BGer 4A_505/2007
 
BGer 4A_505/2007 vom 08.02.2008
Tribunale federale
{T 0/2}
4A_505/2007
Arrêt du 8 février 2008
Ire Cour de droit civil
Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, Président,
Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly et Kiss.
Greffier: M. Abrecht.
Parties
A.________ AG,
recourante, représentée par Me Jean-Marc Gaist,
contre
1. B.________,
2. C.________,
3. D.________,
4. E.________,
5. F.________,
6. G.________ SA,
7. H.________ SA,
8. I.________ SA,
tous représentés par Me Stéphane Jordan,
9. J.________ et dame J.________,
intimés, représentés par Me Raymond Flückiger.
Objet
responsabilité du réviseur de la société anonyme,
recours contre le jugement du Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile I, du 29 octobre 2007.
Faits:
A.
A.a Y.________ SA, avec siège social à ..., a été fondée en 1988. V.________ présidait le conseil d'administration et W.________ en était le secrétaire. A.________ SA (ci-après: A.________), à ..., par sa succursale de ..., était l'organe de révision pour l'exercice 1996.
A.b Y.________ SA a connu en peu d'années un développement très important et occupait en 1996 une centaine de personnes affectées à une dizaine de chantiers. L'un de ceux-ci portait sur la construction, comme entreprise générale et pour un prix forfaitaire de 937'000 fr., d'un immeuble à ... pour les époux J.________. Un autre portait sur la construction, comme entreprise totale et pour un prix forfaitaire de 8'238'518 fr., de l'Hôtel X.________ à ... pour le Konsortium X.________, société simple composée de B.________, C.________, D.________, E.________ et F.________.
A.c Les comptes de l'exercice 1996 ont été présentés et approuvés à l'assemblée générale du 25 avril 1997. Dans son rapport de révision du 14 avril 1997 - le premier qu'elle établissait pour Y.________ SA, ayant été désignée en septembre 1996 -, A.________ indiquait que selon son appréciation, la comptabilité et les comptes annuels étaient conformes à la loi et aux statuts, sous certaines réserves qui avaient trait à un cautionnement solidaire par la société d'un prêt bancaire accordé aux actionnaires principaux.
A.d En raison de ses difficultés financières, Y.________ SA a été invitée par A.________ à établir une situation intermédiaire au 30 juin 1997, que l'organe de révision a examinée le 4 août 1997. Dans son rapport, celui-ci relève l'évolution catastrophique des liquidités, les fonds propres ayant passé de +547'180 fr. 60 à -3'677'720 fr. 77; il constate que « les dispositions légales relatives à la perte en capital (CO 725 al. 2) sont pleinement applicables [et qu'] elles imposent des mesures immédiates, faute de quoi le bilan doit être déposé ».
A.e Les tentatives d'assainissement entreprises ayant échoué, la faillite de Y.________ SA a été prononcée le 10 octobre 1997. Deux éléments ont principalement contribué à la forte aggravation du déficit: d'une part les pertes subies sur les chantiers X.________ et J.________ - qui se sont élevées à respectivement 1'666'855 fr. 43 et 269'009 fr. 37 - et d'autre part le net recul du chiffre d'affaires, sans réduction correspondante des coûts, qui a généré rapidement des pertes considérables.
A.f Les créanciers de la société en faillite ont produit pour près de 19'000'000 fr. Ont notamment été admises les productions du Konsortium X.________ par 6'738'837 fr., des époux J.________ par 741'362 fr. 90, de G.________ SA par 230'881 fr. 55, de I.________ SA par 47'052 fr. et de H.________ SA par 42'821 fr. Ces créanciers ont obtenu la cession des droits de la masse.
B.
Le 14 janvier 2000, les membres du Konsortium X.________, ainsi que G.________ SA, H.________ SA et I.________ SA, ont actionné A.________ en paiement du montant de 1'300'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 25 avril 1997. De leur côté, les époux J.________ ont actionné A.________ en paiement du montant en capital de 165'963 fr. Les causes ayant été jointes, la défenderesse a conclu au rejet des demandes.
Par jugement du 29 octobre 2007, la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais a alloué aux demandeurs leurs conclusions en capital, plus intérêts à 5% l'an dès le 15 janvier 2000, frais et dépens à la charge de la défenderesse.
C.
Agissant par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.________ conclut principalement à la réforme de ce jugement en ce sens que les demandes sont rejetées avec suite de frais et dépens; à titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation du jugement entrepris, la cause étant renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Les intimés concluent avec suite de frais et dépens au rejet du recours.
La recourante a également présenté une requête d'effet suspensif, que le Président de la Cour de céans, après avoir recueilli les déterminations des intimés et de l'autorité cantonale, a rejetée par ordonnance du 3 janvier 2008.
Considérant en droit:
1.
1.1 Interjeté par la partie défenderesse qui a succombé dans ses conclusions libératoires prises devant l'autorité précédente et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF; ATF 133 III 421 consid. 1.1), le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF). Le fait que la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais ait statué en instance cantonale unique et non sur recours (art. 75 al. 2 LTF) ne nuit pas à la recevabilité du recours, dès lors que le délai dont disposent les cantons pour instituer comme autorité cantonale de dernière instance un tribunal supérieur statuant sur recours n'est pas écoulé (art. 130 al. 2 LTF). Portant sur une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est donc en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prévues par la loi (art. 42 LTF).
