BGE 139 IV 168
 
21. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public de la République et canton de Genève (recours en matière pénale)
 
6B_651/2012 du 28 février 2013
 
Regeste
Art. 133 StGB; Raufhandel.
 
Sachverhalt
A. Par jugement du 25 janvier 2012, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu X. coupable de rixe (art. 133 al. 1 CP). Il l'a condamné à une peine privative de liberté de six mois, a renoncé à révoquer le sursis accordé par la Cour d'assises le 17 septembre 2008, a dit que le sursis accordé par le Juge d'instruction de Lausanne le 24 février 2010 n'était pas révoqué, a ordonné la levée du traitement ambulatoire ordonné par la Cour d'assises et mis à sa charge les frais de la procédure à raison d'un tiers.
Dans le cadre de la même procédure, deux prévenus ont été reconnus coupables de, respectivement, rixe et vol et sept prévenus ont été acquittés du chef de rixe, soit parce qu'il subsistait un doute quant à leur présence sur place, soit que leur rôle n'avait pas dépassé des actes de défense, soit que leur geste consistant à lancer des bouteilles n'avait pas dépassé la légitime défense, s'agissant d'une attaque lors de laquelle des coups de couteau potentiellement mortels avaient été donnés.
B. Par arrêt du 24 septembre 2012, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a rejeté l'appel formé par X. et l'a condamné aux frais d'appel. Elle s'est fondée sur les principaux éléments de fait suivants.
Dans la nuit du 7 au 8 août 2009, une bagarre a éclaté au Jardin anglais à Genève entre deux groupes de plusieurs personnes. Au cours de celle-ci, les uns ont lancé des bouteilles alors que d'autres ont fait usage de spray lacrymogène, notamment. L'un des participants a par ailleurs reçu des coups de couteau. X. a lancé un vélo en direction du groupe auquel appartenait la personne blessée.
C. X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 24 septembre 2012. Il conclut à son acquittement et à ce qu'une indemnité au sens de l'art. 429 CPP lui soit allouée, subsidiairement, à ce qu'il soit mis au bénéfice du sursis et plus subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il a sollicité l'assistance judiciaire.
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.
 
Extrait des considérants:
1.1.1 Du point de vue légal, la rixe constitue une altercation physique entre au minimum trois protagonistes qui y participent activement, laquelle doit avoir entraîné la mort d'une personne ou des lésions corporelles. Considérant que, en pareilles circonstances, il peut se révéler difficile de prouver qui a tué ou blessé, le législateur a voulu éviter qu'un événement peut-être grave reste sans réaction sociale adéquate (cf. ATF 106 IV 246 consid. 3b p. 250; TRECHSEL/FINGERGUTH, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 2e éd. 2013, n° 1 ad art. 133 CP; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd. 2010, nos 1 et 2 ad art. 133 CP). L'acte incriminé ne porte ainsi pas sur le fait de donner la mort ou d'occasionner des lésions corporelles, mais sur la participation à une rixe en tant que comportement mettant en danger la vie ou l'intégrité corporelle des participants ou de tiers. Il convient donc de sanctionner chacun des participants indépendamment de sa responsabilité personnelle par rapport à l'atteinte à la vie ou à l'intégrité corporelle survenue dans ce contexte (arrêt 6B_111/2009 du 16 juillet 2009 consid. 1.2). La survenance de la mort d'une personne ou des lésions corporelles ne constitue pas un élément objectif de l'infraction, mais une condition objective de punissabilité, sur laquelle ne doit pas nécessairement porter l'intention (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.2 p. 4; ATF 106 IV 246 consid. 3f p. 252 s.).
1.1.2 Selon la jurisprudence, celui qui abandonne le combat avant la réalisation de cette condition objective de punissabilité peut être sanctionné en application de l'art. 133 CP, dans la mesure où il est admis que sa participation antérieure a stimulé la combativité des participants de telle sorte que le danger accru auquel ils étaient exposés s'est prolongé au-delà du temps de participation de chacun séparément (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.2 p. 3 s.; ATF 106 IV 246 consid. 3d p. 251 s.).
STRATENWERTH/JENNY/BOMMER (Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil, vol. I, 7e éd. 2010, § 4 n° 30) considèrent que, s'il peut être admis que celui qui quitte une rixe avant que la lésion ne survienne a contribué à échauffer les esprits d'une manière telle qu'elle se prolonge après son départ, la lésion qui se produit avant que la personne n'intervienne ne résulte pas du potentiel de danger engendré par la participation à la rixe. PETER AEBERSOLD (in Basler Kommentar, Strafrecht, vol. II, 2e éd. 2007, n° 15 ad art. 133 CP) et MARTIN SCHUBARTH (in Kommentar zum schweizerischen Strafrecht, vol. I, 1982, n° 16 ad art. 133 CP) relèvent en outre que des difficultés de preuve peuvent surgir pour établir le moment où la lésion se produit et celui où la personne quitte la rixe ou y entre. Ils considèrent cependant qu'il résulte de l'idée qui est à la base de l'infraction de rixe que la dangerosité particulière de la participation n'est punissable que quand elle a été la cause du résultat qui s'est produit. TRECHSEL/FINGERGUTH (op. cit., n° 7 ad art. 133 CP) et BERNARD CORBOZ (op. cit., n° 9 ad art. 133 CP) partagent l'avis selon lequel n'est punissable pour rixe que celui qui intervient avant que la lésion ne soit causée, sans toutefois fournir une motivation particulière.
D'autres auteurs estiment au contraire que celui qui n'intervient qu'après que la lésion a été causée est également punissable pour rixe. ERNST HAFTER considère ainsi que c'est la participation qui est punissable, à savoir le fait d'être présent au moment de la bagarre et d'y contribuer. La participation est possible aussi longtemps que celle-ci dure, de la première attaque jusqu'au dernier coup compris dans une unité de temps. Le moment auquel la lésion est causée n'importe pas (ERNST HAFTER, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil, vol. I, 1937, § 10 p. 45 s.; cf. également, dans le même sens, ROBERT FORRER, Der Raufhandel im schweizerischen Recht, 1929, p. 62 s.). Selon JOSEF AUFDENBLATTEN également, la loi n'exige pas que la participation soit effective au moment où la lésion est commise et un participant est aussi punissable en l'absence de lien de causalité entre ses actes et la lésion (JOSEF AUFDENBLATTEN,Die Beteiligung am Raufhandel, 1955, p. 55). PETER NOLL estime par ailleurs que la rixe est une infraction de mise en danger de sorte qu'il n'importe pas qu'il y ait un lien de causalité entre la participation de la personne et la condition objective de punissabilité. Seul est déterminant le fait que la rixe forme une unité (PETER NOLL, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil, vol. I, Delikte gegen den Einzelnen, 1983, p. 65). En droit allemand, qui comprend une disposition similaire à l'art. 133 CP (cf. § 231 StGB; § 227 aStGB), le Bundesgerichtshof a considéré que la participation à une rixe devait être admise même si la personne intervient alors que la lésion a déjà été causée. La Cour a considéré que la participation aux bagarres entre plus de deux personnes doit déjà être sanctionnée compte tenu de la dangerosité de celles-ci. Il doit en résulter la mort ou des lésions corporelles, ce qui constitue une condition objective de punissabilité. Il n'est en revanche pas déterminant, pour que la participation soit punissable, que les actes du participant soient la cause des conséquences qui se sont produites. Il suffit que celles-ci aient pour origine la bagarre prise dans son ensemble (BGH 16 [1962] 130, cité in THOMAS FISCHER, Strafgesetzbuch und Nebengesetze, 60e éd. 2013, n° 8b ad § 231 StGB).
Il ressort du texte de l'art. 133 CP que cette disposition permet de punir l'auteur en raison de sa seule participation à la rixe et du caractère typiquement dangereux de celle-ci, et non en fonction du résultat (cf. Message du 26 juin 1985 concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire, FF 1985 II 1021 ss, 1054 ch. 214. 5). L'art. 133 CP portait d'ailleurs à l'origine le titre marginal de "participation à une rixe". La nécessité qu'une lésion ait été causée a pour fonction de limiter le caractère pénal d'une telle participation aux bagarres qui sont dangereuses et ainsi de ne pas réprimer n'importe quelle altercation (cf. STRATENWERTH/JENNY/BOMMER, op. cit., § 4 n° 25 p. 90; Bull.Stén. 1929 CN 98). La survenance de la mort de l'un des participants ou de lésions corporelles constitue un indice de la dangerosité de la bagarre et elle définit un seuil à partir duquel cette dernière doit être réprimée. Cette condition objective de punissabilité permet uniquement de définir quelle bagarre est suffisamment grave pour être pénalement répréhensible. Elle est en revanche sans rapport avec la question de la participation. La rixe est réprimée en raison de sa dangerosité, dont la lésion qui en résulte n'en est que le symptôme (cf. STRATENWERTH/JENNY/BOMMER, op. cit., § 4 n° 18 p. 88). Toute personne qui entre dans une rixe au cours de laquelle une lésion a été causée, quel que soit le moment, participe ainsi à une altercation dont la dangerosité est avérée, ce qui justifie que son comportement soit réprimé.
Il est admis qu'il doit exister un lien de causalité entre la rixe et la lésion (cf. BERNARD CORBOZ, op. cit., n° 12 ad art. 133 CP). Pour être punissable en vertu de l'art. 133 CP, il n'est en revanche pas nécessaire que celui qui a pris part à la rixe ait lui-même causé la lésion. Le fait d'occasionner la mort ou des lésions corporelles est sanctionné séparément, en concours avec l'art. 133 CP, s'il est possible d'identifier celui qui a causé ce résultat (cf. ATF 118 IV 227 consid. 5b p. 229) et son identification n'exclut pas que les autres participants soient punissables pour rixe. En outre, si, conformément à la jurisprudence, celui qui quitte une rixe avant que la lésion ne soit causée est punissable au motif qu'il a contribué à stimuler la combativité des participants (cf. ATF 106 IV 246 consid. 3d p. 251 s.), cela ne signifie pas que, a contrario, celui qui ne participe qu'après n'est pas punissable puisqu'il n'a pas pu contribuer à la dangerosité de la rixe. Il ne ressort pas des travaux préparatoires que la volonté du législateur aurait été de rattacher d'une quelconque manière la lésion à un participant pour que l'art. 133 CP lui soit applicable. Cette disposition constitue un délit de mise en danger. Elle n'exige aucun lien entre les agissements du prévenu et la lésion et rend punissable celui qui participe, indépendamment du fait qu'il a causé d'une manière ou d'une autre la lésion (cf. ATF 83 IV 191 p. 192). La jurisprudence admet d'ailleurs que celui qui prend une part active à une altercation avant l'intervention d'une troisième personne, puis qui se comporte de manière passive uniquement, participe à une rixe (ATF 137 IV 1 consid. 4.3.1 p. 5). Or, dans une telle hypothèse, celui qui est resté passif après l'intervention de la troisième personne n'a pas pu contribuer, par ses agissements, à stimuler les autres participants à la rixe. Le fait qu'une personne n'étant pas présente au moment où la lésion s'est produite, elle n'a pas pu contribuer, d'une manière directe ou indirecte, à causer cette dernière n'est ainsi pas déterminant. Il est uniquement nécessaire que le comportement de l'intéressé se trouve dans un rapport d'unité de temps et de lieu avec la rixe au cours de laquelle la lésion a été causée.
La création d'un délit spécial de mise en danger de la vie et de l'intégrité corporelle du fait de la participation découle du constat que rechercher qui, dans un combat entre plusieurs personnes, est le véritable responsable de la mort ou des lésions qui y ont été provoquées est souvent une tâche vouée à l'échec (Message, op. cit., FF 1985 II 1021 ss, 1054 ch. 214. 5; cf. également ATF 137 IV 1 consid. 4.2.2 p. 4; ATF 83 IV 191 p. 192). Le législateur a ainsi voulu éviter qu'un événement grave puisse rester sans réponse sociale adéquate (CORBOZ, op. cit., n° 1 ad art. 133 CP). Déterminer le moment auquel la lésion a été commise et quelles étaient les personnes qui participaient à ce moment précis est tout aussi difficile qu'établir qui est l'auteur du coup qui a causé la lésion, compte tenu de la grande confusion qui règne dans ce genre de bagarre. Ainsi, de même qu'il serait insatisfaisant de laisser impuni un participant au motif qu'il n'est pas établi s'il a causé la lésion, il serait tout aussi insatisfaisant de le laisser impuni au motif qu'on ne sait pas quand a été causée la lésion et s'il est intervenu avant ou après que celle-ci ne se produise. Interpréter l'art. 133 CP en ce sens qu'il permettrait à chaque prévenu de requérir de l'accusation qu'elle établisse qu'il est entré dans la rixe avant que la lésion n'ait été causée rendrait très difficile, voire impossible une condamnation pour rixe et irait à l'encontre du but recherché par le législateur qui a précisément voulu éviter que des problèmes de preuve permettent de laisser impuni un comportement socialement répréhensible. Le fardeau de la preuve porte uniquement sur la participation. En outre, cela risquerait de créer une inégalité de traitement entre les participants puisque celui dont on a pu établir qu'il était intervenu juste avant que la lésion survienne pourrait être puni, alors que celui dont il n'est pas possible de savoir à quel moment il est intervenu, et qui adopte exactement le même comportement, ne serait pas punissable, et cela, alors même que c'est la participation en tant que telle qui est réprimée.
En définitive, dans la mesure où l'art. 133 CP punit la participation à une rixe en elle-même et où il n'est pas nécessaire qu'il y ait un lien de causalité entre l'activité d'un participant et la lésion, il doit être considéré que toute personne qui participe à une rixe est punissable, indépendamment du fait que cette participation intervienne avant ou après que la mort ou les lésions corporelles ont été causées. Une telle interprétation est conforme à la volonté du législateur ainsi qu'au texte, au sens et au but de la loi.
1.2 Il résulte de ce qui précède que le fait que le plaignant a été blessé avant que le recourant participe à la rixe ne suffit pas à exclure que ce dernier soit punissable en vertu de l'art. 133 CP. Le grief doit être rejeté.