BGE 127 I 141
 
17. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 25 avril 2001 dans la cause X. contre Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (recours de droit public)
 
Regeste
Art. 6 Ziff. 3 lit. e und Art. 57 EMRK; Recht auf unentgeltliche Unterstützung durch einen Dolmetscher.
 
Considérant en droit:
a) L'art. 6 par. 3 let. e CEDH reconnaît à l'accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience de se faire assister gratuitement d'un interprète. Le mot "gratuitement" signifie non pas une remise sous condition ou une exemption temporaire ou une suspension, dans le sens d'une libération d'avancer les frais, mais une dispense ou une exonération définitive. Cette garantie comporte pour quiconque, quelle que soit sa situation financière, ne parle ou ne comprend pas la langue employée à l'audience, le droit d'être assisté gratuitement d'un interprète sans qu'on puisse lui réclamer après coup le paiement des frais résultant de cette assistance, et cela pour tous les actes de la procédure engagée contre lui (ATF 106 Ia 214 consid. 4b p. 217).
Lorsque la Suisse a ratifié la Convention, la gratuité de l'assistance d'un interprète n'était pas expressément reconnue en droit suisse où, le plus souvent, l'indemnité versée à l'interprète suivait les frais de la cause et pouvait être mise à la charge du condamné. Cette situation a amené le Conseil fédéral à émettre la déclaration interprétative qui suit:
"Le Conseil fédéral suisse déclare interpréter la garantie de la gratuité de l'assistance d'un avocat d'office et d'un interprète figurant à l'article 6 par. 3 litt. c et e de la convention comme ne libérant pas définitivement le bénéficiaire du paiement des frais qui en résultent"
(Arrêté fédéral du 3 octobre 1974 approuvant la CEDH, RO 1974 II 2148).
L'art. 57 CEDH (anciennement art. 64, cf. art. 2 par. 1 du protocole no 11 à la CEDH du 11 mai 1994, RS 0.101.09) prévoit que les Etats parties à la Convention ont la possibilité de formuler une réserve; il est ainsi libellé:
"1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article.
b) Le 30 avril 1980, le Tribunal fédéral a jugé que, même si le Conseil fédéral n'avait pas fait de réserve proprement dite, sa déclaration interprétative relative à l'art. 6 par. 3 let. e CEDH respectait les conditions de forme de l'art. 57 CEDH (alors l'art. 64) et avait donc les mêmes effets qu'une réserve proprement dite (ATF 106 Ia 214 consid. 4 p. 215 ss).
Toutefois, dans un arrêt ultérieur du 17 décembre 1991 (non publié mais reproduit dans la Revue universelle des droits de l'homme, RUDH 1992 p. 179/180), le Tribunal fédéral, sans trancher la question, a mis en doute que la déclaration interprétative émise à propos de l'art. 6 par. 3 let. e CEDH respectât les conditions formelles de l'art. 57 par. 2 CEDH (alors l'art. 64 par. 2). Dans la mesure où ladite déclaration ne comportait pas un bref exposé des lois que la Suisse avait ainsi entendu mettre à l'abri des exigences conventionnelles, la solution retenue à l'arrêt publié aux ATF 106 Ia 214 n'était peut-être plus conforme à la dernière jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (soit les arrêts Belilos c. Suisse du 29 avril 1988 [Série A, vol. 132, par. 58/59] et Weber c. Suisse du 22 mai 1990 [Série A, vol. 177, par. 38]), laquelle précisait que l'art. 57 par. 2 CEDH imposait non seulement une exigence de forme mais édictait une condition de fond visant clairement à limiter l'étendue des réserves faites par les Etats parties à la Convention au moment de leur adhésion. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, il n'était pas exclu qu'une lecture dynamique de cette jurisprudence conduise à la conclusion que la réserve faite par la Suisse n'était pas suffisamment claire au regard de l'art. 57 par. 2 CEDH.
Ces hésitations sont partagées en doctrine (cf. ARTHUR HAEFLIGER/FRANK SCHÜRMANN, Die Europäische Menschenrechtskonvention und die Schweiz, 2e éd., Berne 1999, p. 238 in fine; MARK E. VILLIGER, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention, 2e éd., Zurich 1999, n. 46 p. 32). D'aucuns affirment même l'invalidité de la déclaration interprétative (cf. NIKLAUS SCHMID, Strafprozessrecht, 3e éd., Zurich 1997, n. 1201 p. 369; GÉRARD PIQUEREZ, Procédure pénale suisse, Zurich 2000, n. 1238 p. 275/276).
c) Par message du 24 mars 1999 concernant le retrait des réserves et déclarations interprétatives de la Suisse à l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (FF 1999 p. 3350), le Conseil fédéral a proposé aux Chambres fédérales de retirer, entre autres, la déclaration relative à l'assistance gratuite d'un interprète, car il fallait partir de l'idée qu'elle n'était pas conforme aux exigences de l'art. 57 CEDH (message ch. 241). Le Conseil national et le Conseil des Etats ont adopté cet arrêté les 7 octobre 1999 et 8 mars 2000 (cf. FF 2000 p. 2140).
Le 24 août 2000, le Conseil fédéral a indiqué au Conseil de l'Europe qu'il retirait ses réserves et déclarations interprétatives relatives à l'art. 6 CEDH. Le Conseil de l'Europe a formellement enregistré ce retrait le 29 août 2000. A partir de cette date, la déclaration interprétative ici en cause était donc retirée, indépendamment du fait qu'une publication au Recueil officiel des lois fédérales ne soit pas encore intervenue, ce qui n'est d'ailleurs toujours pas le cas. Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a notifié le retrait aux Etats parties à la Convention le 20 octobre 2000.
d) La décision attaquée a été rendue le 29 juin 2000, soit deux mois avant le retrait de la déclaration interprétative relative à l'assistance gratuite d'un interprète. Cette déclaration était alors formellement encore en vigueur. Toutefois, au vu de la jurisprudence et de la doctrine précitées ainsi que de l'avis du Conseil fédéral ultérieur partagé par les Chambres fédérales, il y a lieu d'admettre que cette réserve n'était pas valable. Le grief est donc fondé.
e) En relation avec la mise à sa charge des frais d'interprète, le recourant se plaint également d'une violation de l'art. 8 Cst. garantissant l'égalité devant la loi, de l'art. 29 al. 2 Cst. garantissant le droit d'être entendu, ainsi que de l'art. 5 let. a de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (RS 0.104) garantissant un traitement égal devant les tribunaux. Ces griefs sont sans objet à la suite de l'admission du grief tiré d'une violation de l'art. 6 par. 3 let. e CEDH.
Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours, annule l'arrêt attaqué pour ce qui concerne les frais d'interprète mis à la charge du recourant et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.