BGE 130 III 202
 
25. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. SA contre A. (recours en réforme)
 
4C.324/2003 du 24 février 2004
 
Regeste
Forderungsverjährung; Unterbrechung der Verjährung während des Gerichtsverfahrens; Nachfrist (Art. 137 Abs. 1, 138 Abs. 1 und 139 OR).
Die Klageeinreichung bei einem unzuständigen Gericht unterbricht die Verjährung nicht. Kann der Gläubiger ein zweites Mal den Schutz von Art. 139 OR beanspruchen? Frage offen gelassen, da der Fehler nicht verbessert werden kann (E. 3.3.2).
 
Sachverhalt
A.
A.a Par contrat de travail conclu le 1er juillet 1991 pour une durée indéterminée, la banque X. SA (ci-après: la banque) a engagé A. comme directeur général.
Soupçonnant son nouveau directeur général d'avoir trempé dans une vaste escroquerie commise à son détriment par des intermédiaires de bourse italiens, la banque a dénoncé pénalement A. et d'autres personnes, le 20 août 1991, puis l'a licencié avec effet immédiat deux jours plus tard. Cette dénonciation n'a pas débouché sur l'inculpation du prénommé.
A.b Le 25 septembre 1991, la banque a introduit une action en dommages-intérêts contre 26 personnes, dont A., devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. L'ex-directeur général a soulevé d'emblée une exception d'incompétence ratione materiae, en faisant valoir que ladite action relevait de la compétence de la juridiction prud'homale.
Par jugement du 5 novembre 1992, le Tribunal de première instance s'est déclaré incompétent ratione materiae pour connaître de l'action ouverte par la banque en tant qu'elle était dirigée contre A.
Statuant par arrêt du 5 novembre 1993, sur appel de la banque, la Cour de justice du canton de Genève a annulé cette partie du jugement attaqué et dit que le Tribunal de première instance était compétent pour examiner les prétentions élevées par l'appelante contre son ancien directeur général, eu égard à la spécificité des actes reprochés à ce dernier. Cet arrêt, qui n'a pas fait l'objet d'un recours, est entré en force le 14 décembre 1993.
Le Tribunal de première instance a repris l'instruction de la cause le 27 janvier 1995. Il a fixé un délai au 5 septembre 1995 aux parties défenderesses pour déposer d'éventuelles demandes reconventionnelles. A. n'a pas fait usage de cette faculté dans le délai imparti, se contentant de "réserver ses droits".
La procédure ouverte le 25 septembre 1991 est encore pendante à l'heure actuelle.
A.c De son côté, A., contestant son licenciement pour justes motifs, avait déposé, le 1er octobre 1991, devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève, une demande visant la banque et tendant, notamment, au paiement de dommages-intérêts de ce chef.
Par jugement sur incident du 4 mars 1992, le Tribunal des prud'hommes a rejeté l'exception de litispendance soulevée par la banque.
Ce jugement a toutefois été annulé, le 18 novembre 1992, par la Chambre d'appel des prud'hommes qui a suspendu l'instruction de la cause jusqu'à droit connu définitivement sur l'exception d'incompétence ratione materiae soulevée par A. dans le procès pendant devant la juridiction ordinaire et qui a dit que l'instruction de la cause prud'homale serait ensuite reprise à l'initiative de la partie la plus diligente.
En date du 7 novembre 1997, le greffier adjoint de la juridiction des prud'hommes a interpellé A. pour s'enquérir de la suite à donner à la procédure.
Le conseil de A. a répondu par lettre du 13 novembre 1997. Il y relevait notamment ce qui suit:
    "..., il m'apparaît que la procédure pendante par devant votre juridiction doit demeurer suspendue comme dépendant du sort qui sera réservé à la procédure actuellement pendante par devant le Tribunal de première instance, et ce, jusqu'à ce qu'un jugement définitif et exécutoire soit rendu dans cette cause. Si Monsieur A. obtient gain de cause, alors il reprendra la procédure prud'homale, aux fins de solliciter la condamnation de son ex-employeur au paiement du salaire incontestablement dû."
