BGer 5A_14/2008
 
BGer 5A_14/2008 vom 28.05.2008
Tribunale federale
{T 0/2}
5A_14/2008 - svc
Arrêt du 28 mai 2008
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.
Parties
AX.________,
recourant, représenté par Me Louis Gaillard, avocat,
contre
BX.________,
intimée, représentée par Me Christine Gaitzsch, avocate.
Objet
divorce,
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 16 novembre 2007.
Faits:
A.
AX.________, né en 1947, et BX.________, née en 1951, se sont mariés le 20 mai 1977 à Zurich. Ils ont adopté le régime de la communauté de biens universelle par contrat de mariage du 21 août 1978. Deux enfants, actuellement majeurs, sont issus de leur union. Les époux se sont séparés le 15 décembre 1999.
Le mari, qui est ingénieur de formation, a travaillé au service d'entreprises industrielles comme directeur technique; son salaire net s'élevait à 197'627 fr. en 1998. Il a perdu son emploi en 1999 et, actuellement, à plus de 60 ans, il n'a plus d'activité lucrative. Il a obtenu des avancements d'hoirie de 850'000 fr. durant la vie commune et a hérité de son père en 2002 et de sa mère en 2004. En 2005, sa fortune mobilière s'élevait à 3'829'719 fr. Il a également hérité d'un appartement dans le canton des Grisons, dont la valeur fiscale est d'environ 360'000 fr.
L'épouse n'a pas exercé d'activité professionnelle durant la vie commune, hormis quelques remplacements à l'école primaire, et s'est consacrée à l'éducation des enfants. Au début des années 1990, elle a acquis une formation de réflexologue. Après la séparation, elle a travaillé comme maman de jour, coordinatrice d'activité au sein d'une association, hôtesse d'accueil, animatrice, réflexologue, avant de se retrouver au chômage. Agée actuellement de 56 ans, elle est sans emploi.
B.
Par jugement de mesures protectrices de l'union conjugale du 29 mai 2001, le Tribunal de première instance de Genève a donné acte au mari de son engagement de payer 2'000 fr. par mois pour l'entretien de son épouse dès le mois de janvier 2001, et a prononcé la séparation de biens des époux.
Le 23 avril 2007, le même tribunal a notamment prononcé le divorce des époux, condamné le mari à payer à l'épouse, à titre de liquidation du régime matrimonial, 33'993 fr. 28 avec intérêts à 5% dès l'entrée en force du jugement et 17'881 fr. 80 avec intérêts à 5% dès le 23 février 2007, ordonné le partage par moitié de la prestation de sortie du mari (492'759 fr. 50 au 30 juin 2006), fixé la contribution d'entretien de l'épouse à 4'000 fr. jusqu'au 31 octobre 2007, 2'500 fr. jusqu'au 30 novembre 2015 et 2'000 fr. dès le 1er décembre 2015 pour une durée indéterminée.
Sur appel des parties, la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 16 novembre 2007, condamné le mari à payer à l'épouse une contribution d'entretien de 4'000 fr. par mois jusqu'au 30 novembre 2015 et de 2'000 fr. ensuite, et a confirmé le jugement de première instance pour le surplus.
C.
Contre cet arrêt cantonal communiqué aux parties le 20 novembre 2007, le mari a interjeté, le 7 janvier 2008, un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Il conclut, s'agissant de la liquidation du régime matrimonial, à sa libération du paiement du montant de 17'881 fr. 80 et, en ce qui concerne la contribution d'entretien, à ce qu'elle soit fixée à 2'000 fr. pour la période du 1er novembre 2007 au 30 novembre 2015 et à 1'000 fr. depuis lors et pour une durée indéterminée.
L'intimée n'a pas été invitée à répondre au recours.
Considérant en droit:
1.
