BGE 142 III 234
 
32. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause Banque A. SA contre B. SA et consorts (recours en matière civile)
 
5A_326/2015 du 14 janvier 2016
 
Regeste
Art. 17 Abs. 2 und Art. 20a Abs. 2 Ziff. 3 SchKG; Beschwerdeverfahren, Zulässigkeit neuer Begehren vor der Aufsichtsbehörde.
 
Sachverhalt
B. SA gère les immeubles appartenant à C. SA, qui sont des appartements et résidences meublés, loués pour des courtes périodes; D. est l'administrateur des deux sociétés.
La Banque A. SA a dénoncé au remboursement des crédits accordés à D. et à C. SA; elle a introduit par la suite des poursuites en réalisation de gage immobilier à l'encontre de C. SA et de D., qui ont été frappées d'opposition.
Par décision du 7 avril 2014, l'Office des poursuites de Genève a ordonné la gérance légale des immeubles de C. SA et imparti à B. SA un délai au 17 avril suivant pour transférer la gestion des immeubles à E. SA.
Par plaintes déposées le 16 avril 2014, B. SA, C. SA et D. ont contesté cette décision. Ils ont conclu à son annulation et à ce que la gérance légale soit confiée à E. SA depuis le 1er août 2014; dans l'intervalle, B. SA organisera le transfert à celle-ci des informations en sa possession et, dès le 1er mai 2014, versera les loyers à l'Office, sous déduction de ses honoraires et des charges locatives.
Par courrier du 23 mai 2014 adressé à l'Office, E. SA a exposé qu'elle n'était pas en mesure d'assumer ce mandat; lors d'une réunion avec C. SA, elle s'était rendu compte de la complexité du dossier, qui était due au fait que C. SA "officie en tant que résidence hôtelière, avec des réservations au jour, à la semaine, au mois", en sorte qu'elle ne pouvait assumer en l'état la gérance des immeubles, mais proposait néanmoins d'agir en qualité de "tuteur" de C. SA.
Dans ses déterminations du 3 juin 2014, l'Office a relevé que, selon les indications ressortant du courrier précité, les appartements et parkings étaient gérés en "résidence hôtelière", avec de nombreux contrats de courte durée, sous réserve de quatre arcades commerciales qui font l'objet de baux selon les art. 253 ss CO. Les biens immobiliers litigieux pourraient être remis en location avec des contrats de bail de longue durée, mais un tel changement d'affectation prendrait du temps et ferait perdre de l'argent tant au propriétaire qu'à la créancière; par ailleurs, il n'est pas acquis qu'une modification d'affectation puisse être imposée au débiteur. A défaut d'accord du propriétaire, force est d'admettre que la gérance légale n'est pas possible, compte tenu de la "composante hôtelière" que présentent les contrats conclus par les plaignants avec leurs clients. B. SA et C. SA se sont ralliées à l'avis de l'Office; afin de trouver une solution, elles ont toutefois proposé que celle-là continue de gérer les immeubles, établisse une comptabilité mensuelle pour que le solde des encaissements et décaissements soit versé chaque mois à la créancière ou à l'Office.
A l'audience du 16 juin 2014, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites du canton de Genève a informé les parties sur les recherches qu'elle avait entreprises pour trouver une régie disposée à assumer la gérance légale. Au terme de cette audience, les parties sont convenues de "suspendre" la gérance légale en vue de mettre en place un système de contrôle des sommes encaissées et dépensées par B. SA/C. SA.
Par courrier du 6 février 2015, la poursuivante a sollicité la reprise de la gérance légale, exposant que les démarches transactionnelles n'avaient pas abouti. Par ordonnance du 10 février 2015, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites du canton de Genève a réinstauré la gérance légale "avec effet immédiat". Lors de l'audience du 24 février 2015, elle a informé les parties que la société F. SA n'était plus disposée à reprendre le mandat et les a invitées à se déterminer sur le principe du maintien de la gérance légale et son exécution.
Dans leurs déterminations du 10 mars 2015, les plaignants, constatant l'impossibilité de trouver une régie capable de reprendre le mandat de gérance légale et se référant à l'avis de l'Office du 3 juin 2014, ont conclu à ce qu'il soit dit que la gérance légale n'est pas possible pour des immeubles exploités en résidence hôtelière, à ce que la décision de l'Office du 7 avril 2014 soit annulée et à ce que le dossier soit renvoyé à celui-ci pour nouvelle décision. Dans ses déterminations du 11 mars 2015, la poursuivante a conclu au rejet de la plainte, à la confirmation de la décision de l'Office du 7 avril 2014 et au maintien de la gérance légale; au plan formel, elle a contesté la recevabilité des conclusions nouvelles formulées par les plaignants.
Par décision du 2 avril 2015, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites du canton de Genève a admis les plaintes, annulé la décision de l'Office du 7 avril 2014 et dit que les poursuites en cause ne peuvent donner lieu à une gérance légale.
Le Tribunal fédéral a admis le recours en matière civile de la poursuivante et réformé la décision attaquée en ce sens que la gérance légale est maintenue.
(résumé)
 
