BGE 147 II 287
 
22. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause Administration cantonale des impôts du canton de Vaud contre A. (recours en matière de droit public)
 
2C_166/2020 du 10 mai 2021
 
Regeste
Art. 56 lit. g DBG; Art. 23 Abs. 1 lit. f StHG; direkte Steuer; Steuerbefreiung; juristische Person; öffentlicher oder gemeinnütziger Zweck; unternehmerischer Zweck; Stiftung; Holdinggesellschaft.
 
Sachverhalt


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A. La fondation A., qui a son siège dans le canton de Vaud, a été créée en 1919 par B. et les Sociétés C., afin de poursuivre l'activité que ces entités avaient déployée pendant la première guerre mondiale en faveur des militaires et d'en faire bénéficier également les travailleurs civils. Son but statutaire était alors de coopérer, sans préoccupations confessionnelle ou politique, mais dans une large inspiration chrétienne, à une meilleure entente entre les hommes, et de s'efforcer à éveiller en eux la conscience de leurs devoirs individuels et sociaux et la volonté de les pratiquer. Dans les faits, à partir de l'exploitation des "foyers du soldat", la fondation a développé, pendant le XXe siècle, une importante activité commerciale dans la restauration collective, jusqu'à devenir l'un des principaux acteurs de ce marché et à réaliser environ 300 millions de francs de chiffre d'affaires annuel.
Désireuse de se restructurer et de séparer ses activités commerciales de son action à but idéal, la fondation A. a, par contrat de transfert de patrimoine du 30 mars 2015, cédé ses activités dans le domaine de la restauration collective à la société D.H. SA, avec effet rétroactif au 1er janvier 2015. Il a été convenu entre les parties que les responsabilités opérationnelles auparavant assumées par la fondation A. seraient dorénavant exercées par D. SA, filiale de D.H. SA. La fondation A. détenant la totalité du capital-actions de D.H. SA,

BGE 147 II 287 (289):

il n'a pas été prévu de contrepartie à ce transfert d'entreprise, dont la valeur des actifs nets s'élevait à 25'469'529 fr.
Le 15 décembre 2016, la fondation A. et la société D.H. SA ont conclu un contrat de prêt à long terme. Par ce contrat, la première a prêté 25'470'000 fr. à la seconde, après avoir obtenu de celle-ci le versement d'un dividende spécial correspondant à cette somme.
B. Le 26 janvier 2017, la fondation A. a déposé auprès de l'Administration cantonale des impôts une demande d'exonération pour buts de pure utilité publique dès l'année fiscale 2015. Elle a notamment invoqué le fait que les revenus provenant de ses participations dans la société D.H. SA servaient exclusivement à de tels buts.
Par décision du 15 juin 2018, l'Administration cantonale des impôts a rejeté la demande d'exonération de la fondation A. Statuant sur réclamation de celle-ci, elle a confirmé son refus en date du 25 janvier 2019.
La fondation A. a recouru contre la décision sur réclamation précitée auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal de l'Etat de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal) en concluant à son exonération fiscale depuis l'année fiscale 2015.
Par arrêt du 21 janvier 2020, le Tribunal cantonal a admis le recours de la fondation A. et accordé l'exonération fiscale requise par celle-ci depuis l'année 2015.
C. L'Administration cantonale des impôts (ci-après: la recourante) dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt cantonal précité. Elle demande son annulation en tant qu'il concerne les impôts cantonal et communal ainsi que l'impôt fédéral direct dès la période fiscale 2015 et conclut au rétablissement de sa décision sur réclamation du 25 janvier 2019 en tant que celle-ci refuse toute exonération pour buts d'utilité publique à la fondation A. dès la période fiscale 2015.
(résumé)
Extrait des considérants:
 
