BGE 143 III 532
 
67. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. contre Etat de Genève et consorts (recours en matière civile)
 
5A_200/2017 du 27 octobre 2017
 
Regeste
Art. 97 Abs. 1 SchKG und Art. 9 VZG; Liegenschaftsschätzung.
 
Sachverhalt
A. A. (poursuivi) est propriétaire de deux appartements en PPE (x et y; de la commune de U.). Divers créanciers ayant requis la réalisation de ces biens, l'Office des poursuites de Genève a mandaté l'architecte C. pour estimer la valeur de ceux-ci.
L'expert a estimé à 1'250'000 fr. la valeur de réalisation de l'appartement x (90 % de la valeur vénale estimée à 1'405'000 fr.), en tenant compte de deux parkings intérieurs de 60'000 fr. chacun. Il a estimé à 1'500'000 fr. la valeur de réalisation de l'appartement y (90 % de la valeur vénale estimée à 1'670'000 fr.), en tenant compte également de deux parkings intérieurs de 60'000 fr. chacun et d'un parking extérieur de 30'000 fr. Pour chaque estimation, l'expert a appliqué un prix au m2 prenant en compte le contrôle des prix exercé par l'Etat et la situation de l'immeuble en zone de développement (5'335 fr./m2 pour les deux appartements et 1'940 fr./m2 pour les terrasses).
Par décision du 15 septembre 2016, l'Office a informé le poursuivi qu'il avait, conformément aux estimations de l'expert, arrêté respectivement à 1'250'000 fr. et à 1'500'000 fr. la valeur de réalisation des deux biens immobiliers en cause.
B. Le 26 septembre 2016, le débiteur a requis une nouvelle expertise des appartements, exposant que les valeurs de réalisation retenues étaient trop faibles.
Dans son rapport du 16 novembre 2016, l'expert D. a fixé les valeurs de réalisation à 1'930'000 fr. pour l'appartement x et à 2'315'000 fr. pour l'appartement y, correspondant à leurs valeurs sur le marché minorées de 10 %. Il a fixé ces valeurs sans tenir compte des parkings, du "jardin d'hiver" et du droit d'usage du local à vélos.
C. Par décision du 24 février 2017, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève a fixé à 1'930'000 fr. la valeur de réalisation de l'appartement x et à 2'315'000 fr. celle de l'appartement y, et mis les frais de la nouvelle expertise (3'500 fr.) à la charge du poursuivi.
(...)
Le Tribunal fédéral a rejeté (par substitution de motifs) le recours du poursuivi.
(extrait)
 
