BGE 89 I 343
 
50. Extrait de l'arrêt du 11 septembre 1963 dans la cause Zumbrunnen contre Chemins de fer fédéraux.
 
Regeste
Art. 19 lit. a EntG.
 


BGE 89 I 343 (343):

Considérant en droit:
A vrai dire, dans l'avant-projet qu'il avait été chargé de rédiger, JÄGER se fondait sur la date de l'audience de conciliation tenue par le président de la Commission d'estimation et, en l'absence d'une telle séance, sur le jour où la commission elle-même siégerait. Le Conseil fédéral renonça toutefois à recommander au Parlement l'adoption d'une telle disposition. Il relève dans son message que les avis étaient très partagés au sein de la commission d'experts; la pratique se reportait généralement au moment du dépôt des plans et s'en tiendrait probablement à cette date; elle avait cependant dérogé à la règle en cas de procédure

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prolongée et il serait parfois injuste de ne pas faire bénéficier l'exproprié des augmentations de valeur survenues en cours d'instance (FF 1926 II p. 32). Lors des débats au Conseil national, le rapport de langue française exposa qu'à défaut d'entente sur une des trois dates envisagées - dépôt des plans, inspection des lieux par la Commission d'estimation, ouverture de la procédure de conciliation - il fallait s'en remettre à la jurisprudence, qui déciderait en s'inspirant des besoins de la pratique (Bulletin sténographique, Conseil national, 1928, p. 599).
On ne saurait dès lors tirer quelque indication des opinions formulées au cours de la genèse de la loi.
Sous l'empire de l'ancienne loi fédérale du 1er mai 1850 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, la jurisprudence tablait en principe sur la date du dépôt des plans ou le terme du délai fixé par la loi (art. 11 et 12) pour produire les demandes d'indemnités. Le Tribunal fédéral avait adopté cette solution en 1896 déjà, non sans préciser toutefois que, si l'expropriant tardait à introduire la procédure ou l'interrompait, il devrait supporter les augmentations de valeur survenues entre le dépôt des plans et l'estimation (RO 22 p. 56 ss.). L'année suivante, dans une espèce où un certain temps s'était écoulé entre le dépôt des plans et l'ouverture de la procédure, le Tribunal fédéral se fonda en principe sur la date à laquelle les parties avaient comparu devant la commission d'estimation (RO 23 I 605). Quelques années plus tard, dans un cas où les experts avaient tenu compte - avec l'accord tacite des parties - de la différence de prix qui s'était produite entre le dépôt des plans et le jour de l'estimation, il alla jusqu'à accorder à l'exproprié, à partir de cette dernière date, un intérêt sur l'indemnité d'expropriation en raison du dommage résultant de l'interdiction d'aliéner (RO 29 II 592 ss.). Il confirma cette jurisprudence par la suite (RO 36 II 162 ss.).


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Dans l'application de la législation en vigueur, le Tribunal fédéral a varié. Le 19 mai 1949, dans les causes Hefefabriken AG et Engler c. Confédération suisse, il a jugé que les parties avaient admis avec raison les chiffres que les experts désignés par lui avaient arrêtés au moment de leurs estimations. Le 3 octobre 1956, dans l'affaire Tomek c. Einwohnergemeinde Basel, la Cour de droit public, saisie d'un recours pour violation de l'art. 4 Cst., affirme que le moment de l'estimation est en pratique déterminant; elle a néanmoins rejeté le grief d'arbitraire dirigé contre une décision cantonale qui s'était reportée au dépôt de la demande auprès de la Commission d'expropriation et non au jour de l'exécution du jugement fixant l'indemnité, comme le demandait le recourant; elle n'a pas examiné, en revanche, s'il était arbitraire de préférer la date du dépôt de la demande à celle de l'estimation par la commission, car le moyen n'avait pas été invoqué dans le recours. Le 12 décembre 1956, l'arrêt Gian Luzio et consorts c. Ville de Zurich a repris les évaluations des experts nommés par le Tribunal fédéral, quoiqu'elles fussent fondées sur le moment où elles avaient eu lieu. Le 12 décembre 1962, dans la cause Syz et consorts c. Ville de Zurich, la Cour de droit public s'est appuyée sur l'arrêt Tomek pour repousser un recours incriminant d'arbitraire une décision cantonale qui s'en était tenue à la date du prononcé de la Commission d'estimation La jurisprudence récente des cours cantonales retient généralement la date de l'estimation par l'autorité statuant en premier ressort. A Zurich, l'Obergericht s'était placé tout d'abord au moment de la publication du plan d'expropriation (ZR 39 (1940) no 31). Mais le Kassationsgericht a déclaré par la suite qu'en période de hausse des prix, cette solution était contraire au "klares Recht"; il s'est fondé sur la date des estimations de la commission de première instance (ZR 51 (1952) no 70; 57 (1958) no 96). Le Verwaltungsgericht a adopté cette pratique (Rechenschaftsbericht 1961 no 124; 1962 no 131). De son côté,

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l'Obergericht argovien s'est prononcé dans le même sens (AGVE 1957 p. 110). Enfin, le Verwaltungsgericht de Bâle-Campagne a jugé récemment qu'en principe, la Commission d'expropriation devait fixer la valeur du droit exproprié le jour de son estimation, c'est-à-dire celui des débats; en cas de recours, la date déterminante est celle de la comparution des parties devant l'autorité de seconde instance (BJM 1963 p. 180 s.).
4. La doctrine n'est pas unanime. Le commentateur de la loi fédérale actuelle, HESS, se borne à constater le silence des textes et à reprendre l'opinion du Conseil fédéral (n. 1 ad art. 20 LEx.). Les auteurs de monographies traitant de l'expropriation en général ou d'un droit particulier se fondent en principe soit sur le moment du transfert du droit à l'expropriant (SIEBER, Das Recht der Expropriation, 1889, p. 214; DE WEISS, De l'expropriation pour cause d'utilité publique, 1897, p. 293; GRAF, Das eidgenössische Expropriationsrecht, 1905, p. 80), soit sur la date de l'estimation (BECK, Das Enteignungsrecht des Fürstentums Liechtenstein, 1950, p. 106; SONDER, Das Enteignungsrecht des Kantons Graubünden, 1952, p. 96 s.; GALLUSSER, Das Enteignungsrecht des Kantons St. Gallen, 1952, p. 86) ou sur le jour du dépôt des plans (FREY, Das zürcherische Expropriationsrecht, 1918, p. 77 s.; KUONI, Das Enteignungsrecht des Kantons Graubünden, 1959, p. 129). Pour sa part, IMBODEN écrit que la pratique récente tend à fixer la valeur du droit exproprié au moment de l'estimation par l'autorité de première instance; exceptionnellement, lorsque le droit passe à l'expropriant avant la clôture de la procédure d'estimation, le moment du transfert effectif sera déterminant (Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, 1960, no 46 p. 146). En dernier lieu, AUBERT rapporte que la jurisprudence cantonale, tenant compte du renchérissement actuel du sol, arrête fréquemment l'indemnité à la date de l'estimation par la commission (ZBl 64 (1963) p. 383).
5. La question discutée doit être résolue en s'inspirant

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des principes posés par la loi. Selon les art. 16 et 19 litt. a LEx., l'exproprié a droit à une "indemnité pleine et entière", comprenant notamment "la pleine valeur vénale du droit exproprié". Il ne doit ni s'appauvrir ni s'enrichir du fait de l'expropriation. Tous les justiciables étant égaux devant les charges publiques, l'exproprié sera placé sur le même pied que les non-expropriés. Pour cela, il doit obtenir un dédommagement qui le rétablisse dans la situation économique où il serait sans l'expropriation. Dès lors, il faut que le montant alloué lui permette d'acquérir un bien équivalent à celui dont il est privé contre son gré (AUBERT, ZBl 63 (1962) p. 553 et 64 (1963) p. 383). Or, aussi longtemps qu'il n'a pas reçu l'indemnité, l'exproprié n'est pas en mesure de se procurer un objet de remplacement. Partant, il ne sera complètement dédommagé que si la valeur vénale du droit exproprié est déterminée au moment du versement de l'indemnité.
D'impérieuses raisons d'ordre pratique font cependant obstacle au mode de calcul qui serait souhaitable en théorie. La Commission d'estimation, qui procède à une évaluation, ignore quand l'indemnité sera versée; elle ne sait pas si sa décision sera attaquée et, le cas échéant, combien de temps durera la procédure de recours. Les experts désignés par le Tribunal fédéral ne sont pas non plus renseignés sur la date de son arrêt. Dès lors, tabler sur la valeur vénale au jour du règlement de l'indemnité, ce serait faire une conjecture qui, lorsque les variations de prix sont rapides et considérables, se révélerait souvent inexacte. Mais s'il faut écarter cette date, le principe de l'indemnisation pleine et entière commande tout de même de s'en éloigner le moins possible.
a) On pourrait d'abord envisager, en cas de recours au Tribunal fédéral, de se fonder sur la date où les experts désignés par cette autorité évaluent le droit exproprié. Un motif juridique s'y oppose toutefois. Comme juridiction de recours, le Tribunal fédéral vérifie la régularité du prononcé de la Commission d'estimation. Il ne le modifie