1.2 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Sous réserve de l'exception prévue par l'art. 106 al. 2 LTF pour la violation de droits fondamentaux ou de dispositions de droit cantonal et intercantonal (cf. ATF 133 II 249 consid. 1.4.2), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF - sanctionnée par l'irrecevabilité des recours dont la motivation est manifestement insuffisante (art. 108 al. 1 let. b LTF) -, le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 133 II 249 consid. 1.4.1; 133 IV 150 consid. 1.2; 133 V 519 consid. 1.3).
1.3 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4135, ch. 4.1.4.2; cf. ATF 133 II 249 consid. 1.4.3, 384 consid. 4.2.2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (ATF 133 III 462 consid. 2.4; 133 II 249 consid. 1.4.3; 133 IV 150 consid. 1.3, 286 consid. 1.4).
2.
Sur la base de l'expertise judiciaire, la cour cantonale a retenu notamment les faits suivants, qui lient en principe le Tribunal fédéral (cf. consid. 1.3 supra).
2.1 Selon les comptes de l'exercice 1996, Y.________ SA a réalisé un chiffre d'affaires de quelque 17'800'000 fr. et un bénéfice d'exploitation de 89'248 fr. 30; les fonds propres déclarés ne s'élevaient qu'à 547'180 fr. 60. Or, comme doit être considérée comme essentielle toute différence de 10% par rapport aux fonds propres déclarés, une variation de l'ordre de 55'000 fr. (10% de 547'000 fr.) dans l'évaluation des différents postes du bilan pouvait modifier considérablement le jugement que le destinataire des comptes était amené à porter sur la situation financière de la société. L'organe de révision en était conscient et avait estimé à 52'000 fr. la différence, qualifiée d'essentielle, propre à fausser ce jugement.
2.2 Les créances concernant les constructions érigées sur terrains de tiers qui étaient en cours d'exécution à la date du bilan devaient être évaluées sur la base de l'avancement des travaux et au besoin rectifiées, par des amortissements ou des provisions si le résultat paraissait inférieur à ce qui était attendu.
En l'espèce, la comptabilité de Y.________ SA, conforme aux exigences de base en la matière, se contentait, s'agissant des différents chantiers, de relever les heures de travail des collaborateurs, mais ne prenait pas en compte les charges liées au matériel, aux sous-traitants, aux frais généraux et aux amortissements. Elle ne permettait dès lors pas, sans évaluation complémentaire lors des opérations de bouclement, de juger de l'état d'avancement et du montant des travaux en cours.
Ce point revêtait cependant une importance décisive au vu du risque latent de surendettement de Y.________ SA. L'organe de révision le savait. Ainsi, dans un document de travail intitulé « travaux en cours », il a expliqué qu'« aucune documentation n'a été conservée sur la manière d'estimer les travaux en cours » et que « [c]ompte tenu de cette insuffisance, nous sommes contraints d'analyser les évaluations de travaux en cours sur la base des affirmations de M. W.________ ainsi que sur la base d'un contrôle analytique du compte de PP afin de vérifier la cohérence de l'évaluation par rapport aux marges comparatives sur 4 exercices ». Il n'a ainsi pas exigé de la société qu'elle procède à l'évaluation complémentaire des chantiers qui seule aurait permis de connaître la valeur des prestations déjà fournies et de celles devant encore l'être.
2.3 Y.________ SA a dressé un tableau synoptique de l'état d'avancement des chantiers au 31 décembre 1996. L'organe de révision y a procédé à deux corrections manuscrites, avec la mention « selon W.________ », l'une pour porter le chiffre d'affaires global de 8'500'000 fr. à 9'000'000 fr., l'autre pour réduire de 4'500'000 fr. à 3'600'000 fr. la charge que représentait la part des sous-traitants sur le solde des travaux à effectuer de 5'200'000 fr. En l'absence de documentation adéquate, les deux rectifications ont donc été faites sur la base des seules déclarations de W.________ et sans possibilité d'en vérifier le bien-fondé d'une quelconque manière.
Comme l'a déterminé après coup l'expert judiciaire, aux constatations duquel la cour cantonale s'est ralliée, le tableau précité ne correspondait pas à la réalité sur plusieurs points:
- En paiement des prestations de Y.________ SA, le Konsortium X.________ a versé 7'404'000 fr. par acomptes mensuels de 617'000 fr. à partir du mois de juin 1996. À fin décembre 1996, c'est un montant de 4'319'000 fr. qui avait ainsi été versé à l'entreprise. Bien que ce montant figure sous la rubrique « facturé », il ne correspondait que pour une faible part à des travaux effectivement réalisés et a été affecté au paiement d'autres dettes de la société;
- le chiffre d'affaires a été compté à 3'300'000 fr. et les réviseurs ont estimé ce chiffre plausible, à la suite de discussions avec la direction de la société et après consultation des documents de chantier; or rien dans le décompte final ne laisse supposer qu'à la fin 1996 l'avancement du chantier aurait pu ne serait-ce qu'approcher cette somme, que les décomptes ultérieurs ont ramenée à 932'352 fr.;
- sur le solde des travaux à effectuer, la part des sous-traitants n'était pas de 3'600'000 fr., mais de 5'726'969 fr.
