BGer 4A_319/2019
 
BGer 4A_319/2019 vom 17.03.2020
 
4A_319/2019
 
Arrêt du 17 mars 2020
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les juges Kiss, présidente, Rüedi et May Canellas.
Greffier : M. Thélin.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Pierre Fauconnet, avocat,
défenderesse et recourante,
contre
B.________,
représenté par Me Alexandre Favre, avocat,
demandeur et intimé.
Objet
contrat de travail; vacances
recours contre l'arrêt rendu le 22 mai 2019 par la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève
(C/6077/2017-1 CAPH/89/2019).
 
Considérant en fait et en droit :
1. Exerçant la profession de marbrier, B.________ est entré au service de la marbrerie A.________ SA dès le 1er août 2009. L'employeuse l'a licencié le 23 mai 2016 avec effet au 31 juillet suivant. Elle l'a aussitôt libéré de l'obligation de travailler et elle l'a invité a prendre ses vacances dans la durée restante du contrat. Par suite de maladie, B.________ a subi une incapacité de travail totale du 1er juin au 31 août; cette incapacité a reporté l'effet du congé au 31 octobre 2016.
2. Le 2 mai 2017, B.________ a ouvert action contre A.________ SA devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève. La défenderesse devait être condamnée à payer divers montants au total d'environ 68'200 fr., y compris 15'540 fr.80 à titre d'indemnité pour des vacances que le demandeur n'avait pas prises en nature.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action.
Le tribunal s'est prononcé le 27 juin 2018. Accueillant partiellement l'action, il a condamné la défenderesse à payer 13'731 fr.85. Ce montant est soumis aux déductions sociales et il porte intérêts au taux de 5% par an dès le 1er novembre 2017. Il se compose d'un arriéré de salaire à hauteur de 3'593 fr.50 et d'une indemnité pour vacances non prises à hauteur de 10'138 fr.35.
La défenderesse a appelé du jugement et le demandeur a usé de l'appel joint. Parmi d'autres conclusions, celui-ci persistait à réclamer 15'540 fr.80 à titre d'indemnité pour vacances non prises.
La Chambre des prud'hommes de la Cour de justice a statué le 22 mai 2019; elle a rejeté les deux appels et confirmé le jugement.
3. Agissant par la voie du recours en matière civile, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral de réformer l'arrêt de la Cour de justice en ce sens que sa condamnation soit limitée au seul arriéré de salaire chiffré à 3'593 fr.50.
Le demandeur conclut au rejet du recours.
4. A teneur de l'art. 42 al. 1 et 2 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF), l'acte de recours adressé au Tribunal fédéral doit indiquer les conclusions et les motifs du recours (al. 1). Les motifs doivent exposer succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit (al. 2). Selon la jurisprudence, la partie recourante doit discuter les motifs de la décision attaquée et indiquer précisément en quoi elle estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (cf. ATF 140 III 86 consid. 2 p. 89). Contrairement à l'opinion du demandeur, ces exigences sont en l'occurrence satisfaites. La demanderesse discute et critique les considérants de la Cour de justice; il importe peu que ses arguments coïncident avec ceux déjà soulevés devant cette autorité.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont pour le surplus satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse.
5. Il est incontesté que le demandeur a travaillé au service de la défenderesse en exécution d'un contrat de travail et que la convention collective applicable lui accordait vingt-cinq jours de vacances par année. La Cour de justice arrête à 20,8 jours son avoir de vacances pour la période de dix mois écoulée entre le 1er janvier 2016 et l'expiration du contrat le 31 octobre 2016 (10 x 25/12). La Cour ajoute un solde de 19,8 jours reporté de 2015 et elle retranche treize jours effectivement pris en 2016; elle parvient ainsi à un avoir résiduel de 27,6 jours. Selon son appréciation, il n'était pas exigible du demandeur qu'il prît ces jours résiduels pendant le délai de congé; elle lui alloue donc une compensation en argent arrêtée à 10'138 fr.35, soit 367 fr.33 par jour.
6. La défenderesse soutient que la période d'incapacité de travail de trois mois, du 1er juin au 31 août 2016, doit être retranchée dans le calcul prorata temporis des vacances à allouer pour l'année 2016, avec cette conséquence que le nombre des jours résiduels atteint 21,36 jours seulement.