Formé dans le délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF), compte tenu des féries de fin d'année (art. 46 al. 1 let. c LTF), contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue par une autorité cantonale de dernière instance statuant sur recours (art. 75 LTF), dans une affaire de divorce (art. 72 al. 1 LTF) dont seuls des effets accessoires de nature pécuniaire d'une valeur supérieure à 30'000 fr. sont litigieux (art. 74 al. 1 let. b LTF; ATF 116 II 493 consid. 2b p. 495), le recours en matière de civile est recevable.
2.
Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (art. 105 al. 1 LTF). Il n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 133 III 545 consid. 2.2 et arrêts cités; 127 III 248 consid. 2c).
3.
En ce qui concerne sa condamnation à verser le montant de 17'881 fr. 80 plus intérêts au titre de la liquidation du régime matrimonial, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé "la règle de droit fédéral (art. 95 litt. a LTF) relative à la liquidation du régime matrimonial conventionnel de la communauté des biens".
3.1 Il ressort des constatations de fait de l'arrêt attaqué que le père de l'épouse a remis à celle-ci 150'000 francs français, soit l'équivalent de 37'881 fr. (au taux de change du 15 décembre 1996 non contesté) pour l'achat par les époux en 1986 de leur maison de Cagnes-sur-Mer (France). Cette maison a été revendue en 1996. Le 11 juillet 2000, le mari a remis à sa femme le montant de 20'000 fr. tiré du produit de cette vente. La Cour de justice a considéré que, la séparation de biens ayant été prononcée dans le cadre des mesures protectrices de l'union conjugale, soit pendant le mariage, chaque époux avait alors repris, en vertu de l'art. 189 al. 1 aCC, ses apports, soit les biens qui lui appartenaient au début du régime ou qu'il avait reçus à titre gratuit pendant le régime; le montant de 150'000 francs français reçu à titre gratuit durant le régime de la communauté de biens universelle était donc un apport de l'épouse; celle-ci avait droit par conséquent à une part correspondant à ce montant sur le produit de la vente de l'immeuble, par remploi; partant, le mari restait débiteur du solde de cette part, soit 17 881 fr. (37'881 - 20'000).
3.2 Le recourant ne conteste pas que les libéralités sont des biens réservés, que chaque époux reprend. Il ne conteste pas non plus que l'intimée a reçu une libéralité de 150'000 francs français de la part de son père, qui a été investie dans l'achat de la maison de Cagnes-sur-Mer en 1986. Il soutient toutefois qu'il a, lui aussi, reçu une libéralité de son père de 850'000 fr. et reproche à la cour cantonale de ne pas avoir traité de manière identique sa libéralité, de n'avoir pas indiqué si le produit de la vente avait été individualisé sur un compte ad hoc, d'avoir violé les règles relatives à la liquidation de la communauté de biens en retenant au profit de l'épouse, sans le dire et sans mentionner de fait à l'appui de sa solution, la thèse du remploi de la part du produit de la vente attribuée à l'intéressée, alors que cette thèse eût nécessité de rechercher la trace des fonds durant la période de 1996 au 15 décembre 1999 (date de la séparation des époux), voire 29 mai 2001 (date du jugement ordonnant la séparation de biens).
3.3 Pour peu qu'on la comprenne, cette critique est infondée. La cour cantonale ayant admis que l'épouse avait droit à tout le moins à un montant identique du produit de la réalisation de l'immeuble, elle est partie de l'idée que la vente de l'immeuble avait rapporté un montant net au moins équivalent à son prix d'achat, fait que le recourant ne conteste pas. L'utilisation erronée qu'elle a fait du terme "remploi" n'y change rien. Dès lors que l'épouse n'a reçu que 20'000 fr. sur le prix de vente, la cour cantonale en a implicitement et logiquement déduit que le mari avait gardé le reste. Le grief d'inégalité de traitement des libéralités reçues par chacun des époux soulevé par le recourant est donc infondé. Quant à la "traçabilité" du produit de la vente ou de la part revenant à son épouse, le recourant ne démontre pas qu'il aurait allégué et offert de prouver qu'il avait déjà versé le solde revenant à celle-ci. La liquidation du régime matrimonial étant soumise à la maxime des débats, il n'appartenait pas au juge de rechercher d'office les faits à cet égard.
