BGE 129 II 544
 
50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause V. contre Ministère public de la Confédération (recours de droit administratif)
 
1A.149/2003 du 27 octobre 2003
 
Regeste
Art. 67a IRSG; Art. 10 GwÜ.
 
Sachverhalt


BGE 129 II 544 (544):

Le 27 septembre 2002, un Juge d'instruction de Bruxelles a adressé au Ministère public de la Confédération (MPC) une demande d'entraide judiciaire formée pour les besoins d'une enquête dirigée notamment contre K., ressortissante du Burundi domiciliée en Belgique, pour blanchiment de capitaux. Complétée les 21 et 25 octobre 2002, la demande expose que K. aurait été autorisée par un groupe de rebelles congolais, contre financement, à exploiter illégalement des gisements de coltan. Les mines étaient exploitées par la société M. (détenue par K.), et le minerai commercialisé par la société belge C., gérée par V., citoyen belge. Les fonds provenant de l'exploitation étaient acheminés en Suisse sur des comptes détenus par K. ou par ses propres enfants. L'autorité requérante demande notamment d'identifier les avoirs détenus en banque par K. et les différentes personnes physiques ou morales soupçonnées.


BGE 129 II 544 (545):

Le 14 novembre 2002, le MPC est entré en matière. La banque X. fit notamment savoir qu'un compte mentionné dans la demande était détenu par V.
Le 2 décembre 2002, V. indiqua que lors de son interrogatoire le 27 novembre 2002 par les inspecteurs de police belges, ces derniers avaient fait état d'un compte détenu en suisse, et de son contenu; en outre, le Procureur suisse s'était rendu à Bruxelles le 25 novembre précédent et avait remis des informations.
Le 3 décembre 2002, le Procureur suisse produisit un inventaire des informations remises spontanément en application des art. 10 CBl et 67a EIMP. Il s'agit d'un tableau synoptique daté du 22 novembre 2002 et portant le sceau du MPC, mentionnant les différents comptes découverts en Suisse, précisant leurs références, leurs détenteurs et ayants droit, les procurations, les dates d'ouverture et de clôture, la monnaie et le solde disponible. Il en ressort notamment que V. est titulaire, auprès de la banque X., d'un compte clôturé le 5 novembre 2001, et, auprès de la banque Y., d'un compte ouvert du 10 janvier au 9 octobre 2002, d'un compte ouvert le 10 janvier 2002 et présentant un solde de 7,4 millions d'US$, ainsi que d'un coffre dont le contenu n'est pas révélé.
Par lettre du 9 décembre 2002, V. s'est plaint de la transmission de ce qui, à ses yeux, ne constituait pas seulement une information, mais un véritable moyen de preuve. La restitution de ce document était requise.
Le 11 décembre 2002, le Procureur refusa de rendre une décision formelle sur ce point. Le 13 décembre suivant, il s'adressa néanmoins au Juge d'instruction de Bruxelles pour lui rappeler que les moyens de preuve touchant au domaine secret devaient servir à la présentation d'une demande d'entraide, joignant à son envoi une copie de l'art. 67a EIMP.
Le 6 juin 2003, le MPC a prononcé la clôture de la procédure, et la transmission à l'autorité requérante - sous la réserve de la spécialité - de la lettre du 6 novembre 2002 de la banque X.
V. forme un recours de droit administratif contre cette dernière décision, ainsi que contre la transmission spontanée intervenue le 25 novembre 2002. Il conclut à l'irrecevabilité de la demande d'entraide et de ses compléments, à l'annulation des décisions d'entrée en matière et de clôture, ainsi qu'au refus de toute transmission d'information ou document; il demande en outre que le MPC obtienne la restitution des pièces remises le 25 novembre 2002.
Le Tribunal fédéral a admis le recours en invitant le MPC à rendre une décision formelle de clôture concernant les renseignements figurant

BGE 129 II 544 (546):

dans le tableau récapitulatif du 25 novembre 2002. Il a rejeté le recours pour le surplus, et confirmé la décision de clôture du 6 juin 2003.
 
Extrait des considérants:
3. Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 67a de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1). Selon lui, les renseignements figurant dans le tableau remis par le MPC constitueraient des moyens de preuve, puisque les références exactes des comptes y sont mentionnées. Les autorités belges les avaient d'ailleurs utilisés lors de différents interrogatoires de police, ainsi qu'à l'occasion de la prolongation de la détention du recourant. Cette irrégularité ne pourrait pas être réparée après coup par l'octroi de l'entraide judiciaire, compte tenu du caractère essentiellement fiscal de l'enquête en Belgique, de la violation du principe de la spécialité et du fait que ces renseignements ne sont pas mentionnés dans l'ordonnance de clôture. Il y aurait donc lieu d'obtenir la restitution de ce document, ainsi que l'assurance qu'aucune copie n'est conservée et qu'il n'en sera pas fait usage dans l'Etat requérant.


BGE 129 II 544 (547):

Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'entraide, l'autorité d'exécution ne peut procéder par transmission spontanée pour remettre tout ou partie des documents ou renseignements requis, car les règles ordinaires sur la procédure d'exécution, en particulier l'obligation de rendre une décision de clôture sujette à recours (art. 80d et 80g EIMP), s'en trouveraient contournées.
3.3 En l'occurrence, la demande d'entraide du 27 septembre 2002 tend au blocage des comptes de S. Le complément du 21 octobre 2001 tend à l'identification et au blocage des comptes détenus par ou pour les personnes physiques et morales mentionnées dans l'exposé des faits, notamment K. et (...). Des précisions comme les dates d'ouverture et de clôture, les pouvoirs de signature et de gestion et les soldes actuels sont requises. Quatre comptes bancaires sont expressément mentionnés, dont un auprès de la banque X. (...). V. ne figure pas dans la mission proprement dite, mais est mentionné comme gérant de C. Lors de l'exécution de la requête, il est apparu que le compte précité auprès de la banque X. était détenu par V. En outre, celui-ci détenait des comptes auprès de la banque Y., notamment deux comptes dont l'un avait servi à des versements en faveur de (...) et M. Il apparaît par conséquent que les informations concernant le compte auprès de la banque X. répondent précisément à la demande d'entraide judiciaire; celles qui concernent les autres avoirs auprès de banque Y. pourraient aussi entrer, moyennant une légère extension de l'entraide requise, compatible avec le principe de la proportionnalité, dans le cadre de la mission définie par le Juge d'instruction de Bruxelles. Ce dernier ne demande pas formellement la remise de l'ensemble des documents bancaires, y compris les extraits et justificatifs, mais paraît se contenter d'informations livrées par l'autorité requise sur la base d'un examen des documents bancaires que cette dernière aurait elle-même effectué. Dans ces conditions, la remise du tableau récapitulatif apparaît comme un acte d'exécution, et ne peut être qualifiée de remise spontanée. Le MPC ne pouvait par conséquent se contenter d'une transmission informelle, mais devait procéder par la voie d'une ordonnance de clôture.
3.4 La remise opérée par le juge d'instruction apparaît problématique à un second titre. La transmission spontanée, lorsqu'elle est admissible, doit se limiter à de pures informations; la remise de moyens de preuve est exclue par ce biais (art. 67a al. 4 EIMP; sur la notion de moyens de preuve, ATF 125 II 356 consid. 12c p. 367 et les auteurs cités par ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale

BGE 129 II 544 (548):

en matière pénale, Berne 1999, no 237 et n. 890). En l'occurrence, un document officiel de l'autorité suisse mentionnant les références des comptes, leurs dates d'ouverture et de clôture, l'identité des personnes habilitées à les faire fonctionner, ainsi que le montant des sommes qui s'y trouvent, est susceptible de confirmer les soupçons, voire même de permettre, moyennant des recoupements avec les autres renseignements disponibles, de fonder une condamnation, même si les mouvements des comptes ne sont pas indiqués dans le détail. La demande d'entraide ne tend d'ailleurs pas expressément à la production des documents bancaires, l'autorité requérante paraissant se contenter de simples informations délivrées par l'autorité d'exécution. On peut en déduire que de telles informations pourraient avoir, dans l'Etat requérant, une valeur probante suffisante.
La question peut demeurer indécise: qu'il s'agisse d'un véritable moyen de preuve ou d'une simple information, le tableau remis au Juge d'instruction de Bruxelles constitue un acte d'exécution de la demande d'entraide formée par celui-ci et devait, à ce titre, être soumis à la procédure ordinaire et faire l'objet d'une décision de clôture.
Sans préjudice de ses propres investigations ou procédures, une Partie peut, sans demande préalable, transmettre à une autre Partie des informations sur les instruments et les produits lorsqu'elle estime que la communication de ces informations pourrait aider la Partie destinataire à engager ou à mener à bien des investigations ou des procédures, ou lorsque ces informations pourraient aboutir à une demande formulée par cette Partie en vertu du présent chapitre.
Cette disposition ne saurait, elle non plus, justifier une remise spontanée à n'importe quelles conditions, indépendamment des règles relatives à la procédure d'entraide judiciaire ordinaire, découlant de la CEEJ (RS 0.351.1) ou du droit interne. Il s'agit en effet d'une disposition potestative, qui n'impose nullement une remise spontanée d'informations: chaque Etat partie a la possibilité de prévoir une telle remise, et peut par conséquent en fixer les conditions, plus ou moins restrictivement. Ainsi, dans son message concernant la ratification de la CBl, le Conseil fédéral a estimé, avec raison, que

BGE 129 II 544 (549):

l'art. 10 CBl n'imposait aucune obligation aux Etats parties et que, par ailleurs, une transmission spontanée pouvait être soumise à une condition de confidentialité (art. 33 al. 3 CBl; FF 1992 VI 8 ss, p. 23). Le système prévu par la Convention n'est d'ailleurs pas différent de celui institué par l'EIMP. L'art. 10 CBl prévoit que les informations transmises spontanément peuvent notamment aboutir à une demande formelle au sens de l'art. 8 CBl. Il n'est donc pas possible de recourir systématiquement à la transmission spontanée, sans quoi les règles spécifiques de la Convention relatives aux demandes formelles d'entraide judiciaire (notamment les art. 27 ss CBl) ne seraient plus d'aucune utilité. Cela implique aussi que l'on puisse faire une distinction entre, d'une part, les simples informations visées par l'art. 10 CBl et, d'autre part, les moyens ou "éléments" de preuve proprement dits, visés spécifiquement aux art. 8, 32 et 33 CBl. Par conséquent, l'application de la CBl ne saurait justifier une transmission spontanée à des conditions plus larges que celles prévues par le droit fédéral.
Une telle réparation n'est toutefois pas possible en l'occurrence, dès lors que la décision de clôture du 6 juin 2003 porte sur différentes lettres remises par les banques, et que ces dernières ne contiennent pas tous les renseignements qui, s'agissant du recourant, figurent dans le tableau récapitulatif du 22 novembre 2002. Le recourant n'est donc pas à même, au travers de la décision de clôture, de faire valoir ses objections contre la transmission irrégulière qui l'a précédée. Il appartiendra par conséquent au MPC de rendre une décision formelle, susceptible de recours, contre la transmission au Juge d'instruction de Bruxelles des renseignements concernant le recourant, tels qu'ils figurent dans le tableau du 22 novembre 2002. Compte tenu de la possibilité d'une régularisation de cette transmission, il n'y a pas lieu, en l'état, d'exiger une restitution de cette pièce ou des assurances de l'Etat requérant quant à son utilisation.