BGE 108 Ia 64
 
14. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 mars 1982 dans la cause X contre Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit public)
 
Regeste
Haftverlängerung; persönliche Freiheit.
2. Die Voraussetzungen der Haftverlängerung sind dieselben, ob die Verlängerung im Untersuchungsverfahren oder für den Zeitraum zwischen Urteilsfällung und Eintritt der Rechtskraft durch das urteilende Gericht angeordnet wird (E. 3).
 
Sachverhalt


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X a été arrêtée, pour sa participation à un important vol de métaux précieux, commis à main armée dans l'établissement Y. La Chambre d'accusation a, à plusieurs reprises, soit refusé la mise en liberté provisoire de la prévenue, soit autorisé la prolongation de sa détention, en se fondant sur les motifs de la gravité concrète de l'infraction, des besoins de l'instruction et du risque de collusion.


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Par jugement du 19 juin 1981, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné X. à la peine de 20 mois d'emprisonnement pour complicité de brigandage, vol, diffamation et calomnie, alors que le procureur général avait requis contre elle une peine de 5 ans de réclusion, notamment pour brigandage. Le procureur général s'est pourvu en cassation contre ce jugement, les actes imputés à l'accusé ne relevant pas, à son avis, de la simple complicité mais de la coactivité de brigandage simple. Par arrêt du 10 novembre 1981, la Cour de cassation du canton de Genève a admis le pourvoi, annulé l'arrêt de la Cour d'assises en ce qui concerne la participation de X. au brigandage commis chez Y. et renvoyé la cause à cette juridiction pour qu'elle statue à nouveau.
Un pourvoi en nullité et un recours de droit public dirigés par X. contre cet arrêt sont actuellement pendants devant la Cour de cassation du Tribunal fédéral.
Le 15 décembre 1981, X. a requis la Chambre d'accusation de la mettre en liberté provisoire sous caution. Le procureur général a préavisé défavorablement cette requête, en se fondant sur les charges suffisantes, la gravité de l'infraction et les risques de fuite et de collusion. Par ordonnance du 23 décembre 1981, la Chambre d'accusation a rejeté la demande de mise en liberté. Après avoir admis que la requérante se trouvait toujours en détention préventive, le jugement rendu contre elle n'étant pas exécutoire, elle a toutefois considéré que cette détention revêtait un caractère particulier du fait même de ce jugement. Les recours dirigés contre ce dernier ne pouvant conduire à l'acquittement pur et simple, l'accusée ne bénéficierait plus de la présomption d'innocence. Or, c'est cette présomption d'innocence qui exclurait que la gravité de l'infraction puisse, à elle seule, justifier la prolongation d'une détention préventive. La gravité des actes reprochés à la requérante n'étant pas contestable, elle suffit ainsi à fonder le rejet de sa demande de mise en liberté. Se référant purement et simplement à cette ordonnance et à sa motivation, la Chambre d'accusation a, le 13 janvier 1982, rejeté une nouvelle demande de mise en liberté provisoire.
Agissant par la voie du recours de droit public, X. demande au Tribunal fédéral, d'une part, d'annuler les ordonnances de la Chambre d'accusation du canton de Genève des 23 décembre 1981 et 13 janvier 1982 et, d'autre part, d'ordonner sa mise en liberté provisoire. Elle soutient, en substance, que l'autorité cantonale a violé la garantie de la liberté personnelle, telle qu'elle découle du

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droit constitutionnel non écrit, et des art. 5 et 6 CEDH. Elle invoque, en outre, une violation arbitraire des art. 25 et 17 Cst. gen. et 154 du code de procédure pénale genevois du 29 juillet 1977 (CPP gen.).
La Chambre d'accusation et le procureur général du canton de Genève concluent au rejet du recours. Le Tribunal fédéral admet le recours dans le sens des considérants.
 
Considérant en droit:
a) Le grief tiré de l'application arbitraire du droit de procédure cantonale est, comme tel, recevable; invoqué en même temps que la violation de la liberté personnelle, il n'a toutefois pas une portée indépendante puisque, dans les cas d'incarcération, le Tribunal fédéral a un plein pouvoir d'examen de l'application et de l'interprétation du droit cantonal (ATF 105 Ia 29 et arrêts cités, ATF 104 Ia 302 /303).
b) Le Tribunal fédéral examine en principe librement l'application du droit constitutionnel cantonal quel que soit le principe dont la violation est alléguée, et non seulement sous l'angle restreint de l'arbitraire, comme paraît le concevoir la recourante (ATF 105 Ia 174 consid. 2a, ATF 98 Ia 53 consid. 3). Il faut toutefois relever que, des deux dispositions du droit constitutionnel cantonal dont celle-ci allègue la violation, l'art. 25 contient les règles que la Chambre d'accusation doit respecter lorsqu'elle prolonge la détention et l'art. 27 énumère les conditions auxquelles une demande de mise en liberté peut être refusée. La recourante ne prétend pas que les garanties qu'elles comportent aillent au-delà de celles offertes par le droit constitutionnel fédéral non écrit. Le grief tiré de la violation du droit constitutionnel cantonal n'a ainsi pas non plus de portée propre.
c) La recourante se borne à citer les art. 5 et 6 CEDH dans le préambule de ses conclusions. L'acte de recours n'y fait aucune autre allusion. Il est dès lors douteux que la simple invocation de ce grief réponde aux exigences de motivation posées par l'art. 90 al. 1 OJ. Quoi qu'il en soit, le Tribunal fédéral examine

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principalement si le maintien en détention se justifie au regard de la liberté personnelle telle qu'elle découle du droit interne. Les principes institués par la Convention européenne ne sont pris en considération pour l'interprétation et l'application de cette garantie qu'en tant qu'ils la concrétisent (ATF 105 Ia 29 consid. 2b, 102 Ia 381 consid. 2, 101 Ia 69 consid. 2c).
a) la gravité de l'infraction l'exige;
b) les circonstances font penser qu'il y a danger de fuite, de collusion, de nouvelle infraction;
c) l'intérêt de l'instruction l'exige.
L'autorité intimée ne conteste pas que la recourante se trouve toujours en détention préventive bien que la Cour d'assises ait rendu son jugement, celui-ci n'étant pas encore entré en force.
Elle ne conteste pas davantage que la gravité de l'infraction ne suffit pas, à elle seule, à justifier une prolongation de la détention préventive (ATF 106 Ia 407 consid. c). Il faut qu'en plus de cet élément l'une au moins des autres conditions posées à l'art. 154 CPP gen. soit réalisée. A cet égard, on peut relever que la perspective d'une longue peine privative de liberté constituera souvent une présomption de danger de fuite (ATF 107 Ia 6 consid. 5) qui justifiera, le cas échéant, le maintien en détention préventive, s'il n'est pas possible d'envisager objectivement d'autres mesures de nature à le prévenir (Préavis Bonnechaux SJ 1980 p. 586).
La Chambre d'accusation, de même que le procureur général dans ses observations, soutient simplement que la situation d'un inculpé, détenu préventivement, change dès qu'il a été condamné par l'autorité de jugement indépendamment du caractère exécutoire ou non de cette condamnation. Elle prétend que cette conception est conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral, telle qu'elle a été développée dans l'arrêt Pindeus (ATF 104 Ia 297 ss). C'est ce qu'il y a lieu d'examiner.
a) Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a été appelé à vérifier la constitutionnalité des nouvelles dispositions du code genevois de procédure pénale; ces dernières autorisent la mise en arrestation d'un prévenu par l'autorité de jugement ou son maintien en détention, après condamnation non encore en force, sans que la

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Chambre d'accusation ait été invitée à se prononcer sur une requête de prolongation au sens de l'art. 35 al. 2 CPP gen. Il a, au préalable, considéré qu'une privation de liberté peut résulter exclusivement soit d'un jugement exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt décerné pour les nécessités de l'instruction. Avant d'être exécutoire, un jugement ne constitue pas un jugement privant l'accusé de sa liberté, à moins que des dispositions précises du droit de procédure cantonale n'en permettent l'application provisionnelle. S'agissant de la privation de liberté d'une personne condamnée en vertu d'un jugement non exécutoire, le Tribunal fédéral a envisagé deux hypothèses: celle du prévenu qui, au moment de sa comparution devant l'autorité de jugement, se trouve en détention préventive, et celle où, alors qu'il se présente libre, il est placé immédiatement en état d'arrestation par le Tribunal. Cette deuxième hypothèse doit être assimilée à la première, l'arrestation par le Tribunal équivalant fondamentalement à la délivrance d'un mandat d'arrêt par le juge d'instruction. Il a admis que, dans les deux cas, la personne condamnée peut être maintenue en détention jusqu'à l'entrée en force du jugement, date à laquelle elle pourra commencer à exécuter sa peine. Si, pour des raisons pratiques, il ne se justifie pas de soumettre cette détention préventive au contrôle périodique de la Chambre d'accusation qui doit, ordinairement, en autoriser la prolongation conformément à l'art. 35 CPP gen., une telle réglementation ne se concilie avec les exigences de la liberté personnelle que si le condamné peut en tout temps s'adresser à la Chambre d'accusation pour demander sa mise en liberté provisoire, selon les art. 151 ss CPP gen. (ATF 104 Ia 300-302 consid. 3a et b).
b) L'autorité intimée et le procureur général dans ses observations donnent à cette jurisprudence, qui doit être maintenue, une portée qu'elle n'a pas. Hormis un assouplissement formel, elle ne soumet en effet pas à une différence de traitement, sur le plan matériel, la personne détenue à titre préventif, selon qu'elle l'est avant le jugement ou après celui-ci mais avant son entrée en force. Une solution différente conduirait à des résultats insoutenables. Celui qui a fait usage d'une voie de recours pour obtenir un allègement de sa condamnation, pourrait par exemple être privé de sa liberté, pour le seul motif de la gravité de son infraction, alors même que, s'il avait commencé l'exécution de sa peine, il remplirait les conditions pour être libéré conditionnellement, en conformité de l'art. 38 CP. L'art. 154 CPP gen., qui fixe

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les conditions permettant la prolongation de la détention, doit donc s'appliquer à tous les cas de détention préventive, qu'elle soit ordonnée pour la période précédant ou suivant le prononcé du jugement et que, dans cette dernière hypothèse, elle résulte d'un maintien en détention ou d'une arrestation lors du jugement. Contrairement à l'opinion défendue dans les décisions attaquées, la gravité de l'infraction ne peut ainsi, à elle seule, faire obstacle à la mise en liberté d'un justiciable placé ou maintenu en détention après un jugement qui le condamne à une peine ferme privative de liberté, mais avant qu'il ait commencé l'exécution de cette peine. Méconnaissant ce principe, les ordonnances entreprises reposent sur une violation de la liberté personnelle telle qu'elle est garantie par le droit constitutionnel non écrit et concrétisée par les dispositions du droit cantonal de procédure.