BGE 142 III 456
 
58. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. contre Z. Banque SA (recours en matière civile)
 
4A_557/2015 du 22 juin 2016
 
Regeste
Art. 322 und 322d OR; Bonus (Bank), sehr hohes Einkommen; tatsächliches Entgelt des Arbeitnehmers.
 
Sachverhalt
A. Par contrat de travail signé les 6 et 13 juin 2006, X. (ci-après: l'employée) a été engagée par Z. Banque SA (ci-après: l'employeuse ou la banque), en qualité de gestionnaire responsable du marché x, avec le titre de directrice, à compter du 1er novembre 2006.
A.a La rémunération de l'employée se composait comme suit:
a) Premièrement, sur la base du contrat de travail de juin 2006, l'employée percevait un salaire fixe de 300'000 fr.
b) Deuxièmement, aux termes de la même convention, elle recevait, toujours à titre de salaire, une part variable consistant en une participation aux résultats.
Les "revenus nets à partager" étaient calculés en fonction des revenus générés sur les actifs déposés par les clients apportés par l'employée et acceptés par la banque, moins les coûts. Il était précisé que ces revenus (résultant des comptes des clients) étaient déterminés par un système appelé "Management Information System" (ou IMIS).
En revanche, les revenus générés par les parts (détenues par les clients) des fonds de placement (ou: fonds internes) n'étaient, quant à eux, pas calculés dans le système IMIS, mais à l'aide d'un tableau séparé; ils étaient pris en considération dans le calcul des bonus accordés aux employés (cf. infra let. c).
c) Troisièmement, l'employée a reçu des bonus extraordinaires et des bonus discrétionnaires.
Les parties sont en litige au sujet des revenus générés par les fonds de placement (ou: fonds internes) pour les années 2011 et 2012. L'employée, qui tire argument du contrat de juin 2006, soutient avoir droit à une participation calculée sur ces revenus, à titre de salaire variable. L'employeuse estime au contraire que, en lien avec les fonds de placement, elle versait des bonus, qui dépendaient de son bon vouloir.
d) Quatrièmement, l'employée percevait, selon une convention du 20 novembre 2009, une part à la plus-value de la banque, son attribution étant faite de manière échelonnée. A ce titre, le montant de 216'662 fr. lui a été versé le 31 décembre 2009, puis une somme de 264'665 fr. le 28 février 2011. Cette part de la rémunération de l'employée n'est plus litigieuse devant la Cour de céans.
A.b A partir de l'été 2011, l'employée a reçu deux avertissements de la banque, à la suite de plaintes émises par le département juridique et compliance, qui reprochait principalement à l'employée de ne pas fournir une documentation (ouverture de comptes, entrée de fonds, entretien avec les clients, aspects juridiques, ...) appropriée.
Le 6 octobre 2011, l'employée a reçu 200'000 fr. à titre "d'avance sur bonus".
Le 28 mars 2012, la banque a proposé à l'employée la conclusion d'un contrat de travail à de nouvelles conditions.
Par lettre du 30 avril 2012, l'employée a déclaré démissionner, ce à quoi la banque a consenti, avec effet au 31 mai 2012.
B.
B.a Le 20 décembre 2012, la conciliation sollicitée par l'employée ayant échoué, celle-ci a actionné la banque devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève, concluant à ce que sa partie adverse soit condamnée à lui verser le montant de 1'923'267 fr. 20 au titre de salaire variable pour 2011 et 2012, et de remboursement de frais.
La banque a conclu au rejet intégral de la demande.
L'employée a amplifié ses conclusions, sollicitant les montants de 1'609'440 fr. 338 au titre de salaire variable 2011 et de 647'808 fr. 645 au titre de salaire variable 2012.
Par jugement du 5 novembre 2014, le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève a condamné la banque à verser à l'employée les montants bruts de 1'591'920 fr. 10, intérêts en sus (salaire variable 2011), et 213'888 fr. 80, intérêts en sus (salaire variable 2012), ainsi que le montant net de 5'231 fr. 20 (remboursement de frais), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et débouté les parties de toutes autres conclusions.
B.b Par arrêt du 28 août 2015, la Cour de justice du canton de Genève, admettant partiellement l'appel formé par la banque, a annulé ce jugement sur les deux points visant le salaire variable (2011 et 2012) et, réformant ceux-ci, elle a abaissé les montants dus par la banque à 156'730 fr. (salaire variable 2011), et à 45'469 fr. (salaire variable 2012). Elle a confirmé le jugement attaqué pour le surplus.
C. L'employée exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 28 août 2015. Elle conclut à son annulation et à sa réforme en ce sens que la banque soit condamnée à lui verser le montant brut de 1'591'920 fr. 10, intérêts en sus, et le montant brut de 213'888 fr. 80, intérêts en sus, sous suite de frais et dépens.
La banque intimée conclut, sous suite de frais et dépens, au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)
 
