BGE 80 I 239
 
39. Extrait de l'arrêt du 7 juillet 1954 dans la cause Hydrocarbures SA contre Conseil d'Etat du Canton de Vaud.
 
Regeste
Eigentumsgarantie.
Begriff der zivilrechtlichen Streitigkeit im Sinne des Art. 42 OG.
 
Sachverhalt


BGE 80 I 239 (240):

A.- Au mois de mai 1934, la Société anonyme des Hydrocarbures (ci-après la Société) a requis du Conseil d'Etat l'autorisation de faire des recherches de tous combustibles autres que houille, lignite et tourbe sur certaines zones du territoire vaudois. Conformément à l'art. 14 de la loi vaudoise du 6 février 1891 sur les mines, elle a demandé que cette autorisation lui fût accordée pour une durée de deux ans, en se réservant le droit de requérir une ou plusieurs prolongations de ce délai pour le cas où ses recherches n'auraient pas abouti dans l'intervalle. Par décision du 11 juillet 1934, le Conseil d'Etat a fait droit à cette requête. Dans une "convention" du 1er avril 1935, il s'est engagé à délivrer à la société, à la demande de celle-ci, un permis spécial de recherches de graphite, bitume, pétrole et autres huiles minérales à l'état solide, liquide ou gazeux. L'art. 4 du premier chapitre de la convention dispose ce qui suit: "Ce permis spécial de recherches sera valable dans un périmètre délimité et pour deux ans; il sera renouvelé pour la même période si les conditions fixées par la présente convention et par le règlement y annexé ont été entièrement respectées et si les travaux n'ont pas été interrompus pendant plus de six mois avant la demande de renouvellement".
L'autorisation en question a sorti ses effets dès le 23 janvier 1935 et a été renouvelée tous les deux ans jusqu'au 23 janvier 1953 malgré la modification qu'une novelle du

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26 mai 1943 a apportée à l'art. 14 de la loi de 1891, en réduisant à trois mois la validité du permis de recherches, auparavant de deux ans.
Dans le courant de l'année 1952, le Conseil d'Etat a été saisi d'une demande d'autorisation présentée par un tiers. Il est alors entré en litige avec la Société au sujet de la durée de validité du permis de recherches. Le 17 février 1953, il a décidé notamment qu'à l'avenir tout renouvellement de l'autorisation serait fait pour une durée de trois mois, conformément à la novelle du 26 mai 1943. La Société a déféré cette décision au Tribunal fédéral qui, toutefois, a déclaré son recours irrecevable par arrêt du 10 juillet 1953.
B.- Entre temps, le Conseil d'Etat avait été saisi de deux nouvelles demandes d'autorisation. Après l'arrêt du Tribunal fédéral, il a repris ses pourparlers avec la société pour tenter d'arriver à un accord fixant la délimitation du périmètre des recherches et la durée du permis. Aucun arrangement n'étant intervenu, il a pris, le 6 avril 1954, la décision suivante:
"1. - Il est accordé à la SA des Hydrocarbures ... une autorisation générale et exclusive de recherche de graphite, bitume, pétrole et autres huiles minérales, à l'état solide, liquide ou gazeux, dans le périmètre tracé sur la carte annexée à la présente décision" (périmètre réduit par rapport à celui qui avait été accordé auparavant).
" ... 3. - La présente autorisation est accordée pour une durée de trois mois dès le 15 mars 1954; elle est renouvelable de trois mois en trois mois, mais à la condition que la bénéficiaire poursuive effectivement ses recherches en surface selon un programme détaillé qu'elle soumettra à l'approbation du Conseil d'Etat avant la première échéance de la présente autorisation.
" 4. - Après chaque demande de renouvellement, la SA des Hydrocarbures présentera au Département des Travaux publics un rapport détaillé sur les rechercheeffectuées...


