BGer 1C_312/2010
 
BGer 1C_312/2010 vom 08.12.2010
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 1/2}
1C_312/2010
Arrêt du 8 décembre 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb, Raselli, Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Mabillard.
Participants à la procédure
Ville de Genève, Conseil administratif,
Palais Eynard, rue de la Croix-Rouge 4, 1204 Genève,
recourante,
contre
Djily Diagne,
intimé.
Objet
Autonomie communale; refus d'autoriser la location d'une salle de spectacle,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Genève du 11 mai 2010.
Faits:
A.
Djily Diagne est le producteur de Dieudonné M'Bala-Bala, connu sous le nom de scène de Dieudonné.
Le 2 décembre 2009, Djily Diagne a pris contact avec l'administratrice de la salle de théâtre de l'Alhambra (ci-après: l'administratrice), propriété de la ville de Genève, aux fins de louer cette salle pour une représentation du nouveau spectacle de Dieudonné intitulé "Sandrine". Le même jour, il a reçu une confirmation, par courrier électronique, de la pré-réservation pour la location du Théâtre de l'Alhambra les 26 et 27 mars 2010.
Sur requête de l'administratrice, Djily Diagne lui a fait parvenir un petit dossier de presse. Le spectacle "Sandrine" traitait de la violence conjugale. Il joignait certains extraits des réactions publiées dans la presse à Montréal, à la suite d'une représentation de ce spectacle en juin 2009. Toutes louaient l'humour de Dieudonné et il en avait été de même en octobre 2009 à Lyon. Le 3 décembre 2009, il lui a renvoyé le formulaire dûment rempli pour la demande de location de l'Alhambra les 26 et 27 mars 2010.
B.
Dans sa séance du 9 décembre 2009, le Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après: le Conseil administratif) a décidé de refuser la demande de location de Djily Diagne.
Par courrier électronique du 21 décembre 2009, l'administratrice a transmis à Djily Diagne l'extrait certifié conforme du procès-verbal de cette séance, l'informant de ce refus dont la presse s'est aussitôt fait l'écho (articles du "Courrier" du 29 janvier 2010 et de la "Tribune de Genève" des 30 et 31 janvier 2010 sous les titres: "Dieudonné reste indésirable dans les salles de la Ville" et "Mugny interdit la Ville à Dieudonné").
A la requête de Djily Diagne, l'administratrice lui a adressé, le 9 février 2010, un courrier auquel était annexé l'extrait du procès-verbal de la séance du Conseil administratif du 9 décembre 2009.
C.
Djily Diagne a recouru auprès du Tribunal administratif du canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif) contre la décision du Conseil administratif. Il invoquait principalement la liberté d'opinion et d'expression. La Ville de Genève a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement son rejet. La salle de l'Alhambra faisait partie de son patrimoine financier dont la gestion relevait du droit privé; elle n'était donc pas tenue de respecter les libertés fondamentales. Aucune de celles-ci n'étaient d'ailleurs touchées en l'espèce, et si tel était le cas, les conditions de restrictions à celles-ci étaient réalisées en raison des risques concrets de trouble à l'ordre public.
Le 23 avril 2010, Djily Diagne a informé le Tribunal administratif qu'il avait loué une autre salle à Genève pour le spectacle "Sandrine".
Par arrêt du 11 mai 2010, le Tribunal administratif a admis le recours précité, en tant qu'il était recevable, et a constaté que la décision du Conseil administratif du 9 décembre 2009 était contraire au droit. Il a considéré en substance que la salle de l'Alhambra relevait du patrimoine administratif de la Ville et non de son patrimoine financier. L'attribution de la salle étant régie par des règles de droit public, la Ville était liée dans sa gestion par les principes généraux du droit public. La liberté d'appréciation dont la Ville disposait dans les choix artistiques opérés n'était donc pas illimitée. En l'espèce, la restriction à la liberté d'expression n'était justifiée par aucun intérêt public et le risque de troubles à l'ordre public n'était pas davantage fondé.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Ville de Genève demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif du 11 mai 2010 et de confirmer la décision du Conseil administratif du 9 décembre 2009. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des considérants. La recourante se plaint d'une violation de son autonomie communale et de son droit d'être entendue. Elle fait par ailleurs valoir qu'il n'y a pas eu de violation de la liberté d'opinion et que, de toute façon, le refus de louer la salle à Dieudonné était justifié par le risque important de troubles à l'ordre public et respectait le principe de la proportionnalité.
