BGer B 67/2002
 
BGer B 67/2002 vom 30.09.2003
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
B 67/02
Arrêt du 30 septembre 2003
IVe Chambre
Composition
Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Ferrari. Greffier : M. Beauverd
Parties
Caisse Paritaire de Prévoyance Professionnelle des Métiers de la Construction, rue de Saint-Jean 67, 1211 Genève 11, recourant, représenté par Me Jacques-André Schneider, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,
contre
R.________, intimé, représenté par Me Etienne Soltermann, avocat, rue du Roveray 16, 1207 Genève,
Instance précédente
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, Genève
(Jugement du 18 juin 2002)
Faits:
A.
R.________, né en 1960, a travaillé au service de divers employeurs. A ce titre, il était assuré contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA).
Il a été victime de trois accidents, ensuite desquels il a subi une atteinte au genou droit.
A.a Le 9 septembre 1986, alors qu'il exerçait une activité de manoeuvre à la Gare X.________, il a fait une chute sur ce genou en descendant d'un wagon. Cet accident a entraîné une incapacité de travail entière du 12 septembre au 19 décembre 1986.
A.b Le 28 août 1991, alors qu'il travaillait au service de la société Y.________ SA et était, à ce titre, affilié auprès de la Fondation de prévoyance du personnel de la société Y.________ SA, R.________ a été victime d'une nouvelle chute lors de laquelle il a subi des contusions au genou droit et à la colonne lombaire. Ces troubles ont entraîné une incapacité de travail de 100 % du 31 août 1991 au 31 mai 1992, de 50 % le 1er juin 1992, de 100 % du 2 juin au 13 juillet 1992 et enfin de 50 % du 14 au 26 juillet 1992.
La Fondation de prévoyance du personnel de la société Y.________ SA ayant été radiée le 20 juillet 1999, les droits acquis par le personnel de ladite société ont été garantis par la Fondation retraite + en faveur du personnel des sociétés affiliées à Z.________ Suisse Holding SA (ci-après: la Fondation).
A.c Le 27 octobre 1992, alors qu'il était au service de la société W.________ SA, et était, à ce titre, affilié à la Caisse paritaire de prévoyance professionnelle des métiers de la construction (ci-après: la Caisse de prévoyance), R.________ a été victime d'une nouvelle chute à la suite d'un lâchage du genou droit. Il a été entièrement incapable de travailler dès le 30 octobre 1992.
Par décision du 14 novembre 1994, confirmée par décision sur opposition du 16 novembre 1998, la CNA a alloué à l'assuré, à partir du 1er septembre 1994, une rente d'invalidité fondée sur une incapacité de gain de 25 % et une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux de 15 %. De son côté, l'Office cantonal AI de Genève lui a accordé une rente entière d'invalidité du 1er octobre 1993 au 31 août 1994 (décision du 1er novembre 1995). Cette prestation a été ensuite maintenue au-delà du 1er septembre 1994 (décision du 1er décembre 1997).
Le 12 avril 1999, R.________ a requis de la Caisse de prévoyance l'octroi d'une rente d'invalidité. Par lettre du 4 mai 2000, cette institution de prévoyance a refusé de donner suite à la demande, motif pris que l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité existait déjà avant l'affiliation à ladite institution.
B.
Celle-ci ayant réitéré son refus par lettre du 21 décembre 2000, l'assuré, considérant cette écriture comme une décision, a «recouru» devant le Tribunal administratif du canton de Genève (aujourd'hui: Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève).
Le tribunal a ordonné l'appel en cause de la Fondation le 9 avril 2002.
Par jugement du 18 juin 2002, la juridiction cantonale a condamné la Caisse de prévoyance à allouer à R.________, dès le 1er novembre 1993, une rente entière d'invalidité et quatre rentes complémentaires.
C.
La Caisse de prévoyance interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont elle demande l'annulation, en concluant au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle statue sur l'obligation de la Fondation d'allouer des prestations d'invalidité à l'intéressé.
R.________ conclut au rejet du recours, sous suite de dépens, et demande à bénéficier de l'assistance judiciaire.
