BGE 132 III 1
 
1. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile dans la cause X. contre dame X. et B. (recours en réforme)
 
5C.31/2005 du 29 septembre 2005
 
Regeste
Art. 256c Abs. 3 ZGB; Anfechtungsklage; Wiederherstellung der Frist zur Klageerhebung.
 
Sachverhalt
X., né le 28 septembre 1950, et dame X., née le 13 novembre 1954, se sont mariés le 11 août 1974. Deux enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de leur union: A., née le 16 août 1975, et B., né le 2 août 1985. Le divorce des époux a été prononcé le 21 août 1998 par le Président du Tribunal civil du district de Lausanne.
Le 22 octobre 2002, X. a introduit action en désaveu contre son ex-épouse et son fils devant le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne, concluant à ce que la filiation paternelle de l'enfant B. soit supprimée. L'enfant a conclu au rejet de la demande et, par voie de reconvention, à ce qu'il soit prononcé que le demandeur n'est pas son père; la mère a également conclu au rejet de la demande et, reconventionnellement, à l'admission des conclusions de l'enfant.
Par jugement du 17 juin 2004, le tribunal a dit que l'enfant B. n'est pas le fils de X. et déclaré sans objet les conclusions reconventionnelles des défendeurs.
Statuant le 22 décembre 2004 sur le recours formé par les défendeurs, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a admis l'action reconventionnelle de l'enfant et dit que celui-ci n'est pas le fils de X.
Le Tribunal fédéral a admis le recours en réforme interjeté par X.
 
Extrait des considérants:
2. En vertu de l'art. 256c al. 1 CC, le mari doit intenter action en désaveu au plus tard un an après qu'il a connu la naissance et le fait qu'il n'est pas le père ou qu'un tiers a cohabité avec la mère à l'époque de la conception, mais en tout cas dans les cinq ans après la naissance. Il s'agit de délais de péremption (ATF 119 II 110 consid. 3a p. 111 et les citations), qui ne peuvent être ni interrompus, ni suspendus (HEGNAUER, Berner Kommentar, 4e éd., n. 37 ad art. 256c CC). La loi prévoit, néanmoins, que l'action peut être introduite après l'expiration du délai lorsque de justes motifs rendent le retard excusable (art. 256c al. 3 CC); tant le délai relatif que le délai absolu - seul en cause dans le cas présent - sont susceptibles de restitution (FF 1 ATF 974 II 33 ch. 312.23 in fine; HEGNAUER, op. cit., n. 46 ad art. 256c CC, et SCHWENZER, Basler Kommentar, ZGB I, 2e éd., n. 6 ad art. 256c CC; STETTLER, Le droit suisse de la filiation, TDPS III/II/1, p. 191; MEIER/STETTLER, Droit civil VI/1, L'établissement de la filiation [art. 252 à 269c CC], 2e éd., p. 31 ch. 66).
2.2 Cette opinion ne saurait être suivie. Elle ne trouve appui ni dans le Message du Conseil fédéral (loc. cit.), ni dans les exposés de doctrine consacrés à la nouvelle loi (cf. notamment: HAUSHEER, Die Begründung des Eltern-Kind-Verhältnisses, in Das neue Kindesrecht, Berner Tage für die juristische Praxis 1977, p. 17/18; KAUFMANN, Die Entstehung des Kindesverhältnisses, in Das neue Kindesrecht, Veröffentlichungen des Schweizerischen Instituts für Verwaltungskurse an der Hochschule St. Gallen, vol. 10, p. 46/ 47). Les autres auteurs ne font pas davantage allusion à un quelconque changement à cet égard (cf. MEIER/STETTLER, op. cit., p. 31 ch. 66 et n. 78; GERMOND-BURNIER, L'établissement et la contestation de la filiation de l'enfant né dans le mariage en droits suisse, français et anglais, thèse Lausanne 1986, p. 102/103; SCHNEIDER, Filiation II, FJS 330 p. 6; TUOR/SCHNYDER/SCHMID/RUMO-JUNGO, Das Schweizerische Zivilgesetzbuch, 12e éd., p. 366); STETTLER (op. cit., p. 184) déclare, au contraire, que les nouvelles dispositions peuvent être interprétées en se référant à la jurisprudence et à la doctrine antérieures à leur entrée en vigueur. Aussi, la Cour de justice genevoise a-t-elle jugé que la pratique développée au sujet de l'art. 257 al. 3 aCC demeure valable pour l'art. 256c al. 3 CC, en sorte que constitue un juste motif "le fait, pendant le délai, de n'avoir pas de raison de douter de la légitimité de l'enfant" (SJ 1980 p. 297, consid. 3a, citant l'arrêt paru aux ATF 91 II 153).
La jurisprudence récente de la cour de céans est à l'unisson. Un arrêt du 14 octobre 2003 rappelle qu'il y a de justes motifs lorsque le mari n'avait aucune raison suffisante de douter de sa paternité, de simples doutes qui ne reposent pas sur des indices concrets ne permettant pas de fonder l'action (arrêt 5C.130/2003, consid. 1.2 [pour l'art. 260c al. 3 CC], publié in FamPra.ch 2004 p. 142 ss, spéc. 144, suivi d'une note de BÜCHLER, p. 147 ss); dans son commentaire de cette décision, MEIER approuve le Tribunal fédéral d'avoir écarté "l'opinion doctrinale minoritaire" d'après laquelle la simple ignorance des faits qui mettent la paternité en cause ne constituerait pas un juste motif de restitution du délai (note in RDT 2004 p. 98).
L'objection de la juridiction cantonale est dénuée de fondement. Il est vrai que la réglementation des délais tend à la protection des intérêts de l'enfant, qui ne doit plus être exposé à une remise en discussion du lien de filiation paternel après une certaine période (HEGNAUER, op. cit., n. 9 ss ad art. 256c CC). Il n'en demeure pas moins que la loi prévoit la possibilité d'introduire l'action après l'expiration du délai - y compris absolu -, ce qui a pour conséquence qu'une restitution est en principe admissible d'une manière illimitée dans le temps (arrêts 5C.130/2003, ibid.; 5C.45/1994 du 6 juin 1994, consid. 2). Pour tenir compte de cette préoccupation, ainsi que de l'allongement considérable du délai d'ouverture d'action - trois mois selon l'art. 253 al. 1 aCC -, il suffit d'interpréter strictement la notion de justes motifs (arrêt 5C.130/2003, ibid.; par exemple, arrêt 5C.19/1992 du 30 avril 1992, consid. 2: action ouverte en 1990, alors que les époux étaient divorcés depuis 1975 et que l'enfant était né en 1953).
 