2.4 La mauvaise évaluation des chantiers en cours et de l'état d'avancement réel des travaux a eu une incidence directe sur les comptes de Y.________ SA et sur l'appréciation de la situation de la société à la date du bouclement de l'exercice 1996.
2.4.1 Le chiffre d'affaires net reporté dans le compte de pertes et profits s'élève à 17'784'916 fr. 77. Après déduction des charges d'exploitation par 16'336'530 fr. 20, le bénéfice brut a été arrêté à 1'448'386 fr. 57. De ce montant ont été déduits 903'723 fr. 15 à titre de frais généraux et 512'527 fr. 45 à titre d'amortissements, et rajouté 57'112 fr. 35 à titre de produits hors exploitation pour aboutir à un bénéfice net de 89'248 fr. 32. Si les travaux en cours de l'immeuble X.________ avaient été pris en compte à leur valeur effective de 932'352 fr. et non à la valeur retenue à tort de 3'300'000 fr. (cf. consid. 2.3 supra), c'est une perte qui aurait été constatée dans le compte de pertes et profits, le résultat et les fonds propres ayant été surestimés de 2'367'648 fr. (3'300'000 fr. - 932'352 fr.) Sur cette base, la cour cantonale a retenu avec l'expert judiciaire que si le projet X.________ avait été correctement estimé au 31 décembre 1996, Y.________ SA se serait révélée surendettée.
2.4.2 Sans pouvoir se fonder sur une documentation adéquate et sur la base des seules déclarations de W.________, l'organe de révision a réduit de 4'500'000 fr. à 3'600'000 fr., soit de 900'000 fr., la part revenant aux sous-traitants sur le solde des travaux à encaisser sur le prix forfaitaire de l'immeuble X.________ (cf. consid. 2.3 supra). L'expert judiciaire, à l'avis duquel la cour cantonale s'est ralliée, en a déduit que « la limite inférieure, au sujet de laquelle même Y.________ SA n'était visiblement pas au clair, correspondait ici à un montant de CHF 900'000 ». L'incertitude liée au chantier X.________ commandait de comptabiliser au minimum une provision de 900'000 fr., étant précisé que pour refléter la situation réelle des sous-traitants, telle que l'expert l'a déterminée après coup, c'est une provision de 2'126'969 fr. (5'726'969 fr. [coût réel des sous-traitants] - 3'600'000 fr.- [coût des sous-traitants estimé au 31 décembre 1996]) qui aurait dû être comptabilisée.
2.4.3 Le seul montant de 900'000 fr. étant déjà supérieur aux fonds propres (547'180 fr. 60), la cour cantonale a retenu avec l'expert judiciaire que si ce montant avait été comptabilisé comme provision, Y.________ SA se serait révélée surendettée, et ce même dans l'hypothèse où l'estimation de 3'300'000 fr. pour les travaux exécutés sur le chantier X.________ avait été correcte. Le constat de surendettement aurait été encore plus clair avec la prise en compte de l'incertitude liée au chantier J.________, qui aurait justifié une provision d'au minimum 30'000 fr., correspondant à la surévaluation que l'organe de révision avait relevée.
2.5 En définitive, compte tenu des doutes importants qu'elle devait nourrir sur l'exactitude des évaluations de chantiers, la recourante aurait dû renvoyer les comptes au conseil d'administration pour modification; dans ce cas de figure, les comptes rectifiés auraient clairement mis en évidence le surendettement de la société.
La cour cantonale a cependant retenu, en se fondant sur l'avis de l'expert judiciaire, que même sans renvoi des comptes pour modification, et sur la base des documents pourtant insuffisants dont elle disposait pour effectuer son contrôle, la recourante aurait pu clairement identifier le surendettement de Y.________ SA lorsqu'elle avait établi son rapport du 14 avril 1997, en tirant les conséquences comptables des incertitudes d'au moins 930'000 fr. liées aux chantiers X.________ et J.________; ce constat, qui aurait impérativement dû figurer dans le rapport, aurait conduit au dépôt immédiat du bilan par le conseil d'administration ou, en cas de carence de celui-ci, par l'organe de révision.
2.6 La comptabilité de Y.________ SA a été tenue jusqu'au 30 juin 1997; un bilan intermédiaire a été établi à cette date. Sur la base des documents en sa possession, l'expert judiciaire a dressé la situation au 15 juin 1997 et évalué, par approximation, la situation à la date de la faillite, le 10 octobre 1997. Se fondant sur les valeurs comptables, il a déterminé qu'entre ces deux dates, le passif avait augmenté de 1'777'818 fr. et le surendettement de 1'881'534 fr. L'accroissement du surendettement résultait essentiellement de la poursuite de l'occupation des employés et de la direction de l'entreprise (1'200'000 fr.), des acquisitions auprès des fournisseurs postérieures au 15 juin 1997 (540'000 fr.) et d'autres frais courants d'exploitation (140'000 fr.).
3.
En droit, l'autorité précédente a retenu que les demandeurs ne faisaient pas valoir un dommage direct qu'ils auraient subi en tant que créanciers de la société faillie, mais qu'ils exerçaient, en tant que cessionnaires des droits de la masse, la prétention de la communauté des créanciers en réparation du dommage causé à la société faillie (cf. ATF 132 III 564 consid. 3.2.2 et les arrêts cités), ce qui n'est pas contesté.
Rappelant les conditions de la responsabilité de l'organe de révision selon l'art. 755 CO, l'autorité précédente a considéré que la recourante avait manqué fautivement à ses devoirs et que ce manquement était en relation de causalité naturelle et adéquate avec l'aggravation du surendettement entre la mi-juin 1997, date à laquelle la faillite aurait été prononcée si la recourante n'avait pas manqué à ses devoirs, et le 10 octobre 2007, date de la faillite. Elle a ainsi admis l'action en responsabilité des intimés, cessionnaires des droits de la masse, dont les prétentions étaient inférieures au dommage subi par la société et devaient dès lors leur être intégralement allouées.
4.
Selon l'art. 755 CO, toutes les personnes qui s'occupent de la vérification des comptes annuels et des comptes de groupe, de la fondation ainsi que de l'augmentation ou de la réduction du capital-actions répondent à l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elles leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité de l'organe de révision fondée sur cette disposition suppose la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir un dommage, un manquement par l'organe à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou par négligence) et un lien de causalité adéquate entre le manquement et le dommage (ATF 127 III 453 consid. 5a; 132 III 342 consid. 4.1 in limine, 564 consid. 4.2; arrêt 4C.506/1996 du 3 mars 1998, reproduit in SJ 1999 I p. 228, consid. 5). Il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), qui sont cumulatives (ATF 128 III 180 consid. 2d; 132 III 564 consid. 4.2; arrêt 4C.281/2004 du 9 novembre 2004, reproduit in SJ 2005 I p. 221, consid. 2.3).
4.1 Pour que la responsabilité de l'organe de révision soit engagée en vertu de l'art. 755 CO, il faut d'abord que l'on puisse lui reprocher la violation fautive d'un devoir lui incombant (ATF 129 III 129 consid. 7).
4.1.1 Les devoirs de l'organe de révision ressortent des art. 728 à 729b CO. Selon l'art. 728 al. 1 CO, le réviseur doit vérifier si la comptabilité, les comptes annuels - qui se composent du compte de pertes et profits, du bilan et de l'annexe (art. 662 al. 2 CO) - et la proposition concernant l'emploi du bénéfice résultant du bilan sont conformes à la loi (cf. art. 662a ss CO) et aux statuts. De manière générale, l'organe de révision n'est pas chargé de contrôler la gestion de la société et de rechercher systématiquement d'éventuelles irrégularités, mais si, au cours de sa vérification, il constate des violations de la loi ou des statuts, il doit en aviser par écrit le conseil d'administration et, dans les cas graves, également l'assemblée générale (art. 729b al. 1 CO, qui correspond matériellement à l'art. 729 al. 3 aCO; ATF 129 III 129 consid. 7.1 et les références citées; 112 II 461 consid. 3c; arrêt 4C.506/1996 du 3 mars 1998, reproduit in SJ 1999 I p. 228, consid. 6a et les arrêts cités).
4.1.2 L'art. 729b al. 2 CO prescrit en outre qu'en cas de surendettement manifeste, l'organe de révision avise le juge si le conseil d'administration omet de le faire (cf. art. 725 al. 2 CO). À l'instar de l'art. 725 al. 2 CO, cette disposition vise à empêcher, dans l'intérêt des créanciers actuels et futurs mais aussi de la collectivité, un retardement de la faillite et une aggravation du surendettement; l'obligation de l'organe de révision d'aviser le juge en cas de surendettement, si elle apparaît atypique au regard des fonctions de cet organe, se justifie par le fait que le conseil d'administration, à qui il incombe en priorité d'aviser le juge (cf. art. 725 al. 2 CO), ne remplira souvent pas correctement ce devoir (arrêt 4C.117/1999 du 6 novembre 1999, consid. 1a et les arrêts cités; Tatjana Linder/Hans Caspar von der Crone, Die Revisionsstelle in der aktuellen bundesgerichtlichen Rechtsprechung, in RSDA 2007 p. 489 ss, 490 et les références citées). L'organe de révision ne doit toutefois intervenir que lorsque le surendettement est manifeste, à savoir lorsque tout homme raisonnable se rend compte sans autres recherches que les actifs ne peuvent couvrir les engagements et qu'aucune postposition suffisante n'est accordée (ATF 127 IV 110 consid. 5a; arrêt 4C.117/1999 précité, consid. 1a). Il n'est pas nécessaire que le surendettement soit important; il suffit qu'il résulte clairement des circonstances (arrêt 4C.117/1999 précité, consid. 1a).
4.1.3 En l'espèce, les juges cantonaux ont exposé que la recourante était consciente du fait que la faiblesse des fonds propres par rapport au chiffre d'affaires de la société conférait un caractère essentiel pour l'exactitude des comptes à une différence de 52'000 fr. seulement de l'un des postes du bilan (cf. consid. 2.1 supra); elle avait en outre constaté l'impossibilité d'évaluer de manière précise l'état d'avancement des chantiers et la situation des travaux en cours en l'absence de documentation adéquate (cf. consid. 2.2 supra). L'autorité cantonale a considéré avec l'expert judiciaire qu'idéalement, en raison des documents insuffisants dont il disposait, l'organe de révision aurait dû nourrir des doutes si importants sur l'exactitude des travaux en cours qu'il devait refuser d'attester les comptes et les renvoyer au conseil d'administration pour modification et complément; s'il l'avait fait, sa responsabilité n'aurait en principe pas été engagée.