Le greffier adjoint l'ayant relancé derechef en novembre 1999, A., changeant d'avis, a requis la convocation d'une audience, par courrier du 19 novembre 1999. L'audience a été tenue le 28 juin 2000 devant la Chambre d'appel des prud'hommes. A cette occasion, la banque a soulevé une exception d'incompétence ratione materiae.
Par arrêt du 27 septembre 2000, la Chambre d'appel des prud'hommes s'est déclarée incompétente pour connaître des prétentions de A. envers la banque.
A.d Le 14 février 2001, A. a déposé une demande reconventionnelle auprès du Tribunal de première instance dans le cadre de la procédure pendante entre la banque et lui (cf. let. A.b ci-dessus). Il y a pris diverses conclusions condamnatoires (solde de salaire, indemnité de vacances, indemnité pour licenciement injustifié, etc.) correspondant à celles qu'il avait formulées dans sa demande du 1er octobre 1991, soumise au Tribunal des prud'hommes, sous réserve d'une forte réduction de l'indemnité pour tort moral initialement requise.
Par jugement du 27 septembre 2001, le Tribunal de première instance a déclaré cette demande reconventionnelle irrecevable pour cause de tardiveté. La Cour de justice, saisie d'un appel de A., a confirmé ledit jugement par arrêt du 14 juin 2002. Elle a cependant précisé que, nonobstant l'irrecevabilité de ses conclusions reconventionnelles, l'appelant conservait la faculté de réintroduire une demande devant le Tribunal de première instance, s'il s'y estimait fondé.
B. Le 16 août 2002, A. (ci-après: le demandeur) a déposé, devant le Tribunal de première instance, une demande tendant au paiement des mêmes sommes que celles réclamées dans sa demande reconventionnelle.
La banque (ci-après: la défenderesse) a soulevé d'entrée de cause une exception de prescription.
Par jugement du 13 mars 2003, le Tribunal de première instance, constatant que l'action était prescrite, a débouté le demandeur de toutes ses conclusions.
Saisie d'un appel du demandeur, la Chambre civile de la Cour de justice, statuant par arrêt du 10 octobre 2003, a annulé partiellement ce jugement, dit que les prétentions du demandeur n'étaient pas prescrites, à l'exception de celle ayant trait à la réparation du tort moral, et renvoyé la cause au Tribunal de première instance afin qu'il statue sur le fond du litige.
C. La défenderesse interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal, en tant qu'il a constaté que certaines des prétentions élevées par le demandeur n'étaient pas prescrites, et à sa confirmation pour le surplus.
Le Tribunal fédéral a admis le recours et rejeté, comme étant prescrites, toutes les conclusions au fond prises par le demandeur à l'encontre de la défenderesse.
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 3
3.1 Les motifs sur lesquels repose l'arrêt cantonal peuvent être résumés comme il suit: l'action du demandeur se prescrit par cinq ans, conformément à l'art. 128 ch. 3 CO, en tant qu'elle se fonde sur le contrat de travail ayant lié les parties. Il n'est pas contesté, ni contestable, que cette action n'est pas prescrite, si l'on admet que la prescription a été interrompue par la lettre que le conseil du demandeur a adressée le 13 novembre 1997 au greffe de la juridiction des prud'hommes. Il faut donc examiner si la lettre en question peut être qualifiée d'acte judiciaire d'une partie, au sens de l'art. 138 al. 1 CO. Tel est bien le cas. La ratio legis de cette disposition est de sanctionner l'inaction du créancier lorsque le débiteur peut en déduire que celui-là renonce à faire valoir la prétention litigieuse. En revanche, tout acte de procédure du créancier n'autorisant pas une telle déduction de la part du débiteur est propre à interrompre la prescription. Il en va ainsi en l'espèce. Dans la lettre précitée, qui a été versée au dossier, le demandeur a clairement manifesté qu'il n'entendait pas renoncer à ses prétentions envers la défenderesse, même s'il estimait procéduralement plus judicieux de ne pas les faire valoir pour le moment. Par l'envoi de cette lettre, il a dès lors interrompu la prescription. Peu importe qu'il n'ait pas requis la reprise immédiate de l'instance prud'homale. Les règles fédérales sur la prescription n'ont, en effet, pas pour but de dicter au créancier le choix de sa stratégie procédurale.
La défenderesse fait grief à la Cour de justice d'avoir violé l'art. 138 al. 1 CO. Selon elle, jurisprudence et doctrine s'accordent pour ne ranger dans la catégorie des actes judiciaires visés par cette disposition que ceux qui sont de nature à faire avancer le procès vers son issue. Or, le courrier du 13 novembre 1997, qui n'a du reste été porté à sa connaissance qu'en 2001, n'avait nullement pareille vertu. Il n'a donc pas interrompu la prescription. La solution inverse, retenue par les juges cantonaux, repose sur une interprétation extensive et injustifiée de la notion d'acte judiciaire, qui met indûment l'accent sur le sens que le débiteur peut attribuer à la démarche procédurale du créancier.
3.2 La prescription court dès que la créance est devenue exigible (art. 130 al. 1 CO). Elle est interrompue à certaines conditions, un nouveau délai commençant à courir dès l'interruption (art. 137 al. 1 CO). Il en va ainsi, entre autres hypothèses, lorsque le créancier fait valoir ses droits par une action devant un tribunal (art. 135 ch. 2 CO), à la condition que celui-ci soit compétent pour en connaître (ATF 85 II 504 consid. 3b p. 509). La prescription interrompue par l'effet d'une action recommence à courir, durant l'instance, à compter de chaque acte judiciaire des parties et de chaque ordonnance ou décision du juge (art. 138 al. 1 CO). Cependant, lorsque le juge a ordonné la suspension du procès, la jurisprudence admet, par analogie avec l'art. 134 al. 1 ch. 6 CO, que la prescription est suspendue, sauf exception (ATF 123 III 213 consid. 3), aussi longtemps que subsiste le motif qui légitime la suspension du procès (ATF 75 II 227 consid. 3c/aa p. 235).
La notion d'acte judiciaire des parties, au sens de l'art. 138 al. 1 CO, est une notion de droit fédéral (ATF 21 p. 246 ss, 250). On l'interprétera largement (ATF 106 II 32 consid. 3 p. 35 et les références), tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l'inaction du créancier (ATF 75 II 227 consid. 3c/aa p. 235). Il faut donc considérer comme acte judiciaire d'une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l'instance; l'acte devra être de nature formelle, en sorte que les deux parties puissent toujours le constater aisément et sans conteste (ATF 123 III 213 consid. 6a p. 219; ATF 106 II 32 consid. 3 p. 35; arrêt du 8 février 1972, publié in SJ 1973 p. 145 ss, 150; pour des exemples de tels actes, cf. STEPHEN V. BERTI, Commentaire zurichois, n. 22 ad art. 138 CO; ROBERT K. DÄPPEN, Commentaire bâlois, n. 2 ad art. 138 CO; PASCAL PICHONNAZ, Commentaire romand, n. 4 ad art. 138 CO). Il n'est pas nécessaire, en revanche, contrairement à ce que pourrait donner à penser la formulation de l'arrêt publié aux ATF 85 II 187 consid. 2 p. 191 ("atti che sono capaci di far avanzare il processo verso la sua conclusione..."; voir aussi: PIERRE ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 619), que l'acte judiciaire soit propre à rapprocher le procès de son issue, comme le relève à juste titre KARL SPIRO, exemples à l'appui (Die Begrenzung privater Rechte durch Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatalfristen, vol. I, § 149, ad n. 7 et 8 p. 345 et n. 21 p. 347 où l'auteur cite, à titre d'exemples, une demande de prolongation de délai ou le dépôt d'un recours).
