BGE 86 II 18
 
4. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 19 janvier 1960 dans la cause Association des syndicats autonomes genevois et consorts contre Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment et consorts.
 
Regeste
1. Legitimation von Berufsverbänden zur Klageerhebung zwecks Wahrung von Kollektivinteressen des Berufsstandes; Legitimation solcher Verbände zur gerichtlichen Geltendmachung von Schadenersatzansprüchen bestimmter Mitglieder (Erw. 2).
3. Art. 422/3 OR. Geschäftsführung ohne Auftrag. Begriff der unechten Geschäftsführung (Erw. 4).
4. Verjährung des Anspruchs aus unechter Geschäftsführung. Anwendbarkeit der Grundsätze über die ungerechtfertigte Bereicherung; Beginn der Verjährungsfrist bei sukzessiven Zahlungen auf Grund eines einheitlichen Entschlusses (Erw. 7).
 
Sachverhalt


BGE 86 II 18 (19):

A.- Le 25 novembre 1951, l'Union suisse des installateurs électriciens (USIE) conclut un contrat collectif de travail (contrat national) avec l'Union suisse des syndicats autonomes (USSA). D'après l'art. 5 de ce contrat, les sections locales, cantonales et régionales des associations contractantes peuvent conclure des conventions collectives complémentaires, dont les dispositions ne doivent pas être contraires au contrat national. Celui-ci prévoit en outre qu'une indemnité fixe "est versée à chaque ouvrier pour six jours désignés dans les contrats complémentaires, ou fixés soit par la commission paritaire compétente, soit chaque année par l'employeur".
Le 11 décembre 1951, l'Association des installateurs électriciens du canton de Genève (AIEG) conclut avec le syndicat des monteurs électriciens de la Fédération suisse des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB) un contrat collectif réglant les conditions de travail des monteurs électriciens du canton de Genève (contrat régional). En vertu de l'art. 4 de ce contrat, les ateliers et chantiers sont fermés les jours officiels. Pour compenser la perte de salaire qui en résulte, la Caisse de compensation des installateurs électriciens du canton de Genève verse aux

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ouvriers une indemnité égale aux 100% du salaire perdu. Elle reçoit cette indemnité des employeurs.
A la fin de 1951, l'Association des syndicats autonomes genevois (ASAG), section de l'USSA, constitua un syndicat dans la branche des installations électriques. Elle manifesta le désir d'adhérer au contrat signé par l'AIEG et la FOBB. L'AIEG refusa. Elle craignait en effet que l'ordre et la paix du travail ne fussent troublés, car la FOBB avait menacé de se retirer du contrat si l'AIEG laissait l'ASAG y adhérer ou passait avec elle une convention analogue. Néanmoins, les ouvriers qui n'étaient pas membres de la FOBB reçurent les indemnités pour jours fériés, moyennant retenue sur leur salaire d'une contribution de solidarité. Le 11 décembre 1952, ils furent invités par la commission paritaire à adhérer individuellement au contrat jusqu'au 22 du mois, faute de quoi ils perdraient les avantages sociaux accordés par la convention. Certains des membres de l'ASAG refusèrent. Le 22 décembre 1952, la Caisse de compensation des installateurs électriciens fit savoir à ses membres que les monteurs, qui n'étaient pas signataires de la convention à titre individuel ou collectif, ne pourraient plus recevoir à l'avenir d'indemnité en compensation du salaire perdu pendant les jours fériés prévus par le contrat collectif régional. Dès ce moment-là, ce fut l'ASAG (ou l'USSA) qui versa à ses adhérents les montants en question.
B.- Le 24 mai 1954, l'ASAG et l'USSA assignèrent la FOBB et l'AIEG devant le Tribunal de première instance du canton de Genève en concluant à ce qu'il plaise à la Cour condamner les défenderesses à leur payer solidairement 43 993 fr. 30 de dommages-intérêts, équivalents aux indemnités pour jours fériés dues à leurs membres. Les défenderesses conclurent au rejet de l'action.
Le 16 septembre 1957, le Tribunal de première instance rejeta l'action. Le 30 juin 1959, la Cour de justice confirma ce jugement en considérant notamment que les demanderesses n'avaient pas qualité pour agir.


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C.- L'ASAG et l'USSA recourent en réforme au Tribunal fédéral en reprenant les conclusions qu'elles ont présentées en procédure cantonale.
Les intimées concluent au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
Sur le premier point, le Tribunal fédéral, appliquant l'art. 1er al. 2 CC, a reconnu aux associations la qualité pour agir. Il a considéré qu'actuellement ces dernières sont, d'une façon générale et spécialement en ce qui concerne les relations entre employeurs et employés, les représentants qualifiés de tous ceux qui pratiquent une certaine profession. Il en a déduit qu'elles ont en principe vocation pour ester en justice quand elles entendent défendre un intérêt collectif comprenant non seulement l'intérêt personnel de leurs membres mais aussi celui des personnes qui, sans compter parmi leurs adhérents, exercent cependant le métier de ces derniers. Toutefois, même dans cette hypothèse, la qualité des associations est subordonnée à la condition qu'elles soient habilitées par leurs statuts à sauvegarder les intérêts économiques de leurs membres et que ceux-ci aient eux-mêmes qualité pour intenter l'action.
Sur le second point, à savoir si les associations professionnelles ont également un droit d'action propre pour obtenir la réparation d'un dommage subi par tel de leurs

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membres, le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé. C'est précisément le problème qu'il faut trancher aujourd'hui. En effet, le préjudice dont la réparation est demandée en l'espèce n'est ni un dommage atteignant les intérêts collectifs de tous les monteurs électriciens du canton de Genève, ni un dommage que les recourantes auraient éprouvé directement ou même indirectement, mais un préjudice subi par certains de leurs membres personnellement.
La réponse à cette question ne peut être que négative. La créance en dommages-intérêts est un droit privé, qui est un élément du patrimoine. Seul le titulaire du droit a qualité pour en disposer et en particulier pour le déduire en justice. La faculté de poursuivre judiciairement l'exécution d'une créance ne peut donc être reconnue qu'au titulaire de la créance ou à l'ayant cause auquel le droit a été régulièrement transféré. Admettre qu'une association professionnelle fût habile à exercer l'action en dommages-intérêts compétant à l'un de ses membres reviendrait à priver le créancier, même contre sa volonté, de son droit de disposition. Cela équivaudrait à un transfert du droit sans le consentement du titulaire, ce qui serait contraire à un principe fondamental du droit privé.
Il en est autrement de la vocation des associations pour défendre les intérêts collectifs de la profession. En effet, dans ce cas, l'association peut agir judiciairement sans par là porter atteinte à la situation juridique des personnes qui peuvent invoquer les mêmes droits. La vocation pour agir que la jurisprudence a reconnue aux associations s'ajoute à celle de chaque membre pris isolément, sans en exclure aucune. En agissant en justice, l'association ne dispose pas du droit compétant à une personne déterminée. Elle exerce un droit propre, distinct de celui de chaque intéressé.
D'ailleurs certaines dispositions légales montrent bien que, dans le système du droit privé suisse, les associations professionnelles ne sont pas habiles à déduire en justice

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une créance compétant à un de leurs membres et tendant à la réparation d'un dommage déterminé subi par lui.
Ainsi l'art. 2 al. 3 LCD, invoqué par l'arrêt Association suisse des maîtres coiffeurs, confère aux associations professionnelles le droit d'agir en constatation de l'illicéité d'un acte de concurrence déloyale et en cessation du trouble. Il leur refuse en revanche l'action en dommagesintérêts et en réparation du tort moral. Il en est de même de l'art. 323ter CO, introduit par la loi fédérale du 28 septembre 1956 permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail. Selon cette disposition, les associations signataires de la convention collective peuvent stipuler qu'elles auront le droit en commun d'en exiger l'observation. Mais ce droit ne confère qu'une action en constatation, à l'exclusion d'une action en exécution. Le Message du Conseil fédéral (FF 1954 I p. 167) motive cette distinction en ces termes: ". .. la liberté individuelle, grâce à laquelle chacun peut faire valoir ses droits devant le juge ou y renoncer, serait restreinte à l'excès si la communauté contractuelle pouvait de son propre chef et sans se préoccuper de la volonté de l'intéressé, se substituer à lui pour ouvrir une action en exécution."
Dès lors, si les associations peuvent ester en justice pour défendre les intérêts communs d'une profession, elles ne sauraient avoir qualité pour agir lorsqu'elles entendent réclamer la réparation d'un dommage subi par un de leurs membres personnellement. Dans cette seconde hypothèse, l'action n'appartient qu'au lésé. L'association ne peut l'exercer que si elle a obtenu du créancier les pouvoirs nécessaires ou si elle est devenue titulaire de la créance par une cession régulière.
Il s'ensuit que, dans la mesure où elles réclament la réparation d'un dommage subi par leurs membres personnellement, les recourantes n'ont pas une qualité propre pour agir. Les cessions qu'elles ont produites en procédure cantonale sont sans intérêt, puisque la Cour de justice les

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a écartées du dossier pour des raisons tenant à la procédure genevoise, dont le Tribunal fédéral n'a pas à connaître.
Toutefois, ainsi que cela ressort des termes mêmes de l'art. 110 ch. 2 CO, la subrogation prévue par cette disposition suppose une déclaration de volonté du débiteur au créancier. Sans doute, cette déclaration de volonté n'est soumise à aucune forme; elle peut même résulter d'actes concluants. Il n'en reste pas moins qu'elle constitue une condition essentielle de la subrogation prévue par l'art..110 ch. 2 CO et qu'elle ne saurait être remplacée par un accord entre le créancier et l'auteur du paiement, à moins que ce dernier n'agisse comme représentant du débiteur ou ne convienne avec le créancier d'une cession de créance (RO 37 II 531/532, 57 II 92; BECKER, note 6 ad art. 110; OSER/SCHÖNENBERGER, note 20 ad art. 110).
En l'espèce, les associations intimées n'ont fait la déclaration exigée par l'art. 110 ch. 2 CO ni expressément ni implicitement. Les conditions de la subrogation instituée par l'art. 110 ch. 2 CO ne sont donc pas remplies. Comme les causes de subrogation légale sont limitativement énumérées dans la loi (RO 24 II 315; OSER/SCHÖNENBERGER, note 4 ad art. 110; BECKER, note 3 ad art. 110) et qu'aucune de celles prévues n'entre en ligne de compte, les recourantes ne peuvent plaider la subrogation. Il ne pourrait en aller autrement que s'il y avait une lacune de la loi. Or tel n'est pas le cas. Les principes généraux qui conduisent à refuser aux associations professionnelles la

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qualité pour réclamer la réparation d'un dommage subi par un de leurs membres s'appliquent également sur le terrain de la subrogation.
A cet égard, sans doute, l'application de l'art. 422 CO ne peut être envisagée. Cette disposition suppose en effet que le gérant a agi avec l'intention d'engager le maître. Or les recourantes n'ont pas payé les indemnités pour jours fériés en ayant pareille intention. De plus, les droits que l'art. 422 CO confère au gérant sont subordonnés à la condition que la gestion ait été entreprise parce que l'intérêt du maître le commandait. Tel n'est pas le cas lorsque le gérant paie une dette que le maître conteste devoir.
Quant aux droits que le gérant peut faire valoir en vertu de l'art. 423 CO, il y a lieu de relever ce qui suit:
L'art. 423 CO vise le cas de la gestion d'affaires imparfaite, c'est-à-dire en particulier l'hypothèse où le gérant, agissant pour son compte et dans son intérêt, entreprend des actes qu'il ne peut pas exécuter sans empiéter sur le patrimoine d'autrui (RO 45 II 208; 47 II 198; 51 II 583; 68 II 36). Cette situation est réalisée en l'espèce. En payant à leurs membres des prestations dues, selon elles, par les employeurs, les recourantes ont agi pour leur compte. Elles ont suivi également leur propre intérêt, qui était commandé par des motifs de politique syndicale, notamment par la crainte de perdre leurs adhérents. Enfin, elles ne pouvaient pas payer les indemnités pour jours fériés sans empiéter sur le patrimoine des intimées. En effet, la subrogation, qui aurait maintenu l'existence de la dette de ces dernières, ayant été exclue pour les raisons indiquées plus haut, il s'ensuit que le versement des indemnités a éteint la dette que les employeurs pouvaient avoir, et a donc modifié la composition de leur patrimoine.


