BGE 112 IV 25
 
8. Arrêt de la Cour de cassation du 27 février 1986 dans la cause B c. Z (pourvoi en nullité)
 
Regeste
Art. 173 Ziff. 4 StGB.
 
Sachverhalt


BGE 112 IV 25 (26):

A.- Dans ses éditions des 5 et 6 février 1984, le quotidien La Tribune Le Matin, édité à Lausanne, a publié une série d'articles sur l'Ordre souverain et militaire du Temple de Jérusalem, dont le plaignant, Z., est le Grand Prieur. La plupart de ces articles ont été rédigés et signés par B.
L'un de ces articles intitulé "Le Grand Prieur et la justice valaisanne. De l'embrouille immobilière au théâtre guignol" expose entre autres que Z. s'est trouvé "au coeur d'une vilaine embrouille immobilière": l'affaire de la Cité Aldrin. L'article contient en outre le passage suivant: "casier vierge. Dès que vous prononcez le nom de cette affaire (il s'agit de l'affaire de la Cité Aldrin), le Grand Maître Z. élève le ton. Si vous insistez pour connaître son rôle exact, il vous présente spontanément un extrait de son casier judiciaire vierge. Et c'est un fait que le Grand Maître - après avoir été condamné en première instance - avait été acquitté en appel pour une question de procédure..".
En réalité, Z. avait été acquitté en première instance déjà, c'est pourquoi La Tribune Le Matin a fait paraître le 9 février 1984 un rectificatif intitulé "La réponse du grand prieur" et auquel B. avait ajouté le commentaire suivant:
"Dans l'affaire de la Cité Aldrin, jugée à Sierre, M. Z. a été acquitté en première instance. Le procureur général du Valais, M. Antonioli qui avait requis une peine de douze mois d'emprisonnement et de 1000 francs d'amende contre l'accusé, ne fut pas suivi par la Cour. Un recours fut interjeté au Tribunal cantonal par le procureur. Devant la haute Cour, le défenseur de M. Z. souleva un incident de procédure qui eût nécessité la reprise complète du procès. Finalement, le procureur accepta de retirer son appel."
Le 10 février 1984, Z. a déposé plainte pénale pour diffamation contre B., sur la base de l'article publié le 5 février 1984 et du commentaire accompagnant le rectificatif du 9 février 1984.
B.- Le Tribunal de police du district de Lausanne a admis le 17 juin 1985 la réalisation objective d'une diffamation mais elle a libéré B. de toute peine en application de l'art. 173 ch. 4 CP parce

BGE 112 IV 25 (27):

qu'il a considéré que l'auteur avait reconnu la fausseté de ses déclarations et qu'il les avait rétractées.
Les deux parties ayant recouru, la Cour de cassation du Tribunal cantonal vaudois, statuant le 7 octobre 1985, a rejeté le recours de B. et admis celui de Z. Elle a donc condamné le premier à une amende de 1'000 francs avec un délai d'épreuve en vue de radiation de deux ans pour diffamation. Elle a ordonné en outre la publication du dispositif de son arrêt dans la plus prochaine édition de La Tribune Le Matin.
C.- B., en sus d'un recours de droit public qui a été rejeté ce jour, dépose auprès de la Cour de cassation du Tribunal fédéral un pourvoi en nullité dans lequel, se plaignant de la violation de l'art. 173 ch. 4 CP, il conclut à la confirmation du jugement de première instance, éventuellement au renvoi de la cause pour compléter l'état de fait sur le point de savoir si les déclarations incriminées ont été rétractées devant le Tribunal de police.
 
Considérant en droit:
"L'article 173 ch. 4 CP exige deux démarches de la part de l'auteur; d'une part, la reconnaissance de la fausseté de ses allégations et, d'autre part, la rétractation de celles-ci. Par rétractation il faut entendre "revenir sur ce qu'on a dit en déclarant formellement qu'on ne reconnaît plus la chose comme vraie" (dictionnaire Robert, 1985). LOGOZ précise qu'il faut que l'accusé ait reconnu 'nettement et sans réserve' la fausseté de ses allégations et qu'une rétractation au sens de l'art. 173 ch. 4 CP est en quelque sorte une manifestation de repentir actif (Commentaire p. 249). C'est aussi l'opinion de STRATENWERTH (Schweizerisches Strafrecht, partie spéciale I, 3e éd. par. 6 No 53) et de SCHUBARTH (Commentaire p. 47 No 122). L'auteur doit donc admettre non seulement qu'il a dit ou écrit quelque chose d'inexact, voire de faux, mais en outre qu'il se dissocie de ce qu'il avait dit ou écrit.


BGE 112 IV 25 (28):

En l'espèce, le tribunal a fait application de l'art. 173 ch. 4 CP en retenant que "l'accusé a reconnu la fausseté de ses allégations et les a rétractées publiquement en publiant un article rectificatif dans le journal". Cependant, B. ne dit pas dans cet article que les propos tenus dans l'article précédent étaient inexacts et qu'il les retire. L'article rectificatif paru dans la Tribune Le Matin du 9 février 1984 ne dissipe nullement le malentendu qui pouvait subsister après sa lecture. Au contraire, B. ajoute qu'en seconde instance, le retrait du recours déposé par le Procureur général serait dû seulement à une question de procédure, ce qui laissait subsister le sentiment que c'est grâce à une querelle de procédure que Z. avait été libéré. L'article rectificatif est ainsi plus proche d'un nouvel acte diffamatoire, car il laisse subsister l'impression que sans l'incident de procédure soulevé, le tribunal aurait suivi les réquisitions du Procureur général, qui requérait douze mois d'emprisonnement.
Le texte de l'article rectificatif publié le 9 février 1984 ne saurait donc constituer la déclaration sans ambages et sans restriction, claire et nette, que l'auteur de l'article s'était trompé et qu'il retirait ses accusations. Aucun autre élément du jugement ne permet d'autre part de retenir qu'une rétractation serait intervenue sous une autre forme. Certes, le jugement retient que l'accusé a présenté des excuses au plaignant, qu'il lui a demandé quelles étaient ses conditions de retrait de plainte et que l'accusé n'a jamais voulu reconnaître qu'il avait volontairement écrit des choses fausses (jugt. p. 14); cependant, on ne saurait voir là une 'rétractation' au sens de l'article 173 ch. 4 CP. Il n'y a pas eu à ce propos de rétractation formelle qui serait intervenue, par exemple, sous la forme d'une dictée au procès-verbal de l'audience des débats; or, l'art. 173 ch. 5 CP précise que si l'inculpé a rétracté ses allégations, le juge le constatera dans le jugement ou dans un autre acte écrit."
2. Conformément à l'art. 173 ch. 4 CP, le juge "pourra" atténuer la peine ou exempter le délinquant de toute peine lorsque l'auteur reconnaît la fausseté de ses allégations et les rétracte. Il résulte clairement des termes utilisés que le simple retrait des déclarations attentatoires à l'honneur n'est pas suffisant, car il peut être dicté par la crainte d'une sanction pénale ou par celle des inconvénients d'une procédure pénale et laisse planer un doute quant à sa sincérité. C'est pour cela que lors des délibérations au Conseil National, le rapporteur de langue française (Intervention Perrin, Bull.Stén. N 1950 p. 200) a

BGE 112 IV 25 (29):

précisé que le juge ne peut tenir compte de la rétractation "que si l'auteur reconnaît la fausseté de ses allégations", c'est-à-dire, pour reprendre l'expression du rapporteur de langue allemande (Intervention Rohr, Bull.Stén. N 1950 p. 200 également) "si l'auteur fait preuve d'une attitude convenable (eine anständige Einstellung bekunde)". Dans le même esprit, la doctrine voit dans le comportement décrit à l'art. 173 ch. 4 CP un cas particulier de repentir actif (SCHWANDER, das Schweizerische StGB, 2e éd., No 616; LOGOZ, loc.cit. No 8 ad art. 173; STRATENWERTH, loc.cit., p. 137 supra) ou d'une sorte de "désistement" alors que l'infraction est consommée (SCHUBARTH, loc.cit., No 122 ad art. 173). En d'autres termes, l'auteur doit démontrer par son comportement le désir qu'il a de rétablir la victime dans son honorabilité. C'est pourquoi le juge, lorsqu'il fait application de l'art. 173 ch. 4 CP, doit déterminer les motifs qui poussent l'auteur à rétracter ses propos (GERMANN, Das Verbrechen, p. 307 No 6 ad art. 173).
Lorsque la rétractation paraît être le fait de considérations tactiques, notamment lorsqu'elle intervient au dernier moment, le juge ne saurait en tout cas pas faire abstraction de toute peine (LOGOZ, loc.cit.; intervention Perrin, Bull.Stén. N 1950 p. 200).
3. La loi ne précise pas de quelle manière doit intervenir la rétractation, mais l'esprit même de l'art. 173 ch. 4 CP veut qu'un simple retrait des propos incriminés ne soit considéré comme suffisant que s'il est accompagné d'une reconnaissance claire et dénuée de toute équivoque de leur fausseté (LOGOZ, loc.cit.). On pourrait même se demander si la rétractation ne devrait pas intervenir devant le même cercle que celui qui a eu connaissance des propos attentatoires à l'honneur. Cela aurait pour conséquence qu'à une diffamation commise par la voie de la presse, devrait correspondre, pour qu'il puisse être fait application de l'art. 173 ch. 4 CP, une rétractation intervenant par le même canal. Une telle solution correspondrait exactement au but même de l'art. 173 CP pris dans son ensemble qui tend au premier chef à la protection des personnes contre les atteintes portées à leur réputation par des accusations fausses ainsi qu'au rétablissement ou à la restauration de cette réputation lorsqu'elle a été entamée (Rufreparation: SALADIN, der Ehrenschutz durch gerichtliche Feststellung der Unwahrheit ehrenrühriger Behauptungen, RPS 77/1961 p. 192 ss; cf. item Bull.Stén. N 1950 p. 200/201, intervention Perrin). Cette question peut néanmoins demeurer

BGE 112 IV 25 (30):

sans réponse in casu, le pourvoi devant de toute manière être rejeté pour d'autres motifs.
Il est vrai que le recourant soutient s'être rétracté devant le premier juge, mais selon les constatations de l'autorité cantonale, qui lient le Tribunal fédéral (art. 277 bis al. 1 PPF), le recourant a présenté des excuses au plaignant, lui a demandé à quelles conditions il retirerait sa plainte, mais n'a jamais voulu reconnaître avoir volontairement écrit des choses fausses. Il n'est pas établi qu'à un moment quelconque le recourant aurait fait plus pour se rétracter, puisque lui-même soutient avoir "confirmé" ses excuses à l'audience du premier jugement. On ne saurait voir là une rétractation au sens de ce qui a été dit plus haut, car il n'y a pas eu reconnaissance claire et sans équivoque de la fausseté des propos tenus ni manifestation de repentir actif. Au surplus, on pourrait se demander quel crédit accorder à un repentir manifesté si tardivement, devant le premier juge et sous la pression de l'action pénale. En effet, après avoir appris du procureur du canton du Valais que ses allégations relatives à une condamnation pénale de la victime en première instance étaient fausses, il aurait pu manifester déjà son repentir en renonçant au moins au commentaire qu'il a joint à la publication de la réponse de la victime, voire en reconnaissant sans détour la fausseté de l'article du 5 février 1984 et notamment celle des accusations qu'il contenait.