BGer 4C.49/2001
 
BGer 4C.49/2001 vom 30.05.2001
[AZA 0/2]
4C.49/2001
Ie COUR CIVILE
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30 mai 2001
Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffière:
Mme de Montmollin Hermann.
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Dans la cause civile pendante
entre
B.________, demandeur et recourant, représenté par Me Bruno Mégevand, avocat à Genève,
et
la Banque X.________, défenderesse et intimée, représentée par Me Charles Poncet, avocat à Genève;
(condition négative potestative; dommages-intérêts)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- a) Vers la fin des années 1980, B.________ et H.________ divorcée B.________ sont entrés en relation avec la Caisse W.________ et la Banque Y.________ afin d'obtenir, pour eux-mêmes et leurs diverses sociétés, des prêts assortis de garanties réelles destinés à financer leurs opérations immobilières. A la suite d'une fusion, les deux banques sont devenues la Banque X.________ (ci-après: la banque).
Au début des années 1990, B.________ et H.________ ont rencontré de graves difficultés financières qui les ont empêchés de faire face aux obligations résultant des prêts qu'ils avaient contractés auprès de la banque.
Cette dernière a engagé des poursuites et des procédures judiciaires contre B.________ et H.________. Les parties sont entrées en pourparlers en vue de trouver une solution négociée.
Après un premier accord daté du 12 mars 1993, une convention a été signée le 21 octobre 1996 entre B.________, H.________, Villa Z.________ S.A. - une société dont B.________ est l'unique actionnaire - et la banque. En substance, la convention prévoyait un important abandon de créance de la part de cette dernière en échange de l'engagement de lui céder un certain nombre d'actifs. L'art. 5 de la convention indiquait que B.________ et H.________ signeraient en faveur de la banque des procurations aux fins de permettre à celle-ci de vendre en tout temps et à sa discrétion les biens immobiliers dont elle était créancière gagiste; il était expressément prévu qu'en cas de révocation d'une procuration par l'un ou l'autre des époux B.________, la convention du 21 octobre 1996 serait caduque.
Les procurations ont été établies et signées le 24 décembre 1996.
b) Souhaitant éviter la vente aux enchères d'une propriété appelée "L.________" à St-Tropez, B.________ a écrit à la banque, le 18 septembre 1997, un courrier comportant le post-scriptum suivant: "Il va de soi que la présente vaut révocation de la procuration que je vous ai donnée". En outre, il déclarait révoquer le mandat confié à son avocat.
La banque a répondu le 25 septembre 1997 en exprimant son étonnement et demandant notamment des explications concernant le post-scriptum.
La vente aux enchères forcée de La L.________ a été effectuée comme prévu le 26 septembre 1997.
L'avocat est intervenu auprès de la banque, par lettre du 16 octobre 1997, au sujet du produit de la vente en contestant la révocation de son mandat, qui lui avait été conféré conjointement par les époux B.________; l'avocat de H.________ s'est également adressé à la banque dans le même sens. Dans sa réponse du 23 octobre 1997, celle-ci a expliqué qu'elle s'en tiendrait à ses engagements pour l'affectation du produit des enchères.
Le 12 novembre 1997, le directeur adjoint de la banque et B.________ se sont rencontrés. Lors de cet entretien, celui-ci a confirmé que la procuration révoquée était celle prévue par la convention du 21 octobre 1996.
Tirant les conséquences de cet éclaircissement, la banque, par lettre du 17 novembre 1997, a déclaré que la convention était caduque.
Par courrier du 18 novembre 1997, B.________ a prié la banque de considérer sa lettre du 18 septembre 1997 comme nulle et non avenue, ce que la banque a refusé.
B.- Le 6 juillet 1998, B.________ et H.________, s'affirmant créanciers solidaires, ont assigné la banque en paiement de 4 002 500 fr. avec intérêts à 5% dès le 16 octobre 1997; ils ont sollicité également la mainlevée définitive de l'opposition faite à un commandement de payer qu'ils avaient fait notifier le 15 décembre 1997.
Par jugement du 4 octobre 1999, le Tribunal de première instance du canton de Genève a rejeté les conclusions prises par B.________ et H.________.
Statuant sur appel de ces derniers, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a confirmé le jugement attaqué par arrêt du 14 décembre 2000.
En substance, les juridictions cantonales ont considéré que la banque, en sa qualité de créancière gagiste, avait valablement obtenu le montant litigieux dans le cadre de l'exécution forcée concernant La L.________; les demandeurs ne pouvaient se prévaloir de l'arrangement passé avec la défenderesse, dès lors que celui-ci était devenu caduc à la suite de la révocation de la procuration; le débiteur ne pouvait se plaindre des conséquences de sa propre décision, dont il devait assumer les conséquences.
C.- B.________ recourt en réforme au Tribunal fédéral.
Il conclut à l'annulation de l'arrêt du 14 décembre 2000 et reprend ses conclusions sur le fond.
La banque invite le Tribunal fédéral à rejeter le recours et à confirmer la décision attaquée.
Considérant en droit :
1.- Le Tribunal fédéral n'est lié ni par les motifs invoqués par les parties (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 123 III 246 consid. 2).
2.- a) La cour cantonale a considéré qu'en révoquant la procuration, le demandeur avait exercé un droit formateur résolutoire (sur cette notion juridique: Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 30 ss).
Sous l'angle des pouvoirs accordés, il est exact que la révocation d'une procuration se caractérise comme l'exercice d'un droit formateur résolutoire (von Tuhr/Peter, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, tome I, p. 366; Zäch, Commentaire bernois, n. 1 et 4 ad art. 34 CO; Watter, Commentaire bâlois, n. 3 ad art. 34 CO; Engel, op. cit. , p. 397). La question litigieuse était cependant de déterminer les effets de cette révocation à l'égard de la convention du 21 octobre 1996. La qualification employée par la cour cantonale - qui parle d'un droit formateur résolutoire - est inapte à appréhender cette question.
