BGE 132 II 408
 
34. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Eole-Res SA et Conseil d'Etat de la République et Canton de Neuchâtel, chacun contre A. et consorts (recours de droit administratif et recours de droit public)
 
1A.122/2005 / 1A.134/2005 / 1P.288/2005 du 31 août 2006
 
Regeste
Raumplanung, Schutzzone, Energiepolitik, kantonaler Nutzungsplan für Windkraftanlagen.
Abwägung der Interessen zur Feststellung des öffentlichen Interesses und der Verhältnismässigkeit einer umstrittenen raumplanerischen Massnahme (Art. 36 Abs. 2 und 3 BV i.V.m. Art. 26 Abs. 1 BV); Gegenüberstellung der Wichtigkeit bzw. des Interesses an der Erhaltung eines Naturschutzgebietes einerseits und des Interesses an der Umsetzung der vom Bund und von den Kantonen entwickelten Politik zur Förderung erneuerbarer Energien andererseits (E. 4.3-4.5).
 
Sachverhalt
En 1997, l'administration cantonale neuchâteloise a engagé une étude préliminaire visant à évaluer les sites potentiels les plus favorables pour des installations de production d'énergie éolienne. Le site du Crêt-Meuron a été retenu, avec d'autres, dans le cadre de cette étude. Ce site, au lieu-dit "Derrière Tête-de-Ran" à environ 1'300 m d'altitude, se trouve à proximité du col de la Vue-des-Alpes, à quelques kilomètres de la ville de La Chaux-de-Fonds, sur le territoire des communes de Fontaines et des Hauts-Geneveys. Il est compris dans le périmètre du "plan des sites naturels du canton" annexé au décret du 14 février 1966 concernant la protection des sites naturels du canton (ci-après: le décret de 1966 [RSN 461.303]). Ce site fait partie des "zones de crêtes et de forêts", en principe non constructibles. Le plan d'aménagement (plan général d'affectation) de la commune des Hauts-Geneveys, de 1995, classe le site du Crêt-Meuron - pour la partie située sur le territoire de cette commune - dans la zone de crêtes et forêts, qualifiée de "zone à protéger" et de "zone d'affectation cantonale". Quant au plan d'aménagement de la commune de Fontaines, de 2001, il classe le reste de ce site à la fois dans la zone de crêtes et forêts (zone d'affectation cantonale) et dans la zone agricole (zone d'affectation communale).
Après l'étude préliminaire précitée, l'administration cantonale a élaboré, puis mis en consultation en juin 2001, une nouvelle fiche de coordination 9-0-04 du plan directeur cantonal. L'objet de cette fiche est ainsi décrit: "Planification cantonale pour l'implantation de deux parcs d'éoliennes en vue de la production d'énergie électrique; le premier parc est planifié sur le site du Crêt-Meuron; le deuxième parc doit encore être déterminé". Le 29 août 2001, le Conseil d'Etat a complété le plan directeur cantonal en y insérant la fiche 9-0-04. Cette adjonction a été approuvée par le Conseil fédéral le 4 décembre 2001.
Un projet de parc éolien au Crêt-Meuron a été mis au point par le service cantonal de l'énergie, l'association Suisse-Éole (association pour la promotion de l'énergie éolienne en Suisse) et la société anonyme française Eole-Res SA, présentée comme le "développeur" du projet. Le Département cantonal de la gestion du territoire (DGT - ci-après: le département cantonal) a élaboré, puis adopté le 20 décembre 2001, un projet de plan d'affectation cantonal, avec un périmètre général de 111.5 ha et des "périmètres d'évolution" (cercles d'un diamètre de 50 m) pour sept éoliennes réparties dans le périmètre général. Le plan figure encore trois autres périmètres d'évolution (pour un mât de mesures, un bâtiment technique et un parking), des chemins d'accès, des périmètres de revitalisation des pâturages boisés ainsi que des emplacements de mares à créer (mesures de compensation). Il reprend pour le reste les données relatives à l'affectation des zones selon le plan annexé au décret de 1966 ou selon les plans communaux. Le règlement du plan d'affectation cantonal (RPAC) prévoit que ce plan (PAC) définit les règles d'utilisation du sol applicables aux constructions et installations nécessaires au parc éolien; pour autant que ce règlement n'en dispose pas autrement, les prescriptions des règlements sur les constructions des communes de Fontaines et des Hauts-Geneveys demeurent applicables (art. 2 RPAC). Les dispositions de l'art. 2 du décret de 1966 sont également applicables, sauf à l'intérieur des périmètres d'évolution (art. 4 ch. 1 RPAC). L'art. 5 ch. 2 RPAC définit les caractéristiques des sept éoliennes: chacune est constituée d'un mât de 60 m de haut sur lequel est fixé un rotor à trois pales de 66 m de diamètre; la hauteur totale d'une éolienne ne doit pas dépasser 93 m.
Le projet de plan d'affectation cantonal a été mis à l'enquête publique du 11 au 31 janvier 2002. Le dossier comprenait, outre le plan et le règlement, un document intitulé "rapport de conformité selon art. 47 OAT/notice d'impact sur l'environnement", établi par le bureau d'ingénieurs N., à Neuchâtel. Plusieurs particuliers, surtout des propriétaires de résidences secondaires dans les environs, ainsi que deux organisations de protection de la nature ont formé opposition. Le département cantonal a écarté ces oppositions par trois décisions motivées, rendues le 18 février 2003.
