BGE 144 III 552
 
66. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. et consorts contre A1. SA (recours en matière civile)
 
5A_344/2018 du 18 septembre 2018
 
Regeste
Art. 260 SchKG; Abtretung eines Rechtsanspruchs der Masse, uneigentliche notwendige Streitgenossenschaft, Aktivlegitimation, Beweismass.
 
Sachverhalt
A.
A.a La faillite de la société en commandite B1. a été prononcée le 1er décembre 2011.
A.b Le 3 mai 2016, l'Office des faillites de l'arrondissement de Lausanne (ci-après: l'Office) a porté à l'inventaire une créance détenue par la société faillie à l'encontre de la société A1. SA pour un montant de 649'262 fr. 47 dû au 31 décembre 2006.
A.c Le 17 juin 2016, A., B., C. SA, D. Ltd, E., F., G. et H.A., I. Llc, J. Ltd, K. SA, L., M., N., O., P., Q. et R.B., S., T., U., V., W., X., C1., ainsi que D1., E1., F1. et G1., H1. Ltd, I1., J1., K1. et L1. ont obtenu de l'Office la cession des droits de la masse à l'encontre de A1. SA. Le document relatif à cette décision n'a pas été produit. Le délai fixé par l'Office pour agir n'est pas connu.
B.
B.a Les avocats Paul Gully-Hart et Clara Poglia ont notamment interpellé I1. et L1. sur leur intention d'introduire des poursuites à l'encontre de A1. SA, précisant ce qui suit dans leur courrier: "Sans retour de votre part d'ici le vendredi 5 août prochain, nous considérerons que vous renoncez à intervenir en vue de l'exécution des droits précités." I1. a indiqué qu'il ne souhaitait pas s'associer à la démarche "consistant à faire notifier un commandement de payer". L1. n'a donné aucune suite à ladite interpellation.
B.b Le 22 novembre 2016, tous les créanciers cessionnaires, à l'exception de I1. et de L1., ont fait notifier à A1. SA un commandement de payer, poursuite n° x, pour un montant de 649'262 fr. 74 (sic) avec intérêts à 5 % à compter du 31 décembre 2006, auquel celle-ci a fait opposition.
B.c Le 16 mai 2017, A., B., C. SA, D. Ltd, E., F., G. et H.A., I. Llc, J. Ltd, K. SA, L., M., N., O., P., Q. et R.B., S., T., U., V., W., X., C1. ainsi que Z. - qui avait également obtenu, le 11 avril 2017, la cession des droits de la masse - (ci-après: les requérants) ont requis la mainlevée provisoire de l'opposition précitée.
E1., F1. et G1. ont renoncé à agir en mainlevée. Lors de l'audience du 2 octobre 2017, les requérants ont produit un courrier de l'avocat de D1. du 1er octobre 2017 confirmant que celle-ci entendait également se joindre à la procédure de mainlevée. Ils ont par ailleurs versé à la procédure un échange de courriels intervenu entre leur conseil et celui de H1. Ltd, aux termes duquel le premier a indiqué au second que, faute de réception d'une procuration dans la matinée, la requête de mainlevée, déposée dans l'après-midi, ne serait pas établie au nom de cette société. A1. SA a, quant à elle, contesté la "légitimation active" des créanciers requérants.
B.d Par jugement du 6 octobre 2017, le Tribunal de première instance du canton de Genève a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par A1. SA au commandement de payer, poursuite n° x. Le Tribunal a notamment considéré que les parties requérantes avaient qualité pour agir, bien qu'elles ne représentassent pas tous les créanciers cessionnaires de la masse.
B.e Statuant sur le recours formé par A1. SA contre ce jugement, la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: Cour de justice) a, par arrêt du 20 février 2018, expédié le 2 mars suivant, annulé le jugement du 6 octobre 2017 et l'a réformé en ce sens que la requête de mainlevée provisoire introduite le 16 mai 2017 est déclarée irrecevable. (...)
Par arrêt du 18 septembre 2018, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en matière civile interjeté par les requérants contre l'arrêt du 20 février 2018.
(extrait)
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 4
 