3.3.1 Le point de départ du délai de prescription quinquennal a été fixé correctement par la Cour de justice au 22 août 1991, date à laquelle le contrat a pris fin par suite du licenciement immédiat du travailleur, ce qui a eu pour effet de rendre exigibles toutes les créances du demandeur (art. 130 CO en liaison avec l'art. 339 al. 1 CO). Avec les juges précédents, on admettra - provisoirement - que le délai de prescription a été interrompu une première fois le 1er octobre 1991, lorsque le demandeur a ouvert action contre la défenderesse devant le Tribunal des prud'hommes (art. 135 ch. 2 CO). Les mêmes juges soulignent à bon droit que les actes judiciaires exécutés dans la procédure ouverte par la défenderesse devant la juridiction civile ordinaire n'ont pas eu d'effet interruptif, nonobstant la connexité des deux procédures, puisque le demandeur, qui occupait la position de défendeur dans cette procédure, n'y a pas fait valoir ses droits avant le 14 février 2001, date du dépôt de sa demande reconventionnelle. Il est également exact que l'arrêt du 18 novembre 1992, par lequel la Chambre d'appel des prud'hommes a suspendu l'instance jusqu'à droit connu sur l'exception d'incompétence ratione materiae soulevée par le demandeur dans la procédure parallèle, a entraîné à la fois l'interruption de la prescription (art. 138 al. 1 CO) et la suspension de celle-ci jusqu'à l'entrée en force de l'arrêt de la Cour de justice du 5 novembre 1993 réglant définitivement cette question (art. 134 al. 1 ch. 6 CO par analogie), soit jusqu'au 14 décembre 1993. Dès ce moment-là, un nouveau délai a donc commencé à courir (art. 134 al. 2 CO en liaison avec l'art. 137 al. 1 CO). Enfin, on ne saurait de toute évidence assimiler à une ordonnance ou décision du juge la simple demande de renseignements adressée le 7 novembre 1997 au demandeur par le greffier de la juridiction des prud'hommes. Seul est dès lors litigieux le point de savoir si la réponse à cette demande, donnée le 13 novembre 1997 par le conseil du demandeur, constituait ou non un acte judiciaire au sens de l'art. 138 al. 1 CO.
L'opinion émise par la cour cantonale quant à la portée de ce dernier écrit n'est pas convaincante. Elle pèche déjà dans son fondement théorique. De fait, contrairement à l'avis des juges précédents, la qualification d'acte judiciaire des parties ne dépend pas de l'impression que l'acte accompli par le créancier produit sur le débiteur. Il ne s'agit pas de déterminer, pour reprendre les termes utilisés dans l'arrêt attaqué, "si l'acte de procédure litigieux est ou non de nature à laisser le débiteur dans sa croyance légitime que le créancier renonce à faire valoir sa prétention". Le faire reviendrait à inclure un élément subjectif dans la définition d'une notion que la sécurité du droit commande, au contraire, d'objectiver dans l'intérêt des deux parties. La ratio legis de l'art. 138 al. 1 CO étant - on l'a vu - de sanctionner l'inaction du créancier, il convient bien plutôt de rechercher si telle démarche procédurale formelle, accomplie par celui-ci, est susceptible de faire progresser l'instance, qu'elle rapproche ou non le procès de son issue. Sans doute la notion d'acte judiciaire des parties ainsi définie demeure-t-elle, dans une certaine mesure, une notion juridique indéterminée, au point qu'il serait illusoire de vouloir établir une classification définitive des actes procéduraux qu'elle pourrait embrasser et de ceux qui lui seraient étrangers. Toujours est-il que, dans cette acception, la notion litigieuse apparaît nettement plus praticable que celle qui fait appel à une interprétation subjective que pourrait donner le débiteur à l'acte posé par le créancier.
A cet égard, force est de constater que la lettre du 13 novembre 1997, partiellement reproduite plus haut (let. A.c), si on l'examine d'un point de vue objectif, n'a pas fait progresser l'instance prud'homale d'un iota. Cette instance était d'ores et déjà suspendue, conformément à l'arrêt de la Chambre d'appel des prud'hommes du 18 novembre 1992, et elle devait être reprise, selon le même arrêt, à l'initiative de la partie la plus diligente, une fois connu le sort définitif réservé à l'exception d'incompétence ratione materiae soulevée par le demandeur dans le procès pendant devant le Tribunal de première instance. En se contentant de solliciter, dans la susdite lettre, le maintien de la suspension de la cause prud'homale, le demandeur n'a donc pas effectué un acte de nature à modifier la situation procédurale préexistante. Pourtant, rien ne justifiait semblable atermoiement de sa part. Il savait, en effet, depuis le 14 décembre 1993, date à laquelle l'arrêt rendu le 5 novembre 1993 par la Cour de justice était entré en force, que la juridiction civile ordinaire s'estimait seule compétente pour trancher le différend résultant de la résiliation immédiate du contrat de travail ayant lié les parties. Dès lors, de deux choses l'une: soit le demandeur se soumettait à cet arrêt, contre lequel il n'avait du reste pas recouru, et décidait de faire valoir dorénavant ses droits devant le Tribunal de première instance en lui soumettant des conclusions reconventionnelles dans le délai qui lui avait été imparti pour ce faire; soit il cherchait à obtenir que la juridiction prud'homale se prononçât sur sa compétence pour connaître de son action en dommages-intérêts du chef de la résiliation immédiate de son contrat de travail; mais il fallait pour cela qu'il la relançât formellement puisque l'instance ne devait être reprise qu'à l'initiative de la partie la plus diligente. Au lieu de quoi, le demandeur a préféré temporiser pour on ne sait quelle raison. Non seulement il n'a pas pris de conclusions reconventionnelles dans le délai que la juridiction civile ordinaire lui avait fixé à cette fin, mais il n'a pas non plus relancé la juridiction prud'homale pour qu'elle statuât sur sa propre compétence. Or, c'est ainsi qu'il aurait dû agir et c'est d'ailleurs ce qu'il a fait ultérieurement en requérant la convocation d'une audience, par courrier du 19 novembre 1999, après que le greffier de la juridiction des prud'hommes l'eut relancé. Par cet acte, il a confirmé, a contrario, le caractère injustifié de son attentisme.
Ainsi, la Cour de justice a considéré à tort que la lettre du 13 novembre 1997 constituait un acte judiciaire tombant sous le coup de l'art. 138 al. 1 CO. Il suit de là que le délai de prescription quinquennal a expiré le 14 décembre 1998, aucun acte interruptif n'étant intervenu depuis le 14 décembre 1993.
L'introduction d'une action devant un juge incompétent n'interrompt pas la prescription (cf. consid. 3.2). En l'occurrence, par arrêt du 27 septembre 2000, la Chambre d'appel des prud'hommes s'est déclarée incompétente pour connaître des prétentions élevées par le demandeur à l'encontre de la défenderesse. Il s'ensuit que la prescription des créances du premier envers la seconde est intervenue le 22 août 1996, cinq ans après que ces créances étaient devenues exigibles, et qu'elle n'a pas été interrompue ni suspendue entre-temps.
Aux termes de l'art. 139 CO, lorsque l'action ou l'exception a été rejetée par suite de l'incompétence du juge saisi, ou en raison d'un vice de forme réparable, ou parce qu'elle était prématurée, le créancier jouit d'un délai supplémentaire de soixante jours pour faire valoir ses droits, si le délai de prescription est expiré dans l'intervalle. Cette disposition repose sur des considérations d'équité (PICHONNAZ, op. cit., n. 1 ad art. 139 CO); lorsque ses conditions d'application sont remplies, la loi accorde au créancier un délai de grâce pour interrompre la prescription par une action ou une exception correctement introduite (PICHONNAZ, op. cit., n. 11 ad art. 139 CO).
En l'espèce, l'arrêt de la Chambre d'appel des prud'hommes du 27 septembre 2000, constatant l'incompétence de la juridiction prud'homale, a été notifié aux parties le 20 décembre 2000. Le 14 février 2001, soit moins de soixante jours après la réception de la décision d'incompétence, le demandeur a déposé des conclusions reconventionnelles dans la procédure pendante, devant le Tribunal de première instance, entre la défenderesse (dans ce cas demanderesse), d'une part, et lui-même ainsi que ses codéfendeurs, d'autre part. Il y a fait valoir, par ce biais, ses prétentions découlant de la résiliation du contrat de travail, lesquelles s'étaient prescrites dans l'intervalle séparant l'introduction de l'action (1er octobre 1991) de la décision d'incompétence (27 septembre 2000). En soi, la demande reconventionnelle a les mêmes effets que la demande principale (ATF 59 II 382 p. 385 s.; PICHONNAZ, op. cit., n. 15 ad art. 135 CO; BERTI, op. cit., n. 60 ad art. 135 CO; DÄPPEN, op. cit., n. 7 ad art. 135 CO p. 731). Encore faut-il qu'elle ait été introduite régulièrement pour valoir acte interruptif de prescription, au sens de l'art. 135 ch. 2 CO. Or, dans le cas concret, par jugement du 27 septembre 2001, confirmé en appel par arrêt du 14 juin 2002 notifié le 19 du même mois aux parties, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, la demande reconventionnelle formée le 14 février 2001. Aussi cette demande n'a-t-elle pas permis d'écarter les effets de la prescription survenue avant son dépôt.
