BGE 83 II 89
 
16. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 14 mars 1957 dans la cause Denogent contre Messinger.
 
Regeste
Art. 157 ZGB.
 
Sachverhalt
A.- Par jugement du 26 avril 1951, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé le divorce des époux Denogent-Goldmann, en vertu de l'art. 142 CC, et ratifié la convention conclue par les parties pour régler les effets accessoires du divorce. L'art. 2 de cette convention prévoyait l'attribution à la mère des deux enfants issus du mariage, Marie-Lise née le 27 septembre 1938 et Eric-Charles né le 2 février 1942, sous réserve du droit de visite du père qui devait être exercé conformément à l'arrêt rendu le 13 mai 1949 par la Cour de justice en procédure de mesures provisionnelles. Cet arrêt prononçait que les enfants devaient être élevés en Suisse et fixait le droit de visite du père aux premier et troisième dimanches et aux deuxième et quatrième jeudis de chaque mois ainsi qu'à quinze jours pendant les vacances scolaires d'été. L'art. 3 de la convention disposait que le père paierait une contribution alimentaire mensuelle de 250 fr. pour chacun des enfants jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de vingt ans révolus. Selon l'art. 4, Denogent se déclarait d'ores et déjà d'accord de continuer à verser la pension due aux enfants après qu'ils seraient devenus majeurs, s'ils faisaient des études universitaires et en avaient la capacité. Pour permettre au père de se rendre compte de l'opportunité de donner aux enfants une formation supérieure, la mère devait le tenir au courant de leur développement, de leur instruction, de leur éducation et de leur état de santé, par l'intermédiaire de son conseil, et lui communiquer leurs livrets scolaires.
En octobre 1951, dame Goldmann est partie avec les deux enfants pour l'Australie, où elle a épousé Andrew Messinger, qui est par la suite décédé. Actuellement, elle travaille en Australie comme employée de bureau. Depuis son départ, elle n'a jamais donné de nouvelles à Denogent, et les enfants n'ont pas répondu aux lettres qu'ils recevaient de leur père.
Le 4 mai 1953, Denogent a ouvert action en modification du jugement de divorce et conclu à ce que la puissance paternelle sur les enfants lui fût attribuée; il a demandé en outre que la pension qu'il devait payer pour les enfants fût réduite à 100 fr. par mois pour chacun d'eux, dès le 1er janvier 1953 et jusqu'au jugement statuant sur leur attribution.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 21 septembre 1955, le Tribunal de première instance de Genève a modifié le jugement de divorce du 26 avril 1951 et réduit, dès l'entrée en force de son prononcé, à 180 fr. par mois et par enfant la pension due par le demandeur.
B.- Contre ce jugement, Denogent a interjeté appel en ne reprenant que ses conclusions tendantes à ce que la pension soit réduite à 100 fr. par mois dès le 1er janvier 1953.
La défenderesse a formé un appel incident et conclu au maintien du jugement du 26 avril 1951.
La Cour de justice du canton de Genève, par arrêt du 19 octobre 1956, a confirmé la décision entreprise "en ramenant toutefois au 1er septembre 1953 la date dès laquelle la pension" serait réduite à 180 fr. par mois et par enfant.
C.- Contre cet arrêt, Denogent a recouru en réforme au Tribunal fédéral et conclu à ce qu'à partir du 1er septembre 1953 la pension due pour chacun de ses enfants fût réduite à 100 fr. par mois.
Dame Messinger a formé un recours joint concluant à ce qu'il soit prononcé "que le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de Ire instance le 26 avril 1951, et passé en force de chose jugée, continuera à déployer ses effets".
 
