BGE 139 I 257
 
24. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit social dans la cause R. contre Caisse de compensation PROMEA (recours en matière de droit public)
 
9C_400/2013 du 23 septembre 2013
 
Regeste
Art. 23 und 24 AHVG; Art. 8 und 14 EMRK; Art. 9 UNO-Pakt I; Art. 11 lit. e des Übereinkommens zur Beseitigung jeder Form von Diskriminierung der Frau; Anspruch auf Witwenrente.
 
Sachverhalt
A. R. s'est mariée en juin 2002 avec A. En 2004, elle a cessé de travailler pour s'occuper entièrement de son mari gravement atteint dans sa santé. A. est décédé en mai 2012.
Par décision du 29 mai 2012, confirmée sur opposition le 24 juillet suivant, la Caisse de compensation PROMEA a nié à l'intéressée le droit à une rente de veuve de l'assurance-vieillesse et survivants, au motif qu'elle n'avait pas atteint l'âge de 45 ans au jour du décès de son époux et qu'elle n'avait pas d'enfants.
B. Par jugement du 18 avril 2013, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours formé par R.
C. R. interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont elle demande l'annulation. Elle conclut principalement à l'octroi d'une rente de veuve et subsidiairement au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle assortit son recours d'une requête d'assistance judiciaire.
La Caisse de compensation PROMEA et l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé à se déterminer.
Le recours a été rejeté.
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 3
3.1 La juridiction cantonale a considéré qu'il n'y avait pas lieu de s'écarter du texte clair des art. 23 et 24 LAVS. Contrairement à ce qu'alléguait la recourante, il n'existait aucun indice permettant de considérer que ces dispositions ne traduisaient pas fidèlement la volonté du législateur et que celui-ci souhaitait étendre l'octroi d'une rente de veuve à une femme de moins de 45 ans sans enfant. Il n'était en particulier pas possible d'interpréter les intentions du législateur à la lumière des modifications envisagées dans le cadre de la 11e révision de l'AVS, puisque ladite révision avait été rejetée en votation populaire le 16 mai 2004. Même s'il fallait admettre que les conditions d'octroi d'une rente de veuve telles que prévues par la loi conduisaient à une discrimination injustifiée, la décision attaquée ne pouvait être modifiée en vertu de l'art. 190 Cst., cette disposition imposant au Tribunal fédéral et aux autres autorités d'appliquer les lois fédérales. La recourante ne pouvait par ailleurs se fonder sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH; RS 0.101), le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I; RS 0.103.1) ou la Convention du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (RS 0.108) pour obtenir une rente de veuve.
3.2 Reprenant les griefs déjà formulés en première instance, la recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir violé le droit fédéral et international. En premier lieu, elle soutient que, nonobstant le texte de prime abord clair des art. 23 et 24 LAVS, il y a lieu d'étendre, par interprétation téléologique, le champ d'application de ces dispositions à une situation qu'elles ne visent pas expressément, soit celle de la veuve qui, au décès de son conjoint, avait la charge d'une personne dépendante. Le traitement différencié qu'induirait l'application des art. 23 et 24 LAVS entraverait par ailleurs le libre exercice de sa vie privée et familiale au sens des art. 8 CEDH et 13 Cst. et serait discriminatoire au sens des art. 14 CEDH et 8 et 9 Cst. La situation serait enfin contraire aux engagements internationaux pris par la Suisse découlant du Pacte ONU I (art. 2 al. 2, art. 4 et 9) et de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (art. 11 let. e).
 
