BGE 144 II 359
 
30. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Administration fiscale cantonale du canton de Genève contre X. (recours en matière de droit public)
 
2C_258/2017 du 2 juillet 2018
 
Regeste
Art. 33 Abs. 1 lit. a und 140 ff. DBG; Art. 53 Abs. 1 StHG; Art. 54 LPFisc/GE (Steuerverfahrensgesetz); Berücksichtigung neuer Tatsachen durch die Cour de justice im Rahmen eines Nachsteuerverfahrens.
 
Sachverhalt
A. X., de profession restaurateur, est domicilié dans le canton de Genève. Après avoir initialement exercé son métier en raison individuelle, en 2005 il a transféré ses actifs et passifs à la société Y. SA (ci-après: la Société). Celle-ci, devenue en mars 2016 Z. SA, avait pour but "l'exploitation de cafés-restaurants, hôtels et autres établissements publics, notamment l'exploitation de Y.". X. a été le fondateur, actionnaire unique et administrateur de la Société jusqu'en mai 2011.
B.
B.a Le 4 avril 2014, l'Administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration cantonale) a informé X. de l'ouverture d'une procédure en rappel d'impôt et en soustraction d'impôt à son encontre pour les périodes fiscales 2007 à 2011, ainsi que d'une procédure pour tentative de soustraction pour l'année 2012, en relation avec la découverte d'un compte bancaire non déclaré par le contribuable, intitulé "A.". Après avoir obtenu des informations ultérieures à ce sujet, l'Administration cantonale a étendu la procédure aux périodes fiscales 2004 à 2006. Le 17 octobre 2014, cette autorité a notifié au contribuable des décisions de rappel d'impôt, ainsi que des amendes pour soustraction d'impôt concernant l'impôt fédéral direct (ci-après: IFD) et les impôts cantonal et communal (ci-après: ICC) 2004 à 2011. L'Administration cantonale a constaté que le solde du compte bancaire non déclaré précité devait être ajouté à la fortune de X. En outre, celui-ci avait encaissé sur ledit compte des montants en relation avec sa profession de restaurateur. Ceux-ci devaient être réintégrés au titre de bénéfices de l'activité indépendante du contribuable pour les périodes fiscales 2004 et 2005. Concernant les périodes fiscales 2006 à 2011, l'intéressé avait encaissé des montants appartenant à la Société directement sur un compte privé sans les comptabiliser dans les produits de celle-ci. Il avait donc bénéficié d'avantages appréciables en argent imposables en tant que rendement de sa fortune mobilière. Le total des suppléments d'impôt ICC et IFD à payer pour les années 2004 à 2011 s'élevait à 588'848 fr. 50 et le total des amendes à 441'629 fr.
Le 17 novembre 2014, X. a formé réclamation contre les bordereaux de reprise et d'amende du 17 octobre 2014. Par décisions sur réclamation du 13 mars 2015, l'Administration cantonale a maintenu inchangés les bordereaux querellés ainsi que les amendes.
B.b Le 10 avril 2015, X. a recouru contre ces décisions devant le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le TAPI). Le 10 novembre 2015, après avoir implicitement joint les causes, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l'Administration cantonale pour qu'elle notifie au contribuable de nouveaux bordereaux de rappels d'impôt et d'amendes concernant l'ICC 2004 à 2011. Les bordereaux relatifs à l'IFD demeuraient par contre inchangés.
B.c Le 10 décembre 2015, X. a interjeté recours contre le jugement du TAPI auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice). Le 29 février 2016, invitée à se déterminer sur le recours, l'Administration cantonale a conclu au rejet de celui-ci et a notamment requis qu'il soit procédé à l'instruction de certains éléments factuels nouveaux dont elle avait eu connaissance en cours de procédure, à savoir l'existence de huit autres comptes non déclarés par le contribuable.
