BGE 126 I 36
 
7. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 28 mars 2000 dans la cause E. contre Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (recours de droit public)
 
Regeste
Art. 6 Ziff. 1 EMRK. Strafverfahren. Verurteilung im Abwesenheitsverfahren; Recht auf Aufhebung des Abwesenheitsurteils.
Verurteilung im Abwesenheitsverfahren und Antrag auf Aufhebung des Abwesenheitsurteils nach waadtländischem Recht (E. 2).
Eine im Protokoll des Instruktionsrichters festgehaltene Wahl des Zustellungsdomizils auf der Kanzlei der Gerichtsbehörde begründet keinen gültigen Verzicht auf das Anwesenheitsrecht in der Gerichtsverhandlung. Der Antrag des in Abwesenheit Verurteilten auf Aufhebung des Urteils darf somit nicht als unzulässig erklärt werden, weil eine gesetzliche Frist von zwanzig Tagen ab der fiktiven Zustellung des Urteils auf der Kanzlei nicht eingehalten wurde (E. 3).
 
Sachverhalt
Le 4 mai 1997, le Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a interrogé E. en qualité de prévenu d'infraction à la législation sur les stupéfiants. A l'issue de l'audience, le Juge d'instruction a consigné au procès-verbal la déclaration ci-après:
"Conformément à l'art. 48 CPP, je déclare faire élection de domicile au greffe de l'Office d'instruction pénale de Lausanne, respectivement au greffe du Tribunal de district de Lausanne, ou alors au greffe de toute autre autorité appelée à statuer sur la cause. Vous me rendez attentif aux conséquences de cette élection de domicile."
Une déclaration semblable a été faite par X., lui aussi inculpé dans l'affaire.
Le procès-verbal d'une deuxième audition de E., par le même magistrat, comporte également ce qui suit:
"Je confirme l'élection de domicile faite le 4 mai 1997 et demande qu'une copie des actes de procédure me soit adressée pour information [...], à mon domicile en France, 74300 Cluses, rue de Verdun 3, c/o mes parents."
Le 16 juin 1997, dans le cadre d'une autre enquête qui fut ensuite jointe à la précédente, concernant des infractions contre le patrimoine, E. s'est exprimé ainsi devant le greffier du Juge d'instruction:
"Vous me demandez si je connais quelqu'un chez qui je pourrais faire élection de domicile. Il s'agit de mon oncle A. qui habite Genève. Dans le cas où vous ne trouveriez pas l'adresse de mon oncle, je déclare faire formellement élection de domicile au greffe de l'Office pénal, respectivement du Tribunal du district de Lausanne, voire de toute autre autorité judiciaire compétente concernant la notification des avis ou décisions ultérieurs en relation avec la présente affaire."
Y., coïnculpé de E. dans cette enquête-ci, a déclaré vouloir lui aussi élire domicile chez A., sous les mêmes modalités. L'un et l'autre avaient demandé l'attribution d'un défenseur d'office, ce que le Président du Tribunal de district de Lausanne avait refusé, en raison du préavis négatif du Juge d'instruction et de la simplicité de la cause.
Par ordonnance du 18 décembre 1997, le Juge d'instruction a renvoyé E., X. et Y. devant le Tribunal correctionnel du district de Lausanne; E. était notamment accusé d'escroquerie, de faux dans les titres (pour avoir utilisé une carte de crédit en contrefaisant la signature du titulaire) et d'infraction à la législation sur les stupéfiants. L'ordonnance mentionne les élections de domicile à l'Office d'instruction pénale; elle a néanmoins été envoyée sous pli postal simple à chacun des accusés, notamment à l'adresse des parents de E. en France.
La Présidente du Tribunal correctionnel a fixé la date des débats au 5 mai 1999. Elle a cité Y. par l'entremise du Tribunal de grande instance de Thonon; cette citation, envoyée le 16 septembre 1998, est parvenue à son destinataire le 4 novembre suivant. Le dossier ne contient aucune copie de citations établies, le cas échéant, à l'intention des deux autres accusés. Le procès-verbal de l'audience mentionne seulement leurs élections de domicile "au greffe", et indique que X. a aussi été assigné par pli postal simple.