Extrait des motifs:
2. En principe, tout fait nouveau, notamment le départ du père ou de la mère, peut fonder, conformément à l'art. 157 CC, une modification des dispositions du jugement de divorce concernant les enfants. Le départ de celui des parents qui est investi de la puissance paternelle ne constitue cependant pas en soi un motif de réduire la pension que l'autre est tenu de payer pour les enfants. Si, en l'espèce, la contribution à l'entretien des. enfants due par le recourant ne dépassait pas ce qui est nécessaire pour couvrir leurs besoins eu égard aux ressources et à la situation économique de dame Messinger, une diminution ne pourrait pas en être ordonnée. Toutefois, la somme totale de 500 fr. que Denogent s'est engagé à payer par mois est supérieure à la norme usuelle. A ce sujet, la Cour cantonale constate en fait que le demandeur a assumé cette obligation parce que la convention de divorce prévoyait par ailleurs qu'il conserverait des relations personnelles étroites avec les enfants et qu'il pourrait donner son avis sur leur éducation et leurs études. Or leur départ pour l'Australie rend pratiquement impossible l'exercice du droit de visite qui lui est réservé et l'empêche de suivre leur formation. L'autorité cantonale relève de plus que les enfants ont rompu toutes relations avec le recourant et qu'ils n'ont même pas répondu aux lettres qu'il leur avait adressées; elle reproche avec raison à dame Messinger de ne pas avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour qu'ils gardent des rapports personnels avec leur père. L'intimée ne saurait faire valoir qu'il est certes regrettable que les enfants ne correspondent pas avec le demandeur, mais qu'elle ne peut les y contraindre, parce qu'ils sont trop grands. Comme le remarque à juste titre la Cour cantonale, les enfants étaient jeunes lors de leur départ pour l'Australie et dame Messinger aurait certainement pu les habituer à écrire à leur père; par ailleurs, elle avait l'obligation, en vertu des clauses de la convention réglant les effets accessoires du divorce, de renseigner le demandeur sur l'éducation et le développement des enfants; elle n'y a pas satisfait et a laissé Denogent sans nouvelles à leur sujet. La situation ainsi créée ne correspond dès lors pas aux conditions sur lesquelles était fondé l'engagement assumé par le recourant de payer une pension dépassant la norme usuelle, de sorte qu'il se justifie en principe de la réduire. Il est certes exact, comme l'observe l'intimée, que l'art. 157 CC a pour but d'assurer la sauvegarde des intérêts des enfants. C'est pourquoi la pension ne saurait être supprimée ou diminuée dans une mesure qui ne permettrait plus de couvrir normalement les frais d'entretien et d'éducation des enfants. Celui des parents qui n'a pas la puissance paternelle et qui doit payer une contribution alimentaire pour les enfants a néanmoins le droit, en cas de changement des circonstances, d'exiger que ses intérêts soient pris en considération et de demander une réduction de la pension, pour autant qu'elle reste dans des limites admissibles eu égard aux besoins des enfants et à la situation de l'époux auquel ils sont confiés.
La fixation du montant de la réduction relève de l'appréciation. Il faut à ce sujet partir de la somme qu'aurait allouée le juge du divorce au cas où les parties n'auraient pas conclu de convention prévoyant une pension supérieure à celle que leur situation justifiait. Il s'agit là cependant également d'une question d'appréciation. Le Tribunal fédéral ne peut dès lors réformer la décision de l'autorité cantonale que si celle-ci a fait un usage inadmissible de son pouvoir d'appréciation. Ce n'est pas le cas en l'espèce. D'une part, le recourant, qui déclare prendre acte de la réduction de la pension à 180 fr. par mois et par enfant opérée en raison des conditions résultant du départ de l'intimée pour l'Australie, ne peut se plaindre de ce que la Cour cantonale n'ait pas été plus loin, car il ne lui a pas fourni la preuve de l'aggravation de sa situation économique. D'autre part, on peut admettre avec l'autorité cantonale que dame Messinger doit être en mesure de pourvoir aux besoins des enfants au moyen de son salaire, qui équivaut à environ 550 fr. suisses, et de la pension de 360 fr. au total que doit payer le recourant.