Le Tribunal administratif s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Djily Diagne conclut au rejet du recours, dans la mesure où il est recevable. Subsidiairement, il demande au Tribunal fédéral de confirmer l'arrêt attaqué et d'annuler la décision du Conseil administratif du 9 décembre 2009.
Considérant en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF); il revoit donc librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 133 I 185 consid. 2 p. 188 et les arrêts cités).
1.1 Dans l'arrêt attaqué, les juges cantonaux ont retenu que la décision d'attribution de la salle de l'Alhambra relevait exclusivement du droit public, même si le contrat signé consécutivement entre la Ville de Genève et le locataire obéissait aux règles du droit privé. La recourante allègue au contraire que le théâtre relève de son patrimoine financier et qu'elle dispose ainsi de la même liberté qu'un particulier; la location de cette salle ressortirait du domaine contractuel et le principe de la liberté contractuelle s'appliquerait entièrement.
1.2 La recourante ne conteste toutefois pas que le refus du Conseil communal de louer la salle de l'Alhambra à l'intimé constitue une décision et que la présente cause relève du droit public (art. 82 let. a LTF; cf. mémoire de recours p. 7). Par ailleurs, l'arrêt attaqué émane d'un tribunal cantonal supérieur statuant en dernière instance, sans qu'un recours auprès du Tribunal administratif fédéral ne soit ouvert (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). Il peut donc en principe faire l'objet d'un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
1.3 D'après l'art. 89 al. 1 LTF, la qualité pour former un recours en matière de droit public est reconnue à quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b), et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Selon l'art. 89 al. 2 let. c LTF, les communes et autres collectivités publiques ont aussi qualité pour recourir lorsqu'elles invoquent la violation de garanties qui leur sont reconnues par les Constitutions cantonales ou fédérale. En pareille hypothèse, la qualité pour recourir est en principe admise et la question de savoir si une commune est réellement autonome dans le domaine considéré est examinée au fond (ATF 135 I 43 consid. 1.2 p. 45; 129 I 313 consid. 4.2 p. 319 et les références).
En l'occurrence, pour justifier sa qualité pour recourir, la Ville de Genève invoque son autonomie communale. Elle expose que les communes genevoises jouissent, en vertu du droit cantonal, d'une totale liberté d'appréciation dans le domaine culturel. D'un autre côté, dans la motivation de son recours, elle fait valoir que le théâtre de l'Alhambra fait partie de son patrimoine financier et qu'elle n'a pas agi dans le cadre de sa puissance publique, mais au contraire comme n'importe quel propriétaire privé d'une salle de spectacle. Le point de savoir si la Ville de Genève est habilitée à recourir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF, en tant que particulier, ou en vertu de l'art. 89 al. 2 let. c LTF, comme détentrice de la puissance publique, peut rester indécis en l'espèce. Cette question se confond en effet avec l'objet de la contestation et sera examinée avec le fond.
1.4 Le recourant doit avoir un intérêt actuel et pratique à l'admission de son recours (ATF 131 I 153 consid. 1.2 p. 157). Il n'est renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel que si la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu'elle ne perde son actualité et s'il existe un intérêt public important à résoudre la question de principe soulevée (ATF 127 I 164 consid. 1a p. 166 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 131 II 670 consid. 1.2 p. 674 et la jurisprudence citée). En l'espèce, le Tribunal administratif est entré en matière sur le recours de l'intimé, au motif que Dieudonné organisait régulièrement des spectacles à Genève, ce qui n'est pas discuté. La contestation est ainsi susceptible de se répéter à l'avenir entre les mêmes parties et dans des circonstances semblables. A cela s'ajoute que la question litigieuse peut se poser dans d'autres communes du canton ou du pays qui disposent de salles de spectacle à louer et qu'il existe ainsi un intérêt indéniable à y apporter une réponse.
1.5 Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité sont remplies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Selon la recourante, c'est de façon arbitraire que le Tribunal administratif a considéré que le délai de cinq mois prévu à l'art. 3 al. 2 du règlement communal du 9 mai 2007 régissant la location de l'Alhambra (ci-après: le règlement sur l'Alhambra) pour déposer une demande de réservation était un délai d'ordre. Il s'agirait plutôt d'un délai de péremption qui devrait impérativement être respecté. L'intimé ayant déposé sa demande de location le 2 décembre 2009 pour réserver la salle les 26 et 27 mars 2010, le Conseil administratif pouvait à bon droit refuser de louer la salle.
Il ressort de l'état de fait que la Ville de Genève a accepté, le 2 décembre 2010, la demande de pré-réservation de l'Alhambra déposée par l'intimé. Ce faisant, elle a laissé entendre que les dates des 26 et 27 mars 2010 étaient encore disponibles et que la "tardiveté" de la requête ne s'opposait pas à une entrée en matière. Dans ces conditions, le Tribunal administratif pouvait, sans arbitraire, retenir que le délai de l'art. 3 al. 2 du règlement était un délai d'ordre, dont le non-respect n'impliquait pas l'irrecevabilité, voire le rejet, de la requête. C'est en outre à juste titre qu'il a relevé que l'argument de la recourante ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle l'administration doit se comporter à l'égard des justiciables conformément au principe de la bonne foi (cf. art. 5 al. 3 Cst.). Le recours doit par conséquent être rejeté sous cet angle.
3.
Le Tribunal administratif a considéré que la salle de l'Alhambra relevait du patrimoine administratif de la Ville de Genève et que son attribution était régie par le droit public. Le Conseil communal, qui était donc lié dans sa gestion par les principes généraux du droit public, avait consacré, dans sa décision du 9 décembre 2009, une violation de la liberté d'expression. Ce constat ne donnait toutefois pas pour autant un droit à obtenir la location de la salle, la Ville pouvant refuser la location pour des motifs d'opportunité.
La recourante affirme que le Théâtre de l'Alhambra fait partie de son patrimoine financier et que la location de la salle est régie par les règles de droit privé. Elle ne serait dès lors pas tenue de mettre en oeuvre les droits fondamentaux. En vertu de la liberté contractuelle, il n'existerait aucun droit à louer une salle de spectacles de la Ville de Genève.
3.1 L'art. 35 al. 2 Cst. dispose que quiconque assume une tâche de l'Etat est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation. Cette disposition s'adresse en premiers lieux aux organes de l'ensemble des collectivités publiques, à savoir la Confédération, les cantons et les communes. Ceux-ci doivent ainsi respecter et réaliser les droits fondamentaux lorsque, investis de la puissance publique, ils assument une tâche étatique (cf. Message du 20 novembre 1996 relatif à la nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 194; cf. ATF 129 III 35 consid. 5.2 p. 40). Il convient dès lors d'examiner si, dans le cas particulier, c'est à juste titre que le Tribunal administratif a considéré que la Ville de Genève assumait une "tâche de l'Etat" au sens de l'art. 35 al. 2 Cst. lorsqu'elle exploitait le théâtre de l'Alhambra.
3.2 L'arrêt attaqué fait tout d'abord une distinction entre patrimoine financier et patrimoine administratif. Le patrimoine financier comprend les biens de l'Etat qui, n'étant pas affectés à une fin d'intérêt public, ont la valeur d'un capital et peuvent produire à ce titre un revenu, voire être réalisés. Sa gestion se fait en principe selon le droit privé (Pierre Moor, Droit administratif, Volume III, 1992, p. 325 ss; Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 4ème édition, 1991, p. 598; Ulrich Häfelin/ Georg Müller/ Felix Uhlmann, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème édition, 2010, p. 532 s. et p. 538 s.). Relèvent en revanche du patrimoine administratif les biens des collectivités publiques qui sont directement affectés à la réalisation d'une tâche publique. En font partie les immeubles qui abritent les écoles, les hôpitaux, les gares, les musées, les bibliothèques et, de manière générale, les établissements publics et les services administratifs de l'Etat (Moor, op. cit., p. 321 ss; Knapp, op. cit., p. 600 et 604; André Grisel, Traité de droit administratif, 1984, p. 526; Häfelin/Müller/Uhlmann, op. cit., p. 533 s.).
Lorsque le patrimoine administratif est affecté à des fins particulières d'intérêt public au bénéfice des citoyens, il est le plus fréquemment séparé du patrimoine administratif ordinaire et est institué en patrimoine distinct sous la forme d'un établissement public (par ex. les établissements scolaires ou universitaires, les hôpitaux, les théâtres municipaux, les musées, etc.). Dans ces cas, l'utilisation du patrimoine administratif se confond avec l'usage de l'établissement public en cause, lequel est en principe défini par son affectation spécifique et par les conditions mises à son accès par une loi (Blaise Knapp, L'utilisation commerciale des biens de l'Etat par des tiers, in Problèmes actuels de droit économique: mélanges en l'honneur du professeur Charles-André Junod, 1997, p. 231 ss).
3.3 Dans le cas particulier, la salle de spectacle litigieuse est régie par le règlement communal du 10 juillet 2002 fixant les conditions de location des salles de réunion et de spectacle de la Ville de Genève et plus particulièrement par le règlement sur l'Alhambra. Selon l'art. 2 al. 1 de ce règlement, l'Alhambra est destiné à accueillir des spectacles dans les domaines du théâtre, de la danse, du music-hall, des concerts, du cinéma, des opéras et tout spectacle assimilé. Il est placé sous la responsabilité du Département communal de la culture qui le loue à cette fin (art. 1). Le Tribunal administratif a dès lors considéré que, par la mise à disposition de cette salle, la commune réalisait la mission d'intérêt public que la loi lui confiait, à savoir d'encourager l'accès à la culture et de contribuer à son rayonnement en participant notamment au développement de la création et de la production artistiques et en favorisant l'échange sur le plan international; dans ce domaine, le canton intervient à titre subsidiaire par rapport aux communes (cf. art. 2 al. 1, art. 3 al. 2 et art. 4 ch. 5 de la loi cantonale du 20 juin 1996 sur l'accès et l'encouragement à la culture [ci-après: LAEC]). La recourante ne conteste pas que la mise en location de l'Alhambra concrétise une tâche étatique (cf. mémoire de recours p. 28 ch. 146). Elle l'admet au demeurant de façon implicite lorsqu'elle se prévaut de son autonomie communale en matière de culture. Dans ces conditions, il apparaît que le Théâtre de l'Alhambra est affecté à la réalisation d'une tâche publique et qu'il relève du patrimoine administratif de la Ville de Genève.
3.4 La recourante fait valoir que la location de la salle relève du droit privé et ressort du domaine contractuel, comme la location de n'importe quelle salle privée. Un contrat de location est en effet signé entre la Ville de Genève, soit pour elle le Département de la culture, en tant que bailleur, et l'organisateur du spectacle, en tant que locataire. La question de savoir si le contrat de location de la salle de l'Alhambra est soumis au droit privé, comme semblent l'admettre les parties, n'est pas déterminante en l'espèce; il apparaît en effet que la phase préalable, à savoir l'attribution de la salle au futur locataire, est régie par des règles de droit public spécifiques. Comme on l'a vu au consid. 3.3 ci-dessus, la location de la salle est en effet soumise au règlement communal sur l'Alhambra. Selon ce règlement, la location fait l'objet de procédures spécifiques (art. 3 al. 1); les demandes doivent notamment être formulées par écrit et dans un certain délai (art. 3 al. 2). Le Conseil administratif adopte des tarifs de location, qui peuvent être révisés annuellement (art. 4 al. 1 et 2). Par ailleurs, les choix artistiques sont soumis au Conseiller culturel concerné et les cas litigieux font l'objet d'une décision du Conseiller administratif délégué (art. 2 al. 2 et 3). La recourante n'a du reste pas contesté que le refus de l'attribution de la salle était une décision administrative, donc un acte de souveraineté. Il est dès lors manifeste que les normes régissant l'usage de l'Alhambra relèvent du droit public et que la recourante agit en tant que détentrice de la puissance publique lorsqu'elle décide de l'attribution ou de la non-attribution de la salle de spectacle.
3.5 Il résulte de ce qui précède que la Ville de Genève est liée par les droits fondamentaux en vertu de l'art. 35 al. 2 Cst., puisque dans le domaine d'activité dont il est ici question, elle est chargée d'une tâche étatique. Partant, c'est à juste titre que le Tribunal administratif a considéré que la liberté d'appréciation dont disposait la recourante dans les choix artistiques opérés (cf. art. 2 al. 2 du règlement sur l'Alhambra et art. 3 al. 2 LAEC), bien qu'elle soit très importante, n'était pas illimitée. Elle doit en effet s'exercer dans le respect des principes généraux de droit public, dont fait partie la liberté d'expression. Il en va de même de l'autonomie communale, qui ne peut s'exercer que dans les limites de la loi (cf. art. 50 Cst.).
4.
Il reste dès lors à examiner si, comme l'a jugé le Tribunal administratif, la décision du Conseil administratif du 9 décembre 2009 consacre une violation de la liberté d'expression.
4.1 Les libertés d'opinion et d'information sont garanties (art. 16 al. 1 Cst.). Toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion (al. 2). Selon l'art. 10 CEDH, la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (par. 1). La protection offerte par la liberté d'opinion est indépendante du vecteur de la communication. Sont protégés tous les moyens propres à établir la communication: la parole, l'écrit ou le geste, que ce soit sous la forme du discours, du chant, du disque, du téléphone, de la pièce de théâtre, du livre, etc. (Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 160; Jean-François Aubert/Pascal Mahon, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, 2003, n. 6 ss ad art. 16; DENIS BARRELET, Les libertés de la communication, in: Thürer/Aubert/Muller, Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001 p. 721ss, 724 s.; cf. art. 2 al. 2 LAEC). En vertu de l'art. 21 Cst., la liberté de l'art est également garantie. Le fait qu'une opinion se présente comme une oeuvre d'art ne lui confère toutefois pas véritablement de protection constitutionnelle supplémentaire (Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, volume II, 2ème édition, 2006, p. 290).
La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun (ATF 96 I 592). Sous réserve des restrictions mentionnées notamment à l'art. 10 par. 2 CEDH, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de "société démocratique" (arrêt 1P.336/2005 du 20 septembre 2005 consid. 5.1 et les références; cf. également ATF 131 IV 23 consid. 3.1 p. 28 et les références). En outre, les opinions sont protégées pour elles-mêmes, même si elles ne correspondent pas à la vérité, car, par définition, elles ne se prêtent pas à une démonstration de véracité (cf. Auer/ Malinverni/ Hottelier, op. cit., p. 263).
4.2 En vertu de l'art. 36 Cst., outre qu'elle doit être fondée sur une base légale et proportionnée au but visé, une restriction de la liberté d'expression doit notamment être justifiée par un intérêt public. En matière de liberté d'expression, le principe de l'intérêt public se confond en pratique avec le souci de maintenir l'ordre public. La protection de la sécurité, de la tranquillité, de la morale et de la santé publique répond à un intérêt public (cf. art. 10 par. 2 CEDH). Celui-ci ne commande toutefois pas de censurer ou de réprimer l'expression des opinions qui sont subversives ou simplement choquent les sentiments moraux, religieux, politiques de la population ou encore qui mettent en cause les institutions. L'interdiction préalable n'est en effet pas compatible avec la liberté d'expression, même lorsque celle-ci s'exerce sur le domaine public. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation, l'autorité doit donc prendre une décision impartiale, après l'avoir examinée aussi objectivement que possible; elle ne peut pas refuser une autorisation uniquement parce qu'elle désapprouve les idées et les objectifs politiques des organisateurs (Etienne Grisel, Droits fondamentaux, Libertés idéales, 2008, ch. 207 et 209; Giorgio Malinverni, L'exercice des libertés idéales sur le domaine public, in Le domaine public, 2004, p. 32 s.; Roberto Peduzzi, Meinungs-und Medienfreiheit in der Schweiz, 2004, p. 244 ss; Aubert/Mahon, op. cit., n. 16 s. ad art. 17).
Autrement dit, vu la portée reconnue à la liberté d'expression, seules des conditions restrictives peuvent justifier une ingérence de l'Etat, en particulier lorsque, comme en l'espèce, il intervient à titre préventif. Au demeurant, cette ingérence doit avoir pour but la protection de biens juridiques élémentaires. Il doit par ailleurs pouvoir être établi de façon concrète que l'exercice de la liberté d'expression portera atteinte à d'autres droits fondamentaux; de vagues craintes ne suffisent pas (cf. Jörg Paul Müller/Markus Schefer, Grundrechte in der Schweiz, 4ème édition, 2008, p. 354 s.; Andreas Kley/Esther Tophinke, Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2ème édition 2008, n. 17 ad art. 16 Cst.).
5.
En l'occurrence, la décision de la Ville de Genève du 9 décembre 2009 ne contient aucune motivation. C'est par le biais de la presse que l'intimé a connu les motifs du refus. Le conseiller administratif en charge de la culture a expliqué, dans la "Tribune de Genève" des 30 et 31 janvier 2010, qu'il avait refusé la salle de l'Alhambra à Dieudonné au motif que celui-ci était clairement antisémite; il n'était pas question que la Ville se rende complice en lui louant ses installations. Par ailleurs, que le spectacle ne parle pas de politique mais de la violence conjugale ne changeait rien: même si Dieudonné avait sollicité un local pour donner des cours de cuisine, il ne l'aurait pas obtenu. Il ressort en outre de son mémoire-réponse du 26 février 2010 au Tribunal administratif que la recourante a refusé l'attribution de la salle de l'Alhambra à l'intimé aux motifs que les différents spectacles de Dieudonné avaient provoqué des agitations, voire des débordements importants et que celui-ci avait également tenu des propos provocateurs et particulièrement choquants, à réitérées reprises entre 2005 et 2008; il en résultait des risques de troubles à l'ordre public.
5.1 S'agissant de l'existence d'un intérêt public, comme l'a souligné à juste titre le Tribunal administratif, les motifs de refus liés aux spectacles de Dieudonné invoqués par la recourante constituent une sorte de censure préalable, qui n'est pas compatible avec la liberté d'expression. Que Dieudonné ait à plusieurs reprises, par le passé, eu des attitudes provocatrices et tenu des propos choquants, ne permet pas d'interdire qu'il se produise en public. S'il était avéré que son spectacle "Sandrine" enfreignait de façon manifeste des dispositions pénales, constituant par exemple une atteinte à la liberté de croyance ou des cultes (art. 261 CP) ou incitant à la discrimination raciale (art. 261bis CP), le refus de la recourante aurait été admissible au sens des art. 36 Cst. et 10 § 2 CEDH (cf. Auer/ Malinverni/ Hottelier, op. cit., p. 266 s.). Il ne ressort toutefois pas des faits retenus par le Tribunal administratif, et qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), que les propos tenus par Dieudonné lors du spectacle litigieux étaient pénalement répréhensibles; la seule indication qui figure au dossier quant à la teneur du spectacle "Sandrine" précise que les sujets évoqués étaient plus sociaux que politiques (cf. dossier de presse transmis le 2 décembre 2009 à l'administratrice). Il s'ensuit que les vagues suppositions de la recourante selon lesquelles le spectacle pouvait contenir des propos contraires au droit ne suffisent pas à légitimer son ingérence. Il apparaît ainsi, dans un tel cas de figure, qu'il appartient, cas échéant, aux autorités de répression de déterminer a posteriori si certains propos tombent sous le coup du droit pénal.
5.2 Le principal argument de la recourante pour justifier son refus est le risque de troubles à l'ordre public. Elle rappelle que des dérapages graves ont eu lieu en février 2004 à Lyon, tant hors de la salle de spectacle qu'à l'intérieur de celle-ci, mettant en danger la sécurité comme la santé des spectateurs. De nouvelles annulations auraient eu lieu en France à la suite d'une représentation du 28 décembre 2008 au Zénith de Paris, lorsque Dieudonné a fait monter un négationniste sur scène. L'humoriste se serait également attaqué sur internet au procureur général du canton de Genève ainsi qu'à un animateur de radio. Enfin, la recourante veut pour preuve du caractère inévitable des risques de débordements le fait qu'une manifestation regroupant une quarantaine de personnes s'est déroulée avant le dernier spectacle de Dieudonné à Genève le 26 mai 2010.
Les éléments avancés par la recourante n'établissent pas que le risque de mise en danger de l'ordre public était concret. Certes, des dérapages ont eu lieu en 2004 à Lyon. Dieudonné a toutefois pu y donner une représentation de son spectacle "Sandrine" en octobre 2009, sans susciter de débordement. Par ailleurs, la pièce "le divorce de Patrick" en 2004 à Genève n'avait pas provoqué de désordre et la manifestation qui s'est tenue avant le spectacle du 26 mai 2010 à la Cité Bleue, réunissant une quarantaine de personnes, n'a troublé ni l'ordre, ni la sécurité publics. Dans ces conditions, la Ville de Genève n'est pas parvenue à rendre vraisemblable que la représentation de Dieudonné était susceptible de provoquer de graves troubles à l'ordre public; en particulier, l'allégation selon laquelle "de nombreuses manifestations ou troubles à l'ordre public ont régulièrement émaillé ses spectacles ou les alentours des salles de spectacles où il s'est produit" (recours n. 208) n'est pas étayée. Les craintes de la recourante sont ainsi purement hypothétiques et ne suffisent manifestement pas à motiver un refus basé sur l'intérêt public. Ainsi, la restriction à la liberté d'expression n'est justifiée par aucun intérêt public suffisant.
5.3 Il apparaît également que la décision litigieuse ne respecte pas le principe de la proportionnalité. En effet, si elle craignait des troubles pour la sécurité publique, la recourante aurait pu trouver une mesure moins incisive qu'une interdiction pure et simple. L'art. 42 al. 2 du règlement sur l'Alhambra dispose que, si le service administratif et technique du département compétent l'estime nécessaire, un service d'ordre supplémentaire peut être imposé, aux frais du locataire. La sécurité des spectateurs aurait pu dès lors aisément être assurée par un renforcement des forces de sécurité en place, ce qui aurait permis d'aménager la solution la moins dommageable parmi celles qui sont aptes à assurer la protection de l'intérêt public en jeu.
5.4 Dès lors, ainsi que l'a retenu le Tribunal administratif, la question de savoir si l'art. 2 al. 1 in fine du règlement sur l'Alhambra, selon lequel la salle est destinée à accueillir différents types de spectacles, qui ne soient toutefois pas susceptibles de provoquer agitation ou désordre, peut constituer une base légale suffisante pour restreindre une liberté fondamentale peut rester ouverte.
6.
La recourante se plaint enfin d'une violation de son droit d'être entendue, reprochant au Tribunal administratif de ne pas lui avoir communiqué le courrier de l'intimé du 23 mars [recte: avril] 2010 avec ses annexes. Dans ce courrier, l'intimé informait les juges cantonaux qu'il avait loué une autre salle à Genève pour le spectacle de Dieudonné et qu'il maintenait néanmoins son recours; y étaient annexés trois arrêts rendus par des tribunaux français annulant des interdictions faites à Dieudonné de produire son spectacle. Du point de vue de l'intimé, ces documents avaient pour objet de démontrer l'absence d'intérêt public à la restriction de sa liberté d'expression imposée par la Ville de Genève. Celle-ci ne peut cependant pas se prévaloir d'une violation de son droit d'être entendue à cet égard dans la mesure où ce n'était pas à l'intimé de faire la démonstration du caractère excessif de la restriction à sa liberté personnelle mais à la Ville de Genève, en tant que détentrice de la puissance publique, d'établir l'existence de circonstances justifiant une telle restriction à un droit fondamental, ce qu'elle n'a toutefois pas fait, ainsi qu'il a été relevé au considérant précédent (cf. consid. 5.1 et 5.2 ci-dessus).
7.
Il résulte de ce qui précède que la décision de la Ville de Genève du 9 décembre 2009 ne remplit pas les conditions de l'art. 36 Cst. et consacre une violation de la liberté d'expression. Contrairement à l'avis de la recourante, que Dieudonné ait pu se produire ailleurs à Genève n'y change rien. Au demeurant, comme l'a souligné le Tribunal administratif, le constat de cette violation ne donne pas pour autant un droit sans limites à obtenir la location de la salle, un refus pouvant effectivement intervenir à certaines conditions pour des motifs d'intérêt public établis et adéquats.
8.
Il s'ensuit que le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté. La Ville de Genève ayant agi dans l'exercice de ses attributions officielles (cf. consid. 3.5 ci-dessus) contre une décision ne mettant pas en jeu ses intérêts patrimoniaux, il n'y a pas lieu de mettre des frais judiciaires à sa charge (art. 66 al. 4 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à l'intimé qui obtient gain de cause, dans la mesure où il n'a pas été représenté par un avocat (art. 40 LTF; ATF 133 III 439 consid. 4 p. 446) et n'a pas établi avoir assumé des frais particuliers pour la défense de ses intérêts (cf. ATF 125 II 518 consid. 5b p. 519 s.).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal administratif du canton de Genève.
Lausanne, le 8 décembre 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Féraud Mabillard