BGE 140 III 6
 
2. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. SA contre Z. SA (recours en matière civile)
 
4A_294/2013 du 11 décembre 2013
 
Regeste
Vertrauliche Anwaltskorrespondenz; rechtswidrig beschafftes Beweismittel (Art. 12 lit. a BGFA; Art. 152 Abs. 2 ZPO).
 


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Extrait des considérants:
 
Erwägung 2
2.1 La cour cantonale n'a pas tranché la question de savoir si la prétention de la recourante se fondait sur la garantie pour les défauts de la chose vendue ou de l'ouvrage et se prescrivait ainsi par un an (cf. art. 210 al. 1 ou art. 371 al. 1 CO dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2012; RS 2 229 et 261) ou si elle résultait de la garantie pour les défauts d'une construction immobilière et se prescrivait alors par cinq ans (cf. art. 371 al. 2 CO dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2012; RS 2 261). En effet, les juges genevois sont arrivés à la conclusion que, même si le délai le plus long s'applique, la prescription était acquise le 13 juin 2010, soit avant le dépôt de la demande. La Cour de justice n'a retenu aucun acte interruptif de prescription. Elle a écarté du dossier la lettre du 30 avril 2010 adressée au conseil de la recourante par le conseil de l'intimée sous le sceau de la confidentialité et contenant une renonciation à la prescription selon la recourante. Elle a jugé que le pli litigieux ne comporte qu'une offre de renoncer à la prescription, dépendante des autres propositions transactionnelles formulées à cette occasion, et qu'à défaut d'accord complet sur tous les éléments de la transaction, la production du courrier confidentiel, même caviardé, contrevient à l'art. 12 let. a de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA; RS 935.61). Selon la cour cantonale, la lettre du 30 avril 2010 constitue ainsi un moyen de preuve obtenu de manière illicite au sens de l'art. 152 al. 2 CPC et la pesée des intérêts en cause ne justifie pas d'admettre exceptionnellement un tel moyen. Dans une motivation apparemment subsidiaire, la Chambre d'appel ajoute que, en tout état de cause, aucun accord sur la renonciation à la

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prescription n'est vraisemblablement venu à chef, même tacitement, dès lors que le conseil de la recourante elle-même a demandé une nouvelle fois le 30 juin 2010 que l'intimée renonce à la prescription.
2.2 La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 152 al. 2 CPC et l'art. 12 LLCA en qualifiant le courrier du 30 avril 2010 de moyen de preuve illicite. Elle fait valoir que la partie non caviardée de cette lettre ne comporte pas de proposition transactionnelle couverte par la confidentialité et que la renonciation à la prescription contenue dans ce passage n'est pas conditionnelle. Elle ajoute que l'autorisation du Bâtonnier a rendu licite la production du courrier frappé des réserves d'usage. Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante soutient qu'il était arbitraire de la part de la Cour de justice de retenir que la clause de renonciation à la prescription était dépendante des autres clauses contenues dans le courrier du 30 avril 2010; elle est d'avis que c'est précisément lorsque les pourparlers transactionnels échouent que la clause de renonciation à la prescription prend tout son sens. Enfin, la recourante se plaint d'une violation de l'art. 2 CC; l'intimée commettrait un abus de droit en invoquant l'exception de prescription, car sa déclaration du 30 avril 2010 aurait incité la recourante à ne pas entreprendre à temps les démarches pour sauvegarder ses droits.
 