Les opposants ont recouru auprès du Tribunal administratif cantonal contre les décisions du département cantonal. Les deux recours - l'un formé par les deux organisations, l'autre par les particuliers - ont été joints. Le Tribunal administratif a, par un arrêt rendu le 31 mars 2005, admis les recours et annulé les décisions attaquées. En substance, il a effectué une pesée des intérêts en présence, retenant notamment que la planification du parc éolien devait répondre à des exigences au moins aussi sévères que celles prévues pour l'octroi d'une dérogation selon l'art. 24 LAT (RS 700). Il a considéré que la zone de crêtes dans laquelle s'inscrit le périmètre du plan d'affectation cantonal litigieux bénéficiait d'une protection particulière. Il a qualifié d'"extrêmement faible, sinon quasi insignifiant" l'intérêt, ou l'utilité concrète, d'augmenter la production d'énergie par la réalisation d'un parc éolien; l'intérêt à la préservation des espaces naturels devait donc l'emporter. A ce propos, il a considéré que les éoliennes seraient bien visibles depuis de nombreux sites, dans un rayon de plusieurs kilomètres (sommet de Tête-de-Ran, Vue-des-Alpes, haut de la ville de La Chaux-de-Fonds, versant nord de la vallée de La Sagne, notamment); l'impact sur le paysage serait important, aussi dans la région de Tête-de-Ran, site particulièrement fréquenté en tant que zone de délassement. D'après cet arrêt, la plus grande partie du périmètre du plan d'affectation cantonal est située dans une région pratiquement vierge de toute autre construction ou installation; au nord-est de ce périmètre, il se trouve toutefois un téléski et une ligne électrique aérienne à haute-tension.
Agissant par la voie du recours de droit public, la société Eole-Res a demandé au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif. Invoquant la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.) ainsi que la liberté économique (art. 27 Cst.), elle qualifie cette décision d'arbitraire, notamment à cause d'une pesée incomplète des intérêts en jeu. Cette société a en outre formé un recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif. Le Conseil d'Etat du canton a également formé un recours de droit administratif.
Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevables les deux recours de droit administratif. Il est entré en matière sur le recours de droit public formé par la société Eole-Res (conformément à la règle de l'art. 34 al. 3 LAT, la contestation portant sur un plan d'affectation), il l'a admis et il a annulé l'arrêt du Tribunal administratif.
 
Extrait des considérants:
4. La recourante qualifie la décision attaquée d'arbitraire, parce qu'elle serait en contradiction évidente avec la situation de fait. Elle reproche au Tribunal administratif une appréciation insoutenable des intérêts en jeu, en particulier de l'intérêt public que représente la production de l'énergie éolienne. Elle soutient également que ce Tribunal, s'arrogeant la compétence de statuer en opportunité - contrôle pour lequel il doit s'imposer une certaine retenue, par rapport aux choix politiques qu'il n'aurait ni la vocation ni les moyens de contrôler -, n'a pas pris en considération tous les intérêts en jeu, et a donc exercé de manière incomplète son pouvoir de cognition. Elle fait grief aux juges cantonaux, en substance, d'avoir ignoré les aspects favorables au projet pour n'en retenir que les rares aspects négatifs, notamment en surestimant l'importance du paysage.
Le décret de 1966 définit, dans son périmètre, trois genres de zones: les zones de crêtes et de forêts, les zones de vignes et de grèves, les zones de constructions basses (art. 1er al. 2). Les zones de crêtes et de forêts sont, en vertu de l'art. 2 al. 1 du décret de 1966 - article révisé en 1988 -, "soumises aux dispositions applicables aux zones situées hors de la zone d'urbanisation telles qu'elles sont prévues par la loi cantonale sur l'aménagement du territoire (LCAT), du 24 juin 1986". L'art. 8 de ce décret prévoit en outre qu'il n'a pas pour effet, dans le périmètre général de ces zones, de "restreindre (...) l'édification de bâtiments servant à des fins d'utilité publique". Le décret de 1966, dans sa teneur actuelle, ne définit pas plus précisément le régime applicable au site du Crêt-Meuron. Avant la révision de 1988, l'art. 2 al. 1 du décret interdisait d'édifier, dans les zones de crêtes et de forêts, "des bâtiments servant à un but étranger à l'économie agricole, viticole ou forestière"; il contenait déjà la réserve de l'art. 8 al. 1 au sujet des bâtiments d'utilité publique (cf. ancien Recueil de la législation neuchâteloise, tome III, p. 696).
Actuellement, depuis la révision de 1988 - qui avait pour but d'adapter ce plan cantonal aux exigences de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, comme cela est exposé dans l'arrêt attaqué (cf. également arrêt 1A.120/2001 du 18 janvier 2002, à propos d'une réduction des zones de constructions basses au lieu-dit Chaumont) -, on peut considérer que la zone de crêtes et de forêts au Crêt-Meuron est une zone à protéger au sens de l'art. 17 al. 1 let. b LAT ("paysages d'une beauté particulière, d'un grand intérêt pour les sciences naturelles ou d'une grande valeur en tant qu'éléments du patrimoine culturel"), inconstructible sous réserve éventuellement de la possibilité d'y édifier des constructions agricoles ou forestières. En résumé, le plan annexé au décret de 1966 est donc actuellement un plan d'affectation au sens des art. 14 ss LAT; c'est du reste ainsi que le Tribunal administratif a interprété la portée des mesures d'aménagement prévues, à l'endroit litigieux, par le décret de 1966.
4.2 En révisant le décret de 1966 après l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, le législateur cantonal y a également introduit un renvoi aux règles de procédure applicables aux plans d'affectation cantonaux (art. 9 al. 1 du décret, renvoyant aux art. 25 à 30 LCAT). Si, dans le périmètre général du plan des sites naturels (art. 1er du décret), les autorités cantonales envisagent une modification partielle ou ponctuelle de la limite des zones, ce projet doit être établi par le service chargé de l'aménagement du territoire (art. 25 al. 1 LCAT) et il incombe au département de statuer sur les oppositions (art. 26 al. 2 LCAT). Ces modifications peuvent intervenir lorsque sont réunies les conditions prévues par le droit fédéral et le droit cantonal pour l'adaptation des plans d'affectation.
