BGE 124 IV 269
 
45. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 10 septembre 1998 dans la cause B. contre Procureur général du canton de Genève (pourvoi en nullité)
 
Regeste
Art. 260 StGB, Landfriedensbruch.
Art. 69 und 110 Ziff. 7 StGB, Anrechnung der Untersuchungshaft.
Der alleinige Umstand, dass die Untersuchungshaft durch einen Polizeioffizier und nicht durch einen Richter angeordnet wurde, rechtfertigt es nicht, sie nicht an die Freiheitsstrafe anzurechnen (E. 4).
 
Sachverhalt


BGE 124 IV 269 (269):

A.- aa) Le samedi 5 octobre 1996, une manifestation organisée par l'association Intersquat a eu lieu dans les rues de Genève. En fin de parcours, les manifestants se sont rassemblés vers 19 h au rond-point de Rive et un immeuble commercial vide appartenant à l'UBS a été envahi. Une centaine de manifestants ont pénétré dans les locaux et l'occupation a duré jusque vers 21 h 30. Des déprédations ont été causées à l'intérieur: des faux plafonds ont été arrachés et brûlés, tandis que des murs et des aménagements ont été couverts de graffitis à la peinture blanche ou au spray. Des individus ont jeté dans la rue des bouteilles de bière depuis la terrasse située sur le toit. L'UBS a immédiatement déposé plainte pour violation de domicile et dommages à la propriété.
bb) B. a reconnu avoir participé à la manifestation et avoir pénétré dans l'immeuble avec les autres. Il a vu des déprédations, mais il conteste en avoir commis lui-même.
B.- Par jugement du 1er décembre 1997, le Tribunal de police de Genève a condamné B., pour violation de domicile (art. 186 CP) et émeute (art. 260 al. 1 CP), à la peine de 10 jours d'emprisonnement avec sursis pendant 2 ans, mettant à sa charge une partie des frais de la procédure.


BGE 124 IV 269 (270):

Statuant sur appel du condamné le 20 avril 1998, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a confirmé la décision attaquée avec suite de frais.
C.- Contre cet arrêt, B. s'est pourvu en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral. Soutenant que les faits retenus ne constituent pas une émeute au sens de l'art. 260 CP et que l'autorité cantonale aurait dû imputer la détention préventive subie (art. 69 CP), il conclut à l'annulation de la décision attaquée avec suite de frais et dépens et sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.
D.- Invité à présenter des observations, le Procureur général a conclu au rejet du pourvoi dans la mesure où il est recevable.
Le Tribunal fédéral a admis partiellement le pourvoi.
 
Considérant en droit:
Lorsque le participant à une émeute commet lui-même une infraction, celle-ci peut être retenue en concours avec l'art. 260 CP (cf. ATF 108 IV 176 consid. 3b; cas de concours entre l'art. 260 CP et l'art. 186 CP: ATF 108 IV 33).
b) Le recourant conteste s'être rendu coupable d'émeute au sens de l'art. 260 al. 1 CP.
Selon cette disposition, "celui qui aura pris part à un attroupement formé en public et au cours duquel des violences ont été commises collectivement contre des personnes ou des propriétés sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende".
L'attroupement est la réunion d'un nombre plus ou moins élevé de personnes suivant les circonstances, qui apparaît extérieurement comme une force unie et qui est animée d'un état d'esprit menaçant pour la paix publique; peu importe que la foule se soit rassemblée

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spontanément ou sur convocation et qu'elle l'ait fait d'emblée dans un but délictueux; la loi n'exige pas que le rassemblement ait dès le départ pour but de perturber la paix publique; d'ailleurs, une réunion d'abord pacifique peut facilement se transformer en un attroupement conduisant à des actes troublant l'ordre public, lorsque l'état d'esprit de la foule se modifie brusquement dans ce sens (ATF 108 IV 33 consid. 1a).
L'attroupement est formé en public, lorsqu'un nombre indéterminé de personnes peut s'y joindre librement (ATF 108 IV 33 consid. 1a, 175 consid. 4).
Les violences commises collectivement contre des personnes ou des propriétés constituent une condition objective de punissabilité (ATF 108 IV 33 consid. 2). Ces violences doivent être symptomatiques de l'état d'esprit qui anime la foule; elles doivent apparaître comme un acte de l'attroupement (ATF 108 IV 33 consid. 2). La violence suppose une action agressive contre des personnes ou des choses, mais pas nécessairement l'emploi d'une force physique particulière (ATF 108 IV 175 consid. 4). Barbouiller le bien d'autrui avec un spray constitue un acte de violence au sens de l'art. 260 al. 1 CP (ATF 108 IV 175 consid. 4). Pour retenir l'émeute, il suffit que l'un ou l'autre des participants à l'attroupement se livre à des violences caractéristiques de l'état d'esprit animant le groupe (ATF 108 IV 33 consid. 2).
Le comportement délictueux consiste à participer volontairement à l'attroupement, mais il n'est pas nécessaire que le participant accomplisse lui-même des actes de violence; objectivement, il suffit que l'accusé apparaisse comme une partie intégrante de l'attroupement et non pas comme un spectateur passif qui s'en distancie; subjectivement, l'auteur doit avoir conscience de l'existence d'un attroupement au sens qui vient d'être défini et il doit y rester ou s'y associer; il n'est pas nécessaire qu'il consente aux actes de violence ou les approuve (ATF 108 IV 33 consid. 3a).
c) En l'espèce, il résulte des constatations cantonales que plus d'une centaine de personnes étaient assemblées vers 19 h au rond-point de Rive. D'après ce que l'on comprend, il s'agissait d'une manifestation favorable aux squatters et hostile aux propriétaires d'immeubles inoccupés. Certains manifestants transportaient des bidons de peinture dans des caddies. Assemblés sur cette place, les manifestants ont décidé d'envahir massivement un bâtiment commercial inoccupé appartenant à une grande banque. Comme on l'a vu, il importe peu que la manifestation ait été conçue à l'origine

