BGer 1P.740/2003
 
BGer 1P.740/2003 vom 15.12.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
1P.740/2003 /col
Arrêt du 15 décembre 2003
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.
Parties
A.________, représenté par Me Kieu-Oanh Nguyen, avocate,
recourant,
contre
B.________ SA,
SI C.________,
SI D.________,
SI E.________,
SI F.________,
SI G.________,
représentées par Me Guy Fontanet, avocat,
H.________
I.________ AG,
représentés par Me Jean-Marc Carnicé, avocat,
J.________ AG,
K.________ SA,
représentées par Me Olivier Carrard, avocat,
L.________, représenté par Me Nicolas Gagnebin,
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
détention préventive
recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 21 novembre 2003.
Faits:
A.
Dès février 2002, les autorités judiciaires genevoises ont été saisies de plaintes pénales dirigées contre A.________, auquel ses partenaires en affaires reprochent de nombreuses infractions telles que faux dans les titres, escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale et banqueroute frauduleuse. En bref, A.________ est prévenu d'avoir remis en sous-location des locaux auxquels il n'avait aucun droit, et d'avoir détourné les loyers encaissés. Pour induire les sous-locataires en erreur, il aurait présenté un bail principal falsifié ou se serait prétendu l'avocat des propriétaires. Il est aussi prévenu d'avoir détourné à des fins personnelles un prêt bancaire consenti à l'une des sociétés qu'il gérait. Dans l'enquête consécutive à ces plaintes, A.________ a été inculpé dès le 28 mars 2002, puis arrêté et placé en détention préventive le 28 mars 2003.
La Chambre d'accusation du canton de Genève a autorisé la prolongation de la détention, chaque fois pour trois mois, par ordonnances du 4 avril, du 20 mai, du 4 juillet et du 3 octobre 2003. L'ordonnance du 20 mai a remplacé celle du 4 avril que, sur recours de l'inculpé, le Tribunal fédéral a annulée parce que ce plaideur n'avait pas pu consulter le dossier avant de prendre position sur la demande de prolongation de la détention (arrêt 1P.122/2003 du 14 mai 2003). Selon ces ordonnances, le maintien de l'incarcération est motivé, en particulier, par des risques de collusion et de fuite.
A la suite d'un nouveau recours de l'inculpé, qui agissait sans le concours de son avocat, le Tribunal fédéral a annulé l'ordonnance du 3 octobre 2003 au motif que ce prononcé ne mentionne pas les indices de culpabilité retenus par la Chambre d'accusation, alors que toute infraction est catégoriquement contestée. La cause est actuellement renvoyée à la Chambre d'accusation afin qu'elle statue à nouveau sur la demande de prolongation de la détention; la mise en liberté immédiate de l'inculpé n'a pas été ordonnée (arrêt 1P.656/2003 du 9 décembre 2003).
B.
Entre-temps, ce dernier a présenté une demande de mise en liberté que la Chambre d'accusation a rejetée le 21 novembre 2003. Agissant derechef par la voie du recours de droit public, cette fois par l'intermédiaire de son défenseur, il requiert le Tribunal fédéral d'annuler cette dernière ordonnance et d'ordonner sa mise en liberté immédiate, à charge, s'il y a lieu, de fournir préalablement des sûretés. Le recourant persiste à contester toute infraction mais il renonce, ici, à argumenter sur ce point. A son avis, même dans l'hypothèse où de graves infractions lui seraient imputables, il n'existe pas de risque de fuite, de collusion ou de réitération propre à justifier le maintien de l'incarcération.
Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision ordonnant ou prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant une demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du Tribunal fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines conditions (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257 consid. 1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.
2.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle qui est actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base légale, répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p. 150, 119 Ia 221 p. 233 in medio).
Dans le canton de Genève, la détention préventive est régie par les art. 17 à 19 et 25 à 27 Cst. gen., et 33 à 40 CPP gen. En l'espèce, l'existence de la base légale n'est d'ailleurs pas contestée.
La détention préventive ne répond à un intérêt public que si, entre autres conditions, il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH). Le Tribunal fédéral, lié par la motivation du recours de droit public, n'examine pas d'office en quoi le prononcé attaqué pourrait être contraire aux droits constitutionnels de la personne lésée (art. 90 al. let. b OJ; ATF 110 Ia 1 consid. 2a in fine p. 4; voir aussi ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76, 124 I 159 consid. 1e p. 163); compte tenu de la position adoptée par le recourant, il n'y a donc pas lieu de vérifier si cette exigence est satisfaite.
En outre, l'incarcération doit être justifiée par les besoins de l'instruction ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de l'ordre public. Il faut qu'en raison des circonstances, l'élargissement du prévenu fasse naître un risque concret de fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p. 67). 2e p. 271).
3.
La collusion est réalisée lorsque le prévenu prend contact avec d'autres personnes impliquées dans les faits de la cause ou dans l'enquête, telles que des témoins ou d'autres prévenus, dans le but de les inciter à faire des déclarations incomplètes ou contraires à la vérité. La collusion peut aussi consister dans la destruction ou la dissimulation de pièces à conviction, ou encore, en général, dans toute tentative de détériorer ou supprimer des preuves. La détention préventive motivée par le risque de collusion est destinée à empêcher que le prévenu n'abuse de la liberté pour se livrer à des opérations de ce genre et, ainsi, compromettre la constatation exacte et complète des faits par le juge de l'action pénale. Selon la jurisprudence, la possibilité théorique d'une collusion ne suffit pas à justifier le maintien du prévenu en détention; le risque doit au contraire présenter une certaine vraisemblance au regard des circonstances concrètes du cas. En particulier, il faut prendre en considération les preuves déjà recueillies et les recherches restant à accomplir (ATF 128 I 149 consid. 2.1 p. 151 et consid. 3.4 p. 153; 123 I 31 consid. 3c p. 35; 117 Ia 257 consid. 4 p. 261).
Selon la déclaration d'un témoin recueillie par le Juge d'instruction le 5 mars 2003, le recourant a rencontré cette personne en avril 2002 et il lui a alors demandé de l'aider en faisant une déposition contraire à la vérité. Interrogé le 28 mars 2003, le recourant a dû admettre que contrairement à ses propres dires du 20 septembre 2002, il avait effectivement rencontré le témoin à l'époque et dans les circonstances indiquées par celui-ci; il a seulement contesté toute tentative d'obtenir un faux témoignage. Il persiste, actuellement, à contester cette tentative et il fait état de divers faits ou dépositions propres à mettre en doute, à son avis, la crédibilité du témoin.
L'ordonnance du 20 mai 2003, à laquelle celle présentement attaquée renvoie aussi, mentionne notamment cet épisode. Elle indique aussi que sur plusieurs autres points, les déclarations du recourant ont été ultérieurement infirmées par les résultats de l'enquête. Il a faussement déclaré que ni lui-même, ni les sociétés gérées par lui n'avaient plus d'avoirs à l'étranger. Sur d'autres points encore, le recourant refuse de répondre aux questions qui lui sont posées, ou déclare ne pas se souvenir des faits. Ainsi, encore à l'audience du 21 octobre 2003, le recourant a excipé du secret professionnel de l'avocat alors qu'il était interrogé sur son activité d'administrateur de sociétés (cf. ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 115 Ia 112 consid. 4 p. 119).
D'après les indications que le recourant fournit lui-même, près de cent cinquante classeurs de pièces comptables ont été saisis et doivent être étudiés. Il est donc vraisemblable que de très nombreuses questions devront encore lui être posées, et on ne peut pas prévoir d'emblée quelles sont les investigations auprès de tiers dont la nécessité apparaîtra au cours de cette étude. Par ailleurs, la destination des fonds que l'on suppose détournés n'a pas encore été clairement élucidée; ll faut donc envisager que le recourant profite de son éventuelle libération pour en effacer les traces. Dans ces conditions, compte tenu de l'attitude qu'il a adoptée jusqu'ici, la Chambre d'accusation peut valablement retenir un risque de collusion pour refuser la mise en liberté requise devant elle.
4.
Attendu que le maintien de l'incarcération se justifie par un risque de collusion, il n'est pas nécessaire d'examiner si la Chambre d'accusation est aussi fondée à retenir, au surplus, des risques de fuite ou de nouvelles infractions. Le recours de droit public se révèle mal fondé, ce qui entraîne son rejet. On rappelle toutefois que ce recours ne tendait pas à la vérification des indices du culpabilité relevés à la charge de son auteur, de sorte que cette condition de la détention préventive, qui doit faire l'objet d'une prochaine ordonnance de la Chambre d'accusation à la suite de l'arrêt précité du 9 décembre 2003, demeure donc réservée.
5.
Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci soit dans le besoin et que ses conclusions ne paraissent pas d'emblée vouées à l'échec. Au regard de la situation actuelle du recourant et de la motivation très sommaire de l'ordonnance attaquée, ces conditions étaient réalisées; il en résulte que la demande d'assistance judiciaire doit être admise.
Il n'est pas alloué de dépens aux parties intimées car celles-ci n'ont pas été invitées à répondre au recours.
Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise et Me Kieu-Oanh Nguyen est désignée en qualité d'avocate d'office du recourant.
3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.
4.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'000 fr. à Me Nguyen à titre d'honoraires.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 15 décembre 2003
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: