BGer 4C.145/2003
 
BGer 4C.145/2003 vom 07.11.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.145/2003 /ech
Arrêt du 7 novembre 2003
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, Président, Favre et Pagan, Juge suppléant.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Jacques Ballenegger, avocat, rue Beau-Séjour 10, case postale 2860, 1002 Lausanne,
contre
A.________, demandeur et intimé, représenté par Me François Pidoux, avocat, case postale 893, 1800 Vevey,
les époux B.________,
appelés en cause et intimés, représentés par
Me Jacques Haldy, avocat, galerie Saint-François A, case postale 3473, 1002 Lausanne.
Objet
contrat d'entreprise; légitimation,
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 23 avril 2002.
Faits:
A.
A.a
Par contrat du 4 mars 1987, modifié le 24 novembre 1987, X.________ SA s'est engagée à réaliser, "clé en main", une villa familiale à Z.________ pour le compte des époux B.________, moyennant un prix global et forfaitaire de 490'000 fr. Le contrat précisait que les travaux d'aménagements extérieurs n'étaient pas inclus dans ce prix et seraient facturés en sus aux époux B.________.
X.________ SA a agi à la fois comme entrepreneur général et comme architecte en ce qui concerne les prestations forfaitaires. Le contrat ne permet pas de déterminer le rôle qu'elle a joué relativement aux travaux non compris dans le forfait.
Les époux B.________ ont emménagé en 1989 dans la villa.
A.b Le 25 janvier 1989, A.________, jardinier paysagiste, a adressé à X.________ SA un devis de 38'789 fr. 45, rabais inclus, pour les travaux d'aménagements extérieurs concernant la villa des époux B.________.
Les travaux ont été adjugés à cet entrepreneur. Ils ont été exécutés principalement d'avril à juin 1989 et ont débuté à un moment où les travaux de construction de la villa étaient déjà achevés pour l'essentiel. Une partie importante, si ce n'est la totalité, des travaux d'aménagements extérieurs a été réalisée alors que X.________ SA s'occupait encore activement du chantier et en tout cas de la surveillance des travaux. Un certain nombre de travaux supplémentaires par rapport au devis ont été exécutés, tels que le captage d'une source. Les époux B.________ ont, en outre, demandé directement à A.________ de procéder à divers travaux - plantation de thuyas, fauchage, etc. - dont le coût total s'est élevé à 3'006 fr. 05.
A.________ n'a pas eu affaire aux époux B.________ avant la fin des travaux exécutés par lui. Lorsque des difficultés sont survenues dans l'exécution de ceux-ci, les époux B.________ se sont adressés à X.________ SA.
A.c Le 21 août 1989, X.________ SA a fait parvenir aux époux B.________ son décompte final, lequel ne renfermait aucune rubrique quant aux aménagements extérieurs.
Le 4 septembre 1989, A.________ a adressé à X.________ SA un récapitulatif portant sur deux factures pour un total de 69'600 fr., rabais et fraction déduits. Le 15 novembre 1989, il lui en a réclamé le paiement à concurrence de 90%, le solde devant être acquitté à la fin de la même année.
Par virement bancaire du 27 novembre 1989, les époux B.________ ont versé à A.________ la somme de 40'000 fr.
Le 28 janvier 1994, A.________, à la demande de X.________ SA, a envoyé à celle-ci un deuxième récapitulatif rectifié et plus détaillé, mais portant sur le même total et laissant apparaître un solde de 29'600 fr., compte tenu de l'acompte de 40'000 fr.
Dans la correspondance qu'ils ont échangée ultérieurement, X.________ SA a contesté devoir quoi que ce soit au jardinier paysagiste.
B.
En date du 14 novembre 1994, A.________ a assigné X.________ SA en paiement de 29'600 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 1990. La défenderesse a conclu à libération sous suite de frais et dépens.
Le 7 mai 1996, le demandeur a appelé en cause les époux B.________. Le 17 février 1997, tout en maintenant ses conclusions à l'encontre de la défenderesse, il a requis, de manière alternative, que les appelés en cause soient condamnés à lui verser la même somme et les intérêts y afférents. Les appelés en cause ont invité la juridiction saisie à rejeter les conclusions prises à leur encontre par le demandeur et, subsidiairement, à enjoindre la défenderesse de les relever de toute condamnation pécuniaire envers le demandeur.
Le 21 octobre 1998, la défenderesse a proposé le rejet des conclusions subsidiaires prises contre elle par les appelés en cause.
Par jugement du 23 avril 2002, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a condamné la défenderesse à payer au demandeur la somme de 21'467 fr. 65 plus intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 1990. Elle a, en outre, condamné solidairement les appelés en cause à payer au demandeur la somme de 3'006 fr. 05 avec intérêts à 5% l'an dès le 9 mai 1996.
C.
La défenderesse interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral en vue de faire constater qu'elle ne doit rien au demandeur.
Ce dernier conclut au rejet du recours, alors que les appelés en cause s'en rapportent à justice.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le présent recours est recevable sous cet angle.
1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252; 126 III 59 consid. 2a). Dans la mesure où la partie recourante se fonde sur un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'y a pas lieu d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 543 consid. 2c p. 547; 126 III 189 consid. 2a).
2.
La seule question encore litigieuse devant le Tribunal fédéral consiste à déterminer la partie - défenderesse ou appelés en cause - avec qui le demandeur a contracté. Pour résoudre cette question, il convient d'appliquer les règles générales régissant l'interprétation des manifestations de volonté.
2.1 Le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 127 III 444 consid. 1b). Il faut rappeler qu'un accord peut résulter non seulement de déclarations expresses concordantes, mais aussi d'actes concluants (art. 1 al. 2 CO).
Déterminer ce qu'un cocontractant savait et voulait au moment de conclure relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral (ATF 118 II 58 consid. 3a; 113 II 25 consid. 1a p. 27). Si la cour cantonale parvient à se convaincre d'une commune et réelle intention des parties, il s'agit d'une constatation de fait qui ne peut être remise en cause dans un recours en réforme (ATF 126 III 25 consid. 3c, 375 consid. 2e/aa; 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa). Les circonstances survenues postérieurement à la conclusion du contrat, notamment le comportement des parties, constituent un indice de la volonté réelle des parties (ATF 118 II 365 consid. 1 p. 366, 112 II 337 consid. 4a p. 343 et l'arrêt cité).
Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si elle est divergente, le juge doit interpréter les déclarations et les comportements selon la théorie de la confiance (cf. ATF 127 III 444 consid. 1b). Il doit donc rechercher comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (cf. ATF 126 III 59 consid. 5b p. 68, 375 consid. 2e/aa p. 380). Il doit être rappelé que le principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 127 III 279 consid. 2c/ee p. 287).
L'application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut examiner librement (ATF 127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid. 2e/aa). Pour trancher cette question de droit, il faut cependant se fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du fait (ATF 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123 III 165 consid. 3a).
2.2 En l'espèce, la Cour civile cantonale a constaté souverainement (art. 63 al. 2 OJ):
- que les travaux d'aménagements extérieurs n'étaient pas compris dans le prix "clé en main" de 490'000 fr. relatif à la villa des appelés en cause, mais seraient facturés en sus à ces derniers;
- que la défenderesse assumait le rôle d'un entrepreneur général et d'un architecte;
- qu'en date du 25 janvier 1989, le demandeur avait envoyé à la défenderesse le devis concernant les aménagements extérieurs de la villa; que les factures concernant les travaux réalisés par lui ont été adressées à la défenderesse; que les procès-verbaux de chantier, d'où ressort notamment l'adjudication des travaux au demandeur, étaient tenus par celle-ci, de sorte que le jardinier paysagiste ne pouvait que penser avoir conclu un contrat avec l'entrepreneur général;
- qu'une partie importante des travaux d'aménagements extérieurs, si ce n'est leur totalité, avait été exécutée alors que le demandeur s'occupait activement du chantier et, en tout cas, de la surveillance des travaux;
- que, lors des difficultés survenues au moment de l'édification d'un mur en plots et de la pose de dalles par le demandeur, les appelés en cause s'étaient adressés à la défenderesse;
- que le demandeur n'a pas eu affaire aux appelés en cause avant la fin de ses travaux et qu'il n'avait pas connaissance du contrat conclu par ces derniers avec la défenderesse;
- que celle-ci n'a jamais précisé à l'égard du demandeur avoir agi au nom des appelés en cause.
Force est de retenir, au regard de ces circonstances et des principes juridiques rappelés plus haut, que le comportement de la défenderesse et du demandeur autorisait les premiers juges à en inférer l'existence d'un contrat d'entreprise liant ces deux parties relativement aux travaux d'aménagements extérieurs de la villa des appelés en cause. Il en ressort effectivement que le demandeur n'a traité qu'avec la défenderesse, exception faite de travaux mineurs que les appelés en cause lui ont commandés directement par la suite, si bien qu'il pouvait admettre de bonne foi que l'entrepreneur général était son partenaire contractuel. Au demeurant, dans la mesure où elle se fonde sur le comportement adopté par les parties postérieurement à la conclusion du contrat portant sur ces travaux, semblable déduction ne peut pas être examinée par la juridiction fédérale de réforme.
2.3 La défenderesse soutient, par ailleurs, n'avoir agi qu'en qualité de représentant des appelés en cause, d'autant plus qu'elle avait joué le rôle d'un architecte.
2.3.1 L'art. 32 al. 1 CO dispose que les droits et obligations dérivant d'un contrat fait au nom d'une autre personne par un représentant autorisé passent au représenté, le représentant n'étant dès lors pas lié par l'acte accompli. Les effets de la représentation ne naissent que si le représentant dispose du pouvoir de représentation, c'est-à-dire s'il est habilité à faire naître les droits et obligations directement en faveur et à la charge du représenté, et si le représentant a la volonté d'agir comme tel (ATF 126 III 59 consid. 1b p. 64).
A cet égard, ce qui est déterminant, d'après les constatations de l'autorité cantonale, c'est que la défenderesse n'a jamais indiqué au demandeur qu'elle agissait au nom des appelés en cause. Il ne résulte pas des faits retenus par les premiers juges que l'intéressée aurait manifesté une telle volonté ni qu'elle aurait adopté un comportement permettant au demandeur d'en inférer clairement l'existence d'un rapport de représentation. Ainsi, il ne pouvait y avoir de représentation directe, au sens de l'art. 32 CO, dans le cas concret.
2.3.2 En revanche, lorsqu'une personne agit en son propre nom, mais pour le compte d'une autre personne, on est en présence d'un cas de représentation dite indirecte: le contrat ne lie alors que les parties en présence et ne déploie aucun effet direct sur le représenté, lequel ne peut acquérir de droits ou d'obligations qu'en vertu d'une cession de créance ou d'une reprise de dette postérieure à la conclusion du contrat (ATF 126 III 59 consid. 1b p. 64).
En l'occurrence, les faits retenus par la cour cantonale évoquent assurément la figure juridique de la représentation indirecte, les appelés en cause étant les représentés et la défenderesse le représentant. La défenderesse s'étant chargée de réaliser une construction "clé en main" et ayant joué le rôle d'un entrepreneur général, il était logique que, pour les aménagements extérieurs, qui n'étaient pas englobés dans le forfait, elle assumât la même mission, à charge pour ses clients de lui verser, comme le prévoyait le contrat, le montant qui lui serait réclamé par l'entreprise qu'elle mettrait en oeuvre.
Le comportement adopté par les appelés en cause corrobore d'ailleurs ce qui précède. De fait, au moment où des problèmes avaient surgi lors de l'édification d'un mur en plots et de la pose de dalles, les appelés en cause s'étaient adressés à la défenderesse et non pas au demandeur. Celui-ci n'a d'ailleurs pas eu affaire à eux avant la fin de son activité, et l'on ne peut rien déduire de concluant en sens contraire du seul fait qu'ils lui ont commandé des travaux supplémentaires dans la phase d'achèvement du chantier.
2.3.3 De même, le fait que la défenderesse avait également assumé le rôle d'architecte pour le compte des appelés en cause n'est pas déterminant pour la raison déjà que l'intéressée n'a pas agi au nom de ceux-ci dans ses rapports avec le demandeur, mais en son propre nom.
2.4 Cela étant, il n'apparaît pas que la Cour civile ait violé le droit fédéral en admettant que la défenderesse était le titulaire passif de la créance litigieuse et, partant, en lui reconnaissant la légitimation pour résister à l'action en paiement ouverte contre elle par le demandeur.
3.
S'agissant de savoir avec qui le demandeur a contracté, la question de la bonne foi de cette personne ne paraît se poser que dans le cadre du principe de la confiance.
Quoi qu'il en soit, à supposer que l'on retienne par hypothèse que l'art. 3 al. 2 CC puisse être pris en considération, on ne voit pas comment il serait possible d'opposer cette disposition au demandeur. Il résulte des faits de la cause que la présence du jardinier paysagiste sur le chantier a été dûment requise à la suite de l'envoi d'un devis en bonne et due forme, qu'elle n'a donné lieu à aucune contestation et que le demandeur n'a pas entrepris des travaux non commandés. Dans ces conditions, il est manifeste que le demandeur pouvait légitimement penser que ses factures seraient honorées sans difficultés après l'exécution de l'ouvrage, que ce soit par la défenderesse ou par les appelés en cause. L'affaire ne présentant aucun caractère inhabituel, il n'y avait pas matière à exiger de l'entrepreneur une prudence accrue l'incitant à s'enquérir avec précision de la personne qui allait le payer et à requérir des garanties (cf. ATF 119 II 23 consid. 3c/aa p. 27).
Dès lors, en tant qu'elle impute au demandeur un comportement qui serait contraire à la bonne foi, la défenderesse ne peut pas être suivie.
4.
La défenderesse reproche encore à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC. Cette disposition interdit au juge de considérer comme établi un fait pertinent allégué par une partie pour en déduire son droit, alors que ce fait, contesté par la partie adverse, n'a pas reçu un commencement de preuve (ATF 114 II 289 consid. 2a). En revanche, lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge de la réalité ou de l'inexistence d'un fait, la question de l'application de l'art. 8 CC ne se pose plus; seul le moyen tiré d'une appréciation arbitraire des preuves, à invoquer impérativement dans un recours de droit public, est alors recevable (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 122 III 219 consid. 3c), voie qui n'a pas été suivie par la défenderesse.
Ainsi, dans la mesure où, à la suite d'une appréciation des preuves, la Cour civile cantonale a retenu notamment le fait que le demandeur n'avait pas eu affaire aux appelés en cause avant la fin de ses travaux et qu'il avait traité avec la seule défenderesse relativement aux travaux litigieux, il n'y a pas de place pour une violation de l'art. 8 CC.
5.
Dans ces conditions, le présent recours ne peut qu'être rejeté en tant qu'il est recevable. La défenderesse, qui succombe, devra payer l'émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ) et verser des dépens au demandeur (art. 159 al. 1 OJ). En revanche, elle n'aura pas à indemniser les appelés en cause, puisque ceux-ci n'ont pas déposé de réponse au recours.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à A.________ une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 7 novembre 2003
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: