BGE 82 IV 177
 
38. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 2 novembre 1956 dans la cause Camiciotti contre Ministère public du canton de Genève et Mauron.
 
Regeste
Art. 268 Abs. 2 BStP. Zulässigkeit der Nichtigkeitsbeschwerde gegen Urteile der Cour de justice de Genève, an die gestützt auf Art. 406 Ziff. 5 genf. StPO appelliert worden war.
 
Sachverhalt
A.- Le 20 août 1955, Mauron l'ayant traité de "grand imbécile", Camiciotti lui a lancé au visage une boulette de pain de la grosseur d'un noyau de pêche, lui causant une légère blessure à l'oeil.
Statuant sur ces faits, le 26 mars 1956, le Tribunal de police de Genève a condamné Camiciotti à 5 fr. d'amende pour voies de fait (art. 126 CP), en bref par les motifs suivants:
Camiciotti devait prévoir qu'en lui lançant un objet au visage, il pouvait faire quelque mal à Mauron. Il y a donc eu au moins dol éventuel de sa part. Mais il faut retenir à sa décharge que son adversaire venait de le traiter de "grand imbécile". L'art. 177 al. 3 CP n'est pas applicable, parce qu'il ne pourrait l'être que dans une poursuite engagée "sur la base de l'art. 177 CP" et que la sommation, en l'espèce, ne vise pas cette disposition légale.
Le condamné ayant appelé de ce jugement, la Cour de justice de Genève a déclaré l'appel irrecevable, le 21 avril 1956. Les considérants de cet arrêt se résument comme il suit:
Camiciotti a été condamné à une amende de moins de 50 fr.; son appel ne sera donc recevable que s'il "consacre une violation de la loi" (art. 406 ch. 5 CPP gen.). "Tel n'est pas le cas, le Tribunal ayant usé sans arbitraire de son pouvoir souverain d'appréciation des faits de la cause en jugeant sur le vu des dépositions recueillies et du dossier que le jet d'un corps dur par Camiciotti contre Mauron avait, étant donné les circonstances dans lesquelles il a eu lieu et ses conséquences, le caractère d'une voie de fait initiale, exercée volontairement pour porter atteinte à l'intégrité corporelle de Mauron et non d'une manifestation de mépris pour léser l'honneur dudit Mauron." Au surplus, l'art. 177 al. 3 CP ne serait applicable que si Camiciotti avait porté plainte contre Mauron pour injure. Tel n'étant pas le cas, Mauron n'est pas "délinquant", car il n'est pas poursuivi; Camiciotti n'est pas non plus l'injurié. Force était donc d'engager la poursuite sur la base de l'art. 126, qui punit la voie de fait initiale. "Le Tribunal n'a pas violé cet article en admettant au regard de toutes les circonstances, et dans son libre pouvoir d'appréciation, exercé sans arbitraire, que les conditions en étaient réunies."
B.- Camiciotti s'est pourvu en nullité. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce qu'il plaise à la Cour de céans l'exempter de toute peine en vertu de l'art. 177 al. 3 CP.
C.- La Cour de justice conclut à l'irrecevabilité, éventuellement au rejet du recours. A la demande de la Cour de céans, elle a précisé, dans un mémoire distinct, l'étendue de son pouvoir d'examen, spécialement en ce qui concerne l'application du droit fédéral, lorsque, comme dans la présente espèce, elle est saisie d'un appel fondé sur l'art. 406 ch. 5 CPP gen.
D.- Le Procureur général du canton de Genève déclare s'en remettre à justice sur la recevabilité du pourvoi; sur le fond, en revanche, il conclut au rejet.
E.- Mauron conclut à l'irrecevabilité et subsidiairement au rejet du pourvoi.
 
Considérant en droit:
1. Aux termes de l'art. 268 al. 2 PPF, le pourvoi en nullité est ouvert contre les jugements qui ne peuvent donner lieu à un recours de droit cantonal pour violation du droit fédéral, c'est-à-dire contre les jugements cantonaux de dernière instance. Un jugement sur recours ne présente ce caractère que si l'autorité dont il émane avait à revoir librement l'application du droit fédéral (RO 71 IV 223). En l'espèce, le Tribunal de police de Genève n'ayant prononcé qu'une simple amende inférieure à 50 fr., son jugement, appelable en principe, ne l'était cependant que pour "violation du texte même de la loi" selon l'art. 406 ch. 5 CPP gen. Dans son arrêt Tinivella du 19 décembre 1947 (non publié), la Cour de céans a admis que ce texte légal ne permet pas au juge d'appel genevois de revoir librement l'application du droit fédéral, qu'il lui donne sans doute pouvoir de vérifier si la loi pénale en soi a été exactement comprise (interprétation de la loi), mais non pas si l'application de cette loi aux faits de la cause (qualification juridique des faits) est correcte. Elle en a conclu que, saisie d'un appel conformément à l'art. 406 ch. 5 CPP gen., la Cour de justice ne peut revoir librement l'application du droit fédéral et que son arrêt ne peut donc faire l'objet d'un pourvoi en nullité.
L'application de ces principes dans la présente espèce emporterait l'irrecevabilité du pourvoi. Cependant, il résulte des réponses faites par la Cour de justice aux questions qui lui ont été posées dans la présente procédure que l'art. 406 ch. 5 CPP gen. ne limite pas le pouvoir d'examen du juge d'appel autant qu'on l'a dit dans l'arrêt Tinivella. Selon l'avis exprimé par la Cour de justice, il n'y a pas lieu de faire aucune différence entre la violation du texte même de la loi (art. 406 ch. 5 CPP gen.) et la violation de la loi (art. 437 ch. 1 CPP gen.). La loi est violée, d'une part, lorsque le Tribunal de police a apprécié les preuves arbitrairement et, en outre, lorsqu'il a fait une erreur soit dans l'interprétation de la loi, soit dans la qualification juridique des faits. Il s'ensuit que, saisie d'un appel en vertu de l'art. 406 ch. 5 CPP gen., la Cour de justice de Genève revoit librement l'application du droit fédéral, de la même façon que le fait la Cour de céans, saisie d'un pourvoi en nullité.
C'est donc le fondement même de l'arrêt Tinivella qui s'avère erroné. La jurisprudence instituée par cet arrêt ne saurait être maintenue; il faut admettre au contraire que les arrêts de la Cour de justice sur les appels formés en vertu de l'art. 406 ch. 5 CPP gen. peuvent faire l'objet de pourvois en nullité. Tel est le cas dans la présente espèce.
Les autres conditions de forme étant par ailleurs remplies, le présent pourvoi est recevable. Peu importe à cet égard que, dans le dispositif de l'arrêt entrepris, la Cour de justice ait déclaré irrecevable l'appel interjeté contre le jugement du Tribunal de police du 26 mars 1956. En réalité, elle a revu librement l'application du droit fédéral et c'est cela seul qui est décisif du point de vue des art. 268 et 269 PPF.
Cependant, les voies de fait que vise l'art. 177 al. 3 CP comprennent non seulement celles qui lèsent l'honneur et que réprime l'art. 177 al. 1 CP, mais aussi celles qui, atteignant la victime dans son intégrité corporelle, appellent l'application de l'art. 126 CP. S'il avait voulu en disposer autrement, le législateur n'aurait pas mentionné alternativement l'injure et les voies de fait; il s'en serait tenu au premier de ces termes, l'injure, selon l'art. 177 al. 1, pouvant consister aussi dans des voies de fait. Cette interprétation littérale est confirmée par le but même de l'art. 177 al. 3, qui est de permettre au juge de renoncer à la peine lorsque les antagonistes se sont fait justice eux-mêmes, sur-le-champ, et que le litige est de si peu d'importance que l'intérêt public n'exige pas d'autre sanction. Si l'auteur d'une injure peut se voir exempté de toute peine, parce qu'il n'a fait que répondre à une autre injure, il doit en aller de même, à fortiori, lorsque, comme en l'espèce, l'injurié a répondu non par une injure, mais par l'infraction sensiblement moins grave encore que constituent les voies de fait (RO 72 IV 22). Contrairement donc à ce qu'a admis la Cour de justice par une interprétation erronée du droit fédéral, alors même que l'acte retenu contre Camiciotti serait constitutif de voies de fait au sens de l'art. 126 CP, l'application de l'art. 177 al. 3 CP ne serait pas néanmoins exclue.
La Cour de justice a dit qu'en outre l'art. 177 al. 3 CP n'est pas applicable dans la présente espèce, parce que Camiciotti n'a pas porté plainte contre Mauron pour injure. Mais il ne résulte nullement du texte légal qu'à défaut d'une plainte de sa part, la victime d'une injure ne puisse être mise au bénéfice de l'art. 177 al. 3 lorsqu'elle a riposté immédiatement par une injure ou par des voies de fait. Qu'elle ait porté plainte ou non, elle est "l'injurié" et l'auteur de l'injure est un "délinquant". Aussi bien, si le juge peut punir l'auteur de la première injure et libérer en même temps l'injurié, qui a répondu par une autre injure ou par des voies de fait, ne voit-on pas que l'on puisse rien déduire du fait que celui-là échappe à toute peine, soit que le juge le libère de par l'art. 177 al. 3, soit qu'aucune plainte n'ait été portée contre lui.
En définitive, alors même que Camiciotti se serait rendu coupable de voies de fait proprement dites, qui tomberaient en principe sous le coup de l'art. 126 CP, il faudrait examiner s'il ne se justifierait pas de le libérer en vertu de l'art. 177 al. 3 comme si cette disposition légale, dans la mesure où elle concerne aussi les voies de fait, était partie intégrante de l'art. 126. C'est dès lors contrairement au droit fédéral que le Tribunal de police a refusé d'appliquer l'art. 177 al. 3, considérant que, selon la jurisprudence constante, il "ne peut fonder son jugement sur une disposition légale qui n'est pas visée dans la sommation", laquelle, en l'espèce, ne mentionnait effectivement que l'art. 126.
Par ces motifs, la Cour de cassation pénale:
Admet le pourvoi, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour que celle-ci se prononce à nouveau.