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" 5. - La présente autorisation ne sera en tout cas pas renouvelée après plus de deux ans si, dans l'intervalle, la SA des Hydrocarbures n'a demandé aucun permis de recherches en profondeur ou si, ayant obtenu de tels permis, elle ne mène pas les travaux de forage à un rythme suffisant."
A l'appui de sa décision, le Conseil d'Etat expose que la société n'est pas au bénéfice "d'une sorte de droit de recherche de durée illimitée"; ni lui ni elle n'ont voulu constituer, par la convention de 1935, un droit de cette nature, qui aurait d'ailleurs été contraire à la loi de 1891. Si néanmoins, de 1937 à 1951, il a accordé sans discussion à la société de nombreuses prolongations du permis, c'est uniquement afin de se conformer aux assurances qu'il avait données à l'époque de la signature de la convention pour tenir compte de la longueur des recherches en surface. Aujourd'hui, on doit considérer que la société a eu le temps de mener ces recherches à chef et qu'elle est en mesure de déterminer sur quel point du territoire elle entend concentrer ses efforts et poursuivre ses investigations en profondeur. La situation créée en 1935 ne saurait donc durer plus longtemps. L'intérêt public commande que les travaux soient poursuivis par plusieurs sociétés, chacune sur un périmètre déterminé. Celui qu'il convient d'accorder à la Société des Hydrocarbures doit comprendre la région à laquelle cette entreprise s'est effectivement intéressée jusqu'à maintenant, tandis que le reste du territoire vaudois doit être réservé à d'autres prospecteurs. Quant à la durée de l'autorisation, elle ne peut être que de trois mois, conformément à la novelle de 1943, ce qui n'empêchera cependant pas le renouvellement du permis, même à plusieurs reprises, si la société poursuit activement ses recherches.
C.- Contre cette décision, la Société interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Ses conclusions sont les suivants:
"1. - que la décision prise par le Conseil d'Etat le 6 avril 1954 est annulée.


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" 2. - que la convention passée entre elle et l'Etat de Vaud le 1er avril 1935 est maintenue dans tout son contenu.
" 3. - qu'en conséquence l'autorisation de faire des recherches de pétrole sera renouvelée pour le périmètre délimité par cette convention, pour une durée de deux ans renouvelable et aux conditions fixées par elle ..."
La recourante estime que la décision attaquée, dans la mesure où elle réduit le périmètre des recherches et la durée de validité du permis, porte atteinte à ses droits acquis et viole l'art. 4 Cst. féd. ainsi que les art. 2 et 6 Cst. vaud. garantissant l'égalité des citoyens devant la loi et le droit de propriété. Comme la recourante ne justifie le grief tiré d'une inégalité de traitement que par la violation de ses droits acquis et de son droit de propriété, le premier moyen n'a pas de portée distincte et se confond avec le second. Les droits acquis dont la recourante se prévaut ainsi découlent, selon elle, de la convention du 1er avril 1935 qui obligerait l'Etat de Vaud à accorder une autorisation renouvelable de deux ans en deux ans et sur tout le périmètre précédemment délimité.
Sur la question de la recevabilité, la recourante expose qu'elle ne peut attaquer l'Etat de Vaud par la voie du procès direct institué par l'art. 42 OJ, car sa prétention ne tend pas à des dommages-intérêts fondés sur une atteinte à ses droits pécuniaires. Elle entend simplement demander au Tribunal fédéral de constater qu'elle a droit à une autorisation renouvelable de deux ans en deux ans et valable sur le périmètre fixé par la convention de 1935. Comme il faut pour cela annuler la décision attaquée et qu'il n'y a pas de procès direct possible, il ne reste que le recours de droit public. D'ailleurs, on ne saurait envisager l'ouverture d'une action en fixation de droit contre l'Etat de Vaud. En effet, les droits que la recourante entend déduire de la convention sont indiscutables. De plus, pareille action serait insuffisante pour obtenir l'annulation de la décision attaquée et le maintien de la recourante dans ses droits acquis.


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D.- Invité à se déterminer exclusivement sur la recevabilité du recours, le Conseil d'Etat conclut à ce que les conclusions 2 et 3 soient déclarées irrecevables. En ce qui concerne la conclusion 1, recevable à la forme, il voudrait que, pour des raisons d'opportunité et pour gagner du temps, le Tribunal fédéral statue sur la contestation.
 