Par arrêt du 24 janvier 2017, la Cour de justice a déclaré irrecevable la requête de l'Administration cantonale concernant les nouveaux éléments de fait avancés par celle-ci et a partiellement admis le recours de X. sur une question relative au calcul des rappels d'impôt. Elle a ainsi partiellement annulé le jugement du TAPI s'agissant de cette question, confirmé ledit jugement pour le surplus et renvoyé la cause à l'Administration cantonale afin qu'elle établisse des nouveaux bordereaux de rappel d'impôt ICC et IFD 2004 à 2011 et d'amende ICC et IFD 2004 à 2011.
C. A l'encontre de l'arrêt du 24 janvier 2017, l'Administration cantonale dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à la Cour de justice "pour nouveaux jugements incluant les éléments non déclarés apparus tardivement".
(résumé)
 
Extrait des considérants:
II. Question procédurale relative à la prise en compte de faits nouveaux
4.1 La Cour de justice a considéré que, conformément à l'art. 54 de la loi genevoise de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc/GE; rs/GE D 3 17), elle détenait en matière fiscale le même pouvoir de cognition que le TAPI et pouvait "à nouveau déterminer tous les éléments imposables". L'autorité précédente a cependant relevé que les prétentions juridiques découlant des faits nouveaux invoqués par l'Administration cantonale "sort[ai]ent du cadre strict de l'objet du litige", de sorte que les conclusions y relatives devaient être déclarées irrecevables. En effet, dans son recours auprès de la Cour de justice, le contribuable avait limité l'objet du litige à la question de la déduction des charges d'exploitation et des intérêts en lien avec les suppléments d'impôt découlant de la découverte du compte "A." non déclaré. Selon les juges précédents, la prise en compte des éléments nouveaux avancés par l'Administration cantonale, à savoir huit autres comptes bancaires non déclarés par l'intéressé, aurait entraîné une taxation supplémentaire sur de nouveaux points et aurait ainsi privé le contribuable "de deux degrés de juridiction", ne permettant pas à la Cour de justice d'exercer sa fonction de contrôle.
4.3 En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent être examinés et jugés, en principe, que les rapports juridiques à propos desquels l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement, d'une manière qui la lie sous la forme d'une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d'un recours (cf. ATF 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426; ATF 131 V 164 consid. 2.1 p. 164; ATF 125 V 413 consid. 1a p. 414). Le juge n'entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l'objet de la contestation (cf. ATF 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426; arrêt 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1; concernant la procédure devant le Tribunal fédéral, voir ATF 142 I 155 consid. 4.4.2 p. 156). L'objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée, dans la mesure où - d'après les conclusions du recours - il est remis en question par la partie recourante (cf. arrêts 2C_470/2017 du 6 mars 2018 consid. 3.1; 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1; 2C_929/2014 du 10 août 2015 consid. 2.1). L'objet de la contestation (Anfechtungsgegenstand) et l'objet du litige (Streitgegenstand) sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, les rapports juridiques non litigieux sont certes compris dans l'objet de la contestation, mais non pas dans l'objet du litige (cf. ATF 125 V 413 consid. 1b p. 414 s.; arrêt 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1). L'objet du litige peut donc être réduit par rapport à l'objet de la contestation. Il ne peut en revanche, sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (cf. arrêts 9C_509/2015 du 15 février 2016 consid. 3; 9C_636/2014 du 10 novembre 2014 consid. 3.1; 9C_678/2011 du 4 janvier 2012 consid. 3.1), s'étendre au-delà de celui-ci (cf. ATF 136 II 457 consid. 4.2 p. 463, ATF 136 II 165 consid. 5 p. 174).
A ce sujet, il y a lieu de souligner en particulier que la possibilité de procéder à une reformatio in pejus, prévue expressément par l'art. 54 LPFisc/GE, permet à l'autorité fiscale et aux autorités judiciaires d'aller au-delà des conclusions des parties et de modifier la décision au désavantage du contribuable, mais elle ne saurait pas pour autant autoriser celles-ci à dépasser le cadre strict de l'objet de la contestation (cf. BGE 135 V 23 consid. 3.1 p. 26; arrêt 4A_487/2007 du 19 juin 2009 consid. 7.1; GRODECKI/JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 875 p. 233 et n. 1089 p. 286 s.; BENOÎT BOVAY, Procédure administrative, 2e éd. 2015, p. 611; MEYER/VON ZWEHL, in L'objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, Bovay/Nguyen [éd.], Mélanges en l'honneur de Pierre Moor, 2005, p. 435 ss, 448; ULRICH MEYER-BLASER, Der Streitgegenstand im Streit - Erläuterungen zu BGE 125 V 413, in Aktuelle Rechtsfragen der Sozialversicherungspraxis, Schaffhauser/Schlauri [éd.], vol. 6, 2001, p. 9 ss, 26). Il en va de même de la libre appréciation des faits, voire de la possibilité de tenir compte de nova (cf. art. 54 LPFisc/GE).
Le rappel d'impôt est le pendant, en faveur du fisc, de la révision en faveur du contribuable (cf. arrêt 2C_640/2010 du 11 décembre 2010 consid. 4.3). Cette procédure porte sur la perception d'impôts qui n'ont pas pu être prélevés par l'administration cantonale au cours de la taxation ordinaire. Le rappel d'impôt n'est soumis qu'à des conditions objectives: il implique qu'une taxation n'a, à tort, pas été établie ou est restée incomplète, de sorte que la collectivité publique a subi une perte fiscale; il suppose aussi l'existence d'un motif de rappel. Ce motif peut résider dans la découverte de faits ou de moyens de preuve inconnus jusque-là, soit des faits ou moyens de preuve qui ne ressortaient pas du dossier dont disposait l'autorité fiscale au moment de la taxation (arrêts 2C_676/2016 du 5 décembre 2017 consid. 4.1; 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 6.3, in RDAF 2015 II p. 267; 2C_724/2010 du 27 juillet 2011 consid. 8.1, in RDAF 2012 II p. 37).
Selon la jurisprudence, l'autorité fiscale peut, en principe, considérer que la déclaration d'impôt est exacte et complète et elle n'est pas tenue, à défaut d'indices correspondants, de rechercher des informations complémentaires. En raison de la maxime inquisitoire, l'autorité doit cependant procéder à une analyse plus approfondie, lorsqu'il ressort manifestement du dossier que les faits déterminants sont incomplets ou peu clairs. Lorsque l'autorité fiscale aurait dû se rendre compte de l'état de fait incomplet ou inexact, le rapport de causalité adéquate entre la déclaration lacunaire et la taxation insuffisante ou incomplète est interrompu et les conditions pour procéder ultérieurement à un rappel d'impôt font défaut (cf. arrêts 2C_676/ 2016 du 5 décembre 2017 consid. 4.1; 2C_632/2012 du 28 juin 2013 consid. 3.4; 2C_1225/2012 du 7 juin 2013 consid. 3.1; 2C_104/2008 du 20 juin 2008 consid. 3.3 et les références citées).
La décision sur rappel d'impôt fixe le supplément à payer par le contribuable en lien avec l'élément qui n'a - à tort - pas été imposé et ne représente pas une prétention fiscale de nature différente de la créance primitive d'impôt (cf. CASANOVA/DUBEY, in Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2e éd. 2017, n° 1 ad art. 151 LIFD p. 1811).