Erwägung 3
3.1 En l'espèce, il ressort du jugement de première instance - à l'état de fait duquel se réfère la Chambre des recours (MESSMER/ IMBODEN, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p. 128 ch. 93) - que des rumeurs circulaient, certes, au sein de la famille sur la ressemblance entre l'enfant et son parrain (le père biologique), mais la défenderesse avait toujours démenti ces insinuations, qui n'étaient, du reste, que des "railleries" à son endroit. Il n'a pas été établi que le demandeur aurait appris que son ex-femme avait commis un adultère durant le mariage, ce d'autant plus que le jugement de divorce l'avait condamné à verser des aliments à l'enfant. Rien ne permettait donc à l'intéressé d'étayer d'éventuels soupçons, lesquels n'auraient d'ailleurs pas suffi pour motiver une demande en justice. Ce n'est qu'à la mi-septembre 2002 que son ex-épouse lui a annoncé qu'il était "possible" que B. ne soit pas issu de ses oeuvres; jusqu'alors, il n'avait jamais douté de sa paternité sur son fils; quant à la mère, si elle avait des doutes, elle n'en a jamais fait part à son ex-mari auparavant.
Sur la base de ces constatations, qui sont le résultat de l'appréciation des preuves - domaine soustrait à la connaissance de la juridiction de réforme (ATF 131 III 153 consid. 6.5 p. 163) -, force est d'admettre, avec le Tribunal d'arrondissement, que les conditions d'une restitution de délai sont réalisées (cf. ATF 91 II 153 consid. 3 p. 156/157).
3.2 L'art. 256c al. 3 CC n'accorde aucun délai supplémentaire, même de courte durée; il incombe au demandeur d'agir avec toute la célérité possible dès que la cause du retard a pris fin (ATF 129 II 409 consid. 3 p. 412; HEGNAUER, op. cit., n. 59 ad art. 256c CC et les références citées). Cette condition est également réalisée dans le cas particulier. Il ressort du jugement de première instance (supra, consid. 3.1) que, si elle ne pouvait être déterminée avec exactitude, la date de la conversation des ex-époux se situait à la période du Comptoir Suisse de Lausanne, c'est-à-dire à mi-septembre 2002; l'action a été ouverte le 22 octobre suivant, donc environ un mois plus tard, période pendant laquelle le demandeur avait été souffrant. Dans ces circonstances, il faut admettre que l'intéressé a procédé à temps (cf. ATF 91 II 153 consid. 4 p. 158/159; ATF 85 II 305 consid. 2 p. 312: action introduite [tardivement] sept semaines après la connaissance du motif de restitution, sans que le demandeur invoque de raisons spéciales l'ayant empêché d'agir plus tôt).