La Fondation n'a pas fait usage de la faculté de se déterminer sur le recours en qualité d'intéressée.
De son côté, l'Office fédéral des assurances sociales propose l'admission du recours.
Considérant en droit:
1.
1.1 Aux termes de l'art. 23 LPP, ont droit aux prestations d'invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 50 % au moins, au sens de l'assurance-invalidité, et qui étaient assurées lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité. Selon l'art. 24 al. 1 LPP, l'assuré a droit à une rente entière d'invalidité s'il est invalide à raison des deux tiers au moins, au sens de l'assurance-invalidité, et à une demi-rente s'il est invalide à raison de 50 % au moins.
1.2 Selon la jurisprudence, l'événement assuré au sens de l'art. 23 LPP est uniquement la survenance d'une incapacité de travail d'une certaine importance, indépendamment du point de savoir à partir de quel moment et dans quelle mesure un droit à une prestation d'invalidité est né. La qualité d'assuré doit exister au moment de la survenance de l'incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l'apparition ou de l'aggravation de l'invalidité (ATF 123 V 263 consid 1a, 118 V 45 consid. 5).
L'art. 23 LPP a aussi pour but de délimiter les responsabilités entre institutions de prévoyance, lorsque le travailleur, déjà atteint dans sa santé dans une mesure propre à influer sur sa capacité de travail, entre au service d'un nouvel employeur (en changeant en même temps d'institution de prévoyance) et est mis au bénéfice, ultérieurement, d'une rente de l'assurance-invalidité: le droit aux prestations ne découle pas du nouveau rapport de prévoyance; les prestations d'invalidité sont dues par l'ancienne institution, auprès de laquelle l'intéressé était assuré lorsqu'est survenue l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité (ATF 123 V 264 consid. 1c, 120 V 117 consid. 2c/aa).
1.3
1.3.1 Conformément à l'art. 26 al. 1 LPP, les dispositions de la LAI (art. 29 LAI) s'appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d'invalidité. Si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l'invalidité dans l'assurance-invalidité, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l'estimation de l'invalidité des organes de l'assurance-invalidité, sauf lorsque cette estimation apparaît d'emblée insoutenable (ATF 126 V 311 consid. 1 in fine). Cette force contraignante vaut non seulement pour la fixation du degré d'invalidité (ATF 115 V 208), mais également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l'assuré s'est détériorée de manière sensible et durable (ATF 123 V 271 consid. 2a et les références citées).
Cependant, dans un arrêt récent (ATF 129 V 73), le Tribunal fédéral des assurances a précisé que l'office AI est tenu de notifier d'office une décision de rente à toutes les institutions de prévoyance entrant en considération. Lorsqu'il n'est pas intégré à la procédure, l'assureur LPP - qui dispose d'un droit de recours propre dans les procédures régies par la LAI - n'est pas lié par l'évaluation de l'invalidité (principe, taux et début du droit) à laquelle ont procédé les organes de l'assurance-invalidité.
1.3.2 En l'espèce, la décision d'octroi d'une rente entière de l'assurance-invalidité à partir du 1er octobre 1993 (du 1er novembre 1995) n'a pas été notifiée à la recourante. Celle-ci n'est donc pas liée par la fixation par les organes de l'assurance-invalidité du moment de la survenance de l'incapacité de travail d'une certaine importance, indépendamment du point de savoir si les dispositions réglementaires de la recourante reprennent la définition de l'invalidité dans l'assurance-invalidité.
1.4 En ce qui concerne la délimitation des responsabilités respectives de deux institutions de prévoyance auxquelles un assuré a été successivement affilié, la jurisprudence a déduit de l'art. 23 LPP qu'il ne suffit pas, pour que l'ancienne institution de prévoyance reste tenue à prestations, que l'incapacité de travail ait débuté à une époque où l'assuré lui était affilié, mais qu'il devait en outre exister, entre cette incapacité de travail et l'invalidité, une relation d'étroite connexité, temporelle et matérielle.
Il y a connexité matérielle si l'affection à l'origine de l'invalidité est la même que celle qui s'est déjà manifestée durant l'affiliation à la précédente institution de prévoyance (et qui a entraîné une incapacité de travail). La connexité temporelle implique qu'il ne se soit pas écoulé une longue interruption de l'incapacité de travail; elle est rompue si, pendant une certaine période, l'assuré est à nouveau apte à travailler. L'ancienne institution de prévoyance ne saurait, en effet, répondre de rechutes lointaines ou de nouvelles manifestations de la maladie plusieurs années après que l'assuré a recouvré sa capacité de travail. Mais une brève période de rémission ne suffit pas pour interrompre le rapport de connexité temporelle. On ne saurait considérer qu'une interruption de trente jours consécutifs suffit déjà pour fonder la responsabilité de la nouvelle institution de prévoyance, du moins lorsqu'il est à prévoir que la diminution ou la disparition des symptômes de la maladie sera de courte durée. Cette interprétation de la loi restreindrait de manière inadmissible la portée de l'art. 23 LPP, notamment dans le cas d'assurés qui ne retrouvent pas immédiatement un emploi et qui, pour cette raison, ne sont plus affiliés à aucune institution de prévoyance. D'ailleurs, si l'on voulait s'inspirer des règles en matière d'assurance-invalidité, on devrait alors envisager une durée minimale d'interruption de l'activité de travail de trois mois, conformément à l'art. 88a al. 1 RAI: selon cette disposition, si la capacité de gain d'un assuré s'améliore ou que son impotence s'atténue, il y a lieu de considérer que ce changement supprime, le cas échéant, tout ou partie de son droit aux prestations dès qu'on peut s'attendre à ce que l'amélioration constatée se maintienne durant une assez longue période; il en va de même lorsqu'un tel changement déterminant a duré trois mois déjà, sans interruption notable et sans qu'une complication prochaine soit à craindre (ATF 123 V 264 consid. 1c, 120 V 117 consid. 2c/aa).
2.
2.1
2.1.1 En l'espèce, l'accident survenu le 28 août 1991 a entraîné des contusions au genou droit et au niveau sacro-lombaire. Très rapidement, les troubles lombaires se sont estompés. En revanche, les douleurs au genou droit ont persisté au point qu'une lésion du ménisque externe sera finalement diagnostiquée lors d'une arthroscopie réalisée le 13 février 1992. Une plastie du ligament croisé antérieur est alors proposée mais pas effectuée (rapport du docteur A.________, spécialiste en orthopédie et chirurgie, et médecin d'arrondissement de la CNA, du 28 janvier 1994). Ces troubles au genou droit ont entraîné une incapacité de travail de 100 % du 31 août 1991 au 31 mai 1992, de 50 % le 1er juin 1992, de 100 % du 2 juin au 13 juillet 1992 et enfin de 50 % du 14 au 26 juillet 1992, époque durant laquelle l'assuré était par ailleurs déjà au service de la société W.________ SA et, partant, affilié à la Caisse de prévoyance.
2.1.2 Consulté le jour de l'accident du 27 octobre 1992, le docteur B.________ (rapport du 6 janvier 1993) a fait état d'une chute consécutive à un lâchage du genou droit. Il a diagnostiqué une instabilité chronique du genou droit sur ancienne lésion du ligament croisé antérieur droit, ainsi qu'un status après méniscectomie partielle interne et externe. Le 15 février 1993, une arthroscopie a confirmé l'instabilité chronique du genou droit par insuffisance du ligament croisé antérieur et a permis de constater l'existence d'une déchirure de la corne antérieure du ménisque externe (cf. rapport du docteur A.________ du 28 janvier 1994). Ces troubles ont entraîné une incapacité de travail entière dès le 30 octobre 1992.