Les juges cantonaux ont relevé que la recourante n'avait toutefois pas choisi cette option, attestant au contraire que la comptabilité et les comptes annuels étaient conformes à la loi et aux statuts, sous certaines réserves; or en choisissant cette option, elle aurait dû à tout le moins s'assurer que le principe de prudence avait été strictement appliqué et veiller à ce que les chantiers soient évalués à leur valeur la plus basse; or c'est précisément ce qu'elle n'avait pas fait en montrant une trop grande tolérance avec les chiffres du bilan et en procédant, sur la base des seules déclarations d'un administrateur et d'un contrôle analytique du compte de pertes et profits - moyen dont elle avait pourtant reconnu l'insuffisance - à une rectification propre à modifier de 900'000 fr. la valeur du chantier X.________ (cf. consid. 2.3 supra).
La cour cantonale a considéré que l'organe de révision aurait dû au minimum, avant d'attester la valeur réelle des postes du bilan, tirer les conséquences comptables de l'incertitude de 900'000 fr. liée au chantier X.________ en comptabilisant une provision de 900'000 fr., qui aurait mis en évidence le surendettement de Y.________ SA; ainsi, même sans renvoyer les comptes et sans disposer de l'évaluation complémentaire des chantiers nécessaire à une estimation précise la recourante aurait pu déjà constater à la date de son rapport, à mi-avril 1997, le surendettement manifeste de Y.________ SA (consid. 2.4.2, 2.4.3 et 2.5 supra); en omettant de rendre attentif le conseil d'administration à l'obligation d'en aviser le juge et de procéder elle-même à cet avis en cas de carence du conseil d'administration, la recourante avait manqué fautivement à ses devoirs.
4.1.4 Comme cela résulte clairement de ce qui précède, la cour cantonale a ainsi considéré que la recourante avait engagé sa responsabilité non pas parce qu'elle aurait dû, en l'absence de documentation permettant d'évaluer de manière précise l'état d'avancement des chantiers et la situation des travaux en cours, refuser d'attester les comptes et les renvoyer au conseil d'administration pour modification et complément, mais parce que, ayant choisi d'attester que la comptabilité et les comptes annuels étaient conformes à la loi et aux statuts - sous certaines réserves qui ne jouent aucun rôle dans l'issue du litige (cf. lettre A.c supra) -, la recourante aurait dû, au vu de l'incertitude liée au chantier X.________, comptabiliser une provision de 900'000 fr. qui, eu égard au montant des fonds propres de Y.________ SA (547'180 fr. 60), l'aurait conduite à constater que la société était manifestement surendettée.
4.1.5 Dans la mesure où la recourante s'en prend d'abord au reproche qui lui aurait été fait de ne pas avoir renvoyé les comptes au conseil d'administration, ses griefs tombent donc à faux.
Les griefs formulés ensuite par la recourante en relation avec le chantier J.________ tombent également à faux dans la mesure où, selon les constatations du jugement attaqué fondées sur l'expertise judiciaire, la comptabilisation d'une provision de 900'000 fr. pour le seul chantier X.________ aurait déjà conduit la recourante a conclure au surendettement manifeste de Y.________ SA.
En ce qui concerne le chantier X.________, le reproche déterminant fait à la recourante est de ne pas avoir tenu compte de l'incertitude liée à ce chantier X.________ en comptabilisant une provision de 900'000 fr.; si elle l'avait fait, elle aurait constaté le surendettement manifeste de Y.________ SA, et ce même dans l'hypothèse où l'estimation de 3'300'000 fr. pour les travaux exécutés sur le chantier X.________ avait été correcte (cf. consid. 2.4.3 supra). Dans ces conditions, les griefs de la recourante relatifs à la correction sur le tableau synoptique du chiffre d'affaires global (cf. consid. 2.3 supra), ainsi que ceux relatifs à l'estimation de 3'300'000 fr. pour les travaux exécutés sur le chantier X.________, tombent à faux, dès lors qu'ils portent sur des faits qui sont sans incidence sur l'issue du litige.
4.1.6 Il reste ainsi à examiner si c'est à tort, comme le soutient la recourante, que la cour cantonale, suivant l'avis de l'expert judiciaire, a déduit du tableau synoptique de l'état d'avancement des chantiers au 31 décembre 1996 qu'une évaluation prudente du chantier commandait de tenir compte d'une incertitude de 900'000 fr. en comptabilisant une provision de même montant.
Il résulte des constatations de fait du jugement attaqué que Y.________ SA a dressé un tableau synoptique de l'état d'avancement des chantiers au 31 décembre 1996; l'organe de révision y a corrigé la charge que représentait la part des sous-traitants sur le solde des travaux à effectuer en la réduisant de 4'500'000 fr. à 3'600'000 fr., avec la mention « selon W.________ »; en l'absence de documentation adéquate, cette rectification a été faite sur la base des seules déclarations de W.________ et sans possibilité d'en vérifier le bien-fondé d'une quelconque manière (consid. 2.3 supra).