Aucun des trois accusés n'a comparu à l'audience du 5 mai 1999. Le Tribunal correctionnel a retenu qu'ils avaient été régulièrement cités; statuant par défaut, il les a reconnus coupables des infractions décrites dans l'ordonnance de renvoi. A l'égard de E., il a considéré que son absence aux débats ne permettait pas d'établir un pronostic favorable propre à justifier une peine avec sursis; il l'a ainsi condamné à sept mois d'emprisonnement, sous déduction de vingtcinq jours de détention préventive, et à l'expulsion de Suisse durant cinq ans.
Le jugement a été notifié à Y., de nouveau par l'entremise des autorités judiciaires françaises. Aucune démarche n'a été effectuée pour le faire parvenir à X. ni à E.
E. a été arrêté en Suisse le 4 septembre 1999 et incarcéré pour l'exécution d'une ordonnance de conversion d'amendes prise par le Procureur général du canton de Genève. Ayant reçu une copie du jugement précité du 5 mai 1999, il a alors présenté une demande de relief afin d'obtenir de nouveaux débats en sa présence; il faisait valoir qu'il avait été détenu en France de juin 1998 à début septembre 1999, et qu'il avait reçu "tardivement" l'ordonnance de renvoi et le jugement par défaut.
Statuant le 6 octobre 1999, la Présidente du Tribunal correctionnel a déclaré cette demande irrecevable: compte tenu de l'élection de domicile "au greffe du tribunal", le jugement rendu le 5 mai 1999 devait être considéré comme notifié le jour même au condamné habilité à en demander, éventuellement, le relief; le délai légal de vingt jours, disponible pour cette démarche, s'était écoulé dès cette notification et n'avait pas été observé.
E. a recouru sans succès à la Cour de cassation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, qui a confirmé le prononcé attaqué.
Agissant par la voie du recours de droit public, E. a requis le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de cassation cantonale, notamment pour violation de l'art. 6 par. 1 CEDH. Le Tribunal fédéral a admis le recours.
 
Extrait des considérant:
1. a) Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'art. 6 par. 1 CEDH (RS 0.101) garantit à l'accusé, dans un procès pénal, le droit d'être jugé en sa présence (arrêt du 12 février 1985 dans la cause Colozza c. Italie, Série A vol. 89, ch. 27). Une procédure par défaut est néanmoins compatible avec cette disposition si le condamné a la possibilité de demander qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation. Jusqu'à présent, la Cour a laissé ouverte la question de savoir si un accusé peut valablement renoncer au droit d'être jugé en sa présence; elle précise toutefois que la renonciation devrait de toute façon être établie de manière non équivoque et entourée d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (même arrêt, ch. 28 et 29; arrêt du 23 novembre 1993 dans la cause Poitrimol c. France, Série A vol. 277A, ch. 31; voir aussi les arrêts du 28 août 1991 F.C.B. c. Italie, vol. 208B, ch. 35, et du 12 octobre 1992 T. c. Italie, vol. 245C, ch. 27).
La Cour n'a pas non plus décidé si un accusé défaillant qui s'est "vraiment dérobé à la justice" peut, par là, avoir perdu le droit d'être jugé en sa présence (arrêt Colozza, ch. 28 in fine); elle indique cependant que "le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées" (arrêt Poitrimol, ch. 35; voir aussi les arrêts du 22 septembre 1994 Lala c. Pays-Bas, Série A vol. 297A, ch. 32-33, et Pelladoha c. Pays-Bas, vol. 297B, ch. 39-40). Dans le cas d'un accusé qui n'avait pas été informé de la poursuite pénale ouverte contre lui, la Cour a retenu que la possibilité de demander un nouveau jugement ne constitue pas une protection effective, au regard de la Convention, s'il incombe à l'intéressé de prouver qu'il n'entendait pas se dérober à la justice et que son absence s'expliquait par un cas de force majeure. Dans le même contexte, la Cour a également jugé que la déchéance du droit de participer aux débats ne saurait résulter du seul fait que l'accusé n'a pas averti l'autorité d'un changement de domicile; une conséquence aussi grave serait disproportionnée (arrêt Colozza, ch. 30 et 32; voir aussi l'arrêt F.C.B., ch. 35). La privation du droit à l'assistance d'un défenseur, au motif que l'accusé ne se présente pas aux débats alors même qu'il en est dûment averti, est aussi une conséquence disproportionnée (arrêts Poitrimol, Lala et Pelladoha, loc. cit.; arrêt du 21 janvier 1999 Van Geyseghem c. Belgique, ch. 33-35).