Sur la base des constatations cantonales qui lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ), on ne peut pas imaginer que les parties aient voulu, en faveur du demandeur, instituer un droit de résiliation qui permette à celui-ci, selon son intérêt, de mettre fin en tout temps à l'arrangement passé. On rappellera que ce dernier se trouvait dans la situation d'un débiteur incapable d'honorer les obligations résultant pour lui des prêts qui lui avaient été consentis. Par la convention du 21 octobre 1996, la banque accordait une remise de dette à son débiteur en échange de la faculté de recouvrer le plus efficacement possible les actifs disponibles. Dans l'esprit de la convention, la procuration ne devait pas être révoquée, puisqu'elle constituait un moyen permettant à la banque d'atteindre le but poursuivi. Sachant qu'une procuration peut toujours être révoquée (art. 34 al. 2 CO; von Tuhr/Peter, op. cit. , p. 367; Zäch, op. cit. , n. 19 et 20 ad art. 34 CO; Watter, op. cit. , n. 8 ad art. 34 CO; Engel, op. cit. , p. 397), il faut considérer que la clause de caducité a été conclue non pas dans l'intérêt du demandeur, mais dans l'intérêt de la banque.
Si le débiteur privait celle-ci de ce moyen de recouvrer efficacement les actifs, elle entendait se délier de l'arrangement qui comportait une remise de dette partielle de sa part.
Ainsi, la clause de caducité doit être qualifiée de condition négative potestative (sur cette notion: Engel, op.
cit. , p. 850 s.; von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, tome II, p. 257; Ehrat, Commentaire bâlois, n. 8 et 10 ad art. 151-157 CO).
Il n'est pas douteux que l'arrangement devait déployer immédiatement ses effets, de sorte que l'on se trouve en présence d'une condition résolutoire (art. 154 CO; cf.
Engel, op. cit. , p. 849 s.; Ehrat, op. cit. , n. 6 ad art. 151-157 CO).
La révocation de la procuration a donc provoqué, de plein droit, la caducité de la convention; celle-ci a cessé de produire ses effets (art. 154 al. 1 CO; cf. Engel, op.
cit. , p. 858; von Tuhr/Escher, op. cit. , p. 275 s.; Ehrat, op. cit. , n. 2 ad art. 154 CO).
Un accord contraire n'ayant pas été établi, la caducité de la convention n'a pas eu d'effet rétroactif (art. 154 al. 2 CO; Ehrat, op. cit. , n. 7 ad art. 154 CO). Comme elle est intervenue avant la vente de l'immeuble, le demandeur ne peut se prévaloir de la convention caduque pour prétendre à un droit sur la somme acquise dans le cadre de l'exécution forcée.
b) Le demandeur voudrait rendre la banque responsable du préjudice découlant pour lui de la caducité de la convention.
En constatant cette caducité, la banque n'a toutefois fait que tirer les conséquences de la condition qui était librement convenue. On ne voit pas qu'elle ait violé une quelconque obligation contractuelle, de sorte que toute responsabilité fondée sur l'art. 97 CO est exclue.
La réalisation de la condition négative étant due à la seule volonté du demandeur, la possibilité pour lui d'invoquer l'art. 156 CO à l'encontre de la banque doit être d'emblée écartée.
Si, en choisissant de révoquer la procuration, le demandeur a fait une mauvaise appréciation de ses intérêts, il ne s'agit que d'une erreur sur les motifs dont il doit assumer les suites.
Une action pour enrichissement illégitime (art. 62 CO) est enfin hors de question, puisque l'encaissement par la banque a pour cause la dette de l'emprunteur, la convention du 21 octobre 1996 étant devenue caduque.
L'action en dommages-intérêts est donc dépourvue de tout fondement juridique et se situe même à la limite de la témérité. En l'absence d'un motif de responsabilité, toute discussion sur le dommage est vaine.
c) Il est vrai qu'après la caducité de la convention, les parties auraient pu conclure un nouvel accord ayant pour objet d'annuler les effets de la caducité.
Le demandeur tente de soutenir qu'un tel accord est intervenu, mais sa construction juridique se heurte aux constatations de fait souveraines de l'autorité cantonale.
La révocation de la procuration figurait en post-scriptum d'une lettre. La banque, qui s'est déclarée étonnée, a demandé des explications, craignant manifestement de mal comprendre cette déclaration. Avant d'avoir reçu les éclaircissements demandés, elle a été interpellée par des avocats et, encore dans le doute sur la portée du post-scriptum, s'en est tenue aux engagements pris. On ne peut pas déduire de la déclaration faite dans ces circonstances un quelconque animus contrahendi. Il ne ressort pas non plus des constatations cantonales que le destinataire aurait compris qu'on lui proposait de conclure un nouvel accord. A partir du moment où la banque a reçu la confirmation orale que le demandeur révoquait bien la procuration prévue par la convention du 21 octobre 1996, toute incertitude était pour elle levée et elle a invoqué de manière constante la condition négative potestative qui avait été stipulée. Lorsqu'il conteste cette confirmation, le demandeur perd de vue le caractère définitif - sauf exceptions non réalisées en l'espèce - des constatations de fait de l'instance cantonale (cf. Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II p. 1 ss, p. 62). Il n'y a donc pas trace d'un accord des parties ayant pour objet d'annuler les effets de la caducité de la convention.
3.- Les frais et dépens doivent être mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 20 000 fr. à la charge du recourant;
3. Dit que le recourant versera à l'intimée une indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 30 mai 2001 ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le président,
La greffière