Sur le vu même des chiffres fournis par Y.________ SA, il existait ainsi manifestement une incertitude de 900'000 fr. sur l'évaluation de la valeur du chantier X.________. En l'absence de documentation, cette incertitude ne pouvait pas être levée sur la seule base d'un contrôle analytique du compte de pertes et profits, tel que l'a effectué la recourante (cf. consid. 2.2 supra); celle-ci ne pouvait se contenter de constater que le montant relatif aux sous-traitants « corrigé à 3'600'000 fr. entrait [...] parfaitement dans la logique des travaux en cours, puisqu'il correspondait à 40% du chiffre d'affaires global attendu de 9'000'000 fr. », comme elle le fait valoir dans son recours.
Comme l'a retenu l'autorité cantonale à la suite de l'expert judiciaire, l'incertitude liée au chantier X.________ commandait, en application du principe de la prudence, de comptabiliser une provision de 900'000 fr. Or il est constant que comme ce seul montant de 900'000 fr. était déjà supérieur aux fonds propres (547'180 fr. 60), la comptabilisation d'une telle provision aurait conduit au constat du surendettement manifeste de Y.________ SA (cf. consid. 2.4.3 supra).
4.1.7 En définitive, on ne voit pas que la cour cantonale ait violé le droit fédéral en retenant, sur la base de faits dont la recourante ne démontre pas qu'ils auraient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. consid. 1.3 supra), que la recourante avait fautivement manqué à ses devoirs d'organe de révision découlant de l'art. 729b al. 2 CO.
4.2 Pour que la responsabilité de la recourante soit engagée sur la base de l'art. 755 CO, il faut encore que ses manquements fautifs à ses devoirs aient causé un dommage à la société.
4.2.1 Selon la jurisprudence, le dommage causé à la société du fait que les administrateurs (cf. art. 754 CO) ou les réviseurs (cf. art. 755 CO) ont tardé de manière fautive à aviser le juge (cf. art. 725 al. 2 et 729b al. 2 CO) consiste dans l'augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si le défendeur n'avait pas manqué à ses devoirs et le moment où la faillite a effectivement été prononcée (ATF 132 III 564 consid. 6.2; arrêt 4C.117/1999 du 6 novembre 1999, consid. 2b).
4.2.2 Dire s'il y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait, qui lie en principe le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 et 2 LTF); en revanche, celui-ci, qui applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), peut examiner si la notion juridique de dommage a été méconnue (ATF 132 III 564 consid. 6.2; 130 III 145 consid. 6.2; 129 III 18 consid. 2.4 et les arrêts cités).
4.2.3 En l'espèce, les juges cantonaux ont retenu en fait, en se fondant sur les conclusions de l'expert judiciaire, qu'entre le 15 juin 1997, date à laquelle la faillite de Y.________ SA aurait été prononcée si la recourante n'avait pas manqué à ses devoirs, et le 10 octobre 1997, date à laquelle la faillite a effectivement été prononcée, le passif de Y.________ SA avait augmenté de 1'777'818 fr. et le surendettement de 1'881'534 fr.; l'accroissement du surendettement résultait essentiellement de la poursuite de l'occupation des employés et de la direction de l'entreprise (1'200'000 fr.), des acquisitions auprès des fournisseurs (540'000 fr.) et d'autres frais courants d'exploitation (140'000 fr.) (cf. consid. 2.6 supra). La cour cantonale a ainsi arrêté à 1'881'534 fr. le dommage subi par la société du fait du comportement fautif de la recourante.
4.2.4 À juste titre, la recourante ne reproche pas à l'autorité précédente d'avoir méconnu la notion juridique du dommage en retenant que celui-ci correspondait à l'aggravation du surendettement entre le moment de la faillite hypothétique et celui où la faillite a réellement été prononcée. Elle soutient en revanche que la constatation selon laquelle le montant de 1'881'534 fr. correspond au dommage subi par la société reposerait sur une appréciation arbitraire des preuves: en effet, pour appliquer sainement la théorie de la différence, les juges cantonaux auraient dû soustraire de l'augmentation de l'endettement - qu'ils qualifient d'« aggravation du surendettement » - les importantes créances pour prestations postérieures à la mi-juin 1997 qui auraient nécessairement dû être inscrites à l'actif du bilan final de Y.________ SA; ils auraient également dû tenir compte du fait que les 1'200'000 fr. de frais de personnel et les frais courants d'exploitation de 140'000 fr. auraient très certainement été aussi en partie encourus (indemnités de licenciement, vacances impayées, etc.) si la faillite avait été prononcée à la mi-juin et que d'autres factures n'auraient pas été payées dans cette même éventualité. Selon la recourante, l'état de fait retenu par la cour cantonale empêcherait ainsi d'appliquer correctement le droit matériel, de sorte qu'il y aurait lieu de le compléter par un certain nombre de constatations pertinentes ressortant du rapport d'expertise judiciaire.