L'art. 21 al. 2 LAT dispose que lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées, les plans d'affectation feront l'objet des adaptations nécessaires. Le législateur fédéral a ainsi choisi une solution de compromis entre deux exigences contradictoires: d'une part, l'aménagement du territoire étant un processus continu, et la détermination des différentes affectations impliquant des pesées d'intérêts fondées sur des circonstances changeantes et des pronostics qui ne se confirment jamais entièrement, l'adaptation périodique des plans d'affectation est indispensable pour assurer, progressivement, leur conformité aux exigences légales; d'autre part, il faut tenir compte des intérêts privés et publics dont la protection nécessite une certaine sécurité juridique (cf. THIERRY TANQUEREL, Commentaire LAT, Zurich 1999, nos 11 ss ad art. 21 LAT). La jurisprudence souligne que, pour apprécier l'évolution des circonstances et la nécessité d'adapter un plan d'affectation, une pesée des intérêts s'impose (ATF 131 II 728 consid. 2.4 p. 733). L'intérêt à la stabilité du plan, que les propriétaires fonciers peuvent invoquer dans certaines circonstances, doit être mis en balance avec l'intérêt à l'adoption d'un nouveau régime d'affectation, qui peut lui aussi être protégé par la garantie de la propriété (cf. ATF 120 Ia 227 consid. 2 p. 232-234). Selon les cas, des intérêts publics pourront également justifier soit la stabilité du plan, soit son adaptation. Il incombe donc à l'autorité appelée à statuer sur un projet de modification d'un plan en vigueur d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, une pluralité d'intérêts (cf. ATF 128 I 190 consid. 4.2 p. 198).
La jurisprudence a eu l'occasion de préciser, à propos de l'élaboration d'un plan d'affectation spécial en vue de la réalisation d'une installation non susceptible d'obtenir une autorisation dérogatoire hors de la zone à bâtir, à cause de ses dimensions voire de ses incidences sur la planification locale ou sur l'environnement, que la révision partielle du plan d'affectation - par l'adoption d'un plan d'affectation spécial - ne devait pas être soumise à des exigences moins strictes que l'octroi d'une dérogation selon l'art. 24 LAT. Cela signifie que l'autorité qui établit le plan d'affectation doit vérifier que l'implantation des constructions ou installations à l'endroit retenu est imposée par leur destination (cf. art. 24 let. a LAT), et qu'elle doit examiner si aucun intérêt prépondérant ne s'oppose au projet (cf. art. 24 let. b LAT). En d'autres termes, l'autorité de planification doit procéder à une pesée générale des intérêts et, dans ce cadre, évaluer d'éventuels emplacements alternatifs (cf. ATF 124 II 391 consid. 2c p. 393; ATF 116 Ib 50 consid. 3b p. 55; ATF 115 Ib 508 consid. 6b p. 514; arrêt 1A.79/1996 du 9 août 1996, consid. 4d/cc, publié in ZBl 98/1997 p. 231; TANQUEREL, op. cit., n. 50/51 ad art. 21 LAT; PETER HÄNNI, Planungs-, Bau- und besonderes Umweltschutzrecht, 4e éd., Berne 2002, p. 532). Il n'en demeure pas moins que si, avec l'évolution des circonstances, une mise en oeuvre correcte des buts et principes de l'aménagement du territoire (art. 1 et 3 LAT) ainsi qu'une concrétisation des objectifs du plan directeur cantonal commandent de réviser un plan d'affectation, dans un périmètre restreint et en vue de la réalisation d'un projet particulier, l'autorité de planification doit pouvoir prendre les décisions nécessaires sans être limitée par une interprétation stricte des critères de l'art. 24 LAT. Cette autorité n'est en effet pas dans la même position que celle qui délivre des autorisations ou des dérogations en veillant à ne pas mettre en péril la réalisation du plan d'affectation en vigueur.
Dans le périmètre du plan des sites naturels du canton, selon l'art. 1er du décret de 1966, le droit cantonal énonce des prescriptions complémentaires à celles de l'art. 21 al. 2 LAT. L'art. 9 al. 2 de ce décret permet à l'autorité cantonale, "pour des raisons esthétiques, économiques ou financières ou encore pour des raisons liées aux impératifs d'aménagement du territoire", de "réviser le périmètre des différentes zones et créer ou supprimer des zones de constructions basses"; la surface totale des zones de crêtes, de forêts et de constructions basses ne doit cependant pas être réduite à moins de 370 km² (art. 9 al. 2 let. b). En l'occurrence, le plan d'affectation cantonal prévoit, dans la plus grande partie de son périmètre, le maintien du régime applicable dans les zones de crêtes et de forêts, sauf à l'intérieur des périmètres d'évolution délimités pour sept éoliennes, un mât de mesures, un bâtiment technique et un parking (art. 4 ch. 1 RPAC). Le maintien, dans le canton, d'une surface globalement suffisante de zones de crêtes et de forêts n'est à l'évidence pas compromis. Des "impératifs d'aménagement du territoire" peuvent par ailleurs être invoqués pour justifier l'adoption du projet litigieux. En somme, l'art. 9 al. 2 du décret de 1966 n'impose pas, dans le cas particulier, une pesée des intérêts selon des critères différents de ceux développés par la jurisprudence au sujet de l'art. 21 al. 2 LAT.
