BGE 129 II 449
 
44. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Castañon Rios Zertuche de Salinas et Dozar Separate Property Trust contre Juge d'instruction ainsi que Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit administratif)
 
1A.156/2003 du 29 octobre 2003
 
Regeste
Art. 30 und 85 ff. IRSG; Schicksal der strafrechtlichen Beschlagnahme nach der Übertragung des Strafverfahrens ins Ausland.
 
Sachverhalt
Dans le cadre d'une procédure ouverte contre Raúl Salinas de Gortari et des tiers notamment du chef de blanchiment d'argent, le Ministère public de la Confédération, puis le Juge d'instruction du canton de Genève qui avait repris la procédure, ont ordonné la saisie de comptes bancaires.
En 2002, l'Office fédéral de la justice, à la demande du Procureur général du canton de Genève, a délégué la poursuite aux autorités mexicaines, avec l'accord de celles-ci.
Après l'entrée en force de cette décision, les titulaires de trois comptes ont demandé la levée du séquestre au Juge d'instruction lequel, s'estimant dessaisi de la procédure, a rejeté la requête. La Chambre d'accusation du canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé contre cette décision. Les personnes concernées ont formé un recours de droit public.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours, traité comme recours de droit administratif.
 
Extrait des considérants:
2. Le recours de droit public n'est recevable que si la prétendue violation ne peut pas être soumise par une action ou par un autre moyen de droit quelconque au Tribunal fédéral ou à une autre autorité fédérale (art. 84 al. 2 OJ). La délégation de la poursuite est une des formes de l'entraide judiciaire régie par la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1), spécialement la quatrième partie de cette loi (art. 1 al. 1 let. c et art. 85 ss EIMP). Les décisions rendues dans cette matière par les autorités fédérales de première instance et les autorités cantonales de dernière instance sont attaquables par la voie du recours de droit administratif par les personnes qui résident habituellement en Suisse (art. 25 al. 2 EIMP).
En l'occurrence, les séquestres litigieux ont été ordonnés pour les besoins de la procédure pénale nationale ouverte par le Ministère public, puis reprise par le juge d'instruction genevois et enfin déléguée aux autorités mexicaines. On ne se trouve ainsi pas dans un cas d'application directe des art. 74 ou 74a EIMP, où le séquestre est ordonné pour l'exécution d'une demande d'entraide étrangère. Les recourantes ne contestent plus la décision de délégation. Sur le fond, elles réclament la levée des séquestres en se prévalant du droit de propriété (art. 26 Cst.). Ce litige ne relève à proprement parler ni de la procédure pénale nationale terminée, ni de l'entraide, ni de la délégation de la poursuite. Il porte sur une mesure de contrainte dont les effets se prolongent au-delà de la délégation à l'étranger de la procédure pour laquelle elle a été ordonnée. Or, les art. 88 ss EIMP qui régissent la délégation de la poursuite n'en disent rien. La loi ne détermine ni l'autorité compétente, ni la procédure. En particulier, elle n'indique pas de voie de droit.
2.1 Dès l'entrée en force de la décision de délégation, les autorités chargées de la poursuite pénale s'en trouvent dessaisies, au profit des autorités de l'Etat requis. Toute mesure d'instruction est suspendue en Suisse, du moins aussi longtemps que l'Etat requis n'a pas fait savoir que ses autorités se trouvent dans l'impossibilité de mener la procédure à chef (art. 89 al. 1 let. a EIMP), ou que l'autorité de jugement de saisie au fond a rendu une décision d'acquittement ou de non-lieu (art. 89 al. 1 let. b, mis en relation avec l'art. 5 al. 1 let. a ch. 1 EIMP), qu'elle a renoncé à infliger une sanction ou s'est abstenue provisoirement de la prononcer (art. 89 al. 1 let. b, mis en relation avec l'art. 5 al. 1 let. a ch. 2 EIMP), voire encore que la sanction infligée a été exécutée ou ne peut plus l'être (art. 89 al. 1 let. b, mis en relation avec l'art. 5 al. 1 let. b EIMP). Dans l'intervalle, l'autorité suisse de poursuite ne peut prendre aucune mesure jusqu'à la fin de la procédure étrangère. En particulier, il ne lui appartient pas de décider du sort des séquestres ordonnés à titre conservatoire. En l'occurrence, faute de décision à prendre par le Juge d'instruction à ce propos, aucune voie de recours cantonale n'était ouverte. En déclarant le recours irrecevable pour ce motif, la Chambre d'accusation a statué sous l'angle exclusif de l'EIMP, comme elle devait le faire. Il suit de là que le recours de droit public est irrecevable.
