BGE 102 II 211
 
32. Arrêt de la Ire Cour civile du 15 juin 1976 dans la cause Servette Football Club contre Perroud.
 
Regeste
Art. 27 Abs. 2 ZGB und 20 OR, Art. 28 Abs. 2 ZGB und 49 OR. Nichtigkeit von Vertragsbestimmungen, welche die Freiheit des Arbeitnehmers in unzulässigerweise einschränken.
Klage des Spielers auf Schadenersatz (Art. 28 Abs. 2 ZGB; Erw. 8) und auf Genugtuung (Art. 49 OR; Erw. 9).
 
Sachverhalt


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A.- Georges Perroud, né en 1941, pratique le football depuis 1956. En juin 1969, il a été transféré du Football Club (F.C.) Sion au Servette F.C., qui a payé pour ce transfert 160'000 fr., soit 140'000 fr. au F.C. Sion et 20'000 fr. à Perroud. Selon une convention du 10 août 1971, Perroud se mettait à la disposition du Servette F.C. en qualité de "joueur non amateur" (art. 1) pour la période du 1er juillet 1971 au 30 juin 1972, la convention restant en vigueur pour une nouvelle saison si elle n'était pas dénoncée par une des parties un mois avant son échéance (art. 5). Le club s'engageait à verser au joueur, à titre de prestations minimales, un salaire mensuel de 1'500 fr., une prime spéciale de 10'000 fr. et les primes usuelles de match (art. 2). Aux termes de l'art. 3, "le statut du joueur non amateur qui figure en annexe à la présente convention en fait partie intégrante", et le club et le joueur s'obligent à observer strictement ce statut. La convention renfermait sous ch. 4 une disposition spéciale, insérée à la demande de

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Perroud, selon laquelle le Servette F.C. s'engageait à fixer celui-ci au 30 septembre 1971 sur le prix de son transfert éventuel pour la fin de la saison 1971/1972. L'art. 5 précisait enfin que "les dispositions de transfert de l'ASF et celles de la Ligue nationale restent dans tous les cas réservées après l'abrogation de la convention".
Selon le règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale, peuvent être immédiatement qualifiés dans cette ligue les joueurs qui n'ont disputé aucun match officiel en Ligue nationale pendant les deux dernières années précédant la présentation de la demande, comptées à partir de la fin de la saison au cours de laquelle ils ont disputé leur dernier match (art. 3). Un joueur ne peut être transféré dans un autre club de Ligue nationale qu'avec une lettre de sortie de son club, conforme et sans conditions; tant qu'une telle lettre n'est pas présentée, un joueur ne peut obtenir de qualification en Ligue nationale que pour le club auquel il appartient (art. 6). La lettre de sortie doit être établie en faveur du club présentant la demande de transfert, sans quoi elle ne sera pas acceptée; le nom de ce club ne peut pas être porté ultérieurement sur une lettre de sortie primitivement établie en blanc (art. 7). L'art. 9 du règlement prévoit deux périodes de transfert: la première débute le lendemain du dernier match de championnat de la saison écoulée (mais le 1er juillet si le championnat n'est pas terminé le 30 juin) et se termine le 15 juillet pour les joueurs déjà qualifiés en dernier lieu à l'Association suisse de football (ASF); la seconde court du 1er octobre au 31 décembre.
Le statut pour joueurs non amateurs dispose sous ch. 2 que tous les joueurs (sous réserve de quelques exceptions qui n'entrent pas en considération ici) doivent exercer une profession leur garantissant le minimum vital. Selon la convention du 10 août 1971 entre le F.C. Servette et Perroud, celui-ci exerce la profession de programmeur. Pendant les trois années où il a joué pour le F.C. Servette, il a gagné en moyenne 43'000 fr. par an pour son activité sportive.
En octobre 1971, le trésorier du F.C. Servette a indiqué à Perroud, à sa demande, que le prix de son transfert serait de 100'000 fr., ce chiffre constituant une base de discussion. Il a par ailleurs déclaré, en juillet 1972, que Perroud était "amorti".


