BGE 109 II 298
 
64. Arrêt de la IIe Cour civile du 15 septembre 1983 dans la cause Hoirie d'Emil Enderli-Kaufmann contre Conseil d'Etat du canton de Vaud (recours de droit administratif)
 
Regeste
Grundbuch; Eintragung des überlebenden Ehegatten als Eigentümer, während er sein ihm gemäss Art. 462 Abs. 1 ZGB zustehendes Wahlrecht noch nicht getroffen hat.
 
Sachverhalt


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A.- Emil Enderli est décédé le 26 mars 1979. Il a laissé comme héritiers sa veuve, Susanna Enderli, née Kaufmann, et ses trois

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enfants, savoir Susi Häsler-Enderli, Werner Enderli et Silvia Hausamann-Enderli. Il était propriétaire de la parcelle no 3393 du registre foncier de la commune de Chardonne.
Agissant au nom de la communauté héréditaire de feu Emil Enderli, dont il avait été nommé représentant, le Notariat Riesbach-Zürich a requis, par lettre du 14 septembre 1981, le Conservateur du registre foncier de Vevey de procéder à l'inscription, comme propriétaires dudit immeuble, de la veuve du de cujus, sous réserve de son droit d'option en faveur de l'usufruit légal (art. 462 al. 1 CC), et des trois enfants. Le 17 septembre 1981, le Conservateur du registre foncier de Vevey a informé le Notariat Riesbach-Zürich que, "dans le canton de Vaud, le conjoint survivant opte, en principe, avant le transfert des immeubles, pour sa part en propriété ou pour l'usufruit, comme prévu par l'art. 462 CCS", et il lui a demandé si Susanna Enderli l'avait fait ou si elle devait être inscrite comme propriétaire en main commune. Le 5 novembre 1981, le Notariat Riesbach-Zürich a répondu que la veuve n'avait pas opté entre l'usufruit de la moitié et le quart en propriété, et qu'elle ne le ferait vraisemblablement que dans le cadre du procès en partage de la succession, qui était pendant. Le 17 novembre 1981, le Conservateur du registre foncier de Vevey a envoyé au Notariat Riesbach-Zürich une réquisition de transfert successoral, établie par ses soins en français. Conformément à la pratique vaudoise, cette réquisition ne faisait pas mention, après la désignation de la veuve, de la réserve concernant son droit d'option. Le substitut du Notariat Riesbach-Zürich a retourné, dûment signée, cette formule de transfert au Conservateur du registre foncier de Vevey.
Le 1er mars 1982, le Notariat Riesbach-Zürich a écrit au Conservateur du registre foncier de Vevey pour lui demander de faire figurer au feuillet de la parcelle 3393 de Chardonne la réserve concernant le droit d'option de la veuve. Par lettre du 2 mars 1982, le Conservateur du registre foncier de Vevey a répondu ce qui suit:
"Comme je vous l'ai indiqué dans ma lettre du 17.9.1981, dans le canton de Vaud, le conjoint survivant opte (presque 100% des cas) pour sa part en propriété ou en usufruit (art. 462 CC) avant l'inscription des héritiers au registre foncier. En cas de non détermination, tous les cohéritiers sont inscrits en qualité de propriétaires en main commune, - sans autre précision, ni sur le feuillet, ni sur le répertoire des propriétaires, - ceci jusqu'à droit connu."


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Le 5 mars 1982, l'hoirie de feu Emil Enderli, représentée par le Notariat Riesbach-Zürich, a formé une plainte au sens de l'art. 956 CC, auprès du Département des finances du canton de Vaud, contre la décision du Conservateur du registre foncier de Vevey, refusant de porter au feuillet de la parcelle 3393 la réserve sollicitée.
Par décision du 23 mars 1982, ledit Département a rejeté ce recours au motif que "l'inscription au registre foncier du droit d'option de Susanna Enderli serait contraire à l'art. 12 ORF, qui prohibe expressément les réquisitions subordonnées à une réserve ou une condition".
B.- L'hoirie Enderli a recouru auprès du Conseil d'Etat du canton de Vaud, qui a rejeté le recours le 9 février 1983.
La décision de l'autorité cantonale est motivée, en substance, comme il suit:
La pratique vaudoise selon laquelle le conjoint survivant qui n'a pas fait usage de son droit d'option au jour de la réquisition d'inscription au registre foncier est inscrit comme propriétaire a pour but de conserver au registre une certaine clarté. Si une réserve concernant son droit d'option figurait après sa désignation parmi les héritiers, le maintien du droit de propriété du conjoint parmi les héritiers serait lié à l'avènement d'une condition dont le terme est incertain, savoir la condition résolutoire qu'il n'opte pas pour l'usufruit. Il y aurait donc inscription d'un droit de propriété conditionnel, ce que prohibe l'art. 12 ORF. Cette inscription compliquerait la tenue du registre foncier, car il serait nécessaire de la modifier dès que le conjoint survivant aurait opté. Une telle inscription aurait en outre comme inconvénient de créer une incertitude pour les tiers qui consulteraient le registre foncier, notamment les créanciers. En effet, le conjoint qui opte pour le quart en propriété répond, comme les autres héritiers, dès l'ouverture de la succession, des dettes transmissibles du défunt. Il en est dès lors tenu personnellement, sur tous ses biens. S'il choisit la moitié en usufruit, ce dernier peut être réalisé pour acquitter les dettes de la succession, mais le conjoint ne répond en revanche pas personnellement de ces dettes.
C.- L'hoirie Enderli a formé un recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Elle demandait que la décision déférée fût annulée et que le Conservateur du registre foncier de Vevey fût invité à faire figurer sur le feuillet de la parcelle 3393 de la commune de Chardonne, à côté de la désignation de la veuve, l'indication qu'elle n'avait pas exercé son droit d'option selon l'art. 462 CC.


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Le Conseil d'Etat du canton de Vaud a conclu au rejet du recours, tandis que le Département fédéral de justice et police, Office de la justice, en proposait l'admission.
Le Tribunal fédéral a admis le recours.
 
Considérant en droit:
La qualité pour recourir de l'hoirie Enderli, au nom de laquelle agit le Notariat Riesbach-Zürich, comme représentant de la communauté héréditaire, est donnée (art. 103 lettre a OJ).
La loi ne prévoit pas de délai pendant lequel le conjoint survivant devrait se décider entre l'usufruit et la part de propriété. C'est incontestablement une lacune de la loi. Le partage de la succession ne peut en effet être opéré sans que soit connu le choix du conjoint survivant. Partant, on doit admettre que ce choix doit intervenir au plus tard au moment du partage. Les cohéritiers peuvent dès lors obliger le conjoint survivant à prendre une décision afin qu'il puisse être procédé au partage. Si le conjoint survivant tarde à se décider, ils pourront l'actionner en justice à cet effet. Le conjoint survivant se trouve alors dans une situation similaire à celle du créancier en demeure de choisir entre deux prestations alternatives. Les créanciers de la succession peuvent également obliger le conjoint survivant à faire son choix en exerçant contre lui des poursuites pour les dettes de la succession. Le fisc même peut contraindre le conjoint survivant à opter lorsque

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l'établissement des impôts de succession en dépend (cf. notamment, TUOR, n. 46 ad art. 462 CC).
La Division de la justice (aujourd'hui Office fédéral de la justice) du Département fédéral de justice et police a examiné la question du délai pour l'exercice de l'option du conjoint survivant de l'art. 462 CC, dans un avis du 16 mars 1978 (JAAC 1978, fasc. 42, no 124, paru également dans RNRF 1981, p. 350/351). Elle relève que le défaut d'un délai légal pour l'exercice de l'option du conjoint survivant, dans l'art. 462 CC, n'a pas soulevé de difficultés importantes dans la pratique, le problème n'ayant guère occupé les tribunaux, mais qu'en revanche la doctrine s'est prononcée: certains auteurs, ESCHER (n. 34 ad art. 462 CC) et TUOR (n. 46 ad art. 462 CC) notamment, préconisent que le juge saisi par les cohéritiers ou les créanciers opère lui-même le choix, si le conjoint survivant ne se détermine pas dans le délai qu'il a fixé, tandis que PIOTET (Les usufruits du conjoint survivant en droit successoral suisse, Berne 1970, p. 21 ss) affirme que les tribunaux devront, en se fondant sur l'art. 2 CC, déclarer le délai de répudiation des successions applicable par analogie à l'option de l'art. 462 CC; à défaut de choix dans ce délai, estime cet auteur, le conjoint survivant sera réputé avoir choisi le quart en propriété, par une application analogique de l'art. 566 al. 2 CC. Les autorités du registre foncier ne sauraient trancher entre ces différentes solutions proposées en doctrine. Il s'agit là de questions de droit matériel, qui échappent à leur cognition. Dans l'espèce, il n'est de toute façon pas nécessaire de résoudre ce problème.
Le recours du Notariat Riesbach-Zürich, agissant comme représentant de l'hoirie Enderli, a pour seul objet le point de savoir si le Conservateur du registre foncier de Vevey doit indiquer au feuillet de l'immeuble qui était propriété du de cujus, après la désignation de la veuve survivante, qu'elle n'a pas exercé l'option prévue à l'art. 462 CC.
Contrairement à ce que prétend le Conseil d'Etat vaudois, la demande dans ce sens, formulée par l'hoirie, ne constitue nullement une réquisition subordonnée à une réserve ou condition, au sens de l'art. 12 ORF. Cette demande comme telle n'est affectée d'aucune réserve, ni condition suspensive ou résolutoire. Elle tend purement et simplement à l'indication que la veuve Enderli n'a pas exercé son droit d'option et qu'elle conserve la faculté de le faire. Si elle choisit le quart en propriété, elle continuera, tant que le partage n'est pas opéré, à être propriétaire en main commune de

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l'immeuble avec ses cohéritiers. Si elle opte pour l'usufruit de la moitié de la succession, son droit de propriété s'éteindra. Les changements qui devront être opérés au registre foncier, suivant le choix opéré par l'époux survivant, ne sont que la conséquence de la réglementation légale.
Le représentant de l'hoirie a clairement demandé que la réserve du droit d'option de la veuve soit portée au registre foncier lors de l'inscription des héritiers. Certes, dans la réquisition qu'il a rédigée en français et qu'il a soumise à la signature du Notariat Riesbach-Zürich, le Conservateur du registre foncier n'a pas fait figurer cette réserve, et ledit Notariat l'a signée purement et simplement, sans en exiger le complètement. On ne saurait toutefois opposer à l'hoirie recourante que son représentant aurait par là renoncé à ce que cette réserve fût portée au registre foncier, comme il l'avait demandé. En effet, le Conservateur du registre foncier n'a pas signifié clairement au Notariat Riesbach-Zürich, en lui envoyant cette réquisition rédigée en français, qu'il ne ferait pas figurer au registre foncier la réserve sollicitée au sujet du droit d'option de la veuve. De toute façon, une telle réquisition de la part du Notariat Riesbach-Zürich ne l'empêchait pas de revenir à la charge et de demander que cette réserve fût portée au registre foncier.
Le défaut de cette réserve au registre foncier donne l'idée fausse que le conjoint a exercé son droit d'option dans le sens de la propriété du quart, puisque la veuve est inscrite comme propriétaire en main commune avec les autres héritiers, sans qu'il soit indiqué qu'elle n'a pas exercé l'option prévue à l'art. 462 CC.
Comme le relève pertinemment l'Office fédéral de la justice, l'indication de la réserve concernant le droit d'option de la veuve Enderli ne peut pas faire l'objet d'une inscription au sens propre, laquelle ne peut viser qu'un droit réel, ni non plus d'une annotation, dont les cas sont limitativement fixés par la loi (art. 959, 960 et 961 CC), ni enfin d'une mention, qui ne peut être effectuée que sur la base de règles précises du droit fédéral (art. 946 al. 2, 696 al. 2, 841 al. 3 CC, 45 Tit. fin. CC, 82 ORF, 84 al. 2 LAgr.), ou du droit cantonal, en tant que le législateur fédéral l'a prévu.
Avec l'Office fédéral de la justice, on doit considérer que la réserve du droit d'option du conjoint survivant est une simple précision qui vient compléter l'inscription. Pour assurer la clarté, le caractère complet et la sécurité du registre foncier, il faut y faire

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figurer l'adjonction suivante: "le droit d'option du conjoint survivant n'a pas encore été exercé", ou bien "est réservé", à côté du nom du conjoint survivant, ou après l'énumération des divers héritiers en propriété commune (cf. GROSSEN, Propriété commune et registre foncier, RNRF 1959, p. 8 n. 40).