4.2.5 Ces griefs sont dénués de fondement. Il résulte clairement de l'expertise judiciaire que l'expert n'a pas pris en compte le seul accroissement du passif pendant la période litigieuse, qu'il a chiffré à 1'777'818 fr., mais aussi l'accroissement du surendettement, qu'il a chiffré à 1'881'534 fr.; il a précisé que ce chiffre se basait sur la comparaison de la situation des actifs de Y.________ SA au 10 juin 1997 et au 10 octobre 1997 et que d'après ses constatations, aucune prestation n'avait été facturée pendant cette période. S'il ressort bien des passages du rapport d'expertise par lesquels la recourante souhaite compléter l'état de fait que des prestations ont encore été fournies pendant la période litigieuse sur les chantiers X.________ et J.________, absolument rien ne permet d'étayer l'affirmation de la recourante selon laquelle Y.________ SA aurait encore « réalisé des produits importants », ni même de retenir que les prestations fournies pendant cette période n'étaient pas déjà intégralement couvertes par les acomptes déjà versés. Enfin, rien n'indique que les frais de personnel encourus ensuite de la faillite prononcée le 10 octobre 1997 (indemnités de licenciement, vacances impayées) diffèrent de ceux qui auraient été encourus ensuite d'une faillite hypothétique au 15 juin 2007. La constatation du montant du dommage résiste ainsi aux griefs d'arbitraire formulés par la recourante.
4.3 La responsabilité de l'organe de révision n'est engagée que si le comportement fautif qui lui est reproché est en relation de causalité adéquate avec le résultat dommageable (ATF 129 III 129 consid. 8).
4.3.1 Dans la partie de son recours intitulée « lien de causalité », la recourante reproche d'abord aux juges cantonaux d'avoir violé son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) en « n'expliquant pas pourquoi le conseil d'administration de Y.________ SA aurait immédiatement saisi le juge si l'organe de révision avait fait état d'un surendettement avéré dans son rapport »; elle fait valoir que le droit d'être entendu impliquerait que le juge motive ses décisions par rapport à un cas concret et ne renvoie pas uniquement abstraitement à de la jurisprudence.
Selon la jurisprudence, le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., implique notamment l'obligation pour le juge de motiver ses décisions, afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause, mais aussi à ce que l'autorité de recours puisse contrôler l'application du droit; il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 133 III 439 consid. 3.3; 133 I 270 consid. 3.1; 129 I 232 consid. 3.2; 126 I 97 consid. 2b et les arrêts cités).
4.3.2 En l'espèce, l'autorité précédente a considéré que la recourante, qui aurait dû constater à la date de son rapport, à mi-avril 1997, le surendettement manifeste de Y.________ SA, devait rendre attentif le conseil d'administration à son obligation découlant de l'art. 725 al. 2 CO et lui fixer un délai de 4 à 6 semaines (cf. arrêt 4C.117/1999 du 6 novembre 1999, consid. 1b/aa) pour aviser le juge; dans l'hypothèse où le conseil d'administration aurait omis de le faire, il aurait appartenu à la recourante d'aviser elle-même le juge (art. 729b al. 2 OC), qui aurait ainsi pu prononcer la faillite au plus tard le 15 juin 1997.
Une telle motivation, qui énonce tous les éléments qui ont conduit la cour cantonale à retenir que la faillite de Y.________ SA aurait pu être prononcée à mi-juin 1997 si la recourante avait satisfait à ses obligations, est parfaitement claire et suffisante.
La recourante ne saurait par ailleurs tirer argument du fait que, comme l'auraient reconnu les intimés J. et dame J.________ dans leur mémoire-réplique du 4 décembre 2000, les administrateurs n'auraient pas donné suite à l'invitation de l'organe de révision à déposer le bilan. En effet, dans ce cas, il aurait précisément appartenu à la recourante, constatant au terme d'un délai de 4 à 6 semaines que le conseil d'administration ne satisfaisait pas à ses obligations, d'aviser elle-même le juge comme le lui imposait l'art. 729b al. 2 CO, de sorte que la faillite aurait pu être prononcée au plus tard le 15 juin 1997.
4.3.3 Toujours dans la partie de son recours intitulée « lien de causalité », la recourante fait enfin valoir que l'organe de révision ne doit aviser le juge que si le surendettement est manifeste, soit si toute personne peut constater que les actifs ne couvrent plus les dettes; or selon elle, le surendettement de Y.________ SA n'aurait pas été manifeste au vu des informations dont elle disposait à la mi-avril 1997, car on ne pouvait pas dire que toute personne aurait évalué les chantiers X.________ et J.________ à leur valeur la plus basse.
Ce grief est infondé. Comme on l'a vu (cf. consid. 4.1.2 supra), le surendettement est manifeste lorsque tout homme raisonnable se rend compte sans autres recherches que les actifs ne peuvent couvrir les engagements; il n'est pas nécessaire que le surendettement soit important, dès le moment où il résulte clairement des circonstances. Or en l'espèce, il existait clairement, sur le vu des chiffres fournis par Y.________ SA et qui n'étaient étayés par aucune documentation, une incertitude de 900'000 fr. sur l'évaluation de la valeur du chantier X.________. Cette incertitude, qui ne pouvait pas être levée sur la seule base d'un contrôle analytique du compte de pertes et profits, commandait, en application du principe de la prudence, de comptabiliser une provision de 900'000 fr. Or comme ce seul montant de 900'000 fr. était déjà supérieur aux fonds propres (547'180 fr. 60), tout homme raisonnable pouvait se rendre compte que les actifs de Y.________ SA ne couvraient pas ses engagements (cf. consid. 4.1.6 supra).