Erwägung 3
3.1 Aux termes de l'art. 152 al. 2 CPC, le tribunal ne prend en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite que si l'intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant. Contrairement à la preuve irrégulière, recueillie en violation d'une règle de procédure, la preuve illicite est obtenue en violation d'une norme de droit matériel, laquelle doit protéger le bien juridique lésé contre l'atteinte en cause (JÜRGEN BRÖNNIMANN, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2012, nos 43 ss ad art. 152 CPC; YVES RÜEDI, Materiell rechtswidrig beschaffte Beweismittel im Zivilprozess, 2009, p. 116 n. 234, p. 121 n. 248, p. 122 n. 252, p. 126 n. 260; LOUIS GAILLARD, Le sort des preuves illicites dans le procès civil, SJ 1998 p. 652). Conformément à l'art. 152 al. 2 CPC, la preuve obtenue illicitement n'est utilisable que d'une manière restrictive. Le juge doit en particulier procéder à une pesée de l'intérêt à la protection du bien lésé par l'obtention illicite et de l'intérêt à la manifestation de la vérité (FRANZ HASENBÖHLER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2e éd. 2013, n° 40 ad art. 152 CPC p. 1058; Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 20066922 ch. 5.10.1).


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Les règles professionnelles ("Berufsregeln") énumérées à l'art. 12 LLCA constituent des normes dont la violation peut rendre une preuve illicite au sens de l'art. 152 al. 2 CPC (RÜEDI, op. cit., p. 125 n. 256). Edictées par une autorité afin de réglementer, dans l'intérêt public, l'exercice d'une profession, elles se distinguent des règles déontologiques (ou us et coutumes; "Standesregeln"), qui sont adoptées par les organisations professionnelles (ATF 136 III 296 consid. 2.1 p. 300). La LLCA définit de manière exhaustive les règles professionnelles auxquelles les avocats sont soumis. Les règles déontologiques conservent toutefois une portée juridique en permettant de préciser ou d'interpréter les règles professionnelles, mais uniquement dans la mesure où elles expriment une opinion largement répandue au plan national (cf. ATF 136 III 296 consid. 2.1 p. 300; ATF 131 I 223 consid. 3.4 p. 228; ATF 130 II 270 consid. 3.1.1 p. 275). Dans le but d'unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération, la Fédération Suisse des Avocats (FSA) a précisément édicté le Code suisse de déontologie (ci-après: CSD; consultable sur http://www.sav-fsa.ch), entré en vigueur le 1er juillet 2005.
Selon l'art. 6 CSD, l'avocat ne porte pas à la connaissance du tribunal des propositions transactionnelles, sauf accord exprès de la partie adverse. Après avoir posé que le caractère confidentiel d'une communication adressée à un confrère doit être clairement exprimé, l'art. 26 CSD répète qu'il ne peut être fait état en procédure "de documents ou du contenu de propositions transactionnelles ou de discussions confidentielles." Ces dispositions servent à préciser la portée de l'art. 12 let. a LLCA, qui prescrit à l'avocat d'exercer sa profession avec soin et diligence (cf. MICHEL VALTICOS, in Commentaire romand, Loi sur les avocats, 2010, n° 58 ad art. 12 LLCA). Selon la jurisprudence, le non-respect d'une clause de confidentialité et l'utilisation en procédure du contenu de pourparlers transactionnels constituent une violation de l'obligation résultant de l'art. 12 let. a LLCA (arrêt 2C_900/2010 du 17 juin 2011 consid. 1.4; cf. arrêt 2A.658/2004 du 3 mai 2005 consid. 3.4). Le Tribunal fédéral a relevé que l'interdiction pour l'avocat de se prévaloir en justice de discussions transactionnelles confidentielles est fondée sur l'intérêt public à favoriser le règlement amiable des litiges, les parties devant pouvoir s'exprimer librement lors de la recherche d'une solution extrajudiciaire (arrêt précité du 3 mai 2005 consid. 3.3).
En présence d'un courrier désigné expressément comme confidentiel, dont les propositions transactionnelles avaient été caviardées, le

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Tribunal fédéral a posé que la règle de la confidentialité doit être interprétée dans un sens absolu et appliquée strictement (arrêt précité du 3 mai 2005 consid. 4.3). A ce propos, il faut admettre qu'un courrier confidentiel ne peut pas être déposé en justice, même caviardé, à moins que, manifestement, seule une partie du texte n'ait un caractère confidentiel (BOHNET/MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, p. 511 n. 1191). La pesée des intérêts prévue à l'art. 152 al. 2 CPC est en outre réservée.
La question est de savoir si cette preuve a été déposée en violation de la règle de la confidentialité déduite de l'art. 12 let. a LLCA et, partant, si elle est illicite au sens de l'art. 152 al. 2 CPC. S'agissant de déterminer s'il y a eu violation d'une norme de droit fédéral, édictée dans l'intérêt public, l'avis du Bâtonnier, dont la recourante fait grand cas, est dénué de pertinence.
Frappé des réserves d'usage, le courrier litigieux mentionne expressément son caractère confidentiel; au surplus, il n'est pas contesté que les passages caviardés portent sur des propositions transactionnelles. Conformément au principe exposé plus haut, déduit de la règle de la confidentialité appliquée strictement, un tel courrier ne peut pas être produit en justice, sauf si la partie non caviardée ne présente manifestement pas un caractère confidentiel.
Selon l'arrêt attaqué, la déclaration visible de l'intimée figurant dans le courrier du 30 avril 2010 est une "offre de renoncer à la prescription", "une proposition de renonciation". Pour sa part, la recourante prétend qu'il s'agit d'une renonciation unilatérale et inconditionnelle à la prescription, qui ne présente aucun caractère de confidentialité.
Les termes mêmes utilisés dans le passage en cause accréditent la qualification retenue par la cour cantonale et ne permettent en tout cas pas de retenir qu'à l'évidence, l'intimée renonçait unilatéralement et inconditionnellement à la prescription. Rompu au vocabulaire juridique et conscient de la portée des mots, le conseil de l'intimée, mandataire professionnel, a écrit en effet que sa cliente était "prête à renoncer (...) à invoquer l'exception de prescription", et non simplement qu'elle renonçait à cette exception. Or, celui qui est prêt à une action n'a pas encore agi et se déclarer prêt à accomplir un acte ne signifie

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pas nécessairement l'exécuter par la suite sans conditions. En l'occurrence, comme le courrier produit contient des propositions transactionnelles, il n'est nullement exclu de voir dans la déclaration en cause, interprétée objectivement, une offre insérée parmi les autres propositions transactionnelles dont le contenu a été caviardé, et qui engage l'intimée uniquement si un accord global est conclu, en ce sens que les prétentions sur lesquelles les parties transigent seront dues même si elles sont prescrites. Contrairement à ce que la recourante soutient, il n'est dès lors pas manifeste que la déclaration litigieuse ait été émise indépendamment des propositions transactionnelles caviardées et, par conséquent, qu'elle présente un caractère non confidentiel.
La conclusion est identique si l'on se place sous l'angle de l'interprétation subjective, faisant appel aux éléments postérieurs à la déclaration. En effet, si le passage en cause était une renonciation pure et simple à invoquer la prescription, on ne comprend pas pourquoi le conseil de la recourante a cherché à obtenir, en date du 30 juin 2010, une déclaration de renonciation unilatérale dénuée d'ambiguïté.
Enfin, il est à noter que, dans une cause de nature patrimoniale soumise à la maxime des débats comme celle opposant les parties, l'intérêt à la découverte de la vérité matérielle, résultant prétendument du moyen de preuve illicite, ne saurait prévaloir face à l'intérêt public au respect strict de la règle de la confidentialité.
En conclusion, la Cour de justice n'a violé ni l'art. 12 let. a LLCA, ni l'art. 152 al. 2 CPC en refusant de prendre en considération la lettre du 30 avril 2010. Par ailleurs, la solution adoptée dans l'arrêt attaqué étant confirmée, point n'est besoin de déterminer si la prescription est intervenue le 13 juin 2006 plutôt que le 13 juin 2010, comme l'intimée le plaidait.