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Le 9 mai 1972, le F.C. Servette a communiqué à la Ligue nationale, apparemment sans en avoir préalablement parlé à Perroud, que ce joueur devait être inscrit sur la liste des transferts. Par lettre du 30 mai 1972, il a dénoncé le contrat du 10 août 1971 pour le 30 juin 1972. Perroud a accusé réception de cette lettre le 21 juin; il faisait "toutes réserves" au sujet de la clause 4 de la convention et indiquait qu'il terminait un cours de répétition le 23 juin, puis qu'il partait en vacances du 25 juin au 10 juillet.
Le 12 juillet 1972, Perroud s'est adressé à la Ligue nationale, section des contrats, en relevant que le F.C. Servette n'avait pas respecté le ch. 4 de la convention; que lui-même, n'ayant aucune raison de prévoir ce licenciement, avait pris à Genève toute une série d'engagements et n'avait pu envisager un transfert dans des délais normaux; il estimait que le F.C. Servette avait rompu unilatéralement le contrat et trouvait abusif que le club pût le retenir en exigeant pour un transfert une somme qui n'avait jamais été fixée. Le F.C. Servette a précisé à ce propos, dans une lettre du 2 août 1972, que lors de pourparlers avec le F.C. Martigny, "le prix de transfert à discuter avait été fixé à 80'000 fr.", somme ramenée par la suite à 50'000 fr. pour faciliter le transfert. La Ligue nationale a organisé le 22 août une séance de médiation, qu'elle a résumée dans une lettre du lendemain: le F.C. Servette était prêt à réintégrer Perroud dans ses cadres, aux conditions fixées par l'entraîneur Sundermann, et un contrat n'étant conclu que sur proposition de celui-ci; il s'engageait à céder Perroud au cours de la deuxième période de transfert à n'importe quel club pour un montant de 30'000 fr.; cette offre était valable jusqu'au 15 septembre. Perroud a toutefois refusé de reprendre l'entraînement sans engagement précis du club. Le 15 janvier 1973, Perroud a mis en demeure le F.C. Servette de le libérer jusqu'au 25 janvier, afin qu'il pût éventuellement jouer dans une équipe de Ligue nationale dès la reprise du championnat; il faisait état des exigences financières exorbitantes du club, en raison desquelles il perdait le bénéfice de douze ans de sacrifices consacrés à l'entraînement de son sport favori. Servette a répondu le 26 janvier en relevant notamment qu'aucun transfert n'était plus possible jusqu'au mois de juillet, que Perroud avait été informé à fin septembre 1971 du montant de son transfert éventuel et que l'échec des

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démarches entreprises en vue de son transfert, voire d'un simple prêt, était dû à son "fâcheux état d'esprit" et à ses exigences financières.
Pendant les deux ans qui ont suivi son licenciement, Perroud n'a pas pu jouer dans un club de Ligue nationale. Il a été entraîneur au F.C. Versoix, avec un gain de 150 fr. par mois, puis a joué au F.C. Savièse.
B.- Perroud a assigné Servette Football Club devant le Tribunal des prud'hommes de Genève, par requête du 9 février 1973, en paiement de 36'000 fr. pour "salaire + indemnité" (perte de salaire pour la période du 1er juillet 1972 au 30 juin 1974) et de 60'000 fr. pour "perte de gain" (primes de match perdues pendant deux ans et tort moral).
Après avoir rejeté une exception d'incompétence du défendeur, le Tribunal des prud'hommes de Genève a débouté le demandeur par jugement du 26 mars 1975.
La Chambre d'appel des prud'hommes a annulé ce jugement par arrêt du 15 décembre 1975 et condamné le défendeur à payer au demandeur 29'000 fr., soit 24'000 fr. à titre de dommages-intérêts et 5'000 fr. à titre de réparation du tort moral.
C.- Servette Football Club recourt en réforme au Tribunal fédéral en concluant à libération, subsidiairement à la réduction à 5'000 fr. de l'indemnité due au demandeur.
Perroud propose le rejet du recours.
 
Considérant en droit:
Le demandeur objecte toutefois avec raison que l'interdiction de jouer dont il a été frappé a continué de déployer ses effets en tout cas pendant les deux ans qui ont suivi la résiliation de son contrat, soit jusqu'au 30 juin 1974. L'atteinte illicite ayant subsisté jusqu'à cette date au moins, la prescription n'a pu commencer à courir auparavant, selon la jurisprudence

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du Tribunal fédéral (ATF 89 II 404, 417, ATF 92 II 4 consid. 3, ATF 93 II 502 s. consid. 2). L'exception de prescription doit dès lors être rejetée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si elle est nouvelle et partant irrecevable, ni si des actes judiciaires au sens de l'art. 138 al. 1 CO sont intervenus entre le 28 mars 1973 et le 3 juillet 1974.
b) La convention du 10 août 1971 déclare en outre applicable le statut du joueur non amateur, partie intégrante de la convention selon l'art. 3 de celle-ci, ainsi que les dispositions de transfert de l'ASF et de la Ligue nationale, réservées après l'abrogation de la convention (art. 5). Dans la mesure où elles concernent les rapports entre joueur et club, les dispositions ainsi désignées doivent donc être considérées comme incluses dans le contrat de travail conclu par les parties, au même titre que celles figurant dans la convention elle-même. Le demandeur, qui affirme que "ni les statuts ni les règlements ne (lui) ont jamais été remis", ne prétend pas avoir ignoré les règles sur le transfert, qui sont d'ailleurs notoires dans les milieux intéressés au football (cf. STÜCHELI, Zivilrechtliche und strafrechtliche Aspekte des Spielertransfers im bezahlten Fussballsport, thèse Berne 1975, p. 44 s.).


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c) Le demandeur invoque la nullité, en vertu des art. 20 CO, 27 al. 2 et 28 CC, des dispositions statutaires et réglementaires de l'ASF relatives à la lettre de sortie, et notamment des art. 5bis, 6 et 7 du règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale. Si ce moyen s'avérait fondé, ces dispositions, partie intégrante de la convention du 10 août 1971, devraient être déclarées nulles dans les rapports entre le défendeur et le demandeur. Peu importe que l'ASF ne participe pas au présent procès. Cette circonstance ne saurait avoir pour effet de soustraire à la connaissance du tribunal l'examen de la validité des règles litigieuses - examen qui doit intervenir d'office (ATF 80 II 48) -, auxquelles les parties sont convenues de se soumettre. C'est donc à tort que le défendeur objecte que l'action du demandeur est mal dirigée, en tant qu'elle se fonde sur la nullité de la réglementation de l'ASF.
4. Aux termes de l'art. 20 CO, le contrat est nul s'il a pour objet une chose impossible, illicite ou contraire aux moeurs. Si le contrat n'est vicié que dans certaines de ses clauses, ces clauses sont seules frappées de nullité, à moins qu'il n'y ait lieu d'admettre que le contrat n'aurait pas été conclu sans elles. Tel n'est pas le cas en l'espèce. L'absence de dispositions réglementaires subordonnant le transfert du demandeur à la délivrance d'une lettre de sortie par le défendeur aurait sans doute pu influer sur le montant payé par ce dernier au F.C. Sion lors de l'acquisition du joueur en 1969. Mais ce montant ne fait pas l'objet du contrat conclu par les parties. Aucune de celles-ci n'invoque d'ailleurs la nullité intégrale de la convention, qu'elles ont l'une et l'autre exécutée jusqu'à son terme.
5. Il est constant qu'après avoir résilié le contrat de travail pour son échéance, au 30 juin 1972, le défendeur n'a pas délivré de lettre de sortie au demandeur. Sans ce document, le joueur ne pouvait être transféré dans un autre club de Ligue nationale en vertu de l'art. 6 du règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale. Selon ce même article, il ne pouvait dès lors, et pour une durée de deux ans, obtenir de qualification en Ligue nationale que pour le club défendeur, qui venait de mettre fin à son contrat. Aux termes de l'art. 3 litt. a dudit règlement, la qualification pour joueur "libre" est en effet réservée aux joueurs qui n'ont disputé aucun match officiel en Ligue nationale pendant les deux

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dernières années précédant la demande de qualification. Le refus de la lettre de sortie au demandeur revenait donc à priver celui-ci de toute possibilité de conclure avec un autre club de Ligue nationale un nouveau contrat de travail, et cela pendant deux ans. Par là, il déployait des effets analogues à ceux d'une clause de prohibition de concurrence.
La prohibition de concurrence, qui limite après la fin du contrat de travail le droit du travailleur d'exercer une activité économique, est réglementée de façon stricte par les art. 340 ss CO (356 ss CO ancien, en vigueur au moment de la conclusion de la convention du 10 août 1971). L'art. 340 al. 2 subordonne sa validité à des conditions qui ne sont aucunement réalisées ici. En outre et surtout, la prohibition cesse si l'employeur résilie le contrat sans que le travailleur lui ait donné un motif justifié (art. 340c al. 2), comme c'est le cas en l'occurrence.
En dehors de ces conditions, auxquelles il ne peut pas être dérogé au détriment du travailleur (art. 362 CO), les parties à un contrat de travail ne sauraient valablement restreindre le droit du travailleur d'exercer une activité économique après la fin du contrat. Les dispositions du règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale sont donc inopposables au demandeur, dans la mesure où elles autorisaient le défendeur à refuser de lui délivrer une lettre de sortie, et partant à l'empêcher de jouer pour un autre club de Ligue nationale pendant une durée de deux ans après la fin de son contrat de travail.
6. Cette conclusion s'impose également en vertu des art. 27 al. 2 CC et 20 CO. Selon ces dispositions, qui ont la même portée en tant qu'elles s'opposent à ce que les parties à un contrat aliènent leur liberté dans une mesure contraire aux moeurs (ATF 50 II 485), la limitation de la liberté ne doit pas aller jusqu'à compromettre les biens vitaux les plus importants du débiteur, arrêter le libre développement de son activité et le soumettre à l'arbitraire illimité du créancier (ATF 53 II 320). Pour juger si tel est le cas, il faut rechercher si les restrictions apportées à la liberté dépassent la mesure de ce qui est tolérable par leur durée, leur rayon d'application ou leur contenu matériel, ou encore par la combinaison de ces différents éléments (ATF 51 II 168).


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En l'espèce, la réglementation pour la qualification des joueurs de Ligue nationale permet aux clubs d'empêcher un joueur, par le refus de la lettre de sortie, d'obtenir son transfert, et partant sa qualification en Ligue nationale, dans un autre club que celui auquel il appartient: l'art. 6 du règlement subordonne expressément la qualification à la présentation de la lettre de sortie. Aux termes de l'art. 9 du statut pour joueurs non amateurs, un joueur ne peut faire dépendre sa collaboration à un club de Ligue nationale de la remise d'une déclaration qui lui assurerait ultérieurement une lettre de sortie. L'art. 7 de ce statut spécifie qu'en cas de transfert, une convention ne peut être conclue avec le nouveau club que lorsque l'ancien club du joueur s'est déclaré d'accord, par écrit, avec le transfert. Les pouvoirs du club à l'égard du joueur sont encore renforcés par l'interdiction faite aux fonctionnaires des clubs et à toute autre personne désireuse d'obtenir le transfert d'un joueur déterminé dans un club d'entrer en pourparlers, sans l'autorisation écrite de l'ancien club, avec des joueurs de Ligue nationale qui ne figurent pas sur la liste officielle des transferts (art. 5bis du règlement pour la qualification).
L'ensemble de ces dispositions a pour effet de remettre à la discrétion du club la décision concernant le transfert de ses joueurs dans une autre équipe. Si le club n'est pas disposé à donner l'accord écrit dont dépend ce transfert, le joueur qui entend néanmoins changer d'employeur n'a d'autre solution que de renoncer à exercer son activité sportive en Ligue nationale pendant deux ans. Aucune exception n'étant prévue en cas de résiliation du contrat par le club, le joueur peut se trouver, sans sa volonté, privé de toute possibilité de jouer pour une équipe de Ligue nationale, pendant ce laps de temps. Il est également exposé au risque de devoir accepter, pour échapper à cette période d'inactivité et obtenir sa qualification, les conditions moins favorables que pourrait lui imposer son ancien club. Celui-ci peut en outre, tout en acceptant de délivrer la lettre de sortie, fixer le montant du transfert de telle façon que les chances du joueur de changer de club soient compromises, voire supprimées. L'établissement d'une lettre de sortie en blanc, c'est-à-dire dépourvue de l'indication du nouveau club, étant prohibée (art. 7 in fine du règlement pour

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la qualification), le club jouit du pouvoir de décider non seulement du principe du transfert, mais encore du nouvel employeur du joueur dont il se sépare.
Cette réglementation - assortie de sanctions graves pour les clubs et les joueurs en cas d'infraction - restreint de manière inadmissible la liberté des "joueurs non amateurs" de football de Ligue nationale d'exercer leur activité sportive. Certes, le statut prévoit pour ces joueurs l'obligation d'"exercer une profession leur garantissant le minimum vital" (art. 2). Mais cette disposition, à supposer qu'elle soit respectée, ne saurait justifier une atteinte aussi grave portée à la liberté des joueurs de pratiquer un sport qui constitue pour eux une source de revenus à tout le moins importante. L'art. 27 al. 2 CC ne protège d'ailleurs pas seulement la liberté dans le domaine économique, il s'oppose aux atteintes excessives à la liberté personnelle en général (ATF 95 II 57). La réglementation litigieuse apparaît particulièrement choquante lorsque le contrat a été résilié par le club, sans qu'un motif de congé soit imputable au joueur. Or tel est le cas en l'espèce. L'arrêt déféré constate de manière à lier le Tribunal fédéral que le demandeur "a été remercié car le nouvel entraîneur du Servette F.C. avait changé le style de jeu de l'équipe" et qu'il "ne saurait se voir reprocher des faits précis dans son comportement de joueur". Certes, l'autorité cantonale ajoute: "cependant Perroud aurait été conservé s'il avait accepté une réduction de salaire". Mais un contrat de travail qui permet à l'employeur de congédier un travailleur tout en refusant de lui délivrer un document dont dépend l'accès à un autre emploi, et partant de lui dicter les conditions d'un nouvel engagement, restreint la liberté du travailleur d'une manière incompatible avec l'art. 27 al. 2 CC. Il ne saurait être légitimé par des avantages financiers accordés au travailleur au moment de la conclusion du contrat, ces avantages pouvant d'ailleurs être partiellement annulés par l'effet de nouvelles conditions imposées par l'employeur. La réglementation litigieuse est dès lors immorale dans la mesure où elle permet aux clubs de Ligue nationale d'empêcher à l'expiration d'un contrat un joueur d'exercer son activité sportive au service d'un autre club et de lui imposer les conditions d'un nouvel engagement.
7. Le règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale et le statut pour joueurs non amateurs

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émanent de l'assemblée générale de la Ligue nationale, qui se compose de 28 délégués des clubs des groupes A et B (art. 9 al. 1 des statuts de la Ligue nationale). Cette réglementation étant impérative, et la Ligue nationale groupant tous les clubs, le joueur qui se voit refuser sa lettre de sortie se trouve totalement évincé, durant deux ans, de la compétition au niveau national, s'il ne se soumet pas aux conditions que lui impose son ancien club. Le refus de la lettre de sortie qu'autorise la réglementation adoptée par l'association des clubs équivaut ainsi à un boycott d'assujettissement. Portant atteinte au droit personnel du joueur d'exercer librement son activité économique et sportive, il est en principe illicite, à moins que le club n'établisse qu'il agit pour protéger des intérêts légitimes, manifestement prépondérants, qu'il ne peut garantir par d'autres moyens (ATF 86 II 374 ss consid. 4). Or cette preuve n'a nullement été rapportée en l'espèce. Le seul souci, allégué par le défendeur à l'appui de la réglementation litigieuse, d'"étayer la structure du football semi-professionnel, (de) le préserver du chaos et (d')assurer la régularité des compétitions dont le déroulement serait complètement faussé si les joueurs pouvaient librement et sans contrôle passer d'un club à un autre en cours de saison", ne suffit pas à justifier cette réglementation. Sans doute est-il nécessaire de limiter les transferts pour éviter une surenchère entre les clubs propre à fausser le déroulement de la compétition. Quant à l'exigence de la lettre de sortie, elle est en soi raisonnable dans la mesure où elle tend à éviter qu'un joueur ne soit qualifié pour deux clubs à la fois. Mais ces objectifs peuvent être atteints sans qu'une atteinte aussi grave soit portée à la liberté personnelle des joueurs. Ils ne justifient pas, notamment, qu'un club puisse refuser, après l'expiration du contrat, sa lettre de sortie à un joueur qui s'est acquitté de ses obligations, ni que le choix du nouvel employeur du joueur inscrit sur la liste des transferts ou les conditions d'un réengagement par l'ancien club soient laissés à la discrétion de celui-ci. Les pouvoirs ainsi conférés aux clubs violent de manière inadmissible le droit des joueurs d'exercer librement leur activité.
8. Aux termes de l'art. 28 al. 2 CC, celui qui subit une atteinte illicite dans ses intérêts personnels ne peut intenter une action en dommages-intérêts que dans les cas prévus par la loi. Cette action suppose, outre l'illicéité de l'atteinte, l'existence

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d'un préjudice, d'une faute de l'auteur et d'un rapport de causalité adéquate entre la faute et le dommage (art. 49 CO; GROSSEN, Das Recht der Einzelpersonen, in Schweizerisches Privatrecht II, p. 359 in fine).
a) On a vu que l'atteinte portée par le défendeur à la liberté du demandeur était illicite, tant au regard de la législation sur le contrat de travail (consid. 5) que de l'interdiction d'aliéner contractuellement sa liberté dans une mesure contraire aux moeurs (art. 27 al. 2 CC, 20 CO; consid. 6) et de la jurisprudence du Tribunal fédéral relative au boycott (consid. 7).
b) Après avoir résilié le contrat de travail du demandeur pour le 30 juin 1972, le défendeur a refusé de lui délivrer sa lettre de sortie, bien qu'il eût été formellement mis en demeure de le faire, le 15 janvier 1973. Il savait qu'en vertu du règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale, il privait ainsi le demandeur de toute possibilité d'exercer son activité sportive en Ligue nationale pendant deux ans dès la fin de la saison d'été 1972. Le défendeur a dès lors commis une faute en refusant sa lettre de sortie au demandeur. Il ne saurait se disculper en faisant valoir qu'il s'est conformé à la réglementation de la Ligue nationale, applicable aux rapports des parties en vertu de la convention du 10 août 1971, puisque cette réglementation est nulle selon l'art. 20 CO, et partant inopposable au demandeur, dans la mesure où elle autorisait le défendeur à refuser la lettre de sortie à l'expiration du contrat.
c) Le défendeur conteste l'existence d'un lien de causalité entre sa faute et l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le demandeur de s'engager dans un autre club. En effet, dit-il, à aucun moment depuis le 1er juillet 1972 le demandeur n'a annoncé qu'il avait trouvé un autre club disposé à l'engager; c'est en raison de ses "prétentions jugées inacceptables par ses nouveaux employeurs potentiels" qu'il se serait trouvé sans emploi. Le défendeur n'aurait dès lors pu lui délivrer qu'une lettre de sortie en blanc, qui ne lui aurait été d'aucune utilité puisqu'elle aurait été nulle et de nul effet selon l'art. 7 du règlement pour la qualification.
Il ressort toutefois clairement de l'arrêt déféré que l'autorité cantonale admet l'existence d'un lien de causalité naturelle - ce qui relève du fait et lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (ATF 98 II 291 en haut) - entre le refus de la lettre

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de sortie et le fait que le demandeur n'a pas pu être engagé par un club de Ligue nationale: elle déclare en effet que le demandeur doit être indemnisé du préjudice subi "à la suite du refus de Servette F.C. de lui remettre une lettre de sortie" et relève à propos de l'appréciation du dommage que le demandeur n'a pas démontré qu'une équipe de Ligue nationale A lui aurait proposé pour l'avenir des conditions analogues à celles dont il bénéficiait auprès du défendeur. On doit d'ailleurs admettre qu'un joueur faisant partie du cadre de l'équipe nationale aurait aisément trouvé un emploi s'il avait été libre, le refus de la lettre de sortie étant dès lors en rapport de causalité adéquate avec le fait que le demandeur n'a plus exercé son activité sportive en Ligue nationale après la fin de son contrat avec le défendeur.
d) Statuant ex aequo et bono, l'autorité cantonale a arrêté à 24'000 fr., soit à 1'000 fr. par mois pendant deux ans, les dommages-intérêts dus au demandeur. Elle a notamment admis que celui-ci aurait pu "au mieux vraisemblablement jouer dans une équipe de Ligue nationale B" et que, "libéré de ses occupations sportives, Perroud était à même d'exercer avec plus d'ardeur, donc de profit, son activité professionnelle". Le défendeur invoque une violation des art. 8 CC et 42 al. 2 CO, en alléguant que le demandeur n'a ni prouvé, ni même rendu vraisemblable un quelconque indice répondant aux exigences de ces dispositions.
Etant donné que le demandeur n'a pas pu trouver de nouvel emploi dans un club de Ligue nationale à cause du refus de la lettre de sortie par le défendeur, le dommage ne saurait être remis en cause dans son principe. Vu ce refus, le demandeur n'a pas été en mesure d'entreprendre des démarches utiles auprès des clubs de Ligue nationale qui auraient pu l'engager. Il ne lui était donc pas possible d'établir quelle aurait été sa rémunération au cours des deux années qui ont suivi son licenciement. La procédure a cependant fourni aux juges assez d'éléments pour leur permettre de déterminer équitablement le montant du dommage, d'après le cours ordinaire des choses.
Compte tenu du gain annuel moyen de 43'000 fr. réalisé par le demandeur pendant les trois ans précédant la période d'inactivité en question, l'autorité cantonale n'a en tout cas pas excédé son pouvoir d'appréciation au détriment du défendeur en allouant au demandeur, pour cette période, une perte

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de gain de 12'000 fr. par an, et cela même après déduction des 1'800 fr. qu'il touchait comme entraîneur du F.C. Versoix. S'agissant d'un joueur qui faisait partie du cadre de l'équipe nationale et dont rien n'exclut qu'il aurait pu être engagé par un autre club de Ligue nationale A, la somme allouée est plutôt modique. Il est vrai que l'arrêt déféré relève que "Perroud a compliqué la tâche des dirigeants servettiens en manifestant lui-même des prétentions inacceptables en ce qui concerne ses propres gains". Mais l'autorité cantonale méconnaît à cet égard que la somme de 1'000 fr. par mois réclamée par le demandeur au F.C. Carouge correspond à celle qu'elle lui a elle-même allouée à titre de dommages-intérêts. Le défendeur a non seulement exigé pour le transfert un montant important - estimé à 100'000 fr. en automne 1971, ramené de 80'000 fr. à 50'000 fr. durant la période des transferts puis réduit finalement à 30'000 fr. lors de la tentative de conciliation, en août 1972 - mais il a encore porté contre son joueur des accusations mal fondées, qui n'étaient certes pas de nature à favoriser son transfert. Quant au grief fait au demandeur de n'avoir "pas agi avec volonté en juin-juillet 1972, préférant partir en vacances à un moment où ses intérêts bien compris lui commandaient d'être sur place pour discuter avec d'éventuels clubs s'intéressant à lui", il n'est pas justifié: le demandeur s'est vu notifier son congé alors qu'il allait partir au service militaire, et il affirme qu'il avait réservé et payé ses places pour les vacances de sa famille alors qu'il ignorait que son contrat serait résilié.
L'arrêt déféré doit donc être confirmé dans la mesure où il alloue au demandeur 24'000 fr. de dommages-intérêts.


BGE 102 II 211 (225):

L'atteinte portée à la liberté du demandeur a eu pour lui des conséquences particulièrement graves: non seulement il a été empêché de jouer pendant deux ans, mais cet empêchement a entraîné la fin prématurée de sa carrière sportive. Son mode de vie s'en est trouvé profondément changé, et les ressources financières ainsi que les satisfactions que lui procurait son activité sportive ont été notablement diminuées. Il a en outre fait l'objet d'accusations injustifiées de son ancien club. Celui-ci ne pouvait ignorer les conséquences du refus de la lettre de sortie pour son joueur. Il a néanmoins persisté à réclamer une somme importante pour son transfert, jetant en outre le discrédit sur lui. Ces circonstances justifient l'allocation d'une indemnité pour tort moral, même si le demandeur répondait d'une faute concurrente pour avoir lui aussi émis des prétentions excessives. Quant au montant de cette indemnité, l'autorité cantonale n'a pas outrepassé les limites de son pouvoir d'appréciation en l'arrêtant à 5'000 fr.
Le demandeur objecte qu'en dépit de deux transferts dont il a fait l'objet, il n'était pas conscient des inconvénients du système; ce n'est qu'en juin 1972 que la violation de ses droits élémentaires lui est apparue, lorsque le défendeur a refusé de lui délivrer sa lettre de sortie en application des art. 5bis, 6 et 7 du règlement pour la qualification des joueurs de Ligue nationale. Cette objection est fondée. Lors de la conclusion de son contrat avec le défendeur, rien ne permettait au demandeur de prévoir les circonstances dans lesquelles ce contrat serait résilié, et de réaliser que les avantages financiers qui lui étaient alors consentis étaient liés à la renonciation à des droits inaliénables. Par ailleurs, les avantages financiers importants retirés par le demandeur durant sa carrière de joueur non amateur étaient la contrepartie justifiée de ses prestations de footballeur appartenant à l'élite nationale. Le moyen tiré de l'abus de droit doit dès lors être rejeté.


BGE 102 II 211 (226):

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Rejette le recours et confirme l'arrêt rendu par la Chambre d'appel des Prud'hommes du canton de Genève le 15 décembre 1975.