Erwägung 4
4.1 C'est un fait reconnu de longue date que la réglementation prévue aux art. 23 et 24 LAVS est contraire au principe de l'égalité entre hommes et femmes et qu'elle devrait être adaptée et harmonisée (Message du 2 février 2000 concernant la 11e révision de l'assurance-vieillesse et survivants et le financement à moyen terme de l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité, FF 2000 1771, 1862 ch. 3.1.4.2; voir également les arrêts 9C_521/2008 du 5 octobre 2009 consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n° 2 p. 3, et 9C_617/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.5, in SVR 2012 AHV n° 14 p. 53). L'échec de la 11e révision de l'AVS, dont l'un des objectifs était justement de lever l'inégalité entre hommes et femmes consacrée par cette réglementation, n'a pas permis d'apporter les correctifs qui avaient été envisagés. Ceux-ci ne sauraient être introduits dans le cadre de l'examen ultérieur d'un cas d'application concret, l'art. 190 Cst. obligeant en principe le Tribunal fédéral à appliquer les lois fédérales, même si celles-ci sont anticonstitutionnelles (ATF 137 I 128 consid. 4.3.1 p. 132 et les références).
4.2 Lorsque le texte légal est clair - comme c'est le cas en l'espèce -, l'autorité qui applique le droit ne peut s'en écarter que s'il existe des motifs sérieux de penser que ce texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée et conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice ou le principe de l'égalité de traitement. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d'autres dispositions. L'art. 190 Cst. ne fait pas obstacle à une interprétation qui irait à l'encontre du texte de la disposition légale. S'il existe de bonnes raisons d'admettre que le texte de la disposition ne reproduit pas son vrai sens - la ratio legis - il est possible de s'en écarter afin d'interpréter la disposition selon son sens véritable, surtout si celui-ci apparaît plus conforme à la Constitution que son texte (ATF 138 II 557 consid. 7.1 p. 565 et les références).
En l'occurrence, le texte des art. 23 et 24 LAVS énumère de manière claire et exhaustive les situations où les veuves et les veufs peuvent, au décès de leur conjoint, prétendre à une rente. Quant bien même le projet de 11e révision de l'AVS prévoyait à son art. 24 l'octroi d'une rente de veuve aux femmes qui, au décès de leur conjoint, avaient la charge d'une personne leur donnant droit à une bonification pour tâche d'assistance au sens de l'art. 29septies LAVS et que ce point n'avait pas fait l'objet de discussions particulières à l'Assemblée fédérale et au cours de la campagne référendaire, les éléments soulevés par la recourante ne sont pas suffisants pour aller à l'encontre du texte clair de la loi. Eu égard à la volonté du peuple suisse exprimée par le rejet le 16 mai 2004 de la 11e révision de l'AVS (et de l'ensemble des modifications que celle-ci contenait), la situation déplorée par la recourante ne saurait être corrigée par la voie de l'interprétation (voir également arrêt 9C_521/2008 du 5 octobre 2009 consid. 6.2 in fine, in SVR 2010 AHV n° 2 p. 3).
 
Erwägung 5
5.1 Au regard des griefs invoqués dans le recours, il y a encore lieu d'examiner si le refus d'allouer à la recourante une rente de veuve respecte les engagements internationaux de la Suisse. La recourante estime à cet égard que le refus de lui allouer une rente de veuve entraverait le libre exercice de sa vie privée et familiale et serait constitutif, en l'absence de justification objective, d'un traitement discriminatoire au sens des art. 8 et 14 CEDH lié à l'âge, au handicap et au mode de vie.
 
Erwägung 5.2
5.2.1 L'art. 8 par. 1 CEDH garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, c'est-à-dire le droit de toute personne de disposer librement de sa personne et de son mode de vie, le droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres humains et avec le monde extérieur en général ou le droit d'entretenir librement ses relations familiales et de mener une vie de famille. Le droit au respect de la vie privée protège notamment l'intégrité physique et morale, l'identité, le respect de la sphère intime et secrète (en particulier le domicile), l'honneur et la réputation d'une personne, ainsi que ses relations avec les autres, que ce soient ses relations de couple - marié ou non, de sexe différent ou de même sexe - ou ses relations avec son entourage (voir p. ex. arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme [ci-après: CourEDH] Nada contre Suisse du 12 septembre 2012 §§ 151 ss et les références). Le droit au respect de la vie familiale protège la personne contre les atteintes que pourrait lui porter l'Etat et qui auraient pour but ou pour effet de séparer la famille ou, au contraire, de la contraindre à vivre ensemble, ou encore d'intervenir d'une manière ou d'une autre dans la relation familiale, notamment dans les rapports entre les parents et leurs enfants. En d'autres mots, le droit au respect de la vie privée et familiale garantit à l'individu un espace de liberté dans lequel il peut se développer et se réaliser (ATF 137 V 334 consid. 6.1.1 p. 347 et la référence; ATF 139 I 155 consid. 4.1 p. 157 s.).
5.2.2 D'après la jurisprudence constante de la CourEDH, l'art. 8 CEDH ne fonde pas un droit direct à des prestations d'assurance sociale. Certes, la Cour a reconnu que si l'art. 8 CEDH a essentiellement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut impliquer, dans certaines circonstances, des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (arrêt de la CourEDH Botta contre Italie du 24 février 1998, Recueil CourEDH 1998-I p. 412 § 33). L'art. 8 CEDH n'impose toutefois pas aux Etats contractants une obligation de fournir certaines prestations financières ou de garantir un certain niveau de vie (arrêt de la CourEDH Petrovic contre Autriche du 27 mars 1998, Recueil CourEDH 1998-II p. 579 §§ 26 ss, et décision sur la recevabilité Pancenko contre Lettonie du 28 octobre 1999).
5.2.3 En l'occurrence, la recourante n'allègue pas - à juste titre - qu'elle aurait été entravée par les autorités suisses dans ses choix de vie et le développement de sa relation familiale. On relèvera à cet égard qu'elle a pu s'occuper de son mari malade librement et sans contrainte jusqu'au décès de celui-ci. Dans ces conditions, on peine à voir en quoi le refus actuel de verser une rente de veuve à la suite du décès de son conjoint constituerait une ingérence des pouvoirs publics dans la vie privée et familiale de la recourante. Quoi qu'il en soit, l'art. 8 CEDH ne fonde pas, comme on l'a vu, un droit direct à des prestations financières de l'Etat, singulièrement à des prestations d'assurance sociale sous la forme d'une rente de veuve ou de veuf (arrêt 9C_617/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.3, in SVR 2012 AHV n° 14 p. 53). D'ailleurs, on ne saurait considérer, contrairement à ce que soutient la recourante, que sa capacité de gain sur le marché du travail a été réduite à néant à la suite de son retrait du monde professionnel. Si l'éloignement prolongé du marché du travail peut constituer un obstacle dans la recherche d'un nouvel emploi, on ne saurait considérer que cet élément rend cette perspective illusoire, ce d'autant que la recourante est encore jeune. On peut néanmoins comprendre que la recourante considère le refus qui lui a été adressé comme une forme de non-reconnaissance par la société des efforts qu'elle a consentis pour soutenir son mari (sur la problématique soulevée par le cas d'espèce, KNUPFER/STUTZ, Reconnaissance du travail de care dans le système de sécurité sociale suisse, Sécurité sociale CHSS 1/2012 p. 9 ss). Il n'existe toutefois pas un principe général selon lequel l'Etat devrait assumer la prise en charge collective de l'ensemble des aléas de la vie, un régime social d'assurance n'étant matériellement pas à même de répondre à tous les risques et besoins sociaux. Le contenu et les conditions de l'intervention de l'Etat sont définis en première ligne par le législateur, en fonction des objectifs de politique sociale que celui-ci se fixe. Il n'appartient par conséquent pas au Tribunal fédéral de s'immiscer dans des compétences qui relèvent du législateur fédéral.
 