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Les conditions de l'art. 423 CO étant remplies et ces conditions étant indentiques pour les deux alinéas qui visent la même hypothèse, les recourantes peuvent en principe, conformément à l'art. 423 al. 2 CO, exiger d'être indemnisées à concurrence de l'enrichissement des intimées, c'est-à-dire des versements qu'elles ont faits et qui ont éteint la dette de ces dernières....
Cette action appartient à celui qui, agissant pour son compte et dans son intérêt, s'est immiscé dans les affaires d'autrui. D'après l'art. 423 al. 2 CO, l'acte unilatéral sur lequel cette action est ainsi fondée n'engendre point de droits ni d'obligations au titre de la gestion d'affaires (OSER/SCHÖNENBERGER, note 5 ad art. 423 CO; FRIEDRICH, Die Voraussetzungen der unechten Geschäftsführung ohne Auftrag, RDS 1945, p. 53). Au contraire, cette dernière disposition, en limitant le montant de l'indemnité à l'enrichissement du maître, contient en réalité un renvoi au droit commun, plus spécialement aux principes régissant l'action pour cause d'enrichissement illégitime. C'est dès lors conformément aux règles concernant l'enrichissement illégitime qu'il faut fixer le délai de prescription de l'action fondée sur l'art. 423 al. 2 CO. En conséquence, ce délai doit être arrêté à un an (art. 67 CO). Certes, il est plus court que le délai de prescription auquel sont soumises les créances contractuelles (découlant de la violation de certaines obligations imposées par le contrat national) que les paiements de l'ASAG ou de l'USSA ont éteintes. Peu importe cependant, car ce ne sont pas ces créances que les recourantes font valoir, mais un droit distinct qui a sa source dans le paiement et qui peut donc être soumis à un délai de prescription différent.
Le délai de prescription de l'action pour cause d'enrichissement

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illégitime court du jour où le lésé a eu connaissance de son droit de répétition (art. 67 CO), c'est-à-dire du dommage et de la personne qui en est l'auteur (RO 63 II 259). En l'espèce, les recourantes ont connu ces deux éléments au für et à mesure de chacun de leurs paiements, de sorte que la prescription d'un an a commencé à courir séparément pour chacun des versements faits aux membres de l'ASAG. En statuant sur les prétentions des recourantes, la Cour cantonale devra tenir compte de la prescription dans ces limites. Le fait que les différents versements procèdent d'une décision unique n'y change rien, car chacun d'eux constitue un acte de disposition nouveau et distinct des autres. C'est seulement lorsqu'un état dommageable provient lui-même d'une activité ou d'une omission de nature à se prolonger plus ou moins longtemps (séquestration de personne, apposition illicite d'une enseigne) qu'on peut parler d'un dommage continu et qu'il se justifie alors de faire courir le délai de prescription du jour où l'état dommageable prend fin. Tel n'est pas le cas en l'espèce où le préjudice provient non d'un état de fait unique qui se serait prolongé un certain temps, mais de plusieurs actes nettement séparés.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
Admet le recours, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à la Cour cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des motifs.