2.3 Le sort des séquestres litigieux est étroitement lié à la procédure de délégation au sens des art. 88 ss EIMP. Si l'Etat requis mène l'action pénale à son terme, il aura la faculté de demander ultérieurement la remise des objets et valeurs séquestrés pour l'exécution d'une décision de confiscation définitive, soit au titre de l'entraide selon l'art. 74a al. 3 EIMP (cf. ATF 123 II 134, 268 et 595), soit au titre de l'exécution des décisions étrangères selon les art. 94 ss EIMP (cf. ATF 116 Ib 452; ATF 115 Ib 517). Si au contraire, pour l'une des raisons évoquées à l'art. 89 al. 1 let. a et b EIMP, l'action pénale à l'étranger ne devait pas aboutir, se poserait la question d'une éventuelle reprise de la procédure en Suisse, pour autant que les conditions de la poursuite demeurent réunies. Dans l'intervalle, l'EIMP ne prévoit pas la possibilité pour le détenteur d'objets ou de valeurs saisis de demander la levée du séquestre à l'autorité suisse qui l'a ordonné. On pourrait soutenir que la délégation porte sur l'ensemble de la procédure, y compris le séquestre. Le sort de celui-ci relèverait désormais du juge étranger, auquel il conviendrait de renvoyer le détenteur. Une telle solution se heurterait à des obstacles insurmontables. Qu'une autorité étrangère dispose à son gré d'un séquestre peut porter atteinte à la souveraineté de la Suisse. Il n'est en outre pas sûr que le droit de l'Etat requis institue des voies de droit pour contester les séquestres ordonnés en Suisse, ni, même à supposer que tel soit le cas, que le détenteur soit recevable à recourir. Or, il serait incompatible avec le droit de propriété (art. 26 al. 1 Cst., invoqué par les recourantes) de laisser le détenteur entièrement démuni de la faculté de saisir le juge d'une demande de levée du séquestre. Au demeurant, l'EIMP offre une protection juridique étendue à celui dont les biens sont saisis pour les besoins de l'entraide demandée par un Etat étranger, notamment le droit de recourir (art. 74 et 74a EIMP; cf. par exemple ATF 126 II 462). Il serait inconséquent de ne pas accorder des garanties identiques à celui qui entend s'opposer à un séquestre ordonné dans le cadre d'une procédure ultérieurement déléguée à un Etat étranger selon les art. 88 ss EIMP. De surcroît, si aucune voie de droit n'était ouverte en pareille circonstance, pourrait surgir le risque de voir le séquestre se prolonger au gré des aléas de la procédure étrangère, parfois pendant des années, sans aucun moyen de remédier, le cas échéant, à une éventuelle violation du principe de la proportionnalité sous cet aspect (cf. art. 36 al. 3 Cst. ).
2.4 La situation où comme en l'espèce, ni l'autorité de poursuite, ni l'autorité de recours ne peut se prononcer sur le séquestre, est inconstitutionnelle. Pour résoudre cette difficulté qui provient d'une lacune qui affecte le système de protection juridique institué par l'EIMP, la tâche de décider du maintien ou de la levée du séquestre pendant la durée de la délégation de la poursuite à l'étranger doit être assumée par l'Office fédéral. Cette compétence constitue le corollaire de l'art. 30 al. 2 EIMP qui lui confie le soin de présenter à l'étranger la demande de délégation de la procédure pénale suisse. Saisi d'une demande de levée du séquestre, l'Office fédéral est à même, dans ce cadre, d'obtenir de l'Etat délégataire toutes les informations nécessaires pour trancher en connaissance de cause, s'agissant notamment des développements de la procédure étrangère. Contre sa décision est ouverte la voie du recours de droit administratif selon l'art. 25 al. 1 EIMP.
2.5 C'est à raison que la Chambre d'accusation a déclaré irrecevable le recours formé devant elle, faute de compétence pour en connaître. Compte tenu du fait que l'organisation des voies de recours, telle qu'elle vient d'être décrite, lui était inconnue, on ne saurait reprocher à l'autorité cantonale de n'avoir pas transmis la cause à l'Office fédéral, comme objet de sa compétence (cf. art. 7 à 9 PA, applicables par renvoi de l'art. 12 al. 1 EIMP). Il n'y a pas lieu en l'occurrence de traiter le recours comme une demande de levée du séquestre, à transmettre à l'Office fédéral, que les recourantes sont libres de saisir en tout temps.