Pour définir le cadre de la contestation, le Tribunal administratif a exposé que la question de la compatibilité entre le projet de parc éolien et les dispositions du décret de 1966 ne se posait pas en tant que telle; la force normative du plan d'affectation cantonal contenu dans le décret de 1966, adopté par le législateur et le peuple (référendum du 20 mars 1966), n'était formellement pas supérieure à celle du plan d'affectation cantonal spécial pour le parc éolien. Ces considérations sont correctes, au regard de la règle de l'art. 21 al. 2 LAT. On ne saurait en effet, sur la base du droit fédéral, poser comme principe l'intérêt à la stabilité du plan des sites naturels annexé au décret de 1966.
4.3 Quand la contestation porte sur la modification d'un plan d'affectation, les parties admises à se prévaloir de la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.) peuvent se plaindre du fait que les nouvelles restrictions qui leur sont imposées ne sont pas justifiées par un intérêt public (cf. art. 36 al. 2 Cst.) ni conformes au principe de la proportionnalité (cf. art. 36 al. 3 Cst.). Elles peuvent en d'autres termes critiquer sous cet angle l'application des règles d'aménagement du territoire et le résultat de la pesée des intérêts. Ces questions relèvent en principe du contrôle de la légalité, les intérêts à prendre en compte étant protégés par des normes du droit fédéral ou cantonal, dans le domaine de l'aménagement du territoire proprement dit (art. 1, 3, 14 ss LAT notamment) ou dans d'autres domaines juridiques (cf. ATF 121 II 378 consid. 1e/bb p. 384; ATF 117 Ia 430 consid. 4b p. 432; ATF 115 Ia 350 consid. 3d p. 353; ATF 114 Ia 371 consid. 4b p. 373). Dans le cadre de la juridiction constitutionnelle, le Tribunal fédéral examine en principe librement si les mesures d'aménagement du territoire répondent à un intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité; il s'impose toutefois une certaine retenue lorsqu'il s'agit de tenir compte de circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation (ATF 129 I 337 consid. 4.1 p. 344; ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les arrêts cités). Les constatations de fait, dans la procédure de recours de droit public, ne sont revues que sous l'angle de l'arbitraire et le grief de violation de l'art. 9 Cst. n'a dans cette mesure, en cas de contestation du résultat de la pesée des intérêts, pas de portée indépendante (cf. ATF 122 I 168 consid. 2c p. 173; ATF 119 Ia 362 consid. 3a p. 366).
Ces mêmes règles s'appliquent lorsqu'un projet de révision du plan est adopté par l'autorité de planification puis finalement annulé par l'autorité cantonale de recours. Les intéressés peuvent alors faire valoir devant le Tribunal fédéral que le maintien du régime d'affectation en vigueur - conséquence de l'annulation du nouveau plan - n'est plus justifié, vu l'évolution des circonstances (cf. art. 21 al. 2 LAT), et que le refus du nouveau plan porte atteinte à la garantie de la propriété, la révision envisagée permettant de lever des restrictions dépourvues d'intérêt public ou disproportionnées (cf. ATF 120 Ia 227 consid. 2c p. 233).
Avant l'adoption (par le département cantonal) du plan d'affectation cantonal litigieux, le Conseil d'Etat s'était déjà prononcé sur le choix du site du Crêt-Meuron, dans le cadre d'une adaptation du plan directeur cantonal (nouvelle fiche de coordination 9-0-04). Le Tribunal administratif a renoncé, dans l'arrêt attaqué, à examiner la validité de cette fiche. D'un point de vue formel, on ne voit cependant pas en quoi cette fiche serait critiquable: elle a été approuvée par le Conseil fédéral conformément à l'art. 11 LAT et elle contient des indications susceptibles de figurer dans le plan directeur cantonal, en vertu de l'art. 8 LAT (cf. également art. 5 de l'ordonnance sur l'aménagement du territoire [OAT; RS 700.1]). Cela étant, le Tribunal administratif ne s'est pas considéré comme lié par cette "planification cantonale pour l'implantation de deux parcs d'éoliennes" (selon le libellé de la fiche), de sorte qu'il n'y a pas lieu de contrôler, dans la présente procédure, le contenu du plan directeur cantonal (cf. ATF 113 Ib 299). L'arrêt attaqué rappelle toutefois certaines données, qui sont à la base de cette fiche de coordination: l'arc jurassien se prête bien à l'installation d'éoliennes et le canton de Neuchâtel présente des caractéristiques particulièrement favorables pour la production d'énergie éolienne, d'après des études effectuées sur le plan national. Il ressort par ailleurs des décisions du département cantonal du 18 février 2003 écartant les oppositions au projet de plan d'affectation que, dans ce canton, les secteurs favorables à l'installation d'éoliennes se trouvent en zone de crêtes et de forêts (à une altitude supérieure à 800 m), et que le site de Crêt-Meuron a en outre les qualités topographiques nécessaires (pente et surface notamment).
4.5 C'est dans le cadre de la pesée générale des intérêts - ou de l'application par analogie de l'art. 24 let. b LAT - que le Tribunal administratif a accordé une importance prépondérante à la protection de l'environnement naturel ou, en d'autres termes, à la conservation des sites naturels et des territoires servant au délassement, conformément au principe énoncé à l'art. 3 al. 2 let. d LAT. Cette pesée des intérêts est critiquée par la recourante, qui fait valoir que l'adoption du plan d'affectation cantonal s'inscrit dans une politique publique (ensemble d'activités normatives et administratives) fédérale et cantonale en faveur du développement des énergies renouvelables. Elle reproche d'une part au Tribunal administratif une compréhension objectivement insoutenable de l'intérêt public que représente la production d'énergie éolienne. D'autre part, elle prétend que l'appréciation de la valeur du paysage est arbitraire.