Erwägung 4.1
Lorsque plusieurs créanciers se sont fait céder la même prétention de la masse, ils forment entre eux une consorité nécessaire, en ce sens que la prétention ne peut faire l'objet que d'un seul jugement. Même si les demandeurs ne doivent pas nécessairement agir ensemble, le juge ne peut se prononcer sur la demande de l'un ou de certains des cessionnaires tant qu'il n'est pas établi qu'aucun autre ne peut agir en justice (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2; ATF 136 III 534 consid. 2.1; ATF 121 III 488 consid. 2c-2e). Le créancier cessionnaire a la faculté d'agir, mais n'est pas obligé d'intenter action (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2); il n'y a ainsi consorité qu'entre les cessionnaires qui ont décidé de faire usage de la cession (arrêt 4A_77/2014 du 21 mai 2014 consid. 5.1). Cette consorité nécessaire (improprement dite) n'empêche donc pas un créancier cessionnaire de renoncer à intenter l'action ou de conclure une transaction judiciaire ou extrajudiciaire avec la partie défenderesse, pour autant que cette décision n'entrave pas les autres créanciers sociaux dans leur action (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2; ATF 121 III 488 consid. 2c; ATF 102 III 29). Le Tribunal fédéral a jugé que lorsque seuls certains créanciers cessionnaires procédaient devant un tribunal, il n'était pas insoutenable d'exiger d'eux qu'ils établissent que les autres créanciers cessionnaires avaient renoncé à agir, ce qu'ils pouvaient faire par la simple production d'une déclaration de renonciation (arrêt 5P.204/2004 du 11 août 2004 consid. 5.4). La doctrine considère, quant à elle, que lorsque tous les créanciers cessionnaires n'agissent pas ensemble, ceux qui procèdent doivent apporter la preuve que soit les autres créanciers cessionnaires qui ne prennent pas part au procès ont renoncé à la cession soit que l'office leur a retiré le droit de faire valoir les droits de la masse (FRANCO LORANDI, note ad ATF 121 III 488, in PJA 1996 p. 1305-1306 ch. 2a; CHRISTOPH LEUENBERGER, Die Streitgenossenschaft der Abtretungsgläubiger nach Art. 260 SchKG, in Festschrift für Karl Spühler zum 70. Geburtstag, 2005, p. 198 et les références).
4.1.2 La faculté de faire valoir en justice, en son propre nom, le droit d'un tiers ("Prozessstandschaft") est une condition de recevabilité de l'action (FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I [ci-après: tome I], 2e éd. 2016, n. 824 p. 145). En tant que condition de recevabilité de la demande ("Prozessvoraussetzung"), le juge doit examiner d'office, en particulier sur la base de la formule 7F, que le droit de procéder appartient (encore) aux (seuls) créanciers qui agissent devant lui. Si tel n'est pas le cas, il ne doit pas entrer en matière sur la demande déposée par une partie seulement des créanciers cessionnaires (LORANDI, op. cit., p. 1305-1306; LEUENBERGER, op. cit., p. 198 et les arrêts cantonaux cités, not. décision du Président du Tribunal de commerce de St-Gall du 22 septembre 2003, publiée in St. Gallische Gerichts- und Verwaltungspraxis [GVP] 2003 n. 93 p. 259 ss).
4.1.3 Le fait que le juge doive examiner d'office les conditions de recevabilité de la requête (cf. art. 60 CPC; STÉPHANE ABBET, in La mainlevée de l'opposition, 2017, n° 74 ad art. 84 LP) - notamment que celle-ci a été formée par l'ensemble des créanciers cessionnaires (PETER STÜCHELI, Die Rechtsöffnung, 2000, p. 71 s.) - ne dispense pas les parties du fardeau de la preuve, ni du devoir de collaborer activement à la preuve en soumettant au juge les faits et moyens de preuve pertinents. La partie demanderesse doit ainsi exposer les faits et moyens de preuve qui fondent la recevabilité de son action et la partie défenderesse ceux qui s'y opposent. Dans un litige dominé par la maxime des débats - comme le contentieux de la mainlevée de l'opposition (art. 55 CPC, art. 255 CPC a contrario; arrêt 5D_89/2015 du 25 janvier 2016 consid. 6.2; ABBET, op. cit., n° 103 ad art. 84 LP) -, il n'incombe pas au tribunal de rechercher lui-même les faits qui fondent la recevabilité de l'action (ATF 141 III 294 consid. 6.1; ATF 139 III 278 consid. 4.3).
4.1.4 La procédure de mainlevée n'a un caractère sommaire au sens propre (sur cette notion: ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et les références) qu'en ce qui concerne les objections que peut soulever le débiteur (HOHL, Procédure civile, tome II, 2e éd. 2010, n. 1622 p. 297). Par conséquent, s'agissant des conditions de recevabilité de la requête de mainlevée, l'application de la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) n'implique pas en soi un abaissement du degré de la preuve à la simple vraisemblance (cf. ATF 140 III 610 consid. 4.3.1; STÜCHELI, op. cit., p. 111 et la référence citée). Le degré de preuve requis est donc, à cet égard, celui de la preuve stricte (cf. ATF 140 III 610 précité; sur la notion: HOHL, tome I, op. cit., n. 1868 p. 309 s. et les arrêts cités). L'administration des moyens de preuves est limitée à ceux visés à l'art. 254 CPC (cf. avant l'entrée en vigueur du CPC: STÜCHELI, op. cit., p. 111 et les références), soit en principe aux titres (art. 254 al. 1 CPC).