Considérant en droit:
En l'espèce, le Conseil d'Etat se défend de porter atteinte aux droits acquis que la recourante prétend avoir en vertu de la convention du 1er avril 1935. Il en conteste au contraire l'existence. Comme ces droits acquis n'ont pas été constatés dans un jugement, il faut rechercher si la recourante peut agir par la voie judiciaire et si, notamment, elle peut intenter à l'Etat de Vaud un procès direct au sens de l'art. 42 OJ. Dans ce dernier cas, le recours de droit public serait irrecevable, conformément au principe de la subsidiarité posé par l'art. 84 al. 2 OJ et qui est aussi applicable en ce qui concerne le procès direct prévu par l'art. 42 OJ (RO 72 I 287). Cette question doit d'ailleurs être examinée d'office, quel que soit l'avis des parties et lors même qu'elles ont l'une et l'autre requis le Tribunal fédéral de statuer sur le fond.
3. Aux termes de l'art. 42 OJ, "le Tribunal fédéral

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connaît en instance unique des contestations de droit civil entre un canton d'une part et des particuliers ou collectivités d'autre part, lorsque l'une des parties le requiert en temps utile et que la valeur litigieuse est d'au moins 4000 francs".
Cette disposition n'est qu'une disposition d'exécution de l'art. 110 ch. 4 Cst. Lorsque l'art. 110 ch. 4 a été promulgué, la distinction entre le droit privé et le droit public était différente des idées de la doctrine actuelle sur cette question. S'agissant d'interpréter l'art. 110 ch. 4 et ses prescriptions d'exécution, l'art. 48 OJ anc. puis l'actuel art. 42 OJ, la jurisprudence s'en est toujours tenue aux principes qui ont guidé le législateur constitutionnel. La notion de contestation de droit civil au sens de l'art. 42 OJ est donc une notion historique et traditionnelle. Elle comprend des litiges qui, d'après les conceptions d'aujourd'hui, relèvent du droit public, mais qui, jadis, étaient assimilés quant au contentieux à des procès civils (RO 78 I 380; 78 II 26; 75 II 249; 62 II 295).
Parmi les actions déclarées recevables en vertu de l'art. 42 OJ, la jurisprudence distingue deux catégories:
Dans une première catégorie, le Tribunal fédéral range les demandes de dommages-intérêts extracontractuels formées contre l'Etat par un particulier lésé dans ses intérêts personnels soit par des actes illicites, soit par des actes licites du pouvoir public, mais pouvant impliquer l'obligation pour l'Etat de réparer le dommage causé (RO 63 II 50; 62 II 296; 49 II 416/417).
La seconde catégorie comprend des réclamations de deux ordres. Il s'agit tout d'abord de celles qui découlent d'un véritable contrat de droit public, c'est-à-dire d'un rapport juridique existant entre l'Etat et un particulier et né d'un accord librement consenti de part et d'autre sur tous les points. Mais cette seconde catégorie comprend également, et par extension, les réclamations fondées sur un rapport de droit particulier, créé par un acte souverain et unilatéral de l'Etat, dans lequel toutefois le citoyen est

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entré librement et qui, de ce fait, sans être à proprement parler contractuel, confère cependant au particulier certains droits privés qu'il peut poursuivre devant les tribunaux civils d'après les idées traditionnelles décisives pour l'interprétation de l'art. 42 OJ (RO 78 II 26 et les arrêts cités, notamment RO 63 II 50; 62 II 296/297; 58 II 473). Telles sont, selon la jurisprudence, les prétentions pécuniaires appartenant au fonctionnaire en vertu de ses rapports de service (RO 72 I 287/288). Telles sont également les contestations ayant pour objet une concession, tout au moins certaines d'entre elles, car sur ce point la jurisprudence fait une distinction.
En effet, les règles régissant les rapports entre l'Etat, autorité concédante, et le concessionnaire sont ordinairement de deux natures. Les unes sont fixées unilatéralement par le pouvoir public, notamment par la loi. Ainsi, l'octroi de la concession lui-même se présente généralement comme un acte unilatéral, soumis exclusivement aux dispositions de la loi, notamment à celles qui prévoient la caducité ou la révocation de la concession (RO 41 II 160; 43 II 448/449; 49 II 417; 62 II 297; 63 II 51). D'autres règles aussi sont parfois fixées de façon unilatérale par la puissance publique, ainsi celles qui concernent les émoluments et les taxes (RO 34 II 835; 41 II 160; 49 II 417; 62 II 297; 63 II 51). Mais, à côté de ces dispositions impératives réglant la concession, il existe des clauses fixées par l'acte de concession lui-même et fondées sur un accord passé entre l'autorité concédante et le concessionnaire, le cas échéant après des pourparlers entre eux.
Cette distinction dans la nature des rapports aboutit à une distinction quant à la juridiction. En effet l'art. 42 OJ ne vise que "des liens juridiques noués d'un commun accord après pourparlers et non de purs et simples actes d'autorité discrétionnaires pour lesquels l'intéressé n'est même pas consulté, tout ce qu'il peut faire étant de se soumettre aux conditions posées" (RO 62 II 297). Dès lors, en matière de concession, l'art. 42 OJ n'est applicable que

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lorsque la contestation a pour objet les clauses adoptées en toute liberté par l'une et l'autre des parties après accord entre elles. En effet, seules les contestations de cette nature peuvent être assimilées aux cas où "la demande se fonde sur un rapport juridique de nature particulière, créé par un acte souverain et unilatéral, mais dans lequel le citoyen entre librement et qui, à cet égard, est analogue à un contrat" (RO 63 II 50). En revanche, le Tribunal fédéral ne pourrait être saisi par la voie d'un procès direct, d'un litige portant sur les dispositions de la concession réglées impérativement par la puissance publique ou par la loi. Aussi bien a-t-il jugé irrecevable "les actions touchant à l'existence même de la concession ou à l'étendue des droits de l'Etat concessionnaire (redevances)" (RO 62 II 297).
Cette convention, d'après les propres termes de son préambule, est basée sur "la correspondance échangée entre parties". Les conditions qu'elle fixe au sujet du renouvellement du permis n'ont pas leur source dans la loi. Elles sortent du cadre tracé par elle et sont justifiées par les capitaux très considérables que la société devait investir dans l'entreprise. Elles ont pour objet une situation particulière, que le législateur n'avait pas prévue et que les parties ont réglée d'un commun accord entre elles et après avoir eu de longs pourparlers. La convention du 1er avril 1935 ne constitue donc pas, de la part de l'Etat, un pur et simple acte d'autorité discrétionnaire pour lequel la société n'aurait pas même été consultée et auquel elle n'aurait eu qu'à se soumettre. Il s'agit bien plutôt d'un de ces liens juridiques noués d'un commun accord après pourparlers. La contestation dont ces rapports de droit

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sont l'objet est ainsi une contestation de droit civil au sens de l'art. 42 OJ. Elle rentre dans la seconde catégorie d'actions déclarées recevables en vertu de cette disposition et qui comprennent les réclamations fondées sur un rapport de droit public auquel le particulier adhère librement. Il n'est pas nécessaire de rechercher si l'Etat de Vaud et la société sont liés par une concession. Car, même si tel était le cas, la contestation qui les divise demeurerait une contestation de droit civil au sens de l'art. 42 OJ puisqu'elle aurait pour objet non une disposition impérative réglant la concession, mais l'une de ces clauses fondées sur un accord passé, après pourparlers, entre l'autorité concédante et le concessionnaire.
S'agissant d'une contestation de droit civil au sens de l'art. 42 OJ, le Tribunal fédéral ne peut être saisi par la voie du procès direct que si la valeur litigieuse est d'au moins 4000 fr. Sur ce point, les parties, qui se sont déterminées sur la question de recevabilité, n'ont pas donné de renseignements précis. Mais elles n'ont pas mis en doute non plus que la valeur litigieuse prévue par la loi ne soit atteinte. Du reste, il est manifeste, vu l'importance des intérêts en cause, que la question soumise au Tribunal fédéral représente pour la société une somme bien supérieure à 4000 francs.
Dans ces conditions, le Tribunal fédéral serait compétent pour se saisir d'une action directe au sens de l'art. 42 OJ, soit qu'elle tende à l'exécution d'une prestation, soit qu'elle constitue une action en fixation de droit (arrêt non publié du 22 novembre 1935 dans la cause Eisenbahngesellschaft Langenthal-Huttwil A.-G. c. Canton de Berne). Cela seul suffit à déclarer le recours de droit public irrecevable conformément à l'art. 84 al. 2 OJ, sans qu'il y ait lieu de rechercher encore si l'on pourrait mettre en doute la recevabilité du recours en raison de la nature de la décision et des effets qu'elle sortit à l'égard de la société. D'ailleurs, le procès direct est dans l'intérêt évident des deux parties, car le Tribunal fédéral pourra examiner les questions qui lui

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seront soumises avec un pouvoir plus étendu qu'il ne le pourrait s'il statuait sur le recours de droit public. En outre, dans cette seconde hypothèse, la question des droits acquis ne serait examinée qu'à titre préjudiciel. Elle ne serait donc pas réglée avec les effets de la chose jugée, ce qui ne laisserait pas de présenter certains inconvénients tant pour l'Etat que pour la société.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral
déclare le recours irrecevable.