b) Pour le surplus, selon la conception du Tribunal fédéral, l'art. 6 par. 1 CEDH ne confère pas au condamné par défaut le droit inconditionnel d'exiger un nouveau jugement; au contraire, ce droit peut être dénié au condamné qui a refusé de participer aux débats ou s'est placé fautivement dans l'incapacité de le faire. Dans la procédure de relief, on peut attendre du condamné par défaut qu'il allègue, dans les formes et délais prescrits, les faits qui l'ont empêché de se présenter (ATF 113 Ia 225 consid. 2 p. 230; voir aussi ATF 117 Ib 337 consid. 5b p. 344). Déterminer si l'absence du défaillant lui est imputable à faute, compte tenu des circonstances dûment constatées, est une question de droit inhérente à l'application de la Convention, que le Tribunal fédéral doit examiner librement. A cet égard, il faut considérer l'absence comme valablement excusée non seulement en cas de force majeure (impossibilité objective de comparaître), mais également en cas d'impossibilité subjective, due à des circonstances personnelles ou à l'erreur (cf. ATF 96 II 262 consid. 1a p. 265).
Dans le cas où ni la notification postale, ni les modes de notification par la police ou par huissier (cf. art. 121 al. 2, 120 al. 2 à 4 CPP/VD) ne sont possibles, notamment parce que le lieu de séjour de l'accusé est inconnu, la citation aux débats et, ensuite, le jugement par défaut sont notifiés par publication dans la Feuille des avis officiels (art. 121 al. 3 CPP/VD). Dans cette hypothèse, une remise effective du jugement intervient au moment où le condamné se présente ou est arrêté; celui-ci dispose alors du délai de vingt jours pour demander le relief (art. 404 al. 3 CPP/VD).
b) Une réglementation particulière vise le prévenu ou accusé non domicilié en Suisse, selon l'art. 48 CPP/VD:
"Le juge informe le prévenu, le plaignant et la partie civile non domiciliés en Suisse qu'ils doivent faire élection de domicile dans le canton de Vaud; il les avise que, sinon, ils ne pourront [pas] se prévaloir du défaut des significations qui auraient dû leur être faites, conformément à la loi, et que leur domicile sera alors censé être au greffe.
Autant que possible, les actes de procédure leur seront néanmoins communiqués par la poste."
Selon l'art. 103 al. 2 CPP/VD, le domicile ainsi élu concerne notamment les actes de procédure qui, tels les citations aux débats et les jugements par défaut, ne peuvent pas être communiqués par l'intermédiaire du conseil de la partie concernée, si elle en a un; ces actes doivent en principe être notifiés au destinataire personnellement.
L'art. 48 CPP/VD a pour but d'éviter aux autorités de poursuite pénale les complications et les délais inhérents aux notifications d'actes judiciaires à l'étranger. En effet, selon les principes du droit international, celles-ci ne peuvent normalement pas intervenir directement par la poste (ATF 105 Ia 307 consid. 3b p. 310; ATF 103 III 1 consid. 2 p. 4). Tel est le cas, actuellement, dans les relations avec la France: les autorités judiciaires suisses sont seulement autorisées à communiquer directement avec leurs homologues en France pour demander l'exécution de notifications, sans qu'elles soient tenues d'user de la voie diplomatique (art. 7 et 15 ch. 4 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale; RS 0.351.1). Des notifications postales directes ne seront admises qu'après l'entrée en vigueur de l'accord franco-suisse destiné à compléter la Convention européenne d'entraide judiciaire, signé le 28 octobre 1996 (art. X; FF 1997 IV 1090). Même s'il existe une élection de domicile conforme à l'art. 48 CPP/VD, les autorités vaudoises ont néanmoins la faculté de procéder à une notification à l'étranger, par la voie officielle ou diplomatique requise; cela ressort du libellé de l'art. 103 al. 2 CPP/VD ("peut") et de l'art. 404 al. 1 CPP/VD, où il est expressément envisagé que la notification d'un jugement par défaut intervienne à l'étranger. Le Tribunal correctionnel a d'ailleurs agi ainsi à l'égard de Y.
3. Le prévenu domicilié à l'étranger a donc, selon l'art. 48 CPP/VD, l'obligation légale de désigner une personne habilitée à recevoir, en son nom, les notifications qui lui seront destinées. Il lui incombe de choisir, dans son propre intérêt, une personne de confiance qui accepte cette mission et se charge de lui transmettre fidèlement et rapidement les documents reçus. Or, une élection de domicile "au greffe de l'Office pénal, respectivement du Tribunal du district de Lausanne, voire de toute autre autorité judiciaire compétente", telle que consignée au procès-verbal du Juge d'instruction, ne présente aucune garantie de ce genre et est même dépourvue de toute utilité pour le prévenu. Celui-ci devra se renseigner lui-même sur l'état de la cause et, à cette fin, il devra d'abord accomplir des démarches pour savoir quelle est l'autorité actuellement saisie du dossier. La manifestation de volonté précitée est en fait une renonciation à élire domicile, entraînant la conséquence légale que le domicile est "censé être au greffe", et que l'autorité peut en principe se dispenser de procéder aux notifications à l'étranger. Le juge qui recueille, voire suggère une pareille déclaration ne satisfait pas réellement au devoir d'information prévu par l'art. 48 CPP/VD, même si, selon le procès-verbal, le prévenu est "averti des conséquences de [son] élection de domicile". Ce devoir, expression particulière de l'obligation de tout organe de l'Etat d'agir de manière conforme aux règles de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), exigeait au contraire d'inviter le prévenu à rechercher soigneusement une personne de confiance, puis à communiquer ensuite, dès cette personne connue, son nom et son adresse à l'office. De ce point de vue, la déclaration consignée au procès-verbal du 16 mai 1997 est particulièrement déroutante: l'autorité acceptait, en apparence, une élection de domicile auprès d'une personne dont l'adresse devrait être recherchée; en réalité, par la suite, nul n'a tenté de localiser la personne désignée afin de procéder effectivement à une notification par son entremise.
Au regard de cette situation, il est douteux que la Présidente du Tribunal correctionnel ait pu valablement se dispenser, en particulier dans le cas de E., de mettre en oeuvre la procédure de notification par l'intermédiaire des autorités judiciaires françaises. On ne discerne d'ailleurs pas pourquoi cette voie-ci a été retenue pour un seul des trois accusés, soit Y., à l'exclusion des deux autres. Quoi qu'il en soit, la notification fictive au greffe du tribunal, à la date du jugement par défaut, ne pouvait pas être admise comme point de départ du délai de vingt jours prévu par l'art. 404 al. 1 ou 3 CPP/VD, à observer pour le dépôt d'une demande de relief. En effet, au regard de l'art. 6 par. 1 CEDH, les déclarations du recourant concernant l'élection de domicile "au greffe" ne sauraient être considérées comme un abandon valable, suffisamment réfléchi et exempt d'équivoque, de son droit d'être jugé en sa présence. Obtenir de lui ces déclarations équivalait à mettre à sa charge, en cas de condamnation par défaut, l'obligation de se renseigner sur le point de départ du délai à observer pour demander un nouveau jugement; or, de tels procédés ne sont pas compatibles avec la diligence que les autorités doivent déployer pour assurer la jouissance effective de la garantie d'un procès équitable (CourEDH, arrêt précité Colozza, ch. 28, et arrêt du 17 décembre 1996 Vacher c. France, Rec. 1996 p. 2138, ch. 28). Le fait que le recourant n'ait pas, de sa propre initiative, communiqué une adresse dans le canton de Vaud, ainsi qu'il aurait pu le faire après les interrogatoires du Juge d'instruction, ne suffit pas non plus à entraîner la déchéance de son droit d'être jugé en sa présence. La possibilité réelle de demander un nouveau jugement, après celui rendu par défaut le 5 mai 1999, devait donc lui être fournie. L'arrêt attaqué, qui lui dénie au contraire cette possibilité, doit donc être annulé pour violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.