4.5.1 La politique énergétique en Suisse est une politique publique dont les bases constitutionnelles et légales figurent dans des normes fédérales et cantonales. Au niveau fédéral, l'art. 89 Cst. dispose que dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons s'emploient à promouvoir un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économiquement optimal et respectueux de l'environnement, ainsi qu'une consommation économe et rationnelle de l'énergie (al. 1). La Confédération fixe les principes applicables à l'utilisation des énergies indigènes et des énergies renouvelables et à la consommation économe et rationnelle de l'énergie (al. 2); elle favorise le développement des techniques énergétiques, en particulier dans les domaines des économies d'énergie et des énergies renouvelables (al. 3). La loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'énergie (LEne; RS 730.0), reprend dans l'énoncé de ses buts les principes de l'art. 89 al. 1 Cst. (art. 1 al. 1 LEne) en précisant notamment qu'elle vise à encourager le recours aux énergies indigènes et renouvelables (art. 1 al. 2 let. c LEne). D'après cette loi, la politique énergétique fait l'objet d'une coordination et d'une collaboration entre Confédération, cantons, milieux économiques et autres organisations (art. 2 LEne). L'approvisionnement en énergie (la production, la transformation, le stockage notamment), qui relève des entreprises de la branche énergétique (art. 4 LEne), doit selon les principes directeurs de l'art. 5 LEne être sûr, économique et compatible avec les impératifs de l'environnement; sur ce dernier point, cela implique une utilisation mesurée des ressources naturelles, le recours aux énergies renouvelables et la prévention des effets gênants ou nuisibles pour l'homme et l'environnement (art. 5 al. 3 LEne). La notion d'énergie renouvelable est définie à l'art. 1 let. f de l'ordonnance du 7 décembre 1998 sur l'énergie (OEne; RS 730.01): on entend par là la force hydraulique, l'énergie solaire, la géothermie, la chaleur ambiante, l'énergie éolienne et la biomasse (en particulier le bois, mais sans les ordures dans les usines d'incinération et dans les décharges).
En droit cantonal, l'art. 5 de la Constitution cantonale (Cst./NE; RS 131.233) énumère les tâches de l'Etat et des communes; cette liste mentionne l'approvisionnement en eau et en énergie, la gestion parcimonieuse des ressources non renouvelables, ainsi que l'encouragement à l'utilisation des ressources renouvelables (art. 5 al. 1 let. l Cst./NE). La loi cantonale sur l'énergie (LCEn; RSN 740.1) énonce, dans la définition de ses buts et des principes de l'approvisionnement énergétique, des normes analogues à celles de la loi fédérale (cf. art. 1er et 30 LCEn). A propos des "énergies indigènes" (note marginale), l'art. 31 LCEn dispose que le canton et les communes mènent une politique active en vue de la mise en valeur des ressources énergétiques indigènes, notamment la force hydraulique, l'énergie solaire, la géothermie, la chaleur et le froid de l'environnement, la biomasse, dont le bois, l'énergie éolienne et les ordures.
L'arrêt attaqué, qui cite ces différentes normes, relève à juste titre que ni le constituant ni le législateur - au niveau fédéral ou cantonal - n'ont fixé de "hiérarchie des valeurs" parmi les tâches de l'Etat, dont font également partie la sauvegarde du paysage et la protection de l'environnement en général. Le Tribunal administratif retient également que si ces normes prônent une utilisation accrue des énergies renouvelables, aucune priorité n'est donnée à l'une ou l'autre des sources de production.
L'arrêt attaqué mentionne un autre instrument de la politique énergétique en Suisse, le programme "SuisseEnergie", lancé en janvier 2001 à la suite d'un précédent programme "Energie 2000". Ce programme est un instrument de coordination pour l'administration fédérale et qui sert notamment à mettre en oeuvre la collaboration avec les cantons et d'autres organisations (cf. RICCARDO JAGMETTI, Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, tome VII, Energierecht, Bâle 2005, n° 1329 p. 44). Dans un document publié en 2001, l'Office fédéral de l'énergie a défini le cadre et les objectifs de "SuisseEnergie". Ces objectifs sont qualifiés de "valeurs indicatives politiques"; ils prévoient une augmentation de la part des "autres énergies renouvelables" (à distinguer de la production hydroélectrique) dans la production de courant électrique et de chaleur. "SuisseEnergie" préconise de soutenir les sources d'énergie renouvelables, les cantons étant chargés de développer et financer leurs propres programmes pour lesquels ils devraient recevoir des contributions globales fédérales (cf. art. 15 LEne). Le programme fédéral fixe encore des principes pour la collaboration avec des organisations privées (Agences), notamment l'Agence suisse des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique (ASER), qui regroupe différents réseaux existants, dont Suisse-Éole.
Il apparaît ainsi que, dans le cadre fixé par le droit fédéral, les cantons ont une grande latitude pour choisir les mesures de politique énergétique qu'ils entendent mettre en oeuvre dans le domaine des nouvelles énergies renouvelables (cf. JAGMETTI, op. cit., n° 7105 p. 851). Il appartient ainsi au seul droit cantonal de régler les conditions d'autorisation pour une installation de production d'énergie éolienne, l'utilisation du vent n'étant au demeurant pas soumise à l'exigence d'une concession (cf. JAGMETTI, op. cit., nos 7301 ss p. 865). Des mesures d'aménagement du territoire prises à cet effet ne sont pas contraires aux buts et principes des art. 1 et 3 LAT. D'après ces dispositions, il incombe aux autorités de soutenir par des mesures d'aménagement les efforts en vue de garantir des sources d'approvisionnement suffisantes dans le pays (art. 1 al. 2 let. d LAT), cette norme visant notamment l'approvisionnement en énergie (cf. PIERRE TSCHANNEN, Commentaire LAT, n. 40 ad art. 1 LAT).
4.5.2 Dans le canton de Neuchâtel, le Conseil d'Etat et l'administration cantonale ont décidé, dans le cadre de la politique énergétique cantonale, de prendre des mesures d'aménagement du territoire permettant l'implantation de deux parcs d'éoliennes en vue de la production d'énergie électrique. Un processus complet de planification a été engagé - adaptation du plan directeur cantonal puis adoption d'un plan d'affectation spécial -, conformément à la règle de l'art. 2 al. 1 LAT (obligation d'établir des plans d'aménagement pour les tâches dont l'accomplissement a des effets sur l'organisation du territoire). Les régions supérieures du canton, dans l'arc jurassien, se prêtent bien à la production d'énergie éolienne (ou mieux que plusieurs autres régions du pays), à cause du régime des vents. Le projet litigieux, sur le site du Crêt-Meuron, a été développé avec l'appui de l'administration cantonale et d'une organisation privée (Suisse-Éole) participant à l'Agence suisse des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique (ASER), qui est un partenaire reconnu pour la mise en oeuvre de la politique énergétique nationale, selon le programme "SuisseEnergie".
Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal administratif a apprécié l'intérêt à la réalisation du parc éolien du Crêt-Meuron en évaluant l'importance de la production d'électricité dans le marché global. Cette production nette serait de 14.35 GWh/an, soit 1,43 % de la consommation d'électricité du canton. Avec l'autre parc éolien mentionné dans la fiche de coordination du plan directeur cantonal, la production globale atteindrait 25 GWh/an, soit 2,5 % de la consommation cantonale. Le parc éolien du Crêt-Meuron ne serait en outre voué qu'à la production d'énergie et non pas à la recherche ou au développement. Sur la base de ces chiffres, en affirmant apprécier l'utilité concrète de l'installation litigieuse, le Tribunal administratif a qualifié l'intérêt poursuivi par la recourante d'extrêmement faible, voire de quasi insignifiant.
Cette appréciation est critiquable. En Suisse, les nouvelles énergies renouvelables - l'énergie éolienne, l'énergie solaire, la géothermie, la chaleur ambiante et la biomasse - ont nécessairement un rôle secondaire, par rapport à l'énergie renouvelable actuellement la plus utilisée pour la production de courant électrique, à savoir la force hydraulique. Dans le domaine des énergies renouvelables, il est clair que la politique énergétique doit tendre non seulement à exploiter pleinement le potentiel hydraulique mais également à augmenter la part des nouvelles énergies renouvelables; celle-ci, en l'état, est destinée à demeurer proportionnellement faible, quelle que soit l'efficacité des mesures promotionnelles, à cause de l'importance prépondérante de la force hydraulique (à propos de l'importance respective des différentes sources d'énergie dans la consommation en Suisse, cf. JAGMETTI, op. cit., n° 7103 p. 850). Ce critère quantitatif retenu par le Tribunal administratif, en fonction du marché global de l'électricité dans le canton ou dans le pays, n'est pas déterminant.
En outre, le Tribunal administratif est certes fondé à considérer que la non-réalisation du parc éolien litigieux ne compromettrait pas directement l'approvisionnement en électricité en Suisse ou dans le canton, et qu'il n'y a pas de nécessité de disposer dans un proche avenir de nombreuses nouvelles sources de courant. Néanmoins, les objectifs de la politique énergétique, dans le domaine des énergies renouvelables, ne consistent pas uniquement à garantir le maintien du statu quo, dans l'hypothèse - retenue par le Tribunal administratif - d'une offre de courant surabondante en Suisse et en Europe; ces objectifs tendent plutôt à favoriser les diverses sources d'énergies renouvelables, à plus long terme (voir notamment le document déjà cité de l'Office fédéral de l'énergie de 2001, sur le programme "SuisseEnergie"). Un récent message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les installations électriques et à la loi fédérale sur l'approvisionnement en électricité, cité par la recourante (message du 3 décembre 2004, FF 2005 p. 1493), mentionne, comme motifs justifiant d'accorder une importance plus grande au développement des énergies renouvelables, l'existence de ressources fossiles limitées, la problématique du CO2 et la forte dépendance à l'égard de l'étranger; il en déduit qu'un passage à des systèmes énergétiques nouveaux est inexorable à long terme et qu'afin d'éviter un changement radical d'ici à quelques dizaines d'années, il faut introduire dès aujourd'hui de nouvelles technologies sur le marché, notamment pour produire de l'électricité à partir d'énergies renouvelables (FF 2005 p. 1506). Il n'y a pas lieu d'examiner plus avant, dans le présent arrêt, la politique énergétique de la Confédération ou du canton de Neuchâtel; il suffit en effet d'exposer dans quel cadre s'inscrivent les mesures d'encouragement de l'énergie éolienne. Le développement de cette énergie est clairement conforme aux programmes des autorités, là où la géographie le permet, soit spécialement dans l'arc jurassien et notamment dans le canton de Neuchâtel.
La recourante relève en outre qu'un marché existe pour l'énergie éolienne, en dépit de coûts de production actuellement plus élevés. Cela n'est pas contesté. Il ressort du "rapport de conformité/ notice d'impact" que les éoliennes projetées sont, de ce point de vue, plus compétitives que des éoliennes de la génération précédente (notamment à cause de la hauteur du rotor). La recourante relève encore que le projet litigieux constitue l'essentiel des possibilités de production de nouvelles énergies renouvelables à court terme (d'ici à 2010) dans le canton de Neuchâtel, ce qui n'est pas non plus contesté. La politique énergétique d'un canton peut au demeurant privilégier une ou plusieurs sources d'énergies renouvelables.