Erwägung 5.3
5.3.1 En vertu de l'art. 14 CEDH, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. D'après la jurisprudence constante de la CourEDH, l'art. 14 CEDH complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour "la jouissance des droits et libertés" qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses. La Cour a affirmé à maintes reprises que l'art. 14 CEDH entre en jeu dès lors que "la matière sur laquelle porte le désavantage compte parmi les modalités d'exercice d'un droit garanti" ou que "les mesures critiquées se rattachent à l'exercice d'un droit garanti" (arrêt de la CourEDH Glor contre Suisse du 30 avril 2009 § 45 s. et les références).
5.3.3 La CourEDH considère que le droit à une prestation sociale est un droit patrimonial au sens de l'art. 1 du Protocole n° 1 CEDH du 20 mars 1952. La Cour souligne toutefois que cette disposition ne comporte pas un droit à acquérir des biens. Il ne limite en rien la liberté qu'ont les Etats contractants de décider s'il convient ou non de mettre en place un quelconque régime de sécurité sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations devant être accordées au titre de pareil régime. Dès lors toutefois qu'un Etat décide de créer un régime de prestations ou de pensions, il doit le faire d'une manière compatible avec l'art. 14 CEDH (arrêt de la CourEDH Stec et autres contre Royaume-Uni du 12 avril 2006, Recueil CourEDH 2006-IV p. 159 § 53 et la référence). Faute d'avoir ratifié le Protocole n° 1 CEDH, la Suisse n'est toutefois pas liée par la jurisprudence de la Cour relative à l'allocation non discriminatoire de prestations de la sécurité sociale (ATF 139 I 155 consid. 4.2 p. 158; ATF 137 V 334 consid. 6.3 p. 350).
6. Quant aux autres engagements internationaux invoqués par la recourante, ils ne lui sont d'aucune aide. S'agissant du Pacte ONU I, il convient de relever que celui-ci ne confère en principe pas aux particuliers de droits subjectifs susceptibles d'être invoqués en justice. Ainsi, l'art. 9 Pacte ONU I, qui fixe le principe d'un droit pour toute personne à la sécurité sociale, a une portée très générale qui ne saurait, pour ce motif, fonder concrètement le droit à une prestation d'assurance donnée. Quant à l'art. 2 al. 2 Pacte ONU I, il n'a pas de portée autonome. Comme cela ressort de sa lettre, il formule des garanties en liaison seulement avec des obligations programmatiques que les Etats s'engagent à réaliser progressivement, en particulier le droit de toute personne à la sécurité sociale formulé par l'art. 9 Pacte ONU I (ATF 121 V 229 consid. 3a p. 232 et 246 consid. 2 p. 248; voir également ATF 135 I 161 consid. 2.2 p. 162 et arrêt 8C_295/2008 du 22 novembre 2008 consid. 6). Il n'en saurait aller différemment concernant l'art. 11 let. e de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui fixe le principe de l'interdiction des discriminations à l'égard des femmes dans le domaine de l'emploi et de la sécurité sociale, dès lors que cette disposition, à l'instar de l'art. 9 Pacte ONU I, est une norme de type programmatique qui n'est pas directement contraignante (Message du 23 août 1995 relatif à la Convention de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, FF 1995 IV 869, 928 ch. 33.7).