BGE 139 I 272
 
26. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit social dans la cause S. contre Etat de Vaud, Département de l'économie (recours en matière de droit public)
 
8C_912/2012 du 22 novembre 2013
 
Regeste
Art. 7 und 12 BV; Art. 3 und 8 Ziff. 1 EMRK; Art. 86 Abs. 1 AuG; Art. 82 AsylG; Nothilfe für eine Person mit definitivem und vollziehbarem Rückweisungsentscheid.
 
Sachverhalt


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A. S., né en 1978, est arrivé en Suisse le 30 avril 2011, après avoir transité par l'Italie. Il a requis l'asile en Suisse et a été attribué au canton de Vaud.
Par décision du 26 juillet 2011, l'Office fédéral des migrations (ODM) a refusé d'entrer en matière sur la demande d'asile et a prononcé le renvoi de S. Cette décision est devenue définitive et exécutoire le 6 août 2011. La veille, les autorités ont été informées de la disparition de l'intéressé.
Le 11 octobre 2011, celui-ci s'est présenté en Suisse et a requis une nouvelle fois l'asile. Il a été placé par l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants (ci-après: EVAM) dans l'abri de protection civile Z. (PC). L'intéressé s'est opposé à son renvoi en Italie. Le 16 février 2012, il a requis la reconsidération de la décision du 26 juillet 2011. Par décision du 7 mars 2012, l'ODM a refusé d'entrer en matière sur cette demande. Par arrêt du 30 avril 2012, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours formé par S. contre cette décision.
Le 16 février 2012, l'intéressé a requis de l'EVAM d'être transféré dans un autre type de logement en faisant valoir, en substance, que ses conditions d'hébergement à l'abri PC lui rappelaient les conditions inhumaines et traumatisantes de ses détentions dans son pays d'origine.
Par décision du 21 février 2012, confirmée sur opposition le 20 mars suivant, l'EVAM a rejeté la demande de transfert de l'intéressé dans un autre type de logement.
Saisi d'un recours contre la décision sur opposition, le chef du Département de l'économie du canton de Vaud (aujourd'hui: le

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Département de l'économie et du sport; ci-après: DECS) l'a rejeté par décision du 29 juin 2012.
B. Par jugement du 10 octobre 2012, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours formé contre la décision du DECS du 29 juin 2012.
C. S. interjette un recours contre ce jugement en concluant à son annulation, sous suite de dépens. Préalablement, il demande à être dispensé de payer des frais de procédure.
L'Etat de Vaud, agissant par le chef du DECS, et la juridiction cantonale ont renoncé à se déterminer sur le recours.
(...)
Le recours a été rejeté.
(extrait)
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 2
2.1 Aux termes de l'art. 86 al. 1 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr; RS 142.20), les cantons règlent la fixation et le versement de l'aide sociale et de l'aide d'urgence destinées aux personnes admises provisoirement; les art. 80 à 84 de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi; RS 142.31) concernant les requérants d'asile sont applicables (1re et 2e phrases). Selon l'art. 81 LAsi, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2008, les personnes qui séjournent en Suisse en vertu de cette loi et qui ne peuvent subvenir à leur entretien par leurs propres moyens reçoivent l'aide sociale nécessaire, à moins qu'un tiers ne soit tenu d'y pourvoir en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, ou l'aide d'urgence, à condition qu'elles en fassent la demande. L'art. 82 LAsi prévoit que l'octroi de l'aide sociale et de l'aide d'urgence est régi par le droit cantonal; les personnes frappées d'une décision de renvoi exécutoire auxquelles un délai de départ a été imparti peuvent être exclues du régime d'aide sociale (al. 1); l'aide d'urgence est octroyée sous la forme de prestations en nature ou de prestations pécuniaires journalières aux lieux désignés par les cantons (al. 4, 1re phrase).
2.2 Selon l'art. 4a de la loi cantonale du 2 décembre 2003 sur l'action sociale vaudoise (LASV; RSV 850.051), toute personne résidant dans le canton a droit au minimum à l'aide d'urgence si elle n'est plus en mesure de subvenir à son entretien en raison d'une situation de détresse présente ou inéluctable (al. 1); l'aide d'urgence est dans la

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mesure du possible allouée sous forme de prestations en nature; elle comprend en principe: a. le logement, en règle générale, dans un lieu d'hébergement collectif; b. la remise de denrées alimentaires et d'articles d'hygiène; c. les soins médicaux d'urgence dispensés en principe par la Policlinique Médicale Universitaire (PMU), en collaboration avec les Hospices cantonaux/CHUV; d. l'octroi, en cas de besoin établi, d'autres prestations de première nécessité (al. 3). A la différence des demandeurs d'asile qui ont droit à l'assistance, à savoir à l'aide ordinaire, sur décision de l'EVAM (art. 3 et 10 al. 1 de la loi cantonale vaudoise du 7 mars 2006 sur l'aide aux requérants d'asile et à certaines catégories d'étrangers [LARA; RSV 142.21]), les personnes qui séjournent illégalement sur territoire vaudois n'ont droit qu'à l'aide d'urgence, sur décision du département en charge de l'asile, si elles se trouvent dans une situation de détresse et ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien (art. 6 al. 3, art. 49 et 50 al. 1 LARA).
 
Erwägung 3
3.1 Le recourant invoque le droit à la protection de sa dignité humaine consacrée aux art. 7 et 12 Cst., ainsi que le droit au respect de la vie privée au sens de l'art. 8 CEDH. Il soulève de nombreux griefs en relation avec ses conditions d'hébergement dans un abri PC qu'il considère comme humiliantes et contraires à la dignité humaine au sens de l'art. 3 CEDH. Il relève qu'un abri PC est une cavité sous la terre, aérée artificiellement et éclairée de manière artificielle également, où la lumière du jour n'entre jamais; c'est un espace hostile, entièrement bétonné, qui donne un sentiment d'enfermement; les dortoirs communs sont sommairement aménagés de banquettes superposées à trois étages sur lesquelles sont posés des matelas et où on ne peut pas se tenir assis en raison de l'étroitesse; les dortoirs

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sentent mauvais faute d'aération adéquate et la respiration y est difficile, spécialement la nuit; en raison de la promiscuité, il y a toujours du bruit pendant la nuit et il n'est pas possible de dormir paisiblement; les maladies infectieuses se transmettent rapidement; la promiscuité est grande, et il n'y a pas d'espace privé. En outre, le recourant fait valoir qu'il ne peut pas déposer ses affaires selon son goût, comme on le fait habituellement dans son logement, lequel comporte, en principe, des fenêtres; par ailleurs, l'intéressé est contraint d'errer dans la rue pendant la journée ou de se rendre dans un lieu d'accueil collectif trop étroit, surpeuplé et bruyant; s'il a mal dormi ou a de la fièvre, notamment en raison du froid, il n'a aucun autre choix que d'errer dans la rue toute la journée et demeurer exposé aux intempéries, à la chaleur en été, au vent, au froid et à la pluie le reste de l'année; pendant la journée, il n'a pas accès aux sanitaires, au chauffage, à l'eau courante, ni à aucun espace de repos; il ne peut installer nulle part le centre de sa vie privée.
La jurisprudence considère que la mise en oeuvre de l'art. 12 Cst. incombe aux cantons. Ceux-ci sont libres de fixer la nature et les modalités des prestations à fournir au titre de l'aide d'urgence (ATF 135 I 119 consid. 5.3 p. 123; ATF 131 I 166 consid. 8.5 p. 184). Le droit fondamental à des conditions minimales d'existence selon l'art. 12 Cst. ne garantit pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d'une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l'habillement et les soins médicaux de base. L'art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 135 I 119 consid. 5.3 p. 123; ATF 121 I 367 consid. 2c p. 373). L'aide d'urgence, par définition, a en principe un caractère transitoire. L'art. 12 Cst. ne vise qu'une aide minimale - à savoir un filet de protection temporaire pour les personnes qui ne trouvent aucune protection dans le cadre des institutions sociales existantes - pour mener une existence conforme à la dignité humaine (AUBERT/MAHON, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, 2003, n° 4 ad art. 12 Cst.). En effet, le droit

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constitutionnel d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse est étroitement lié au respect de la dignité humaine garanti par l'art. 7 Cst. (ATF 135 I 119 consid. 7.3 p. 126; ATF 131 I 166 consid. 3.1 p. 172; AUBERT/MAHON, op. cit., n° 6 ad art. 7 Cst.; KATHRIN AMSTUTZ, Das Grundrecht auf Existenzsicherung, 2002, p. 71 ss; MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, in: Die schweizerische Bundesverfassung, Bernhard Ehrenzeller [Hrsg.], 2e éd. 2008, n° 7 ad art. 12 Cst.; PETER UEBERSAX, Nothilfe: Gesetze auf Verfassungsmässigkeit prüfen, Plädoyer 2006 4 p. 46), lequel sous-tend l'art. 12 Cst.
3.4 En l'espèce, comme le constate le jugement attaqué, le recourant est âgé de trente-quatre ans, célibataire, sans charge de famille et sans problèmes médicaux attestés. Le fait de devoir passer la nuit dans un lieu d'hébergement collectif pour un homme célibataire et en bonne santé n'est certainement pas contraire, dans les présentes circonstances, aux exigences minimales garanties par l'art. 12 Cst. Au sujet des conditions d'hébergement dans un abri PC et des conditions d'accueil dans une structure de jour, il faut relever que, du fait de son statut de ressortissant étranger en situation illégale, le recourant se trouve, par rapport à l'autorité, dans un rapport particulier de dépendance, qui lui confère certes le droit d'obtenir de l'aide, mais qui implique en contrepartie le devoir de se soumettre à certaines contraintes pouvant limiter sa liberté, à tout le moins tant que celles-ci restent dans des limites acceptables et ne constituent pas une atteinte grave à ses droits fondamentaux. En cas d'atteinte grave, l'intéressé bénéficie d'une protection juridique et peut recourir aussi bien contre les actes particuliers que contre le comportement général du personnel ou des responsables du centre d'hébergement. Il est en effet en droit d'obtenir une décision qui sera le plus souvent une décision en constatation (ATF 135 I 119 consid. 8.2 p. 128; ATF 133 I 49 consid. 3.2 p. 55 ss; ATF 128 II 156 consid. 3b p. 163 s.; voir aussi arrêt 2P.272/2006 du 24 mai

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2007 consid. 4). Des voies de droit sont prévues par le droit cantonal (art. 72 à 74 LARA: opposition et recours administratif; art. 92 al. 1 de la loi cantonale vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative [LPA; RSV 173.36]: recours de droit administratif devant le tribunal cantonal). Indépendamment de la réglementation cantonale, la garantie de l'accès au juge s'impose déjà par l'art. 86 al. 2 LTF (applicable également au recours constitutionnel subsidiaire par le renvoi de l'art. 114 LTF).
Les installations de protection civile sont certes des abris d'urgence qui, bien qu'habitables, ne sont pas conçus pour offrir des solutions d'hébergement sur le long terme. Le fait de devoir y séjourner dans le cadre d'une aide d'urgence, en principe transitoire, sans être tenu d'y passer tout ou partie de la journée (pour laquelle des centres d'accueil sont prévus), ne saurait toutefois être considéré comme relevant d'un traitement inhumain ou dégradant pour une personne qui - à l'instar du recourant - n'est pas spécialement vulnérable (cf. AMSTUTZ, op. cit., p. 219 s.). Les fluctuations, parfois très importantes, du nombre des demandes d'asile ne permettent pas toujours d'éviter d'héberger provisoirement des requérants dans des locaux de la protection civile. C'est ainsi que selon l'art. 28 LARA les demandeurs d'asile sont en principe hébergés dans des centres d'accueil ou dans des appartements; en cas d'afflux massif et inattendu de demandeurs d'asile, le département peut ordonner l'ouverture d'abris de protection civile afin d'héberger temporairement les personnes visées à l'art. 2 LARA, soit notamment celles qui séjournent illégalement dans le canton de Vaud (voir aussi à ce sujet l'arrêt 2C_626/2012 du 9 juillet 2012). Par ailleurs, le recourant ne fait valoir aucun fait de nature à établir que son hébergement dans un abri PC a entraîné des effets physiques ou psychologiques préjudiciables. Dans ces conditions,

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les inconvénients dont se plaint le recourant n'atteignent pas le minimum nécessaire de gravité pour tomber sous le coup de l'art. 3 CEDH. Le grief est dès lors infondé.
L'art. 8 par. 1 CEDH garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, c'est-à-dire le droit de toute personne de choisir son mode de vie, d'organiser ses loisirs et celui de nouer et de développer des relations avec ses semblables, respectivement d'entretenir librement ses relations familiales et de mener une vie de famille. Le droit au respect de la vie privée protège notamment l'intégrité physique et morale d'une personne; il est destiné à assurer le développement sans ingérences extérieures de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables (arrêt de la CourEDH Botta contre Italie du 24 février 1998, Recueil CourEDH 1998-I p. 412 § 32). Le droit au respect de la vie privée garantit aussi le droit de l'individu au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en toute tranquillité, dudit espace. Des atteintes au droit au respect du domicile ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l'entrée dans le domicile d'une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences (arrêt de la CourEDH Moreno contre Espagne du 16 novembre 2004, Recueil CourEDH 2004-X p. 307 § 53).
Par ailleurs, si la CourEDH a reconnu que l'art. 8 CEDH a non seulement pour objet de prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics mais peut aussi impliquer, dans certaines circonstances, des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (parmi d'autres, arrêt Botta, § 33), elle a toutefois retenu que cette disposition n'impose pas aux Etats contractants l'obligation de fournir certaines prestations financières ou de garantir un certain niveau de vie (arrêt Petrovic contre Autriche du 27 mars 1998, Recueil CourEDH 1998-II p. 579 §§ 26 ss).
En conséquence, les conditions d'hébergement dans un abri PC d'une personne sous le coup d'une décision de renvoi exécutoire ne sauraient, compte tenu de la situation personnelle et familiale du recourant, constituer une atteinte à la vie privée ni toucher au respect du domicile au sens de l'art. 8 par. 1 CEDH.