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que s'il le juge erroné. Aussi doit-il s'en tenir à l'état de fait existant au moment où l'autorité inférieure a statué. S'il avait égard à des événements postérieurs, il serait amené parfois à corriger une décision qui était régulière le jour où elle a été prise. Il outrepasserait alors ses pouvoirs. La date à laquelle se sont prononcés les experts commis par le Tribunal fédéral ne saurait donc être choisie.
b) En revanche, il se justifie de prendre pour base le jour même où la Commission d'estimation a statué. Parmi les dates entrant en considération, c'est la plus proche du paiement de l'indemnité, c'est-à-dire celle qui s'accorde le mieux avec le principe de l'indemnisation pleine et entière. La solution retenue présente encore l'avantage de pouvoir être appliquée aisément par les commissions d'estimation aussi bien que par le Tribunal fédéral. Grâce aux connaissances et à l'expérience de certains de leurs membres, les commissions d'estimation sont en mesure de fixer elles-mêmes l'indemnité ou, du moins, de contrôler les appréciations des experts qu'elles consultent; aussi peut-on admettre que le jour où elles statuent coïncide en fait avec celui de l'évaluation. Quant au Tribunal fédéral, rien ne l'empêche d'inviter les experts qu'il choisit à se reporter à la date du prononcé de première instance.
Les solutions qui se fondent en principe sur un jour plus éloigné du paiement de l'indemnité, notamment sur celui du dépôt des plans, doivent être écartées, parce que contraires à la règle de la réparation pleine et entière. Elles auraient d'ailleurs l'inconvénient de créer une inégalité injustifiée entre les expropriés et les autres propriétaires qui, disposant librement de leur bien, peuvent le vendre à la valeur qu'il atteindra lors du versement du prix.
Certes, en faveur de la date du dépôt des plans, on prétend qu'il s'agit d'une base fixe, c'est-à-dire d'une garantie de sécurité. Il n'en est pas moins vrai que, si le moment où statue la Commission dépend dans une certaine mesure de l'attitude des parties, celui du dépôt des plans n'est pas prévu invariablement par la loi ou par l'autorité, mais est choisi par l'expropriant.


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On soutient encore qu'au contraire de la date du prononcé de la Commission d'estimation, celle du dépôt des plans a l'avantage de se concilier avec l'art. 21 al. 1 LEx. Assurément, aux termes de cette disposition, "l'estimation de la valeur vénale des immeubles doit tenir compte des servitudes existant lors du dépôt du plan d'expropriation". Il ne s'ensuit pas toutefois que le moment du dépôt des plans soit toujours décisif. En adoptant l'art. 21 al. 1, le législateur entendait probablement éviter que le montant de l'indemnité puisse être influencé par les actes juridiques accomplis par l'exproprié en cours de procédure. Mais on ne saurait déduire de cette disposition que l'indemnité doive être fixée sans égard aux circonstances survenues indépendamment de la volonté de l'exproprié ou de l'expropriant, telles les variations générales du prix des immeubles. Au demeurant, il y a d'autant moins lieu de considérer l'art. 21 al. 1 comme un cas d'application d'un principe général que le législateur a exprimé l'intention de laisser la jurisprudence fixer la date à laquelle doit être évalué le bien exproprié.
c) A l'encontre de l'opinion soutenue par les intimés, le principe de l'évaluation au jour où la Commission d'estimation a statué ne doit souffrir aucune exception dans le cas où, plusieurs expropriés étant en cause, certains souscrivent d'emblée aux propositions de l'expropriant, tandis que d'autres préfèrent poursuivre la procédure. Si les indemnités offertes étaient insuffisantes, ceux qui s'en seront contentés ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes d'avoir négligé la défense de leurs intérêts. D'autre part, les chiffres proposés fussent-ils suffisants, le principe d'égalité ne serait pas nécessairement violé pour autant. Au contraire, l'inégalité éventuelle se justifierait généralement par une différence de situation. Les expropriés qui auront acquiescé aux offres de l'expropriant recevront immédiatement une indemnité assez élevée pour être à même de se procurer un objet de remplacement. Or, si les autres expropriés obtiennent après la fin de la procédure une somme supérieure, c'est parce qu'à ce moment-là, l'acquisition

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d'un bien de remplacement coûtera plus cher; le montant encaissé ne leur permettra donc, à eux aussi, que d'acheter un tel bien.
Il est vrai que, si les premiers n'ont pas trouvé l'occasion d'acquérir un bien semblable à celui qui leur a été enlevé, mais seulement des valeurs de moindre rapport, ils se trouveront désavantagés en fait. Mais de toute façon, l'inégalité qui se produirait en l'occurrence entre les expropriés serait moins grave que celle que ferait naître entre les expropriés et les non-expropriés le choix d'une date antérieure à la décision de la Commission d'estimation.
d) On peut se demander s'il conviendrait de déroger à la règle, lorsque l'expropriant obtient l'envoi en possession anticipé, et de fixer alors l'indemnité au moment du transfert de possession, comme le propose Imboden dans l'ouvrage cité plus haut. L'art. 76 al. 2 LEx. permet à l'exproprié dépossédé prématurément de son droit de requérir des sûretés, des acomptes, l'intérêt usuel dès la prise de possession, voire une indemnité en cas de préjudice supplémentaire. Mais ces prestations ont pour seul but de prévenir ou de réparer le dommage qui résulte de l'envoi en possession anticipé: la fourniture de sûretés et d'acomptes est une garantie contre le défaut de paiement de l'indemnité d'expropriation; quant à l'intérêt et à l'indemnité complémentaire, ils compensent la perte de la jouissance du droit exproprié. Somme toute, l'art. 76 al. 2 LEx. ne vise qu'à rétablir entre les divers expropriés l'égalité que rompt l'envoi en possession anticipé. En revanche, les prestations accordées par cette disposition sont indépendantes des changements de valeur que peut subir le droit exproprié en cours de procédure. Si elles s'ajoutent simplement à une indemnité déterminée au moment de la prise de possession, elles ne permettent pas à l'exproprié, en cas de hausse des prix, de se procurer un objet de remplacement. Dès lors, elles ne justifient pas la dérogation envisagée, du moins lorsque, comme en l'espèce, l'expropriation enlève au propriétaire son immeuble

BGE 89 I 343 (351):

tout entier et que le transfert de possession anticipé ne concerne qu'une partie du bien-fonds, c'est-à-dire environ le quart de sa valeur. La question peut demeurer indécise dans l'hypothèse, non réalisée ici, d'une expropriation partielle avec envoi en possession anticipé de tout le droit exproprié.
e) Enfin, il se peut que l'exproprié ou l'expropriant s'efforcent de prolonger la procédure et de retarder la décision de la Commission d'estimation, le premier pour obtenir un supplément d'indemnité en cas de hausse des prix et le second pour payer moins en période de baisse. Pareille spéculation nécessiterait peut-être une réserve en ce sens que la partie qui aurait refusé en cours d'instance une proposition qu'elle devait manifestement tenir pour raisonnable, ne saurait se prévaloir des modifications de prix ultérieures. Mais la question peut rester indécise. En l'espèce, en effet, les intimés ont offert au recourant, à l'audience de conciliation, une indemnité de 107 000 fr. Cette somme est nettement inférieure à la valeur que les experts attribuent aux parcelles expropriées en se reportant à la même époque (170 000 fr.). Le recourant n'ayant ainsi continué la procédure que pour défendre des intérêts légitimes, la réserve envisagée lui serait de toute manière inapplicable.