II. Impôt fédéral direct


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5.1 Aux termes de cette disposition, les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique sont exonérées de l'impôt sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts (1re phrase). Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d'intérêt public (2e phrase). L'acquisition et l'administration de participations en capital importantes à des entreprises ont un caractère d'utilité publique lorsque l'intérêt au maintien de l'entreprise occupe une position subalterne par rapport au but d'utilité publique et que des activités dirigeantes ne sont pas exercées (3e phrase).
5.2 Selon la jurisprudence, qui s'est inspirée de la circulaire no 12 du 8 juillet 1994 de l'Administration fédérale des contributions (ci-après: AFC) (Exonération de l'impôt pour les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique ou des buts cultuels et à la déductibilité des versements bénévoles, Archives 63 p. 130 ss; ci-après: la Circulaire no 12]), l'exonération de l'impôt fédéral direct d'une personne morale sur la base de l'art. 56 let. g LIFD suppose en tous les cas la réalisation des trois conditions minimales suivantes: l'activité pour laquelle une exonération est demandée doit s'exercer exclusivement au profit de l'utilité publique ou du bien commun (condition de l'exclusivité de l'utilisation des fonds), les fonds consacrés par la personne morale à la poursuite du but justifiant l'exonération doivent l'être pour toujours (condition de l'irrévocabilité de l'affectation des fonds) et, enfin, l'institution doit mener une activité effectivement respectueuse de ses statuts (condition de l'activité effective; cf. ATF 146 II 359 consid. 5.1 et les références citées).
Hormis ces trois conditions générales, le but de la personne morale doit évidemment encore pouvoir être qualifié "de service public" ou "de pure utilité publique", conformément au texte de l'art. 56 let. g LIFD, étant précisé que des conditions spécifiques distinctes doivent être remplies à cet égard selon que l'exonération requise est fondée sur l'une ou l'autre de ces hypothèses (cf. ATF 146 II 359 consid. 5.1; arrêts 2C_147/2019 du 20 août 2019 consid. 4.2; 2C_383/2010 du 28 décembre 2010 consid. 2.2). L'exonération fondée sur la poursuite de buts de pure utilité publique - litigieuse dans le cas d'espèce - suppose en particulier la réalisation des deux conditions spécifiques suivantes: l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (arrêts 2C_385/2020 du 25 juin 2020 consid. 4.2.1; 2C_147/2019 du 20 août

BGE 147 II 287 (291):

2019 consid. 4.4; 2C_484/2015 du 10 décembre 2015 consid. 5.3; 2C_251/2012 du 17 août 2012 consid. 2.1; Circulaire no 12, op. cit., p. 2 ss).
 
Erwägung 6
6.1 L'exigence du "désintéressement" de la part de la personne morale réclamant une exonération pour but de pure utilité publique suppose une activité altruiste. Le fait de poursuivre des objectifs entrepreneuriaux n'est généralement pas d'utilité publique, pas plus que le fait de soutenir une entreprise orientée, dans son principe, vers le profit (arrêt 2C_385/2020 du 25 juin 2020 consid. 4.2.3; aussi 2C_484/2015 du 10 décembre 2015 consid. 5.5.1). C'est au demeurant ce que rappelle expressément l'art. 56 let. g, 2e phrase, LIFD qui dispose que des buts économiques - ou "entrepreneuriaux" d'après les versions allemandes et italiennes de la loi ["unternehmerische Zwecke", respectivement "scopi imprenditoriali"]) - ne peuvent en principe pas être considérés comme étant d'intérêt public, ni d'"utilité publique" pour reprendre la formulation légale en langue allemande ("gemeinnützig"; cf. arrêt 2C_251/2012 du 17 août 2012 consid. 3.1.1). Pour être compatibles avec une exonération, de tels buts doivent être secondaires par rapport à l'objectif principal de pure utilité publique de la personne morale. Ainsi, une exonération, même partielle, est exclue lorsque la personne morale poursuit des buts lucratifs qui excèdent une certaine mesure (cf. ATF 131 II 1 consid. 3.3 et 3.4; arrêts 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.3; 2C_143/2013 du 16 août 2013 consid. 3.2; 2C_383/2010 du 28 décembre 2010 consid. 2.5). Il s'agit en effet de respecter le principe de neutralité concurrentielle en évitant d'offrir aux personnes morales qui exercent une activité lucrative ou poursuivent un but économique un avantage fiscal par rapport à leurs concurrents (cf. arrêt 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.3).


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6.2 Une personne morale peut en revanche satisfaire à la condition du désintéressement et bénéficier d'une exonération pour but de pure utilité publique même après avoir investi son patrimoine dans une ou plusieurs entreprises. L'art. 56 let. g LIFD prévoit en ce sens, à sa troisième phrase, que l'acquisition et l'administration de participations en capital importantes à des entreprises ont un caractère d'utilité publique lorsque deux conditions cumulatives sont réunies: il faut que l'intérêt au maintien de l'entreprise occupe une position subalterne par rapport au but d'utilité publique et qu'aucune activité dirigeante ne soit exercée. Cette norme spécifique - qui ne figurait à l'origine pas dans le projet de LIFD du Conseil fédéral - a été ajoutée par les Chambres à l'art. 56 let. g LIFD (et également à l'art. 23 al. 1 let. f de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]) afin de régler plus spécifiquement le traitement fiscal des fondations d'entreprises et de holdings détenant des participations dans des sociétés commerciales. Il s'agissait de corriger la jurisprudence qui n'admettait d'exonération qu'à condition que la fondation ne contrôle pas plus de 20 % du capital d'une entreprise (cf. BO 1990 CN 448; aussi arrêt A.678/1986 du 26 juin 1987 consid. 5, in ASA 57/1989 p. 556 ss, et les références citées).
Les parlementaires n'ont pas abordé la question de l'interprétation exacte qu'il convenait de donner à cette précision légale, quand bien même certains d'entre eux ont relevé "le danger qu'il y aurait à autoriser des fondations à prendre des participations dans des entreprises qui pourraient aller jusqu'au cent pour cent du contrôle de ces entreprises" (BO 1990 CN 44, aussi BO 1990 CN 450). Lors des débats, il a cependant été fait référence à un avis de droit que venait de publier le Prof. MARKUS REICH en mars 1990 dans la revue "Archives de droit fiscal suisse" (cf. BO 1990 CN 448). L'auteur en question y soutenait, en substance, que la détention de participations dans une entreprise allant au-delà de 20 % ne constituait pas forcément une activité économique, mais pouvait représenter une simple décision relevant de la gestion patrimoniale d'une fondation. Une exonération fiscale devait donc rester possible tant que les objectifs de bienfaisance de la fondation n'étaient d'aucune manière altérés par un intérêt à la préservation de l'entreprise détenue, y compris par les intérêts économiques de son personnel et de ses créanciers, et que la détention desdites participations ne représentait réellement qu'un moyen d'atteindre ces objectifs (cf. MARKUS REICH, Gemeinnützigkeit als Steuerbefreiungsgrund, ASA 58/1990 p. 465 ss, spéc. 490-492).


BGE 147 II 287 (293):

6.3 Dans une affaire récente, le Tribunal fédéral a, pour sa part, également eu l'occasion de préciser, dans un sens similaire, qu'une fondation n'exerçait pas une activité entrepreneuriale au sens de l'art. 56 let. g LIFD lorsqu'elle gérait son patrimoine, une telle gestion pouvant généralement être qualifiée de désintéressée. Il s'ensuivait qu'une fondation reconnue comme étant d'utilité publique pouvait en principe bénéficier d'une exonération fiscale même si elle avait investi une partie de ses actifs sous forme de prêts à des tiers selon les modalités du marché (cf. arrêt 2C_385/2020 du 25 juin 2020 consid. 5.3.1). La jurisprudence a précisé que ce type de placements financiers ne devait toutefois pas engendrer des conflits d'intérêts susceptibles de mettre en péril la réalisation à long terme de l'objectif d'intérêt public poursuivi par la fondation (cf. arrêt 2C_385/ 2020 précité consid. 5.3.2). De tels conflits pouvaient notamment résulter de la personne des emprunteurs et de l'importance des prêts octroyés. Un risque de conflit d'intérêts a été admis dans ce cas, car environ 57 % des actifs de la fondation recourante étaient immobilisés à long terme sous forme de prêts octroyés à deux membres de son conseil d'administration (cf. arrêt 2C_385/2020 précité consid. 5.3.3 et 5.3.4).
7.1 Dans son arrêt, le Tribunal cantonal a retenu que la fondation intimée déployait, depuis 2015, une activité totalement désintéressée qui pouvait être qualifiée de pure utilité publique et qui, partant, lui donnait droit à une exonération au sens de l'art. 56 let. g LIFD, dès lors qu'elle avait cédé, cette année-là, l'ensemble de ses activités commerciales à la société D.H. SA. D'après l'instance précédente, le fait que la fondation détenait l'entier du capital-actions de la société précitée et, par la force des choses, la totalité des droits de vote qui y étaient associés, de même que le fait que ses actions représentaient une partie substantielle de ses actifs, n'excluaient pas une telle exonération. La seule question déterminante était de savoir si la fondation exerçait une influence sur l'activité économique du groupe D. à ce point importante que l'on devait considérer qu'elle occupait une

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fonction dirigeante en sein d'une entreprise au sens de l'art. 56 let. g LIFD. Or, les juges cantonaux ont répondu à cette question par la négative, considérant qu'au regard des circonstances, la fondation intimée ne faisait en pratique qu'exercer ses droits d'actionnaire unique, sans excéder le rôle d'un investisseur soucieux de la rentabilité à long terme de ses placements. Ils ont par ailleurs retenu que l'intérêt au maintien de l'entreprise occupait une position subalterne par rapport au but d'utilité publique de l'intimée, comme l'exigeait l'art. 56 let. g LIFD, compte tenu des dividendes versés par D.H. SA et de l'utilisation qui en était faite par la fondation.
7.2 Les autorités fiscales contestent cette approche, considérant, en substance, qu'en tant qu'actionnaire unique et principale créancière de la société D.H. SA, l'intimée exercerait obligatoirement une activité dirigeante au sein du groupe éponyme, tout en ayant un intérêt important à sa préservation. La fondation - qui dépendrait intrinsèquement des résultats économiques du groupe précité - userait du reste pleinement de son pouvoir d'influence sur l'entreprise, comme en témoigneraient les procès-verbaux de son conseil ainsi que son cadre actionnarial adopté en 2019. Selon la recourante, l'arrêt attaqué ne respecterait donc aucune des règles d'exonération des fondations d'entreprises et de holdings fixées à l'art. 56 let. g LIFD et violerait le principe de neutralité concurrentielle de l'impôt.
7.3 Dans sa réponse au recours, de même que dans ses observations finales, l'intimée défend quant à elle le raisonnement à la base de l'arrêt attaqué. Elle affirme notamment qu'il serait contraire au texte de l'art. 56 let. g LIFD d'admettre l'exonération des fondations d'entreprises ou de holdings en cas de participations importantes dans des entreprises, mais de la refuser lors de "participations intégrales", les deux situations étant similaires et n'impliquant pas nécessairement l'exercice d'une fonction dirigeante. Elle reconnaît à cet égard être effectivement intéressée par l'obtention d'une part importante des profits issus de l'activité commerciale du groupe D. et être soucieuse, d'une manière générale, à ce que ce dernier respecte une certaine éthique de travail. Elle conteste toutefois exercer de ce seul fait une activité dirigeante dans une entreprise, mais prétend faire uniquement usage de ses droits légitimes d'actionnaire. Son but altruiste ne serait par ailleurs pas "éclipsé" au profit du seul maintien de l'entreprise, dès lors qu'elle redistribue en principe la quasi-totalité des contributions qu'elle perçoit de D.H. SA à des causes de pure utilité publique. Elle rappelle pour le reste que le groupe de

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restauration D. n'échapperait pas à l'impôt dans l'hypothèse où son exonération serait confirmée, de sorte que celle-ci ne distordrait pas la concurrence sur le marché de la restauration collective.
 
Erwägung 8
L'intimée est l'actionnaire unique de la société D.H. SA, qui a pour but statutaire l'administration, la gestion, le contrôle, l'acquisition et la vente de participations, sous toutes leurs formes, dans toutes entreprises suisses et étrangères exerçant une activité liée directement ou indirectement au domaine de la restauration. Elle constitue la société-mère du groupe D., qui est l'un des principaux acteurs du marché de la restauration collective, avec un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de millions de francs. La détention, par la fondation intimée, de l'entier des actions de D.H. SA s'explique par des motifs historiques. A l'origine, la fondation avait développé elle-même une activité commerciale dans la restauration, dont l'importance avait énormément cru au cours du XXe siècle, au point de devenir un acteur majeur de ce secteur économique sur le plan national. Elle avait finalement décidé de se restructurer et de céder, en 2015, ses activités à la société D.H. SA, dont elle était l'actionnaire unique. Selon l'arrêt attaqué, cette restructuration était censée permettre à l'intimée de se consacrer à ses activités à but idéal et avait eu lieu sous l'impulsion de son directeur général de l'époque - qui n'est autre que l'actuel directeur de D.H. SA - lequel estimait que la structure d'une fondation n'était plus adaptée au marché compétitif de la restauration collective.
La cession de patrimoine consécutive au transfert d'entreprise n'a donné lieu à aucune contrepartie de la part de D.H. SA en 2015, même si la valeur des actifs nets accumulés par la fondation et remis à la société précitée s'élevait alors à 25'469'529 fr. Après coup, les parties ont souhaité remplacer ce transfert à titre gratuit par un transfert à titre onéreux, étant précisé que l'arrêt attaqué n'explique pas les raisons de ce revirement. Pour ce faire, l'intimée et D.H. SA ont conclu, le 15 décembre 2016, un contrat de prêt à long terme selon lequel la fondation prêtait la somme de 25'470'000 fr. à sa société, après avoir reçu de celle-ci une somme équivalente sous la forme d'un dividende spécial.
Après la cession d'entreprise susmentionnée, les activités de D.H. SA et, par voie de conséquence, celles du groupe éponyme étaient

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encore fréquemment discutées au sein du conseil de fondation de l'intimée, quand bien même cet organe a toujours été composé d'autres personnes que celles appartenant au conseil d'administration de D.H. SA, sous réserve d'un seul membre entre 2015 et 2018. L'intimée a élaboré, le 7 mai 2019, un "cadre actionnarial de la Fondation A." à l'intention du conseil d'administration de D.H. SA, applicable à l'ensemble du groupe. Ce cadre, qui couvre des problématiques diverses (gouvernance, ressources humaines, développement durable, objectifs financiers, etc.), prévoit que le conseil d'administration de la société D.H. SA doit non seulement établir un plan stratégique quinquennal, incluant les effets financiers pour l'ensemble du groupe, qui doit être soumis pour approbation à l'intimée, mais aussi communiquer à cette dernière les règles de fonctionnement et de rémunération des organes de la société. Le cadre actionnarial décrit également la politique des ressources humaines du groupe qui doit tenir compte, notamment, de la promotion de la santé physique et psychique des membres du personnel et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Il exige enfin la mise en oeuvre d'une politique de développement durable et responsable.
8.2 Comme cela a été relevé, la dernière phrase de l'art. 56 let. g LIFD a été adoptée, afin de permettre l'exonération fiscale des fondations d'entreprises et de holdings (cf. supra consid. 6.2). Eu égard à cette ratio legis , il est douteux qu'il faille d'emblée dénier toute exonération fiscale aux fondations qui seraient actionnaires uniques d'entreprises, au motif que ce genre de participations leur permettrait de disposer d'une influence potentielle sur la direction des entreprises détenues et d'exercer ainsi une fonction dirigeante en sein de celles-ci, ainsi que le soutiennent l'administration cantonale des impôts et l'AFC. D'ailleurs, à suivre le texte clair de l'art. 56 let. g LIFD, la simple possibilité d'assumer une activité dirigeante ne suffit pas à refuser une exonération; il faut au contraire qu'une telle activité soit effectivement exercée par la personne morale requérant l'exonération. Dans sa directive sur l'exonération des personnes morales, qui n'a pas force de loi en tant que simple ordonnance administrative, mais dont le Tribunal fédéral tient en principe compte (cf. sur ce sujet ATF 146 II 359 consid. 5.1; ATF 142 II 182 consid. 2.3.2), l'AFC n'exclut quant à elle pas de manière absolue une exonération en cas de participations à plus de 50 % dans des entreprises, alors même qu'un tel actionnariat suffirait en théorie également à diriger ces dernières (cf. Circulaire no 12, p. 4). Il s'ensuit que la seule

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qualité d'actionnaire unique ou majoritaire ne permet a priori pas de reconnaître qu'une fondation exerce une activité dirigeante dans une entreprise et, partant, d'exclure son exonération au sens de l'art. 56 let. g LIFD; il faut que d'autres éléments de fait confirment la mise en péril des buts d'utilité publique poursuivis par la fondation en raison de son implication dans l'entreprise détenue et de son intérêt au maintien de celle-ci.
8.3 En l'occurrence, une certaine tendance de l'intimée à vouloir s'impliquer dans les affaires du groupe D. semble ressortir de plusieurs éléments de faits constatés dans l'arrêt attaqué, en particulier des procès-verbaux de son conseil de fondation, du cadre actionnarial adopté par celui-ci à l'attention de l'entreprise et, surtout, du prêt de 25'470'000 fr. octroyé en 2016. Il n'est toutefois pas nécessaire de déterminer si ces éléments suffisent à retenir que l'intimée exerce une activité dirigeante dans le groupe D. Le recours doit en effet de toute manière être admis pour un autre motif. La détention de participations importantes dans une entreprise n'est en effet compatible avec une exonération fiscale au sens de l'art. 56 let. g LIFD que si elle est désintéressée et ne constitue pas un but en soi, c'est-à-dire si l'intérêt à la préservation de l'entreprise détenue peut être qualifié de subalterne par rapport au but d'utilité publique poursuivie par la fondation (cf. supra consid. 6.2 et 6.3), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
8.4 D'après les chiffres établis à la fin 2017 (cf. consid. 3.1 non publié), les immobilisations financières de l'intimée atteignaient, à la fin de cette année-là, la valeur de 34'623'016 fr., sur un total d'actifs estimé à 39'279'852 fr. Ces actifs financiers se composaient alors presque exclusivement de deux postes au bilan, si l'on met de côté les parts détenues dans une association genevoise à raison de 24'000 fr.: d'une part, les actions de D.H. SA , évaluées à hauteur de 11'943'530 fr., et, d'autre part, la créance en restitution du prêt à l'encontre de la société précitée d'un montant de 22'655'486 fr. Quant aux produits de l'intimée, il ressort de l'arrêt attaqué qu'ils se sont élevés à un total de 1'819'406 fr. en 2017. La quasi-totalité de ces revenus provenait de la société D.H. SA qui, cette année-là, a versé à la fondation une somme de 1'712'916 fr. correspondant tantôt à des dividendes, tantôt à un amortissement de son emprunt, tantôt aux intérêts de celui-ci. En 2017, les contributions et donations de la fondation se sont quant à elles montées à 907'000 fr. Il ressort ainsi de l'arrêt attaqué qu'en 2017, 87,14 % des actifs de l'intimée étaient

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investis, d'une façon ou d'une autre, dans D.H. SA et que 94,14 % de ses rentrées financières émanaient de cette même entreprise. Enfin, toujours d'après l'arrêt attaqué, cette année peut être considérée comme représentative de la situation financière de la fondation durant les années pour lesquelles une exonération est requise, ce que confirme l'intéressée dans ses écritures.
8.5 Il résulte de ce qui précède que la quasi-totalité du patrimoine de la fondation intimée est placée d'une manière ou d'une autre dans D.H. SA. L'intimée est tout d'abord l'actionnaire unique de cette société, et la valeur de cette participation se monte à près de 12 millions de francs. La fondation a ensuite prêté plus de 22 millions de francs à sa société, montant correspondant à presque deux tiers de la valeur totale de ses actifs. Cette situation entraîne par la force des choses une dépendance financière réciproque entre la fondation et la société. Les revenus que la fondation peut espérer tirer de son patrimoine, de même que la valeur intrinsèque de celui-ci, sont étroitement liés à la bonne marche des activités du groupe D. Une détérioration des résultats du groupe serait susceptible d'empêcher non seulement le versement de dividendes à l'intimée, mais aussi le paiement des intérêts courants sur le prêt octroyé à D.H. SA, voire le remboursement pur et simple de ce dernier. L'intimée pourrait ainsi se retrouver face à un conflit d'intérêts découlant de sa double qualité d'actionnaire et de créancière de la société D.H. SA. Il lui faudrait soit réclamer le strict respect du contrat de prêt, au risque de causer de graves problèmes financiers au groupe D. et de porter ainsi atteinte à la valeur de ses actions, qui représentent également une part substantielle de sa fortune, soit renoncer, provisoirement ou définitivement, au remboursement - total ou partiel - du prêt accordé et/ou à ses intérêts courants, sachant qu'il s'agit là d'une de ses principales sources de liquidités et, partant, de l'élément indispensable à la poursuite de ses objectifs d'utilité publique.
8.6 Il s'ensuit que la situation de l'intimée n'a pas fondamentalement changé depuis sa restructuration intervenue en 2015, à tout le moins d'un point de vue économique et financier. Sa capacité à poursuivre son but idéal à long terme dépend presque uniquement du développement et de la survie de son ancienne entreprise, quand bien même celle-ci appartient aujourd'hui formellement au groupe D. Cette situation de dépendance financière réciproque fait que l'intérêt à la préservation de D.H. SA ne peut pas être qualifié de subalterne par rapport au but d'utilité publique de l'intimée et que la

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gestion patrimoniale de celle-ci ne peut, partant, pas être qualifiée de désintéressée. La fondation ne peut dès lors pas bénéficier de la règle spéciale d'exonération adoptée à l'art. 56 let. g, 3e phrase, LIFD pour les fondations d'entreprises et de holdings. Il en serait peut-être allé autrement si, après avoir cédé ses activités commerciales dans la restauration à D.H. SA, la fondation avait placé sa fortune conformément aux principes de sécurité, de liquidité et de répartition des risques, comme l'exige en principe l'art. 84 al. 2 CC (cf. art. 84 al. 2 CC; ATF 124 III 97 consid. 2a; aussi arrêt 5A_875/2018 du 4 février 2019 consid. 5.1), et, partant, investi dans diverses entreprises, plutôt que de conserver un lien économique et juridique étroit et exclusif avec son ancienne entreprise et la société qui la dirige désormais. Il est en tout cas certain que l'art. 56 let. g LIFD n'a pas pour vocation de permettre à une fondation initialement soumise à l'impôt en raison de ses activités commerciales de continuer à en récolter indirectement les revenus, mais au bénéfice d'une exonération fiscale, à la suite d'un simple transfert d'entreprise auprès d'une société holding dont elle est l'actionnaire unique, sans aucune diversification de ses actifs.