Extrait des considérants:
2. Préliminairement, la juridiction cantonale a constaté que l'art. 13 al. 2 du contrat de vente produit par le poursuivi prévoyait que les "prix de vente des logements et des garages sont soumis au contrôle de l'Etat pour une durée de 10 ans à partir de la date d'entrée moyenne, en application de l'article 5, alinéa 3, de la loi [genevoise] générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 [LGZD]", norme qui prescrit un contrôle étatique sur tout type d'aliénation d'un immeuble soumis à cette loi (art. 5 al. 1 let. b LGZD [rs/GE L 1 35]). Rappelant que, en vertu du principe de la primauté du droit fédéral, la législation sur la poursuite pour dettes et la faillite ressortit à la compétence exclusive de la Confédération et, partant, l'emporte sur les dispositions cantonales qui feraient obstacle à sa mise en oeuvre, l'autorité précédente a retenu que la "limitation du prix de vente" prévue par l'art. 5 al. 3 LGZD n'avait "pas d'effet sur l'exécution forcée", car l'art. 134 LP précise que l'office des poursuites arrête les conditions des enchères d'après l'usage des lieux et de la manière la plus avantageuse. Certes, l'office dispose dans ce contexte d'une "certaine marge d'appréciation", mais qui a uniquement pour but la recherche de la solution la plus avantageuse, permettant de retirer de la vente le prix le plus élevé possible, dans l'intérêt des créanciers et du débiteur; il ne peut en outre "renoncer à la vente pour des motifs étrangers au droit de la poursuite". Il s'ensuit que l'art. 5 al. 3 LGZD ne "peut pas avoir d'effet sur l'exécution forcée"; il s'appliquera par contre à l'enchérisseur (recte: adjudicataire), jusqu'au terme de la période de contrôle étatique, dès qu'il sera devenu propriétaire du bien immobilier en question.
(...)
2.2 D'emblée, il convient de distinguer la valeur d'estimation et le prix d'adjudication minimum (art. 126 al. 1, 142a et 156 al. 1 LP). Selon ces dispositions, l'adjudication est subordonnée à l'observation du principe de l'offre suffisante, en vertu duquel l'immeuble ne peut être adjugé que si l'offre la plus élevée est supérieure à la somme des créances garanties par gage (portées à l'état des charges) et préférables à celle du poursuivant. Sous cette condition, l'adjudication doit avoir lieu même si l'offre déterminante est inférieure - fût-ce notablement - à la valeur d'estimation; en effet, la loi actuelle n'exige plus que l'offre atteigne de surcroît le "prix d'estimation" (cf. parmi plusieurs: arrêt 5A_244/2016 du 4 octobre 2016 consid. 4.1, avec de nombreuses citations).
L'estimation doit déterminer la valeur vénale présumée de l'immeuble à réaliser (art. 9 al. 1 de l'ordonnance du Tribunal fédéral du 23 avril 1920 sur la réalisation forcée des immeubles [ORFI; RS 281. 42]), à savoir le produit prévisible de la vente, mais sans devoir être "la plus élevée possible". Elle ne préjuge en rien du prix qui sera effectivement obtenu lors des enchères; tout au plus peut-elle fournir aux enchérisseurs un point de repère quant à l'offre envisageable (ATF 134 III 42 consid. 4 et les références).
2.3 L'argumentation de l'autorité précédente n'est pas pertinente dans le cas présent. L'arrêt sur lequel elle se fonde avait déclaré contraires au droit fédéral l'obligation de l'office des poursuites de requérir l'autorisation (administrative) d'aliéner les appartements avant de procéder à la vente (ATF 128 I 206 consid. 5.2.1 s.) et l'obligation de réaliser en bloc lorsque la vente porte sur plusieurs appartements en PPE (ibidem, consid. 5.2.3) prévues par la législation genevoise du 25 janvier 1996 sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR; rs/GE L 5 20). Or, l'application de la disposition cantonale précitée (cf. supra, consid. 2) ne se pose pas dans le contexte d'une réalisation, de sorte que l'on ne comprend pas pourquoi les magistrats précédents ont tenu à rappeler que "l'office ne peut pas renoncer à la vente pour des motifs étrangers au droit de poursuite". La question est plutôt de savoir si l'office des poursuites, ou l'expert qu'il s'est adjoint à cet effet (art. 97 al. 1 in fine LP), doit tenir compte des normes de droit public - fussent-elles cantonales - lors de l'estimation de l'immeuble à réaliser.
La réponse est affirmative. L'estimation doit englober tous les critères susceptibles d'influer sur le prix d'adjudication, notamment les normes du droit public qui définissent les possibilités d'utilisation du bien-fonds à réaliser (cf. NAEGELI/WENGER, L'estimation immobilière, 1997, p. 4 et 206-207). Par exemple, l'office, respectivement l'expert, doit prendre en considération les restrictions de droit public cantonal liées au caractère historique de l'immeuble en question et l'éventuelle moins-value qui en découle, notamment quant à l'interdiction de démolir ou de modifier la structure du bâtiment (cf. sur cette problématique: VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 169 ss). Le Tribunal fédéral a eu d'ailleurs l'occasion de se référer - sans formuler d'objections - à des expertises, établies à l'occasion d'une poursuite en réalisation de gage immobilier, qui avaient examiné les incidences de la loi genevoise du 4 décembre 1992 sur la protection générale des rives du lac (LPRLac; rs/GE L 4 10), les experts étant en désaccord sur l'influence de cette législation sur la valeur des parcelles concernées (arrêt 5A_451/2008 du 18 décembre 2008 consid. 3.1 et 3.2). Il ressort de cet arrêt que ni le Tribunal fédéral ni les experts n'ont contesté la nécessité d'intégrer les restrictions du droit public cantonal aux paramètres qui entrent en ligne de compte pour fixer la valeur vénale pertinente.