Extrait des considérants:
3.1 En cas de revenus moyens et supérieurs, le Tribunal fédéral a estimé qu'un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit être, par exception, considéré comme un salaire variable même si l'employeur en réservait le caractère facultatif. La gratification (art. 322d CO) doit en effet rester accessoire par rapport au salaire (art. 322 s. CO); elle ne peut avoir qu'une importance secondaire dans la rétribution du travailleur, le but visé par la jurisprudence étant de répondre au besoin de protection du travailleur (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 p. 409 et les arrêts cités). En cas de revenus modestes, un bonus proportionnellement moins élevé peut déjà avoir le caractère d'un salaire variable (ATF 141 III 407 consid. 4.3.1 p. 408 s. et les arrêts cités; ATF 142 III 381 consid. 2.2.1 p. 383 s.).
3.2 Lorsque l'employé perçoit un très haut revenu, une restriction de la liberté contractuelle des parties (fondée sur le caractère nécessairement accessoire de la gratification) n'est plus justifiée par le besoin de protection de l'employé; il n'y a alors pas lieu d'admettre une exception: le bonus reste toujours une gratification, laquelle demeure au bon vouloir de l'employeur (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 p. 409). Le salaire d'un employé doit être qualifié de très haut lorsque la totalité de la rémunération qu'il a effectivement perçue au cours d'une année donnée équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé) (ATF 141 III 407 consid. 5.3. et 5.4 p. 412 ss; ATF 142 III 381 consid. 2.2.2 p. 384).
La jurisprudence étant fondée sur l'existence (ou l'absence) d'un besoin de protection de l'employé, il s'impose de tenir compte de la rémunération (effective) de l'employé qui est représentative des revenus qu'il a régulièrement perçus.
En règle générale, on prendra en considération les revenus effectivement perçus par l'employé durant l'année (ATF 141 III 407 consid. 5.3 et 5.4 p. 412 ss; ATF 142 III 381 consid. 2.2-2.4 p. 383 ss; approuvant cette "approche factuelle": WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 164).
Exceptionnellement, la représentativité sera toutefois mieux assurée si l'on tient compte de la rémunération effectivement perçue durant la période litigieuse (cf. RICHA/RAEDLER, La qualification du bonus pour les très hauts revenus - suite et fin?, Gesellschafts- und Kapitalmarktrecht [GesKR] 2015 ch. 2.1 p. 567, qui proposent d'examiner si, "dans l'ensemble", la rémunération du travailleur constitue ou non un très haut revenu). La prise en considération de cette période sera en particulier plus adaptée lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'employé a exercé son activité professionnelle seulement pendant quelques mois durant la seconde année litigieuse.
La rémunération perçue pendant cinq mois en 2012 n'étant pas représentative des revenus précédemment réalisés par l'employée, il convient de se fonder sur l'ensemble de la rémunération qu'elle a perçue durant la période litigieuse (de 2011 et 2012, soit 17 mois).
En 2011, l'employée a reçu, au titre de salaire, le montant de 300'000 fr., une "avance sur bonus" de 200'000 fr. (le 6 octobre 2011) et le montant de 264'665 fr. (le 28 février 2011) sur la base du contrat du 20 novembre 2009, soit une rémunération totale de 764'665 fr. A cette somme, il convient d'ajouter le montant de 125'000 fr. perçu par l'employée entre janvier et fin mai 2012. La somme totale s'élève à 889'665 fr.
Pour calculer la valeur seuil, il faut additionner la valeur seuil pour 2011 (12 mois) et celle relative à 2012 (5 mois). Pour l'année 2011, (année impaire), il n'existe pas de données statistiques sur le salaire médian suisse (secteur privé). Celui-ci peut toutefois être déterminé en partant des statistiques établies pour l'année 2010 (année paire). Il résulte des données mises à disposition sur le site internet de l'Office fédéral de la statistique que le salaire médian suisse (secteur privé) en 2010 était un salaire mensuel brut de 5'929 fr. (Tableau TA1_b "Salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les divisions économiques, la position professionnelle et le sexe, Secteur privé, Suisse 2010", disponible sur le site www.bfs.admin.ch). Pour l'année 2011, le salaire médian peut alors être évalué sur la base de l'indice suisse des salaires nominaux 2011-2015 (Tableau T1.10 disponible sur le site www.bfs.admin.ch), à 5'988 fr. (chiffre arrondi) (5'929 fr. + 5'929 fr. x 1/100, soit la variation en pourcent par rapport à l'année 2010). Pour 2012, la valeur seuil doit être établie sur la base d'un salaire médian de 6'118 fr. (Tableau TA1_b "Salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les divisions économiques, la position professionnelle et le sexe, Secteur privé, Suisse 2012", disponible sur le site www.bfs.admin.ch]).
Le seuil au-delà duquel on est en présence d'un très haut revenu est donc de 359'280 fr. (5'988 fr. x 12 [mois] x 5) pour 2011 et de 152'950 fr. (6'118 fr. x 5 [mois] x 5) pour 2012, soit un total de 512'230 fr. pour la période litigieuse.
Force est de constater que, pour cette période de 17 mois, la rémunération effectivement perçue par l'employée (889'665 fr.) est supérieure à la valeur seuil portant sur la même période (512'230 fr.). Partant, le bonus de l'employée reste une gratification.
Le moyen tiré de la violation de l'art. 322d CO est dès lors infondé. (...)