de formuler l'hypothèse que l'intimé consommerait "d'autres substances" que de la méthadone.
3.3 C'est en vain, ensuite, que le recourant reproche à la juridiction cantonale de s'être écarté de l'évaluation du docteur L.________. En premier lieu, son argument tiré d'une prétendue violation de l'obligation de motivation - pour autant que ce grief puisse être considéré comme suffisamment motivé au sens de l'art. 106 al. 2 LTF - n'est pas fondé. Si la juridiction cantonale s'est limitée à renvoyer à son ordonnance du 28 novembre 2008 en ce qui concerne les raisons pour lesquelles elle avait écarté l'expertise du psychiatre mandaté par le recourant, faute de valeur probante, le recourant a toutefois été en mesure de comprendre le jugement entrepris sur ce point et d'en saisir la portée, comme le démontre l'argumentation qu'il a développée à ce sujet.
En second lieu, les considérations qui ont conduit les premiers juges à s'écarter du rapport du docteur L.________ ne sont pas entachées d'arbitraire, quoi qu'en dise le recourant.
3.4 Le recourant soutient encore que la juridiction cantonale ne pouvait pas considérer les limitations que présentait l'intimé sur le plan social - telles que mises en évidence par le docteur U.________ - comme invalidantes, mais aurait dû établir pour quelle part les empêchements rencontrés par l'assuré relevaient de causes étrangères à l'assurance-invalidité.
Au regard des principes jurisprudentiels relatifs au rôle des facteurs psychosociaux ou socioculturels (ATF 127 V 294), cités par le recourant, son argumentation n'est pas pertinente. Il ressort en effet des conclusions de l'expert U.________ que l'état pathologique (notamment troubles cognitifs sévères, anxiété envahissante, important ralentissement psychomoteur) rendait l'assuré totalement incapable d'exercer une activité lucrative, alors que la situation de désinsertion sociale et d'isolement affectif aggravait ces troubles et fragilisait l'abstinence de l'intéressé. Dans la mesure où les éléments psychosociaux aggravaient des troubles psychiques qui limitaient déjà entièrement, en tant que tels, la capacité de travail de l'intimé, leur influence n'avait pas à être examinée plus avant.
4.
Il découle de ce qui précède que le recours est mal fondé. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires afférents à la présente procédure (art. 66 al. 1, 1ère phrase, LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 24 février 2010
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Meyer Moser-Szeless