BGE 81 I 192
 
32. Arrêt du 6 juillet 1955 dans la cause Gremaud et consorts contre Grand Conseil du Canton de Fribourg.
 
Regeste
Stimmrechts-, Wahl- und Abstimmungsbeschwerden; Volksinitiativ recht.
Der freiburg. Staatsrat ist nicht befugt, Volksinitiativen auf ihre Gültigkeit zu prüfen (Erw. 4).
Der in einem Gesetz aufgestellte Grundsatz der Einheit der Materie und die Ungültigerklärung einer gegen diesen Grundsatz verstossenden Volksinitiative sind mit dem freiburg. Verfassungsrecht nicht unvereinbar (Erw. 5, 6).
 
Sachverhalt
A.- Dans le canton de Fribourg, l'initiative constitutionnelle exigée par l'art. 6 litt. c Cst. féd. est réglée par les art. 78 à 82 de la Cst. frib. et par les art. 1 à 9 et 28 à 40 de la loi cantonale du 13 mai 1921 sur l'exercice du droit d'initiative constitutionnelle et législative des citoyens et du droit de referendum. Ces dispositions instituent en bref le système suivant:
Une demande d'initiative est déposée. Elle ne peut comprendre qu'un seul objet, exactement déterminé, et doit être signée par vingt-cinq citoyens au moins (art. 2 et 3 de la loi). Elle est publiée par le Conseil d'Etat, qui fixe un délai de quatre-vingt-dix jours pendant lequel 6000 signatures au moins doivent être recueillies (art. 79 ch. 1 Cst. frib., 1 et 4 de la loi cantonale). A l'expiration de ce délai, le Grand Conseil est saisi et se prononce sur la validité de la demande d'initiative (art. 5 et 6 de la loi). Il soumet ensuite au peuple la question de savoir si la constitution doit être revisée (art. 79 al. 2 Cst. frib. et 6 de la loi). Lorsque cette question est résolue affirmativement, la revision est entreprise par le Grand Conseil si elle est partielle et par une constituante si elle est totale (art. 80 et 82 Cst. frib. et 9 de la loi). Enfin, le peuple se prononce sur la constitution ou les dispositions constitutionnelles revisées (art. 81 et 82 Cst. frib.).
B.- Le 29 janvier 1953, trente-cinq citoyens, parmi lesquels notamment Georges Gremaud, ont déposé à la Chancellerie d'Etat du canton de Fribourg une demande d'initiative tendant à la revision partielle de la constitution en ce qui concerne le secret du vote, le droit d'initiative et de referendum, l'élection des députés au Conseil des Etats, le quorum électoral, le nombre des conseillers d'Etat, la couverture des dépenses extraordinaires et l'incompatibilité entre certaines fonctions. La Chancellerie a publié le texte de cette demande dans la Feuille officielle des 7 et 14 février 1953. Le 13 février 1953, le Conseil d'Etat a pris un arrêté fixant le point de départ du délai de quatre-vingt-dix jours pour la récolte des signatures. Le 31 juillet 1953, il a saisi le Grand Conseil en l'informant que 9176 citoyens avaient valablement signé la demande d'initiative et en le priant de "procéder ultérieurement conformément à la loi". Le Grand Conseil a examiné cet objet dans sa séance du 25 novembre 1953. L'un des députés ayant fait valoir que la demande d'initiative violait le principe de l'unité d'objet (appelée aussi unité de la matière), l'affaire a été renvoyée à l'examen d'une commission spéciale. Après avoir pris l'avis du professeur Giacometti, cette commission a proposé au Grand Conseil de dire que la demande d'initiative populaire du 29 janvier 1953 ne respectait pas le principe de l'unité d'objet et que, partant, elle était nulle. Le Grand Conseil a adopté cette proposition le 18 novembre 1954.
C.- Georges Gremaud et consorts portent cette décision du Grand Conseil devant le Tribunal fédéral par la voie d'un recours de droit public. Ils se plaignent d'une violation des art. 78 à 82 Cst. frib. et soutiennent en bref ce qui suit:
Le Conseil d'Etat est seul compétent pour contrôler la validité de la demande d'initiative signée de vingt-cinq citoyens au moins. En l'espèce, il a implicitement admis cette validité. Dès lors, le Grand Conseil était lié et ne pouvait revoir cette question, ni annuler "la demande d'initiative populaire du 29 janvier 1953", c'est-à-dire le texte signé par trente-cinq citoyens. Il n'avait de pouvoir que pour examiner l'initiative appuyée par 9176 citoyens. Or celle-ci est incontestablement valable. Sans doute lui a-t-on reproché de violer le principe de l'unité d'objet. Mais ce grief ne saurait être retenu. En effet, le principe de l'unité est lui-même contraire à la constitution fribourgeoise et, supposé qu'il ne le soit pas, sa violation ne peut entraîner la nullité de l'initiative.