4.5.2 En l'espèce, l'ouverture, en 2014, de la procédure en rappel d'impôt et en soustraction d'impôt à l'encontre de l'intimé supposait la réalisation des conditions précitées, notamment l'existence d'un motif de rappel. L'Administration cantonale a retenu que la découverte du compte "A." non déclaré par le contribuable constituait un tel motif, ce qui n'est pas contesté en l'occurrence, et a procédé au rappel d'impôt y relatif. Cette autorité aurait aussi pu étendre la procédure à d'autres éléments imposables détectés au cours de ses investigations (en l'occurrence d'autres comptes), mais toujours dans le respect, pour chacun de ces éléments, des conditions exposées ci-dessus (cf. supra consid. 4.5.1). Les décisions de rappel d'impôt rendues par l'Administration cantonale le 17 octobre 2014, fondées sur l'existence du compte "A." non déclaré par l'intimé, ont ensuite fait l'objet d'une procédure judiciaire. L'objet de la contestation portait ainsi sur les motifs à l'origine du rappel, qui permettaient d'établir que les conditions justifiant ledit rappel étaient réunies, ainsi que sur les conséquences fiscales de la découverte du compte "A." en question. Dans ce cadre, la Cour de justice avait la compétence de déterminer à nouveau tous les éléments imposables et de procéder, le cas échéant, à une reformatio in pejus (art. 54 LPFisc/GE). Par exemple, elle aurait pu effectuer un nouveau calcul des déductions requises par le contribuable et parvenir à un résultat moins favorable pour celui-ci. En revanche, elle ne pouvait donner suite à la demande de l'Administration cantonale et se prononcer sur l'existence de nouveaux comptes en élargissant la procédure de rappel à ceux-ci. Tel que l'a jugé à juste titre l'autorité précédente, cela aurait représenté une extension de l'objet de la contestation à des nouveaux éléments imposables, ce qui n'est autorisé par aucune des règles applicables en l'espèce (cf. supra consid. 4.4).
En ce sens, la présente situation doit être distinguée de celle qui prévalait dans l'arrêt 2C_393/2015 du 26 janvier 2016. Dans ledit arrêt, le Tribunal fédéral avait considéré que le fait d'examiner un litige sous l'angle du rappel d'impôt, alors que les autorités précédentes n'avaient pas envisagé une telle possibilité, ne constituait pas une extension inadmissible de la procédure, mais que cela revenait uniquement à appliquer une approche juridique nouvelle aux mêmes éléments de fait (arrêt 2C_393/2015 du 26 janvier 2016 consid. 6.1 in fine). Un tel raisonnement n'est pas transposable à la présente cause, dans laquelle l'Administration cantonale fait justement grief à la Cour de justice de ne pas avoir inclus dans la procédure des éléments de fait nouveaux.
Il ne faut en outre pas perdre de vue que la prise en compte, devant la Cour de justice, des éléments nouveaux communiqués par l'Administration cantonale en cours de procédure, à savoir l'existence des huit autres comptes non déclarés par le contribuable, aurait empêché celui-ci de contester les rappels d'impôt y relatifs dans le cadre des voies de droit ordinaires (réclamation, recours) prévues à cette fin par les lois fiscales topiques. Si la Cour de justice avait élargi l'objet de la procédure de rappel aux comptes en question, comme requis par l'autorité recourante, l'intimé aurait été privé de la possibilité de faire valoir sa position par rapport auxdits comptes devant les instances précédentes et aurait notamment dû contester un rappel d'impôt fondé sur ces nouveaux éléments directement devant la Cour de justice, ce qui n'est pas admissible.
4.5.3 L'Administration cantonale affirme également que l'arrêt entrepris aurait pour conséquence de l'obliger à "ouvrir une nouvelle procédure en rappel d'impôt et en soustraction, portant sur les mêmes périodes fiscales que celles qui sont l'objet du présent litige, avec le risque certain de se voir opposer l'argument selon lequel elle a fait preuve de négligence en n'intégrant pas les nouveaux éléments dans la procédure précédente". Cette critique est inopérante. En effet, la recourante perd de vue que la procédure de rappel d'impôt qu'elle a ouverte en 2014 ne concernait que le compte "A.". Le fait que, au moment de la découverte des huit autres comptes non déclarés, ladite procédure était pendante devant la Cour de justice, n'empêchait nullement l'Administration cantonale d'entamer une nouvelle procédure et de rendre une nouvelle décision de rappel d'impôt fixant les suppléments d'impôt fondés sur ces éléments nouveaux, au besoin en demandant la suspension de la procédure de rappel déjà en cours concernant le compte "A." si elle le souhaitait. Le risque que cette nouvelle procédure ne remplisse pas les conditions propres à l'ouverture d'un rappel d'impôt ne saurait être éludé par l'autorité par une extension indue de la contestation relative à la première procédure de rappel.