4.2 En l'espèce, il est établi que l'administration de la faillite de B1. a cédé les droits de la masse en vertu de l'art. 260 LP aux créanciers qui en avaient fait la demande. Or, ces créanciers étaient au nombre de 29, comprenant notamment les 23 recourants. Dans ces conditions, et conformément à l'arrêt de principe publié aux ATF 121 III 488, il incombait aux recourants d'alléguer et prouver, au degré de la preuve requis, qu'ils sont les seuls créanciers cessionnaires restants à pouvoir agir, peu importe qu'il s'agisse en l'occurrence non pas d'une action au fond mais d'une procédure de mainlevée provisoire (cf. AMBRE VEUILLET, in La mainlevée de l'opposition, 2017, n° 75 ad art. 82 LP et n° 32 ad art. 84 LP; PANCHAUD/CAPREZ, La mainlevée d'opposition, 1980, § 17, n. 17). Les "particularités du cas d'espèce" évoquées par les recourants n'y changent rien. C'est en outre en vain qu'ils soutiennent, dans leur réplique, qu'ils n'avaient aucune obligation d'établir que les autres créanciers avaient renoncé à agir en justice au motif que l'arrêt 5P.204/2004, dont il a été tenu compte dans la décision attaquée (cf. consid. 1.2.2), ne serait pas applicable à la présente espèce. Outre que cet argument aurait pu et dû être soulevé dans l'acte de recours (cf. ATF 143 II 283 consid. 1.2.3), l'arrêt considéré ne constitue qu'un simple cas d'application de la jurisprudence bien établie et le Tribunal fédéral n'a fait que constater que la décision dont il était saisi ne consacrait aucune violation arbitraire de celle-ci.
Les recourants ont en revanche raison lorsqu'ils affirment que la preuve de la renonciation à agir des autres créanciers cessionnaires ne se rapporte qu'à la procédure en cause, soit en l'occurrence une procédure de mainlevée. Comme ils le relèvent pertinemment, la jurisprudence ne parle que de renonciation à agir en justice, soit à exercer des droits de nature procédurale ("Prozessführungsrecht"; LEUENBERGER, op. cit., p. 198 et les références). De ce point de vue, l'affirmation de la cour cantonale selon laquelle les recourants devaient apporter la preuve que les autres créanciers cessionnaires avaient définitivement renoncé à introduire une action au fond à l'encontre de l'intimée ne saurait être suivie. Il s'agissait donc ici d'uniquement vérifier que les créanciers cessionnaires agissant avaient prouvé que les autres créanciers cessionnaires avaient renoncé à requérir la mainlevée.
A cet égard, les recourants considèrent en substance que la Cour de justice s'est basée sur un degré de la preuve erroné, dès lors que la simple vraisemblance était suffisante s'agissant d'une procédure sommaire. Il n'apparaît toutefois pas que les juges cantonaux seraient partis d'une conception erronée du degré de la preuve en exigeant la production de documents étayant les allégations des recourants selon lesquelles les créanciers cessionnaires non parties avaient renoncé à procéder. Ce faisant, ils s'en sont tenus aux principes susmentionnés selon lesquels la simple vraisemblance ne suffit pas (cf. supra consid. 4.1.4). Par ailleurs, contrairement à ce que semblent soutenir les recourants, ils n'ont pas limité les moyens de preuve à la seule production d'une pièce spécifique, ne faisant en définitive qu'évoquer la possibilité de produire une déclaration de renonciation de chacun des créanciers concernés.
En l'occurrence, les recourants ont, pour certains créanciers cessionaires non parties, produit des pièces en vue d'étayer leur thèse. Sur le vu de celles-ci, on peut admettre que la preuve de la renonciation a été dûment apportée s'agissant de I1., qui a clairement indiqué ne pas vouloir agir par la voie de la poursuite contre l'intimée. Pour ce qui est de H1. Ltd et de L1., il apparaît en revanche douteux que les interpellations restées sans suite permettent, à elles seules, de retenir, au degré de la preuve requis, que ces créanciers ont renoncé à requérir la mainlevée. Quant à la prétendue renonciation à agir de J1. et K1., elle ne repose que sur les propres allégations des recourants. Ces derniers ne prétendent pas que les juges cantonaux auraient dû les interpeller pour qu'ils documentent leurs dires (cf. LEUENBERGER, op. cit., p. 198; LORANDI, op. cit., p. 1306), estimant au contraire qu'ils n'avaient pas à fournir de plus amples explications. En ce qui concerne enfin D1., la pièce produite ne permet à l'évidence pas de retenir qu'elle aurait renoncé à agir. Au regard de la jurisprudence susrappelée, les simples conjectures avancées par les recourants ne sauraient suffire à retenir le contraire. Dans ces conditions, c'est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a déclaré la requête de mainlevée irrecevable faute d'avoir été formée par l'ensemble des créanciers cessionnaires. Infondé, le moyen doit être écarté. Un tel résultat dispense la Cour de céans d'examiner encore les griefs articulés en lien avec le fond de l'affaire.