4.
Le principe d'une contribution à l'entretien de l'épouse n'est pas contesté par le recourant, la cour cantonale ayant retenu à raison qu'il s'agissait d'un mariage de plus de 22 ans de vie commune qui avait concrètement influencé la situation financière de l'épouse (lebensprägend). Le recourant ne conteste pas non plus que la capacité de gain de l'épouse est pratiquement inexistante et que son minimum vital élargi est de 3'975 fr. 80. Il critique en revanche le montant de ses propres charges et, partant, de son disponible, et conclut à ce que la contribution d'entretien de l'épouse, à compter du 1er novembre 2007, soit fixée à 2'000 fr. par mois au lieu de 4'000 fr. et, à compter du 30 novembre 2015 (soit dès l'âge de la retraite à 64 ans de l'épouse), à 1'000 fr. au lieu de 2'000 fr. Il invoque la violation des art. 97 al. 1 LTF et 125 CC.
4.1 La cour cantonale a retenu que le mari, qui gagnait 16'468 fr. 90 net lorsqu'il travaillait, n'avait désormais plus, à 60 ans, de réelle capacité de gain et qu'on ne pouvait lui imputer un revenu hypothétique pour une activité lucrative. Elle a toutefois considéré que lorsque la fortune de l'intéressé ne lui procure aucun ou qu'un faible revenu, on peut prendre en considération le revenu hypothétique moyen de sa fortune, placée au taux d'intérêt usuel; elle a ainsi imputé au mari un revenu de sa fortune mobilière (3'829'719 fr. en 2005) au taux de 3%, soit 9'500 fr. par mois en chiffres ronds; elle y a ajouté le revenu qu'il pouvait tirer de son appartement dans le canton des Grisons, soit 415 fr. net, et a donc arrêté le revenu hypothétique total du mari à 9'915 fr. par mois. Elle a aussi constaté que ce revenu ne permettait pas de maintenir le niveau de vie des époux durant la vie commune.
Au titre des charges du mari, la cour cantonale a admis un montant de 5'261 fr. 30, dont notamment 2'148 fr. 30 d'impôts cantonaux et 40 fr. d'impôt fédéral. Elle a refusé de tenir compte du paiement de cotisations à l'assurance vieillesse, dès lors que le mari n'en avait démontré ni la quotité, ni le paiement effectif.
La cour cantonale a ainsi arrêté le disponible du mari à 4'293 fr. 70. Le minimum vital élargi de l'épouse étant de 3'975 fr. 80, elle a astreint le mari à lui payer une contribution d'entretien de 4'000 fr. jusqu'au 30 novembre 2015 et de 2'000 fr. ensuite, l'épouse n'ayant pas conclu à l'allocation d'un montant supérieur et les expectatives de prévoyance ne devant pas présenter de différences majeures.
4.2 Les griefs du recourant portent uniquement sur le montant de ses charges d'impôts et de cotisations AVS. En ce qui concerne les impôts, il reproche tout d'abord à la cour cantonale d'avoir commis une erreur de calcul (art. 97 al. 1 LTF): elle n'aurait pas tenu compte de sa charge fiscale réelle en 2005 de 37'689 fr. 70, qui ressortait de la pièce 50, parce qu'elle aurait perdu de vue les imputations, notamment de l'impôt anticipé, de 10'116 fr. 25, et se serait basée exclusivement sur la pièce 57; elle aurait par ailleurs commis une erreur de méthode (art. 97 al. 1 LTF) en retenant une charge réelle - basée sur un revenu réel inférieur - et non une charge correspondant au revenu hypothétique admis de 9'915 fr. En relation avec les cotisations AVS, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé les règles fédérales sur le fardeau de l'allégation des faits et de leur contestation en refusant d'admettre sa cotisation de 10'110 fr. par an, qui n'était pas contestée et devait donc être considérée comme admise, d'autant au surplus que l'impossibilité de produire une décision de la caisse AVS était due à une rénitence de l'épouse, qui n'avait pas fourni les renseignements attendus de sa part. Le recourant estime donc que ses charges devraient être arrêtées à 8'857 fr. 35 au lieu de 5'261 fr. 30 et son disponible à 1'057 fr. 65 (9'915 fr. - 8'857 fr. 35) au lieu de 4'293 fr. 70.