5.
5.1 Devant la cour cantonale, la recourante a invoqué l'abus de droit, en soutenant que les intimés avaient grandement contribué à la faillite et que, par leur participation active à des tentatives d'assainissement, ils avaient provoqué le retard dans le dépôt de bilan qu'ils reprochaient maintenant à la recourante.
Les juges cantonaux ont considéré qu'aucun abus de droit ne pouvait être reproché aux intimés. Il n'était en effet pas établi que les intimés aient été à l'origine de la faillite de Y.________ SA. De plus, un assainissement était manifestement dans l'intérêt de la société et de ses créanciers, et l'on ne pouvait donc reprocher aux intimés de l'avoir encouragé. Rien au dossier ne laissait supposer que les intimés aient influencé d'une manière ou d'une autre la recourante pour qu'elle ne tire pas les conséquences de la situation qu'elle pouvait constater. Il n'y avait dès lors aucun lien entre les manquements imputés à l'organe de révision et l'éventuel appui donné par les intimés à des tentatives d'assainissement.
5.2 Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Savoir s'il y a un tel abus dépend de l'analyse des circonstances du cas concret (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 121 III 60 consid. 3d), au regard des catégories typiques d'abus de droit développées par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 125 III 257 consid. 2a; 120 II 105 consid. 3a), telles que l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 123 III 200 consid. 2b; 115 III 18), l'utilisation contraire à son but d'une institution juridique (ATF 128 II 145 consid. 2.2; 122 III 321 consid. 4a), la disproportion grossière des intérêts en présence (ATF 132 III 115 consid. 2.4; 129 III 493 consid. 5.1) ou encore, à certaines conditions, l'attitude contradictoire (venire contra factum proprium; ATF 129 III 493 consid. 5.1; 125 III 257 consid. 2a; 121 III 350 consid. 5b; 115 II 331 consid. 5a; 110 II 494 consid. 4 p. 498, 106 II 320 consid. 3a).
5.3 Devant le Tribunal fédéral, la recourante fait valoir qu'elle se plaint non pas du fait que les intimés aient encouragé un assainissement, mais de ce qu'ils aient requis la cession du droit de la masse d'agir en responsabilité contre elle, en vue de lui reprocher de ne pas avoir préconisé un dépôt de bilan qu'ils s'étaient eux-mêmes bien gardés de suggérer de manière à pouvoir bénéficier d'une continuation de l'exploitation. La recourante sollicite à cet égard le complètement de l'état de fait sur la base de l'expertise judiciaire, dont il ressort qu'après le 15 juin 1997, Y.________ SA a encore fourni 328,5 heures de travail pour le projet J.________ et 4'903,5 heures de travail ainsi que 5'448,8 heures de fabrication pour le projet X.________. Selon elle, le comportement des intimés serait ainsi abusif dans la mesure où ils lui reprochent d'avoir agi conformément à leurs voeux et à leurs intérêts.
5.4 Les griefs de la recourante ne trouvent aucune assise dans les constatations de fait du jugement attaqué, même s'il fallait compléter celles-ci par le constat des prestations fournies par Y.________ SA pour les projets des intimés postérieurement à la mi-juin 1997. Il n'est en effet nullement établi que les intimés auraient agi de manière à pouvoir bénéficier d'une continuation de l'exploitation de Y.________ SA, tout en se réservant d'obtenir ultérieurement la cession d'une hypothétique action en responsabilité de la société contre l'organe de révision. Il n'est pas établi que les intimés aient été au courant de la situation de Y.________ SA comme l'était la recourante en sa qualité d'organe de révision, ni qu'ils aient pu savoir que celle-ci aurait dû à l'époque déjà aviser le juge en application de l'art. 729b al. 2 CO, ni qu'ils aient eu à l'époque un quelconque contact avec la recourante. Celle-ci avait le devoir d'aviser le juge, si le conseil d'administration de Y.________ SA ne le faisait pas, du surendettement manifeste de la société qu'elle aurait dû constater. Par son omission - dont rien n'indique qu'elle ait été influencée d'une quelconque manière par l'attitude des créanciers -, la recourante a causé un dommage à la société elle-même, et tout créancier était fondé à demander la cession des droits de la masse pour agir en réparation de ce dommage, sans qu'il puisse lui être reproché un quelconque abus de droit. Au demeurant, lorsqu'un créancier exerce, en tant que cessionnaire des droits de la masse, la prétention de la communauté des créanciers en réparation du dommage causé à la société faillie (cf. consid. 3 supra), il ne peut se voir opposer sa propre faute éventuelle (ATF 117 II 432 consid. 1b/gg p. 440).
6.
En définitive, le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires, ainsi que les dépens des intimés (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera aux intimés B.________, C.________, D.________, E.________, F.________, G.________ SA, H.________ SA et I.________ SA une indemnité de 17'000 fr. à titre de dépens.
4.
La recourante versera aux intimés J.________ et dame J.________ une indemnité de 17'000 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile I.
Lausanne, le 8 février 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Corboz Abrecht