En résumé, si l'on fait abstraction de la part proportionnellement faible de l'énergie éolienne dans la production et la consommation globales d'électricité, ce qui n'est pas un élément déterminant, on doit admettre que le projet litigieux a une importance certaine. Compte tenu des objectifs de la politique énergétique fédérale et cantonale, il existe un intérêt public certain à réaliser une installation de production d'énergie éolienne telle que celle pour laquelle le plan d'affectation cantonal a été élaboré. Au surplus, avant toute expérience de production d'énergie éolienne dans le canton de Neuchâtel, et compte tenu de l'existence actuellement d'un seul autre parc éolien aux caractéristiques comparables dans l'arc jurassien, il n'est pas soutenable de retenir d'emblée le caractère prétendument insignifiant de cette nouvelle énergie renouvelable dans le marché global de l'électricité. Cet intérêt public doit donc être admis en l'état, étant précisé que le résultat de ces expériences, ou l'évolution d'autres circonstances comme la consommation globale d'électricité - la politique énergétique tendant également à favoriser les économies -, pourraient à l'avenir justifier une appréciation différente de l'importance de l'énergie éolienne en Suisse.
A ce propos, le Tribunal administratif a rappelé que les autorités cantonales, nonobstant quelques révisions du texte du décret de 1966, avaient conservé la volonté de maintenir la protection des crêtes. Les zones de crêtes et de forêts couvrent toutefois une part importante du territoire cantonal. Le site du Crêt-Meuron est du reste inclus dans un périmètre (teinté en jaune sur le plan annexé au décret de 1966) qui s'étend d'une extrémité du canton à l'autre (de la région de Chasseral à La Côte-aux-Fées), et la ville voisine de la Chaux-de-Fonds est elle-même entourée de zones de crêtes et de forêts. Tous les terrains classés dans ces zones n'ont évidemment pas les mêmes caractéristiques naturelles ou paysagères. La stabilité du régime d'affectation prévu par cet ancien acte législatif ne doit pas être garantie de la même manière dans chaque secteur des crêtes jurassiennes; l'évolution des circonstances depuis 1966, voire depuis 1988 (date de l'adaptation du décret aux exigences de la LAT), peut justifier l'adoption d'autres mesures de planification à certains endroits (art. 21 al. 2 LAT; cf. supra, consid. 4.2), sans mettre en péril la cohérence des mesures de protection décidées il y a quarante ans.
Concrètement, le plan d'affectation cantonal litigieux n'implique pas la constructibilité de l'ensemble des terrains concernés. A l'extérieur des "périmètres d'évolution" délimités pour sept éoliennes et trois installations annexes, le régime de la zone de crêtes et de forêts demeure applicable (cf. supra, consid. 4.2 in fine). En d'autres termes, ce plan d'affectation cantonal n'a pas des effets comparables à ceux d'un classement en zone de constructions basses, au sens des art. 3 ss du décret de 1966, ou d'une affectation dans une zone à bâtir ordinaire; en définissant de façon restrictive les possibilités de construction dans ces pâturages, il ne permet pas une modification fondamentale de l'utilisation du sol. L'autorité cantonale de planification a en outre prévu, selon la fiche de coordination 9-0-04 du plan directeur cantonal, de limiter à deux le nombre de parcs éoliens sur le territoire du canton; cela signifie que les cas de déclassement de terrains en zone de crêtes et de forêts pour réaliser des objectifs de politique énergétique devraient demeurer très rares. En adoptant des mesures de planification pour le projet litigieux - et pour un second parc éolien, à un endroit non encore déterminé et au sujet duquel le dossier ne donne du reste aucune indication concrète -, ni le Conseil d'Etat ni le département cantonal n'ont décidé un démantèlement progressif du régime de protection des sites naturels du canton.
Cela étant, le Tribunal administratif relève à juste titre certaines caractéristiques du projet litigieux, qui le distinguent d'autres projets d'urbanisation: la dimension des éoliennes (hauteur du moyeu à l'axe du rotor: 60 m; diamètre des pales: 66 m; hauteur totale: 93 m); l'infrastructure nécessaire (un mât de mesure de 60 m, des nouveaux chemins carrossables sur une longueur de 1,8 km); la probabilité que le parc éolien devienne une attraction touristique (il pourrait attirer 20'000 visiteurs par an). La dimension des éoliennes et du mât de mesure, à savoir leur impact visuel, est sans conteste l'élément le plus important. En effet, l'extension du réseau de voies d'accès ne représente pas une atteinte sensible au site du Crêt-Meuron, étant donné qu'il existe déjà de nombreux chemins, carrossables ou non, dans les pâturages et forêts de la région de Tête-de-Ran/La Vue-des-Alpes, où se trouvent plusieurs installations touristiques (remontées mécaniques pour skieurs, restaurants, notamment). En outre, les autorités conservent la possibilité d'empêcher la plupart des effets négatifs d'un afflux de touristes ou de promeneurs dans un site naturel déjà largement ouvert au public - le Tribunal administratif qualifie la région de Tête-de-Ran de "site particulièrement fréquenté en tant que zone de délassement" -, en réglementant l'accès en véhicule et le stationnement, en balisant les chemins de randonnée, en protégeant spécialement des biotopes, etc. Ainsi, c'est bien l'impact visuel des éoliennes qui représente l'atteinte la plus sensible au site, qui manifestement mérite d'être protégé. L'arrêt attaqué mentionne les endroits où cet impact visuel serait important. Il s'agit de lieux d'une part relativement proches du parc éolien (le sommet de Tête-de-Ran, à environ 300 m, le col de la Vue-des-Alpes, à 2,5 km) et de lieux plus éloignés (le versant nord de la vallée de La Sagne, à 4 km, et un quartier supérieur de la ville de La Chaux-de-Fonds, à 5 km). Or, sur le site lui-même (le long de la combe menant du col de la Vue-des-Alpes à Tête-de-Ran), les éoliennes s'ajouteraient à d'autres installations techniques - ligne à haute tension, remontées mécaniques (à savoir un téléski dans le périmètre du plan d'affectation cantonal et quatre autres à proximité directe), notamment -, ce qui relativiserait dans une certaine mesure leur impact visuel. Par ailleurs, le fait que les éoliennes seraient visibles depuis un quartier de La Chaux-de-Fonds n'est pas un élément décisif car la présence d'installations techniques ou d'ouvrages imposants à proximité d'une grande ville n'est pas singulière; c'est un inconvénient, ou une caractéristique, dont les citadins s'accommodent généralement, pour autant que d'autres parties du paysage conservent leur aspect naturel, ce qui est le cas à La Chaux-de-Fonds. Cela étant, les éoliennes ne seraient pas visibles de la plupart des quartiers de cette ville, ni depuis le Val-de-Ruz (au sud et à l'est du Crêt-Meuron), ni de nombreux autres endroits de la région. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de surestimer leur impact visuel - indépendamment de la question de savoir si la vue d'éoliennes dans un paysage jurassien peut être appréciée de manière positive par des habitants ou des promeneurs. Dans le cas particulier, comme il se trouve déjà sur le site du Crêt-Meuron ou dans les environs immédiats plusieurs constructions ou installations (l'auberge de Gümmenen, l'hôtel de Tête-de-Ran, une ligne électrique, une installation de télécommunications sur le sommet de Tête-de-Ran, des remontées mécaniques pour skieurs), et que ce site, proche d'une grande ville, est déjà très fréquenté par des promeneurs et des skieurs, l'intérêt à en assurer une protection renforcée est moindre que pour d'autres sites naturels, moins accessibles et plus préservés. Par ailleurs, les éoliennes, relativement dispersées dans le périmètre du plan d'affectation cantonal, ne seraient visibles que depuis quelques lieux des environs, de sorte que l'atteinte au paysage serait moins sensible que dans d'autres emplacements.
4.5.4 En décidant d'annuler le plan d'affectation cantonal pour des motifs de protection du site, le Tribunal administratif n'a en réalité pas évalué concrètement les atteintes supplémentaires qui seraient causées au Crêt-Meuron et dans les environs par les éoliennes, compte tenu des atteintes déjà existantes. Comme cela est retenu dans l'arrêt attaqué sur la base de constatations faites au parc éolien du Mont-Soleil (dans le canton de Berne), il est certain que de grandes éoliennes, toujours implantées à l'écart des agglomérations, ont un impact important sur le paysage, mais cela ne permet pas d'exclure, en quelque sorte par principe, de tels projets dans des sites non construits méritant protection. Il n'est pas rare que d'autres ouvrages servant à la production d'énergie - des lacs d'accumulation avec barrages, des ouvrages hydroélectriques le long des rivières, etc. - doivent eux aussi être réalisés dans des sites naturels méritant d'être préservés, sans pour autant qu'une protection absolue soit prescrite, et l'intérêt public à la conservation du site ne l'emporte pas (cf. par exemple ATF 119 Ib 254 consid. 8e p. 279). Il convient d'ailleurs de relever à ce propos que la région de Tête-de-Ran ne fait pas partie des objets portés à l'inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d'importance nationale (inventaire IFP, annexé à l'ordonnance concernant l'inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels [OIFP; RS 451.11]), contrairement à d'autres sites naturels caractéristiques du Jura ou du Haut-Jura dans le canton de Neuchâtel (cf. objets IFP n° 1002, Le Chasseral; n° 1003, Tourbière des Ponts-de-Martel; n° 1004, Creux-du-Van; n° 1005, Vallée de la Brévine; n° 1006, Vallée du Doubs). Il en résulte que le Tribunal administratif a accordé, dans le cas particulier, une importance excessive à l'atteinte au paysage et, corollairement, qu'il n'a pas suffisamment pris en considération l'intérêt public à réaliser une installation de production d'énergie éolienne, conformément aux objectifs de la politique énergétique fédérale et cantonale (cf. supra, consid. 4.5.2). En d'autres termes, une pesée correcte des intérêts en jeu imposait au Tribunal administratif de ne pas empêcher, par principe, la réalisation d'un parc éolien au Crêt-Meuron.
4.5.5 Les griefs de la recourante à propos de la pesée des intérêts effectuée par le Tribunal administratif sont donc fondés. Comme cela a été exposé plus haut (consid. 4.3), le contrôle de la pesée des intérêts relève de l'examen de la légalité, et non pas de l'opportunité. Dans l'arrêt attaqué, l'annulation des décisions relatives à l'adoption du plan d'affectation cantonal n'est du reste pas justifiée par des motifs d'opportunité, mais elle est fondée sur l'application de normes du droit de l'aménagement du territoire. C'est l'application déficiente de ces règles de droit que le Tribunal fédéral doit sanctionner dans le présent arrêt, en admettant le recours de droit public. Ce recours a une nature par principe exclusivement cassatoire et la recourante a, précisément, conclu à l'annulation de l'arrêt attaqué. Ces conclusions doivent être admises, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le contenu de la nouvelle décision que le Tribunal administratif sera amené à rendre dans la présente contestation.