BGer 6S.175/2003
 
BGer 6S.175/2003 vom 07.08.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.175/2003 /rod
Arrêt du 7 août 2003
Cour de cassation pénale
Composition
MM. et Mme les Juges Schneider, Président,
Kolly et Brahier Franchetti, Juge suppléante.
Greffière: Mme Bendani.
Parties
1. P.________,
2. A.S.________,
3. A.D.________,
4. A.P.________,
5. B.M.________,
6. B.T.________,
7. B.R.________,
recourants,
tous représentés par Me Philippe Loretan, avocat, avenue Ritz 33, case postale 2135, 1950 Sion 2,
contre
X.________,
intimé, représenté par Me Aba Neeman, avocat, case postale 1224, 1870 Monthey 2.
Objet
Actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP),
pourvoi en nullité contre le jugement du Tribunal cantonal du Valais, Cour pénale II, du 15 avril 2003.
Faits:
A.
X.________ est né en 1948. Titulaire d'un brevet d'enseignant, il a travaillé dans l'enseignement primaire dès 1969, puis secondaire dès 1974. En 1994, il a été licencié en raison de conflits sur son lieu de travail. Il a réintégré sa place dès la période scolaire 1995/1996 après avoir attaqué avec succès la décision qui mettait fin à ses rapports de travail. Suite à l'ouverture d'une enquête administrative, il a été suspendu de ses fonctions en octobre 1997. Il exploite actuellement un commerce de pneumatiques pour un revenu annuel de l'ordre de 200'000 francs. Il est marié et père de trois enfants. Reconnu coupable de soustraction d'objets mis sous main de justice, il a été condamné, le 29 août 1996, à une amende de 300 francs.
A.a Dès l'année scolaire 1997/1998, X.________ a enseigné notamment le français, ainsi que les mathématiques dans trois classes du cycle d'orientation de Martigny. Il a dispensé ses cours dans les salles n° 31 et 33. La classe n° 33 comporte trois rangées de quatre pupitres chacune, ainsi que le bureau de l'enseignant collé au premier pupitre des élèves. A l'époque des faits, les toilettes se trouvaient à l'extérieur de la classe. La classe n° 31 est similaire à la précédente sauf qu'une estrade de 20 centimètres supporte le bureau de l'enseignant. Les meubles ne sont pas ajourés, de sorte que les élèves ne peuvent pas voir sous le pupitre de l'enseignant.
A.b Le 2 octobre 1997, à l'occasion d'une réunion de parents d'élèves, certains parents se sont plaints de X.________ et ont manifesté leur volonté de s'entretenir avec les médiatrices scolaires, A.________ et B.________. La titulaire de la classe a donc organisé une nouvelle séance le surlendemain. A cette occasion, l'un des participants a rapporté durant la pause que, selon son enfant, X.________ se masturbait en classe. Les médiatrices scolaires n'ont accordé aucun crédit à cette affirmation.
Le 9 octobre 1997, le directeur du cycle d'orientation a reçu des parents d'élèves, qui ont émis des griefs sur les qualités pédagogiques de X.________, en raison notamment de ses allusions trop fréquentes au sexe, de ses propos racistes sans rapport avec les cours, de la crainte qu'il suscitait chez ses élèves, du fait qu'il donnait trop de travail et n'approfondissait pas suffisamment le programme scolaire. Par courrier du même jour adressé au directeur, ces parents, se référant à la gravité des griefs émis à l'encontre de l'enseignant, ont déclaré que leurs enfants ne suivraient dorénavant plus les cours dispensés par celui-ci. Le 13 octobre 1997, le directeur et deux membres de la commission scolaire, ont à nouveau reçu des parents d'élèves.
Le 15 octobre 1997, le département de l'éducation, de la culture et du sport a ordonné la suspension provisoire de X.________.