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comme pacifique ou que le cortège dans les rues qui a précédé ait été pacifique; arrivés au rond-point de Rive, les manifestants ont décidé de commettre collectivement une violation de domicile, s'en prenant ainsi au bien d'autrui. Dès le moment où la foule assemblée au rond-point de Rive s'est lancée en grand nombre dans cette opération illicite, elle est devenue un attroupement au sens de l'art. 260 al. 1 CP, menaçant la paix publique.
L'attroupement a été formé en public puisqu'un nombre indéterminé de personnes, se trouvant sur place, pouvait s'y joindre. Que la foule ameutée se soit ensuite rendue dans un immeuble privé ne change rien au fait que l'attroupement a été formé en public. Au demeurant, la notion contenue à l'art. 260 al. 1 CP ne suppose pas une distinction stricte entre les faits qui se produisent sur terrain privé et ceux qui se produisent sur terrain public; l'attroupement est formé en public si n'importe quel passant peut s'y joindre.
La foule ayant envahi l'immeuble, il a été constaté que des faux plafonds ont été alors arrachés et des murs ou agencements sprayés. Il s'agit là de violences commises collectivement contre la propriété d'autrui. Il importe peu, comme on l'a vu, que le recourant n'ait pas lui-même causé des dégâts ou qu'il ne les ait pas approuvés. Ces dégâts sont caractéristiques de l'hostilité manifestée à l'égard des propriétaires qui laissent des bâtiments inoccupés. La condition objective de punissabilité est donc également remplie.
Il a été constaté que le recourant est entré volontairement dans l'immeuble et qu'il y est resté pendant un certain temps, constatant notamment que des dégâts avaient été causés. Il s'est ainsi manifestement associé à l'action collective d'une foule ameutée menaçant la paix publique. Il n'est pas resté sur la voie publique comme un simple spectateur, mais il a pénétré dans les lieux en exprimant ainsi clairement sa volonté de s'associer à l'action collective. Cette action était telle que des actes de vandalisme étaient à l'évidence prévisibles, ce qui suffit pour dire que le recourant a participé, objectivement et subjectivement, à un attroupement formé en public au cours duquel des violences ont été commises collectivement contre la propriété d'autrui.
La condamnation du recourant pour émeute au sens de l'art. 260 al. 1 CP ne viole donc pas le droit fédéral.
4. Selon l'arrêt cantonal, le recourant a été interpellé le 10 octobre 1996. Il explique qu'un mandat d'amener a été décerné

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contre lui par l'officier de police et qu'il n'a été libéré par le juge d'instruction que le lendemain. Dans ses observations, le Procureur général ne le conteste pas.
La détention préventive, mentionnée à l'art. 69 CP, est définie à l'art. 110 ch. 7 CP. Est considérée comme détention préventive toute détention ordonnée au cours d'un procès pénal pour les besoins de l'instruction ou pour motif de sûreté.
Selon la doctrine, il y a détention préventive dès que l'accusé est privé de sa liberté durant la procédure pénale pendant au moins trois heures (TRECHSEL, Kurzkommentar, ad art. 69 no 2; PHILIPPE RUEDIN, Die Anrechnung der Untersuchungshaft nach dem Schweizerischen Strafgesetzbuch, thèse de Zurich 1979 p. 49).
Dans l' ATF 113 Ia 177 consid. 1 - invoqué par le Procureur général -, il a été retenu qu'une mise à disposition du juge, en cellule, pendant quatre heures devait être assimilée à une arrestation ou à une détention, et non à une simple rétention policière (dans ce sens également: PIQUEREZ, Précis de procédure pénale suisse, 2e éd., p. 350 no 1834).
Comme le recourant a été interpellé le 10 octobre 1996 et libéré le lendemain seulement, après son audition par le juge d'instruction, il faut en déduire que la privation de liberté qu'il a subie, par sa durée, constitue une détention préventive au sens de l'art. 110 ch. 7 CP.
Le Procureur général soutient le contraire en faisant valoir que la détention a été ordonnée par un officier de police et non par un juge. Cette distinction, qui dépend des règles de compétence cantonales, ne trouve aucun point d'appui dans le droit fédéral. S'agissant d'imputer la détention préventive, on ne voit pas pourquoi un jour de détention décidé par le juge d'instruction pourrait être pris en compte, alors qu'un jour de détention ordonné par un officier de police ne le pourrait pas. L'autorité compétente ne change rien au fait que la personne est effectivement privée de sa liberté pour les besoins de la procédure pénale. La distinction que le Procureur général voudrait faire ne peut donc pas être suivie.
L'arrêt cantonal ne mentionne aucune raison de ne pas imputer la détention préventive (art. 69 CP; ATF 124 IV 1 consid. 2a) et on n'en discerne aucune. Il semble même que l'autorité cantonale ait perdu de vue l'existence de cette détention préventive. Dans la mesure où elle n'a pas imputé, sans aucune raison, la détention préventive subie, l'autorité cantonale a violé l'art. 69 CP et l'arrêt attaqué doit être annulé sur ce point.