Extrait des considérants:
2.2 L'avis de l'autorité précédente ne peut être suivi. Comme le relève pertinemment la recourante, les faits qui ressortent du courrier de E. SA ne sauraient être qualifiés de "nouveaux" pour les intimés, qui connaissaient évidemment la nature des immeubles concernés; il est à cet égard révélateur que, dans leurs déterminations du 4 juin 2014, les intéressés affirment que les "explications/constatations" de E. SA "confirment et valident les explications contenues dans la plainte", en d'autres termes n'apportent pas d'éléments supplémentaires. Certes, le droit de répliquer - valable aussi dans la procédure de plainte LP (arrêt 5A_779/2010 du 1er avril 2010 consid. 2.2) - imposait aux magistrats précédents de communiquer le courrier précité et les observations de l'Office aux intimés (cf. parmi d'autres: ATF 139 I 189 consid. 3.2; ATF 138 I 484 consid. 2.2), mais cette prérogative ne conférait pas pour autant à ceux-ci la faculté de prendre des conclusions qu'ils pouvaient formuler déjà dans leurs plaintes (ATF 132 I 42 consid. 3.3.4 et les arrêts cités; JEANNERAT/MAHON, Le droit de répliquer en droit public et en procédure administrative en général, in: Le droit de réplique, 2013, p. 69 n° 62 et les citations).
L'autorité précédente semble partir du principe que la modification des conclusions de la plainte relève, conformément à l'art. 20a al. 3 LP, de la législation cantonale (cf. pour les conclusions nouvelles en instance de recours: arrêt 5A_792/2013 du 10 février 2014 consid. 2.2 avec les références). Cette prémisse est fausse en l'occurrence: même fondée sur le droit de procédure cantonal, une augmentation des conclusions après l'expiration du délai pour porter plainte n'est pas admissible, sous peine d'éluder la nature péremptoire du délai prévu à l'art. 17 al. 2 LP (LORANDI, Betreibungsrechtliche Beschwerde und Nichtigkeit, 2000, n° 69 art. 20a LP et les citations; cf. sur l'interdiction des moyens nouveaux après l'échéance du délai de plainte: ATF 126 III 30 consid. 1b; ATF 114 III 5 consid. 3; arrêt 5A_237/2012 du 10 septembre 2012 consid. 2.2 et la doctrine citée). Partant, les conclusions tendant à faire "constater que la gérance légale n'est pas possible pour des immeubles exploités en résidence hôtelière" et à "annuler la décision du 7 avril 2014 de l'Office des poursuites visant à instaurer une gérance légale", que les intimés ont formulées dans leurs déterminations du 10 mars 2015, eussent dû être écartées.
En outre, selon la jurisprudence, le juge est lié par les conclusions qui lui sont soumises lorsque la partie a qualifié ou limité ses prétentions dans les conclusions elles-mêmes (arrêts 4A_709/2014 du 21 mai 2015 consid. 4.1; 4A_307/2011 du 16 décembre 2011 consid. 2.4, commenté par DROESE, in RSPC 8/2012 p. 296 ss). Ce principe s'applique aussi aux autorités de surveillance qui, sous réserve d'un cas de nullité non réalisé ici (art. 22 al. 1 LP), ne sauraient aller au-delà des conclusions des parties (art. 20a al. 2 ch. 3 LP; cf. LORANDI, ibid., nos 48 et 49 LP avec les citations; v. déjà: ATF 54 III 192 consid. 2). Or, il ressort de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF; ATF 140 III 16 consid. 1.3.1) que, dans leurs plaintes, les intimés avaient conclu "à ce que la gérance légale soit confiée dès le 1er août 2014 à E. SA" et que, dans l'intervalle, l'intimée n° 1 "devra organiser le transfert [à celle-ci] des informations en sa possession et, dès le 1er mai 2014, verser les loyers à l'Office, après déduction de ses honoraires [...] et de charges locatives [...]". Il s'ensuit que, en prononçant que les poursuites en cause "ne peuvent donner lieu à une gérance légale", l'autorité précédente a statué ultra petita et, partant, violé le droit fédéral (art. 95 let. a LTF). (...)