Dans un rapport de sortie du 18 avril 1994, les médecins de la Clinique V.________ ont fait état, du point de vue somatique, d'une pangonarthrose post-traumatique droite accompagnée de douleurs durables, de pseudo-blocages et d'une légère limitation de flexion, ainsi que d'un syndrome lombo-spondylogène à droite. Selon ces médecins, ces troubles somatiques étaient sensiblement aggravés, du point de vue «psycho-social» par une personnalité qui dramatise et surévalue les symptômes corporels. Par ailleurs, durant une hospitalisation à l'Hôpital T.________ (du 21 novembre au 7 décembre 1996), une hernie discale à prédominance postéro-latérale gauche en L5 et S1, ainsi qu'une ostéophytose C5-C6 ont été mises en évidence. Enfin, dans un rapport d'expertise réalisée à l'attention de l'Office AI du canton de Genève (du 27 mars 1997), les docteurs C.________ et D.________, médecins au Département de médecine communautaire de la Policlinique de médecine de l'Hôpital S.________, ont indiqué, outre les troubles somatiques déjà mentionnés, l'existence d'une gonarthrose du genou gauche à prédominance interne et d'une dépression majeure de sévérité moyenne. Selon ces médecins, on ne peut attendre aucune amélioration des capacités physiques par un traitement médical ou des mesures d'ordre professionnel tant qu'un traitement de la dépression ne sera pas entrepris, ce que l'intéressé refuse en raison, précisément, de ses troubles de nature psychique.
2.2 Vu ce qui précède, on constate que l'incapacité de travail subie durant la période du 31 août 1991 au 26 juillet 1992 était due exclusivement à une atteinte au genou droit (lésion du ménisque externe et insuffisance du ligament croisé antérieur). En revanche, l'incapacité de travail qui a débuté le 30 octobre 1992 et qui a finalement conduit à l'octroi d'une rente entière de l'assurance-invalidité dès le 1er octobre 1993 était la conséquence non seulement de la lésion précitée au genou droit mais encore de nombreux autres troubles d'ordre somatique (syndrome lombo-spondylogène, hernie discale à prédominance postéro-latérale gauche en L5 et S1, ostéophytose C5-C6 et gonarthrose du genou gauche), ainsi que des troubles d'ordre psychique sous la forme d'une dépression majeure de sévérité moyenne, laquelle a eu une importance prépondérante sur l'évolution de la symptomatologie. Or, il apparaît que l'atteinte au genou droit, qui était la cause exclusive de la première période d'incapacité de travail susmentionnée, n'a joué qu'un rôle secondaire dans l'incapacité de travail survenue à partir du 30 octobre 1992. En effet, la CNA, qui répond uniquement des suites des accidents assurés - soit, dans le cas particulier, l'atteinte au genou droit - a fixé à 25 % le taux d'invalidité résultant de cette atteinte. Même si cette évaluation ne lie pas la Cour de céans, il n'en demeure pas moins qu'aucun avis médical versé au dossier ne vient infirmer le point de vue selon lequel l'atteinte au genou droit a une importance mineure par rapport à l'ensemble des troubles qui ont motivé l'octroi, à partir du 1er octobre 1993, d'une rente entière de l'assurance-invalidité, fondée sur un taux d'invalidité de 100 %. D'ailleurs, il convient de relever qu'une atteinte à la santé entraînant une invalidité de 25 % seulement n'ouvre droit ni à une rente de l'assurance-invalidité (art. 28 al. 1 LAI) ni à une prestation d'invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire (art. 23 LPP).
Cela étant, force est de constater que l'affection au genou droit qui avait entraîné une incapacité de travail entière durant l'affiliation à la Fondation s'est résorbée et a fait place à de nombreuses autres affections de nature tant physique que psychique apparaissant comme la cause essentielle de l'invalidité. Cela étant, l'existence d'une connexité matérielle doit être niée et la responsabilité de la recourante doit être admise, sans qu'il soit nécessaire d'examiner s'il existe une relation de connexité temporelle entre les deux périodes d'incapacité de travail. La recourante est dès lors tenue à prestations et le recours se révèle mal fondé.
3.
L'intimé, qui obtient gain de cause, est représenté par un avocat. Il a donc droit à des dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en relation avec l'art. 135 OJ).
La requête d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de dépens de 1'200 fr. pour la procédure fédérale.
4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances sociales du canton de Genève, à la Fondation Retraite + en faveur du personnel des sociétés affiliées à Z.________ Suisse Holding SA, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 30 septembre 2003
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
La Présidente de la IVe Chambre: Le Greffier: