BGE 102 IV 90
 
23. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1976 dans la cause F. contre Ministère public du canton du Valais.
 
Regeste
Art. 159 StGB. Begriff des Geschäftsführers.
 
Sachverhalt


BGE 102 IV 90 (90):

A.- F. a été engagé comme fromager par la Société de laiterie de X. pour la saison 1972-1973, avec un salaire de 63 fr. par jour. Il a commencé son travail le 11 décembre 1972. En avril 1973, quelques difficultés se sont élevées entre le comité de la Société de laiterie et F. au sujet du travail de ce dernier. Celui-ci, fâché des remarques formulées contre lui, a cessé, à partir du 8 mai 1973, de s'occuper du stock de fromage dont il avait la charge. Usant de divers prétextes, il s'est arrangé pour tenir à l'écart des caves à fromage tous ceux qui auraient voulu les visiter. Le 8 juin 1973, les membres du comité de la Société de laiterie qui voulaient procéder à la taxation et à la livraison du fromage ont découvert l'état déplorable dans lequel se trouvait le stock, formé de 937 pièces.


BGE 102 IV 90 (91):

Dans leur grande majorité, les pièces étaient affaissées, recouvertes de moisissures ou en décomposition complète. 497 fromages irrécupérables ont dû être jetés; 440 fromages endommagés ont dû être déclassés. Les experts ont évalué le dommage à 41'589 fr. 50.
B.- La Société de laiterie de X. est une corporation de droit cantonal au sens de l'art. 59 al. 3 CC. Elle constitue une personne morale. Elle a pour but de procurer à ses membres le moyen de tirer le parti le plus avantageux du lait de leurs vaches, soit en le vendant en commun, soit en fabriquant pour les revendre du fromage, du beurre et d'autres produits laitiers. Les statuts de la société confèrent au comité l'engagement ainsi que la surveillance du fromager et de ses aides. Un règlement d'exploitation indique quelles sont les tâches et les compétences du fromager: peser le lait livré par les membres, inscrire les quantités sur registre, inspecter les écuries, les vaches, les fromages et la traite, prolonger le délai minimum de livraison du lait de vaches ayant fraîchement vêlé, assister avec voix consultative aux délibérations du comité, veiller au bon ordre de la fromagerie, assurer la police de l'établissement, vouer tout son temps et ses soins à l'obtention de bons produits laitiers, peser et numéroter les fromages, être sous les ordres du comité, tenir une comptabilité des livraisons de lait et de la fabrication, livrer enfin les produits selon les instructions du comité.
En réalité, les tâches du fromager comportaient avant tout trois activités: la réception du lait livré par les consorts (en moyenne 770 litres par jour), la fabrication quotidienne de 13 pièces de fromage gras ou de 7 pièces de fromage maigre, le salage et l'élevage de ces fromages en caves jusqu'à vente à des tiers ou répartition entre les consorts (le stock pouvant atteindre jusqu'à 1000 pièces de fromage). Le fromager était détenteur des clés des locaux de fabrication et d'élevage. Le comité ne s'acquittait de sa tâche de surveillance que par des visites de locaux, espacées parfois de plusieurs semaines. Selon les experts, le temps nécessaire pour accomplir l'ensemble des opérations confiées au fromager était de 9 à 10 heures par jour. Comme son salaire quotidien était de 17 fr. supérieur à celui prévu par le contrat type de la branche, il lui était loisible d'engager un aide rétribué par lui. Après y avoir songé, il y avait renoncé.


BGE 102 IV 90 (92):

C.- Le 8 juin 1973, le vice-président de la Société de laiterie de X. a déposé plainte contre F. en déclarant le faire "au nom du consortage".
Le 17 septembre 1974, le Tribunal d'arrondissement pour le district d'Entremont a reconnu F. coupable de gestion déloyale et l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis pendant cinq ans.
F. a fait appel, concluant à son acquittement. Par voie d'appel joint, le Ministère public a demandé qu'en sus de gestion déloyale F. soit reconnu coupable de dommages à la propriété au sens de l'art. 145 al. 2 CP, et que la peine soit portée à un an de réclusion.
Par arrêt du 16 mai 1975, notifié le 20 janvier 1976, le Tribunal cantonal du Valais a confirmé le jugement attaqué.
D.- F. se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral. Il conclut principalement à son acquittement et subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement.
Le Procureur général du Valais propose de rejeter le pourvoi.
E.- F. demande à être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire pour l'instance fédérale.
 
Considérant en droit:
b) L'art. 159 CP ne sanctionne pas n'importe quelle obligation de diligence relative à tout ou partie d'un patrimoine étranger, mais seulement celle qui est attachée à une gestion (Geschäftsführung). Il ne suffit ainsi pas que l'auteur ait eu l'obligation contractuelle ou légale de veiller sur le patrimoine d'autrui, il faut encore qu'il ait eu la position d'un gérant (RO 81 IV 279, 100 IV 36 consid. 2). Les termes "veiller sur", employés à l'art. 159 CP, n'ont pas d'autre sens ni un sens moins étendu que le terme "gérer" (RO 80 IV 246).
Seul peut avoir la position d'un gérant celui qui dispose d'une indépendance suffisante et qui jouit d'un pouvoir de disposition autonome sur les biens qui lui sont remis (RO 95 IV 66, 100 IV 172 consid. 3a, 101 IV 167 No 42; SCHWANDER, p. 363, No 582; PH. GRAVEN, FJS 1035 p. 2/3).


BGE 102 IV 90 (93):

C'est cette autonomie qui symbolise la confiance particulière accordée au gérant (PH. GRAVEN op.cit.).
Il serait cependant erroné de ne considérer que l'autonomie de l'auteur à l'égard de la maîtrise juridique du bien confié. Elle peut en effet tout aussi bien se manifester dans les soins que le gérant doit apporter matériellement à ce bien, pour en assurer l'existence, voire seulement l'intégralité, à la condition qu'il s'agisse véritablement d'une prise en charge du bien pour le compte d'autrui et non d'un simple entretien ou de l'exécution d'un travail subordonné (cf. STRATENWERTH, p. 258; SCHWANDER, Nos 582 et 582a).
c) In casu, il ressort de l'arrêt attaqué que le recourant devait confectionner les fromages et les amener à maturité en effectuant un travail soutenu de plusieurs semaines, dont il avait seul la responsabilité. L'indépendance dont il jouissait dans cette activité lui conférait, quant à ces fromages et à l'égard de ses employeurs, une autonomie suffisante pour qu'il soit qualifié de gérant, même si, du point de vue économique, la commercialisation et la répartition des marchandises relevaient de la seule compétence de la Société de laiterie. A cela s'ajoutent d'autres circonstances que relève également l'autorité cantonale: le recourant avait la maîtrise des locaux de fabrication et des caves; il était libre dans l'organisation de son travail et dans l'engagement d'un aide, à ses frais; il avait la responsabilité de comptabiliser les produits et les livraisons. Même si ces éléments pris isolément ne suffisent pas à justifier la qualification de gérant, s'agissant du recourant, elles soulignent encore l'indépendance qui lui était laissée et l'autonomie dont il disposait dans l'exercice de son travail, que ce soit en vertu du contrat passé avec la Société de laiterie, mais également en fait. Il s'ensuit que le Tribunal cantonal n'a pas violé l'art. 159 CP en affirmant que le recourant avait la position d'un gérant.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le pourvoi.