Dans l'intervalle, des parents ont souhaité que les médiatrices scolaires rencontrassent leurs enfants. Certains élèves ont aussi demandé spontanément à pouvoir s'exprimer. Les 14 et 16 octobre 1997, les médiatrices ont ainsi entendu trois groupes d'élèves. B.________ a constaté que les sept élèves du premier groupe étaient très perturbés. Les médiatrices ont alors invité les adolescents à exposer par écrit ce qu'ils vivaient au quotidien et à libérer ce qu'ils avaient sur le coeur. Chaque élève a rédigé son texte en utilisant ses propres termes, sans être orienté sur la façon de raconter ce qu'il savait.
Les 4 et 11 novembre 1997, la vice-présidente de la commission scolaire, en présence des médiatrices scolaires, a entendu les enfants qui ont confirmé et parfois complété leurs déclarations écrites. Elles ont toutes les trois été convaincues de la sincérité des élèves.
A.c Sur les dix-huit enfants qui se sont exprimés par écrit au sujet du comportement de X.________ au début de l'année scolaire 1997/1998, seule une élève n'a rien remarqué de particulier. En revanche, les déclarations des dix-sept autres adolescents sont concordantes et permettent de retenir les faits suivants. Lors des cours donnés à trois de ses classes, X.________ était partiellement dissimulé par son pupitre, sa mallette ouverte devant lui. Régulièrement, après avoir donné du travail aux élèves, l'enseignant s'agitait et sautillait sur sa chaise en faisant trembler le plancher de la salle. Il gardait alors une ou les deux mains sous son pupitre. Après 5 à 10 minutes, il sortait un mouchoir en papier de sa mallette, le dépliait et remettait les mains sous son bureau. Par la suite, il se levait pour jeter le mouchoir dans la corbeille. Enfin, lorsqu'il se trouvait dans la salle n° 33, il se lavait les mains au lavabo au fond de la pièce ou sortait aux toilettes. Lorsqu'il se trouvait dans la salle n° 31, dépourvue de lavabo, il sortait aux toilettes. Sans avoir vu l'acte lui-même, les dix-sept élèves, âgés de 13 à 15 ans, ont déduit de ce comportement que leur enseignant se masturbait.
Hormis l'utilisation d'un mouchoir en papier, X.________ a admis les faits rapportés par les élèves. En revanche, il a contesté toute connotation sexuelle à son comportement, qui, selon ses explications, résulte de ses problèmes de santé, à savoir de la nécessité de devoir masser de façon occasionnelle une région douloureuse de son abdomen, de son tic qui consiste à croiser les jambes ou les pieds ce qui provoquerait un certain tremblement du sol et du pupitre, et de sa consommation de 4 à 5 litres, voire, selon les périodes, de 10 à 15 litres d'eau par jour, ce qui l'obligerait à se rendre fréquemment aux toilettes.
B.
Par jugement du 18 septembre 2001, le juge suppléant des districts de Martigny et St-Maurice a condamné X.________, pour acte d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 al. 3 CP), à 12 mois d'emprisonnement et lui a interdit d'exercer la fonction d'enseignant durant 4 ans. Ces peines ont été assorties du sursis avec un délai d'épreuve de 3 ans. Le juge a déclaré irrecevable la constitution comme parties civiles des parents d'élèves et a rejeté, dans la mesure de leur recevabilité, les prétentions civiles des élèves N.________, B.S.________, B.D.________, B.P.________, A.M.________, A.T.________ et A.R.________, faute d'atteinte grave à leur personnalité.
C.
Par jugement du 15 avril 2003, la IIème Cour pénale du Tribunal cantonal valaisan a acquitté X.________. Elle a retenu que ce dernier se masturbait durant les heures de classe. Elle a toutefois estimé qu'il devait être acquitté, le dol éventuel n'étant pas suffisant pour l'application de l'art. 187 ch. 1 al. 3 CP et le dol direct étant exclu au regard des précautions prises par l'intéressé. En raison de cet acquittement, elle n'a pas statué sur les prétentions des parties civiles dont elle a rejeté l'appel.
D.
Se référant à l'arrêt 6S.241/2002 du Tribunal fédéral du 20 septembre 2002 et invoquant une violation de l'art. 187 ch. 1 al. 3 CP, P.________, A.S.________, A.D.________, A.P.________, B.M.________, B.T.________, B.R.________, agissant au nom de leurs enfants, ont formé un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Ils concluent à l'annulation du jugement attaqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Aux termes de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, seul le lésé qui est une victime d'une infraction au sens de l'art. 2 LAVI peut exercer un pourvoi en nullité pour autant qu'il soit déjà partie à la procédure et dans la mesure où la sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des incidences sur le jugement de celles-ci. Est une victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique. La victime doit avoir subi une atteinte d'une certaine gravité et il faut examiner de cas en cas, au regard des conséquences de l'infraction en cause, si la personne lésée peut légitimement invoquer un besoin de protection prévue par la loi fédérale (ATF 127 IV 236 consid. 2b/bb p. 239; 125 II 265 consid. 2a p. 268). L'atteinte doit être réalisée. Un simple risque de dommage ne suffit pas (arrêt non publié du Tribunal fédéral du 25 février 2002, 6S.729/2001).
Les recourants ont participé à la procédure cantonale dans le cadre de laquelle ils ont pris des conclusions civiles tendant au versement, pour chacun, d'une indemnité de 1'000 francs à titre de réparation pour tort moral. Il n'est pas douteux que l'arrêt attaqué, autant qu'il libère l'intimé de l'infraction de mise en danger du développement des mineurs, est de nature à influencer négativement le jugement des prétentions civiles que les recourants pourraient faire valoir à raison de cette infraction. Enfin, s'agissant de l'infraction reprochée à l'intimé, elle est susceptible de traumatiser les jeunes adolescents qui en sont les victimes et de les atteindre dans leur intégrité psychique et sexuelle. Toutefois, dans le cas particulier, les recourants n'allèguent pas avoir subi une atteinte directe à leur intégrité, laquelle atteinte n'est pas non plus constatée dans les faits. Partant, il est douteux que les recourants puissent être considérés comme des victimes au sens de l'art. 2 LAVI. Cette question peut toutefois demeurer ouverte, le pourvoi étant de toute manière irrecevable (cf. infra, consid.2).
2.
Se référant à l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 20 septembre 2002 (6S.241/2002 repris dans l'arrêt du Tribunal fédéral du 10 avril 2003 6S.474/2002 prévu pour publication) et invoquant une violation de l'art. 187 CP, les recourants soutiennent que l'intimé savait et voulait que les élèves perçussent ses actes. Ils contestent l'interprétation des faits donnée par la cour cantonale pour nier l'intention directe de l'intimé et conclure au dol éventuel.
2.1 Aux termes de l'art. 187 ch. 1 al. 3 CP, celui qui aura mêlé un enfant de moins de 16 ans à un acte d'ordre sexuel sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l'emprisonnement. D'un point de vue subjectif, l'auteur commet sciemment l'acte d'ordre sexuel devant l'enfant et veut que celui-ci le perçoive. Le dol éventuel ne suffit pas. Ainsi, contrairement à l'ancien droit, celui qui admet que l'enfant peut percevoir l'acte d'ordre sexuel et qui accepte de courir ce risque, n'est plus punissable (arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 2002 6S.241/2002 et arrêt du Tribunal fédéral du 10 avril 2003 6S.474/2002 prévu pour publication).
Déterminer ce que l'auteur d'une infraction a su, cru, voulu ou accepté relève de l'établissement des faits. Les constatations cantonales à ce sujet lient donc la Cour de cassation saisie d'un pourvoi en nullité et ne peuvent dès lors être remises en cause dans le cadre de cette voie de droit (ATF 125 IV 49 consid. 2d p. 56; 121 IV 90 consid. 2b p. 92 et les arrêts cités). En revanche, est recevable le moyen tiré d'une interprétation ou d'une application erronée de la notion d'intention. C'est ainsi une question de droit d'établir, sur la base des faits retenus, s'il y a eu dessein, dol direct ou dol éventuel.
2.2 La cour cantonale a jugé que l'intimé avait agi par dol éventuel. Elle a relevé qu'en se masturbant pendant les heures de classe, il avait rendu des adolescents, âgés de 13 à 15 ans, spectateurs d'actes d'ordre sexuel accomplis sur lui-même et qu'au regard de l'exiguïté des lieux, il devait être conscient que les enfants pouvaient percevoir ces actes. En revanche, elle a retenu qu'il ne voulait pas "qu'il les perçoive"; en effet, à défaut, il n'aurait pas, durant l'acte, donné du travail aux élèves, ouvert sa mallette pour se dissimuler partiellement, interdit aux adolescents de s'approcher de son pupitre et agi sous celui-ci qui n'était pas ajouré.
S'agissant de la phrase relative à la volonté de l'intimé, il ressort du contexte que la cour cantonale a commis une erreur de plume en affirmant "qu'il ne voulait pas qu'il les perçoive", ce qui n'a pas de sens et qu'il convient de rectifier en ce sens que l'enseignant ne voulait pas qu'ils - soit les enfants - perçoivent les actes d'ordre sexuel. L'inadvertance de l'autorité cantonale est d'autant plus manifeste qu'elle énumère ensuite les motifs permettant d'aboutir à cette constatation.
2.3 En soutenant que l'intimé voulait que les enfants perçussent les actes de masturbation, les recourants critiquent l'appréciation des preuves faite par la cour cantonale et les conclusions qu'elle en a tirées, à savoir que l'intimé, s'il devait être conscient, ne voulait en revanche pas que les élèves pussent percevoir les actes d'ordre sexuel. Or, conformément à la jurisprudence précitée (cf. supra, consid. 2.1), déterminer ce que l'auteur sait, veut ou l'éventualité à laquelle il consent relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral. Le grief est pour ce motif irrecevable.
2.4 Les recourants requièrent la conversion de leur pourvoi en recours de droit public dans la mesure où l'intention de l'intimé devait être considérée comme une question de fait. En l'espèce, une telle conversion ne peut entrer en ligne de compte (cf. ATF 120 II 270 consid. 2). En effet, les recourants, assistés d'un mandataire professionnel, ont délibérément choisi la voie du pourvoi en nullité alors qu'il ne pouvait leur échapper qu'ils se fourvoyaient dans la mesure où la question de savoir ce que l'auteur d'une infraction a su, cru, voulu ou accepté relève de l'établissement des faits. Par ailleurs, leur écriture ne satisfait pas aux exigences formelles découlant de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'arbitraire n'étant pas démontré.
3.
L'autorité de céans, saisie d'un pourvoi en nullité, est liée par les constatations cantonales selon lesquelles l'intimé ne voulait pas être perçu par les enfants. Ce dernier a ainsi agi par dol éventuel, ce qui ne suffit pas à réaliser les conditions de l'art. 187 ch. 1 al. 3 CP (cf. supra consid. 2.1). Ainsi, dans le cas particulier et au regard des faits retenus, le comportement de l'intimé ne tombe pas sous le coup de la disposition précitée. La question de savoir si de tels agissements pourraient être constitutifs d'une autre infraction ne peut être examinée ici dès lors que l'intimé a été envoyé en jugement uniquement pour violation de l'art. 187 CP.
4.
Le pourvoi est irrecevable. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais (art. 278 al. 1 PPF). Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé qui n'a pas déposé d'observations dans la procédure devant le Tribunal fédéral.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est irrecevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis solidairement à la charge des recourants.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au Tribunal cantonal du Valais, Cour pénale II, ainsi qu'au Ministère public du canton du Valais.
Lausanne, le 7 août 2003
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: