BGE 110 IV 80
 
25. Arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 1984 dans la cause W. contre Ministère public du canton de Fribourg (pourvoi en nullité)
 
Regeste
1. Art. 139 Ziff. 1 und 139 Ziff. 1bis StGB.
2. Art. 137 StGB.
Wer mittels seiner Karte am Postomat Geld abhebt im Bewusstsein, dass die Deckung fehlt, macht sich nicht der Veruntreuung, sondern des Diebstahls schuldig (E. 2).
 
Sachverhalt
A.- W. a cambriolé la poste de Marly (Fribourg) le 29 octobre 1982. Il s'était muni d'un revolver, non chargé selon lui, qu'il avait braqué sur le personnel en proférant des menaces. Il avait ainsi contraint une employée à tenir un sac en plastique à l'intérieur duquel il a mis l'argent volé, soit 5'025 francs.
Du 23 au 28 juin 1983, W. a effectué 11 prélèvements pour un montant total de 2'400 francs au Postomat, alors que son compte de chèques postaux ne présentait pas une provision suffisante.
B.- Le 9 novembre 1983, le Tribunal criminel de la Sarine a reconnu W. coupable de brigandage, de vol et, pour d'autres faits qui ne sont plus en cause en l'espèce, d'abus de confiance, d'escroquerie et d'infractions à la LStup. Il l'a condamné à la peine de 20 mois d'emprisonnement, sous déduction de 27 jours de détention préventive.
W. s'étant pourvu en cassation, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal fribourgeois, statuant le 12 mars 1984, a partiellement admis le recours en ce qui concerne l'abus de confiance, et elle a confirmé le jugement de première instance en ce qui concerne les préventions de brigandage qualifié au sens de l'art. 139 ch. 1bis et de vol au sens de l'art. 137 CP.
C.- W. se pourvoit en nullité auprès de la Cour de cassation du Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué en demandant à n'être condamné que pour brigandage simple, à l'exclusion du brigandage qualifié et du vol. Il demande en outre à bénéficier de l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit:
1. a) En ce qui concerne le brigandage, le recourant fait grief à l'autorité cantonale d'avoir retenu le brigandage qualifié au sens de l'art. 139 ch. 1bis CP, pour le motif que cette disposition s'applique même quand l'auteur ne s'est muni que d'une arme non chargée. Selon lui, c'est uniquement l'art. 139 ch. 1 CP qui aurait dû être retenu, à l'exclusion de l'art. 139 ch. 1bis CP, qui n'aurait pu trouver application que s'il avait été muni d'une arme chargée, même assurée ou non armée, ou, à tout le moins, que s'il avait emporté de la munition adaptée à l'arme considérée, ce qui n'était pas le cas. Il résulterait en effet du texte des art. 137 ch. 2 al. 3 et 139 ch. 1bis CP, auxquels on ne saurait donner une interprétation différente, que l'on devrait considérer les armes à feu comme une espèce particulière de la catégorie plus générale des armes dangereuses. Or on ne saurait qualifier d'arme dangereuse un fusil ou un pistolet défectueux, ou pour lequel le porteur ne dispose pas de munition.
Par ailleurs, le recourant relève que l'autorité cantonale n'a pas retenu que l'arme dont il s'est servi eût également pu être utilisée comme objet dangereux.
b) Comme le relève à juste titre l'arrêt attaqué, sous l'empire des anciennes dispositions relatives au brigandage, l'auteur d'une menace effectuée au moyen d'une arme à feu non chargée serait tombé sous le coup de l'art. 139 ch. 1 CP et non sous celui de l'art. 139 ch. 2 CP. Cette jurisprudence s'expliquait par la sévérité de la peine réprimant le brigandage qualifié - 5 ans de réclusion au moins (ATF 72 IV 55). Dans son Message concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire, le Conseil fédéral a rappelé (FF 1980 I p. 1217) que la revision envisagée faisait suite à quatre interventions parlementaires visant à doter le droit pénal d'une disposition assurant une meilleure protection contre les actes de violence criminelle et que, partant, la définition des éléments constitutifs du vol et du brigandage qualifié avait été précisée; le fait de s'être muni d'une arme à feu ou d'une autre arme dangereuse devait dorénavant constituer une circonstance aggravante nouvelle. Le Conseil fédéral a mentionné notamment, comme dangereux, les grenades à main, les bombes, les pétards à gaz, les sprays, les coups-de-poing américains et certaines autres armes blanches. L'expression "s'être muni", a-t-il exposé, indique clairement que l'infraction est qualifiée non seulement lorsque l'auteur utilise son arme, mais lorsqu'il l'a à disposition, puisqu'il compte en faire usage, ne serait-ce que pour menacer autrui ou pour couvrir sa fuite. Il ressort de ces explications et d'ailleurs de la rédaction même des art. 137 ch. 2 al. 3 et 139 ch. 1bis CP, dont les termes sont quasiment identiques, que la circonstance aggravante dépend du caractère objectivement dangereux (cf. ATF ATF 107 IV 111 et ATF 108 IV 20) de l'arme à feu et non de l'impression qu'elle peut faire sur la victime ou sur des tiers. On ne pourra en conséquence prendre en considération, pour qualifier l'infraction, que des armes à feu "dangereuses", c'est-à-dire susceptibles de tirer pendant l'exécution de l'acte délictueux (ATF 107 IV 111 /112), ou tout au moins caractérisées par une forme ou un poids tels qu'elles puissent présenter un danger pour autrui équivalent à celui que constitue le coup-de-poing américain mentionné dans le Message. En revanche, une arme à feu factice, une arme à feu défectueuse ou une arme à feu pour laquelle l'auteur ne dispose pas de munition à proximité (soit sur lui, sur un comparse, dans son véhicule ou dont il s'est débarrassé peu avant son arrestation) ne peut justifier la sanction aggravée, sous réserve de son éventuelle qualification d'arme contondante dangereuse.
Au vu de ce qui précède, c'est à tort que l'autorité cantonale a retenu à la charge du recourant l'infraction réprimée à l'art. 139 ch. 1bis CP pour le seul motif que le recourant était muni d'une arme à feu dont elle ne contestait pas qu'elle n'était peut-être pas apte au tir faute d'être chargée. Toutefois, la solution qu'elle avait adoptée l'a détournée d'éclaircir deux points qui étaient de nature à justifier néanmoins l'aggravation de la qualification de l'infraction; aussi la cause doit-elle lui être renvoyée pour qu'elle statue à nouveau, après avoir décidé si le recourant aurait pu rapidement - soit pendant le déroulement des faits constitutifs du brigandage - approvisionner son arme, ou si celle-ci présentait des caractéristiques permettant son emploi comme arme contondante dangereuse. On observe encore que, même si ces deux questions devaient être résolues par la négative, l'application de l'art. 139 ch. 1 CP à la place de l'art. 139 ch. 1bis CP ne conduirait pas nécessairement à une modification importante de la peine, dès lors que celle-ci a été fixée de toute manière dans la partie inférieure de l'échelle de la répression possible.
2. a) Le recourant prétend ensuite qu'il ne s'est pas rendu coupable de vol en prélevant 2'400 francs auprès d'installations Postomat, au moyen de sa carte, alors que son compte était à découvert. Selon lui, il y a bien vol lorsque le prélèvement est fait par une personne non autorisée au moyen d'une carte soustraite à l'ayant droit, ainsi que lorsque l'automate est brisé ou que son mécanisme est faussé de quelque manière que ce soit par l'auteur du prélèvement. Il conteste en revanche que l'on puisse sans autre assimiler à de tels comportements l'attitude de celui qui est détenteur légitime d'une carte et qui fait fonctionner normalement l'automate, du seul fait qu'il ne dispose pas d'une couverture suffisante. Le porteur légitime d'une carte serait dans une certaine mesure copossesseur des billets de banque enfermés dans l'automate, en vertu de l'autorisation qui lui est donnée de s'approprier de ceux-ci à concurrence de 500 francs par jour. On ne saurait dès lors prétendre que le bris de possession implique que l'auteur agisse contre la volonté du propriétaire. Certes existe-t-il en l'espèce des dispositions contractuelles déterminant les conditions d'utilisation de la carte Postomat, mais l'acte considéré se présenterait bien plus comme la violation d'un rapport de confiance que comme une atteinte à un pouvoir de fait. Les PTT ayant renoncé à établir un programme électronique empêchant les dépassements de ligne de crédit, ils ne sauraient invoquer dans une telle hypothèse la protection de l'art. 137 CP, car il n'y aurait pas bris de possession au sens de cette disposition, mais atteinte à un rapport de confiance, justifiant tout au plus l'application de l'art. 140 CP. Une telle disposition ne serait toutefois pas applicable, pas plus que celles réprimant l'escroquerie et l'obtention frauduleuse d'une prestation au sens de l'art. 151 CP, faute de ruse.
b) Il s'agit, en premier lieu, d'examiner si, en l'espèce, les conditions de l'art. 137 ch. 1 CP sont remplies. Comme le Tribunal fédéral l'a relevé (ATF ATF 104 IV 73), la soustraction implique la violation de la possession d'autrui et la création d'une nouvelle possession, en général en faveur de l'auteur. La possession comprend pour l'essentiel deux éléments: le pouvoir de fait sur une chose ainsi que la volonté d'exercer ce pouvoir (STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil. I, 3 éd., p. 195 n. 79, avec jurisprudence et doctrine citées). Les moyens et la manière qu'utilise l'auteur pour priver le possesseur de son pouvoir de disposition importent peu; ils peuvent être fondés sur la force, la ruse, l'adresse, voire la simple exploitation d'une occasion favorable. Selon la jurisprudence (ATF 104 IV 73), on doit admettre, au regard des règles commerciales en vigueur, que l'exploitant d'un appareil Postomat (ou Bancomat) n'accepte de transférer la possession de la marchandise qu'à la condition que l'usager respecte de son côté les conditions contractuelles, c'est-à-dire utilise l'appareil conformément aux prescriptions. De même que celui qui héberge un étranger dans sa maison dont il lui a donné la clé, ne partage pas avec lui la possession de son mobilier, de même l'administration des PTT n'abandonne sa possession sur les billets approvisionnant ses installations de Postomat que lorsque ces dernières sont utilisées conformément aux instructions. Le fait qu'un appareil puisse être mis frauduleusement en marche et qu'une prestation puisse ainsi être obtenue d'une manière illicite ne change rien à cela. Il s'ensuit que dans ce cas, comme dans celui d'appareils automatiques distributeurs de marchandises, l'usage illicite de l'installation constitue bien une dépossession et que si, partant, les autres éléments constitutifs du vol sont réunis, seul l'art. 137 CP s'applique en tant que règle spéciale dérogeant à la disposition plus générale de l'art. 151 CP (ATF ATF 104 IV 75 consid. 1c).
In casu, on constate que, dans la déclaration d'adhésion signée par le recourant, il est bien écrit que le participant au service des chèques et virements de l'entreprise des PTT suisses prend note "qu'il n'est pas admis d'émettre des chèques pour un montant supérieur à l'avoir en compte", et ce en caractères gras. Or, selon les constatations de fait de l'autorité cantonale, le recourant ne pouvait pas raisonnablement ignorer que les onze prélèvements effectués excédaient sa provision. Il le savait si bien qu'à partir du moment où la couverture n'était plus suffisante, il n'a plus effectué d'encaissements au guichet, se limitant aux prélèvements par l'intermédiaire du Postomat; c'est donc à juste titre que l'autorité cantonale a retenu le vol et non l'art. 151 CP, ou l'abus de confiance, ou encore l'escroquerie (voir RSJ 1971 vol. 67, p. 227; voir aussi Österreich. JZ 1983, p. 236). Le pourvoi doit en conséquence être rejeté sur ce point.