4.3 Le sort de ces griefs peut demeurer ouvert, car le recours doit de toute façon être rejeté par substitution de motifs.
5.
En vertu de l'art. 125 al. 1 CC, qui concrétise notamment le principe de la solidarité entre époux, le conjoint dont la situation a été influencée de manière décisive par le mariage et qui n'est pas en mesure de subvenir lui-même à ses propres besoins a droit au maintien du train de vie mené pendant la vie commune, ou à tout le moins au même niveau de vie que l'époux débiteur, et ce même au-delà de l'âge de sa propre retraite. Pour fixer le montant et la durée de la contribution d'entretien, le juge doit tenir compte des critères énumérés non exhaustivement à l'art. 125 al. 2 CC, en particulier de la fortune des époux (ATF 134 III 145 consid. 4; 132 III 598 consid. 9.1; arrêt 5A_132/2007 du 21 août 2007 consid. 4.1 et les arrêts cités).
Le revenu de la fortune est pris en considération au même titre que le revenu de l'activité lucrative et, lorsque la fortune ne produit aucun ou qu'un faible rendement, il peut être tenu compte d'un revenu hypothétique (cf. ATF 117 II 16 consid. 1b; Sutter/Freiburghaus, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, Zurich 1999, n. 50 ss ad art. 125 CC). Lorsque les revenus du travail des époux suffisent à leur entretien, la substance de la fortune n'est normalement pas prise en considération. Mais, en soi, rien ne s'y oppose (Sutter/Freiburghaus, op. cit., n. 54 ad art. 125 CC), la loi elle-même plaçant formellement les deux critères sur un pied d'égalité (art. 125 al. 2 ch. 5 CC). Ainsi, pour la fixation de l'entretien du conjoint après la retraite, la jurisprudence a déjà admis que, suivant la fonction et la composition de sa fortune, on peut attendre du débiteur d'aliments - comme du créancier - qu'il en entame la substance; en particulier, lorsqu'elle a été accumulée dans un but de prévoyance pour les vieux jours, il est justifié de l'utiliser pour assurer l'entretien des époux après leur retraite, alors que tel ne serait en principe pas le cas lorsque les biens patrimoniaux ne sont pas aisément réalisables, qu'ils ont été acquis par succession ou investis dans la maison d'habitation (ATF 129 III 7 consid. 3.1.2, 257 consid. 3.5).
En l'espèce, il n'est pas contesté que les époux n'ont plus d'activité lucrative et que, vu leur âge respectif, une telle activité ne peut plus être exigée d'eux. Les seuls revenus de leur fortune ne leur permettent pas de couvrir leur entretien. Dès lors, puisque le mari dispose d'une importante fortune mobilière (3'829'719 fr. en 2005) et d'un appartement de quatre pièces dans le canton des Grisons, dont la valeur fiscale est de 360'000 fr., il doit être exigé de lui qu'il en entame la substance pour assurer à son épouse la couverture du minimum vital élargi calculé par l'autorité cantonale, qu'il ne critique pas par ailleurs. La question de savoir s'il aurait dû mettre sa fortune à contribution pour assurer à l'épouse le train de vie mené durant le mariage n'a pas à être tranchée en l'espèce.
Le recours doit donc être rejeté par substitution de ce motif.
6.
Vu le sort du recours, les frais de la procédure doivent être mis à la charge du recourant (art. 66 al. 1 LTF). Une réponse n'ayant pas été demandée, il n'y a pas lieu d'allouer de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 28 mai 2008
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Raselli Fellay