Certains auteurs admettent, il est vrai, que le créancier puisse bénéficier une seconde fois de la protection de l'art. 139 CO, pour autant qu'il ne commette pas d'abus de droit (PICHONNAZ, op. cit., n. 13 ad art. 139 CO avec d'autres références; BERTI, op. cit., n. 66 ad art. 139 CO; DÄPPEN, op. cit., n. 10 ad art. 139 CO p. 731; d'un autre avis : ENGEL, op. cit., p. 821 et JEAN-ALBERT WYSS, Quelques problèmes de péremption et de prescription, in JdT 1973 I p. 256 ss, 268 ch. 1, qui se fondent sur un obiter dictum de l' ATF 80 II 288 consid. 2 p. 293 in fine/294). A supposer que cette thèse doive être retenue - question qui peut demeurer indécise -, on pourrait se demander si, en ouvrant action le 16 août 2002, moins de soixante jours après avoir reçu l'arrêt confirmant l'irrecevabilité de sa demande reconventionnelle, le demandeur n'a pas valablement agi dans le délai de grâce de l'art. 139 CO. Or, tel n'est pas le cas. Le délai supplémentaire que cette disposition accorde au créancier suppose que la décision d'irrecevabilité a été prise - seule hypothèse entrant ici en ligne de compte - en raison d'un "vice de forme réparable" affectant l'acte introductif. Le vice est réparable si le droit de procédure applicable octroie la possibilité de corriger l'acte vicié ou si le principe de l'interdiction du formalisme excessif l'exige (PICHONNAZ, op. cit., n. 10 ad art. 139 CO p. 790). Il ne l'est pas, en revanche, lorsque le créancier laisse expirer un délai que la loi cantonale de procédure lui fixe pour agir (cf. ATF 126 III 288 consid. 2b p. 289 et les références). Dans le cas particulier, si la demande reconventionnelle a été déclarée irrecevable, c'est parce que son auteur ne l'a pas déposée dans le délai qui lui avait été imparti à cette fin. L'art. 32 de la loi de procédure civile genevoise, dont l'application a été étendue aux délais fixés par le juge (BERNARD BERTOSSA/LOUIS GAILLARD/JACQUES GUYET/ANDRÉ SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, n. 2 ad art. 32), entraîne, en effet, la déchéance du droit d'accomplir un acte de procédure qui n'a pas été exécuté dans le délai ad hoc. On n'a donc pas affaire, in casu, à un vice réparable, comme le souligne à juste titre le Tribunal de première instance dans son jugement du 13 mars 2003, la demande reconventionnelle ayant été déclarée irrecevable pour cause de tardiveté.
La prescription de toutes les créances du demandeur a couru dès le 22 août 1991. Elle n'a pas été interrompue par l'action introduite le 1er octobre 1991 devant la juridiction prud'homale, celle-ci n'étant pas compétente ratione materiae pour en connaître. Le demandeur a fait valoir ses droits une deuxième fois, le 14 février 2001, en déposant des conclusions reconventionnelles dans la procédure pendante devant la juridiction ordinaire. Ces conclusions ont toutefois été déclarées irrecevables pour cause de tardiveté. Comme on l'a exposé plus haut (cf. consid. 3.3.2), elles étaient affectées d'un vice irréparable excluant l'application de l'art. 139 CO. C'est dire que la prescription n'a été valablement interrompue, pour la première fois, que par l'introduction, le 16 août 2002, devant le Tribunal de première instance, d'une action en paiement des mêmes sommes que celles qui formaient l'objet de la demande reconventionnelle irrecevable. Mais alors, le délai de prescription avait déjà expiré quelque douze mois plus tôt sans avoir été suspendu ni interrompu auparavant.
Il suit de là que l'action du demandeur est prescrite, quel que soit le délai applicable. Partant, elle aurait dû être rejetée, contrairement à l'avis des juges précédents, ce qui conduit à l'admission du présent recours. La cause sera, dès lors, renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.