Le Grand Conseil et le Conseil d'Etat du canton de Fribourg concluent au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
3. Les recourants se plaignent d'une violation du droit constitutionnel fribourgeois, Ils ne font état de certaines dispositions de la loi de 1921 qu'à l'appui de ce moyen. Ainsi, il s'agit uniquement d'interpréter le droit constitutionnel cantonal. Dans ces conditions, le Tribunal fédéral a plein pouvoir d'examen. Toutefois, en pareille hypothèse, il ne s'écarte pas sans nécessité de l'interprétation adoptée par l'autorité cantonale supérieure (RO 75 I 245; arrêt non publié du 9 février 1955, dans la cause Babel c. Genève, Conseil d'Etat, ainsi que les nombreux arrêts cités).
4. Le Grand Conseil a déclaré nulle "la demande d'initiative du 29 janvier 1953", c'est-à-dire la demande signée par trente-cinq citoyens. Les recourants soutiennent qu'il n'était pas compétent pour le faire et que cette décision rentrait dans les attributions du Conseil d'Etat. Cependant cet argument n'est pas fondé. C'est en effet le peuple qui a qualité pour demander la revision de la constitution par voie d'initiative populaire (art. 79 Cst. frib.). Dès lors, une autorité représentative ou exécutive ne peut déclarer sans effet la volonté exprimée par certains citoyens qu'en vertu d'une disposition claire de la loi. Or il n'existe pas de disposition de ce genre en ce qui concerne le Conseil d'Etat. D'après la loi de 1921 (art. 28, 39, 40), celui-ci se borne, en matière d'initiative, à publier la demande, à fixer le délai de 90 jours, à édicter les mesures d'exécution nécessaires pour l'apposition des signatures, à rechercher le nombre de signatures valables et à publier le résultat du dépouillement dans la Feuille officielle. En revanche, à la différence du Grand Conseil, il n'est pas tenu par une disposition légale expresse de contrôler la validité de la demande d'initiative. Aussi bien n'a-t-il pas examiné cette question en l'occurrence.
Les recourants en déduisent, il est vrai, que le Conseil d'Etat a ainsi implicitement admis la validité de la demande d'initiative signée de trente-cinq citoyens, que sa décision sur ce point liait le Grand Conseil et que, dès lors, celui-ci ne pouvait plus examiner que la demande d'initiative portant les 9176 signatures. Toutefois, cette argumentation ne résiste pas davantage à l'examen. Pour qu'elle puisse être accueillie, il faudrait qu'il y ait des raisons impérieuses de considérer d'une part que le Conseil d'Etat a des compétences propres au sujet de la validité de l'initiative, d'autre part qu'il convient de faire une nette distinction entre deux stades de la procédure d'initiative, la demande des vingt-cinq citoyens et celle des six mille. Or, ainsi qu'on l'a vu, les pouvoirs du Conseil d'Etat ne s'étendent pas à l'examen de la validité de l'initiative. Quant à la distinction entre la demande des vingt-cinq citoyens et celle des six mille, le Grand Conseil ne la fait pas. Il considère bien plutôt la procédure d'initiative comme un tout et son interprétation ne peut en tout cas pas être qualifiée d'anticonstitutionnelle.
Du moment que les recourants agissent à propos d'un cas particulier où l'autorité a appliqué l'art. 2 de la loi, ils sont recevables à attaquer, pour appuyer leur argument principal, la constitutionnalité de cette disposition, bien qu'ils soient hors délai pour recourir contre la loi elle-même (RO 80 I 137). Autre chose est de savoir si le moyen qu'ils soulèvent ainsi est fondé. A ce propos, il convient de rappeler que l'art. 79 Cst. frib. se borne à disposer que "la revision totale ou partielle peut avoir lieu... lorsqu'elle est demandée, suivant les prescriptions de la loi, par 6000 citoyens actifs au moins". Le constituant n'a donc en aucune manière limité l'objet du droit d'initiative. Par conséquent, l'art. 2 de la loi de 1921 serait inconstitutionnel s'il restreignait l'exercice du droit d'initiative à certains domaines. Mais tel n'est manifestement pas le cas. Contrairement à l'opinion des recourants, la règle de l'unité d'objet vise non le fond mais la forme dans laquelle l'initiative doit être présentée. Elle constitue une des règles de procédure que les citoyens doivent suivre pour obtenir la revision de leur constitution et signifie simplement qu'il faut déposer autant de demandes d'initiative qu'il y a d'objets de revision en vue. En revanche, elle ne restreint pas les possibilités de revision à un nombre limité d'objets; elle n'empêche pas les citoyens de demander n'importe quelle revision de la constitution, partant elle ne limite pas le contenu ou l'objet du droit d'initiative et n'est pas contraire à la constitution.
Tout au plus la règle de l'unité pourrait-elle restreindre le droit d'initiative si son application à la récolte des signatures était exclue par l'art. 79 Cst. frib., autrement dit si cette disposition garantissait la revision de la constitution sans exiger que les 6000 signatures requises visent toutes le même objet. Toutefois le Grand Conseil n'admet pas pareille interprétation. A son avis, la règle de l'unité d'objet signifie non seulement qu'à la suite d'une initiative ayant réuni 6000 signatures, le peuple doit être appelé à voter sur un seul objet, mais aussi que, lors de la récolte de ces signatures, un objet unique par demande d'initiative doit être soumis aux citoyens. Ce système, qui contribue à assurer une manifestation exacte de la volonté populaire, n'est pas contraire à la constitution.
Tout en admettant que la votation populaire doit porter sur un seul objet, les recourants voudraient, pour récolter les signatures, pouvoir proposer aux citoyens des buts divers. C'est là une autre interprétation de la constitution. Toutefois, elle ne s'impose pas, car elle est moins logique que celle du Grand Conseil et n'assure pas une manifestation aussi exacte de la volonté populaire. En effet, c'est un fait d'expérience que le citoyen signe volontiers une demande d'initiative lorsqu'il approuve certains des buts poursuivis et même s'il est opposé aux autres. Quand 6000 signatures sont récoltées dans de telles conditions, la volonté manifestée ne signifie donc pas toujours que chacun des 6000 signataires appuie toutes les requêtes présentées dans l'initiative. Dès lors, la manifestation de volonté est faussée.
Rien ne servirait d'objecter que l'art. 82 al. 2, 3 et 4 Cst. frib., relatif à la revision partielle, fait allusion aux "articles à reviser". En dépit de ce que croient les recourants, l'existence de ce pluriel ne signifie pas nécessairement que, d'après le texte même de la constitution, la revision partielle peut porter sur divers objets. Il est évident en effet qu'un objet unique pourrait entraîner la modification de plusieurs articles. Les recourants en fournissent eux-mêmes un exemple par le point 3 de leur demande d'initiative, qui vise l'élection des députés au Conseil des Etats par le peuple et suppose la revision des art. 29 al. 1 et 45 litt. h Cst. frib.
Il serait tout aussi vain de soutenir, comme le font les recourants, que la règle de l'unité d'objet ne vaut qu'à l'intérieur de chaque article constitutionnel nouveau et que dès lors elle n'empêche pas de requérir la modification de plusieurs dispositions, pourvu que chacune d'elles vise un objet unique. Le Grand Conseil est d'une opinion différente à ce sujet. Il estime que le principe de l'unité concerne la demande d'initiative elle-même, envisagée comme un tout. Or cette interprétation n'est pas contraire à la constitution cantonale.
Enfin, les recourants ne sauraient tirer argument des diverses revisions partielles que la constitution fribourgeoise a subies jusqu'à ce jour. En effet, les revisions de 1884-1885 et 1943-1948, provoquées par une initiative populaire, ne visaient qu'un seul objet, la première la nomination des syndics par les communes et la seconde l'introduction du referendum financier facultatif. Quant aux autres revisions (1872-1874, 1891-1894, 1917-1921, 1947-1950), si elles ont pour la plupart porté sur plusieurs objets chacune, elles ont eu cependant leur origine non dans une initiative populaire mais dans un décret du Grand Conseil (J. CASTELLA, L'organisation des pouvoirs politiques dans les constitutions du canton de Fribourg, p. 266-289). Or l'art. 2 de la loi de 1921, qui institue la règle de l'unité d'objet, n'est applicable qu'à l'initiative constitutionnelle populaire et non à la procédure de revision décrétée par le Grand Conseil. Malgré ce que paraissent croire les recourants, cette différence peut se justifier par de sérieuses raisons. En effet, la revision décrétée par le Grand Conseil ne comprend pas la récolte de 6000 signatures au moins. Il n'y a donc pas de risque de fausser la volonté que le peuple exprime en demandant l'introduction de la procédure de revision proprement dite. Tout au plus la volonté populaire pourrait-elle être faussée si, lors de la votation sur le principe de la revision ou sur les dispositions constitutionnelles revisées, le Grand Conseil soumettait en même temps au peuple des objets différents. Mais les recourants n'allèguent pas que tel ait été le cas depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1921. En fait d'ailleurs, la revision de 1947-1950, qui a été décrétée par le Grand Conseil, ne visait que la modification des cercles électoraux et respectait ainsi le principe de l'unité d'objet.
Dans ces conditions, le moyen que les recourants entendent tirer d'une prétendue inconstitutionnalité de l'art. 2 de la loi de 1921 n'est pas fondé.
Ainsi que cela résulte du considérant 5 ci-dessus, la règle de l'unité n'est pas contraire à la constitution fribourgeoise. Il est constant d'autre part qu'elle n'a pas été respectée en l'espèce. Il s'agit dès lors simplement de rechercher s'il y a des raisons impérieuses de penser qu'en droit constitutionnel fribourgeois, cette irrégularité ne doit pas être sanctionnée par la nullité de l'initiative.
A cet égard, il faut relever tout d'abord que le droit fribourgeois ne contient aucune règle expresse indiquant la sanction à prendre lorsque la règle de l'unité d'objet est violée. Il ne contient pas davantage de disposition dont l'interprétation permette d'admettre que cette sanction doit être la nullité de l'initiative ou, au contraire, une votation séparée sur chacun des objets de la demande. En particulier, les art. 78 et 79 Cst. frib. ne fournissent à ce sujet aucune indication décisive dans un sens ou dans l'autre.
Il n'existe pas non plus un principe général du droit constitutionnel prescrivant la sanction à prendre en pareil cas. La question est au contraire fort discutée. Dans la doctrine, certains auteurs se prononcent nettement en faveur de la nullité, tout au moins quant à l'initiative dans le domaine fédéral (FLEINER/GIACOMETTI, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, p. 733; GIACOMETTI, Die Einheit der Materie als formelle Voraussetzung der Volksanregung auf Partialrevision der Bundesverfassung und die Kriseninitiative, SJZ 32, p. 93 ss., spéc. p. 96; BÜELER, Die Entwicklung und Geltendmachung des schweizerischen Volks-Initiativrechtes, p. 66). D'autres auteurs expriment une opinion plus nuancée et affirment que la sanction de la nullité doit être prononcée avec mesure (Burckhardt, Commentaire, p. 816) ou seulement lorsque l'initiative ayant plusieurs objets ne peut être divisée sans en modifier le sens (VON WALDKIRCH, Die Mitwirkung des Volkes bei der Rechtsetzung nach dem Staatsrecht der schweizerischen Eidgenossenschaft und ihrer Kantone, p. 18/19). Dans son arrêt RO 48 I 164, le Tribunal fédéral a reconnu au Grand Conseil bernois le pouvoir d'examiner la validité d'une demande d'initiative et de refuser éventuellement de la soumettre à une votation populaire. En revanche, le Conseil fédéral est d'un avis opposé; il estime qu'une initiative qui a plusieurs objets différents et viole par conséquent la règle d'unité de l'art. 121 al. 3 Cst. féd. ne doit pas être déclarée non valable, mais divisée par l'Assemblée fédérale suivant ses objets (FF 1920 IV 208, 1954 p. 712).
Dans ces conditions et contrairement à ce que pensent les recourants, le Grand Conseil n'était pas tenu d'opter nécessairement pour une autre sanction que l'invalidité. Il l'était d'autant moins que sa décision peut se justifier par de bons arguments. En effet, la règle de l'unité, qui vise à assurer une manifestation fidèle et smcère de la volonté populaire, n'atteint véritablement ce but que si son inobservation entraîne la nullité de la demande d'initiative. Sinon, c'est admettre ce que la règle veut empêcher, à savoir que les auteurs de l'initiative puissent réunir des partisans de réformes différentes et atteindre ainsi plus aisément le chiffre de 6000 signatures, en risquant cependant de donner un reflet inexact de l'opinion populaire.
On ne saurait dès lors affirmer que l'annulation d'une demande d'initiative violant la règle de l'unité de l'objet soit contraire au droit constitutionnel fribourgeois. Le moyen soulevé par les recourants sur ce point doit donc être rejeté.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours en tant qu'il est recevable.