A teneur de l'art. 329a al. 3 CO, le droit aux vacances se calcule « proportionnellement à la durée des rapports de travail » lorsque l'année à prendre en considération n'est pas complète. Ce texte ne permet donc pas de retrancher une éventuelle période d'incapacité de travail. En revanche, une période d'incapacité justifie la réduction du droit aux vacances prévue par l'art. 329b CO. La Cour de justice mentionne cette disposition mais elle omet totalement de l'appliquer. Or, au regard de l'art. 329b al. 2 CO, une incapacité non fautive de trois mois entiers, telle celle survenue en l'espèce, justifie une réduction de deux douzièmes du droit annuel aux vacances (un douzième par mois complet d'incapacité, hormis un mois de grâce: arrêt 4A_631/2009 du 17 février 2010, consid. 4; Rémy Wyler et Boris Heinzer, Droit du travail, 4e éd., 2019, p. 494 let. b). Le calcul en jours opéré par la Cour de justice, par ailleurs incontesté, doit être ainsi réduit de deux fois 25/12 pour aboutir à 23,44 jours résiduels.
7. La défenderesse soutient que le demandeur pouvait et devait prendre ses vacances pendant la période d'incapacité de travail. Cette opinion n'est pas fondée car les périodes d'incapacité de travail, en particulier les périodes de maladie, ne sont pas des vacances. En règle générale, une maladie qui survient au cours d'une période de vacances préalablement fixée autorise le travailleur à réclamer des vacances de remplacement d'une durée égale; le remplacement n'est exclu que dans l'éventualité où la maladie empêche certes l'accomplissement du travail mais pas la récupération physique et psychique correspondant au but des vacances (Wyler/Heinzer, op. cit., p. 492; Ullin Streiff et al., Arbeitsvertrag, 7e éd., 2012, p. 647 n° 6 et p. 680 n° 12). Dans les constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral selon l'art. 105 al. 1 LTF, rien ne dénote que le demandeur fût en mesure de jouir de ses vacances entre le 1er juin et le 31 août 2016 nonobstant sa maladie.
8. Selon l'art. 329c al. 2 CO, l'employeur est en principe autorisé à fixer la date des vacances. Lorsqu'il résilie le contrat et libère simultanément le travailleur de son obligation de travailler, il peut ainsi exiger que les vacances auxquelles le travailleur a encore droit soient prises pendant le délai de congé; l'employeur doit cependant, en vertu de l'art. 329 al. 3 CO, tenir compte du temps dont le travailleur a besoin pour la recherche d'un autre emploi. Il est donc nécessaire que le rapport entre la durée du délai de congé et la durée des vacances résiduelles, celle-ci inférieure à celle-là, soit suffisamment important; à défaut, les vacances doivent être remplacées par une prestation en argent (ATF 128 III 271 consid. 4 p. 279). Les vacances résiduelles doivent être prises en nature lorsque leur durée n'excède pas, approximativement, le quart ou le tiers du délai de congé; s'il y a lieu, elles doivent être prises partiellement en nature et pour le surplus remplacées par une prestation en argent (Wyler/Heinzer, op. cit., p. 499 et 500, avec références à plusieurs arrêts du Tribunal fédéral).
Les vacances résiduelles doivent être entièrement prises dans le délai de congé lorsqu'en raison de circonstances particulières, le travailleur n'a pas besoin de chercher un autre emploi (Wyler/Heinzer, op. cit., p. 501 i.m.). En l'espèce, la Cour de justice n'a pas constaté de pareilles circonstances. Pour le surplus, contrairement à l'opinion de la défenderesse, le demandeur n'avait pas à prouver la recherche effective d'un autre emploi.
Il est incontesté que le délai de congé de deux mois s'est écoulé en septembre et octobre 2016. Après retranchement des samedis, des dimanches et du jeudi du jeûne genevois, ces deux mois comprenaient quarante-deux jours ouvrables. On pouvait équitablement attendre du demandeur qu'il affectât le tiers de ces jours ouvrables à ses vacances résiduelles, soit quatorze jours, avec cette conséquence que 9,44 jours, seulement, doivent être remplacés par une prestation en argent. La Cour de justice fait état de « l'incurie de [la défenderesse] sur la production des documents demandés [par le défendeur] », ce qui ne suffit pas à justifier le remplacement de la totalité des jours de vacances. Il s'ensuit que l'arrêt attaqué doit être réformé sur ce point aussi.
9. La prestation en argent destinée à remplacer les jours de vacances non prises en nature a été calculée par le Tribunal des prud'hommes sur la base d'un revenu mensuel brut arrêté à 7'989 fr.45, y compris une part du treizième salaire annuel de 572 fr.85. Devant le Tribunal fédéral, la défenderesse persiste dans une critique de ce calcul qu'elle a déjà développée devant la Cour de justice, sur laquelle cette autorité a aussi omis de se prononcer.
Contrairement à l'opinion du demandeur, cette critique s'inscrit dans les conclusions présentées car celles-ci tendent au refus intégral d'une prestation en argent en remplacement de jours de vacances.
Le calcul est fondé sur l'art. 329d al. 1 CO concernant le salaire afférent aux vacances. Le Tribunal des prud'hommes juge que cette disposition et le calcul correspondant confèrent au demandeur une prétention plus importante que celle à calculer sur la base de la convention collective de travail, et que cette prestation plus importante est due parce que l'art. 362 CO ne permet pas qu'une convention collective de travail déroge à l'art. 329d al. 1 CO au détriment du travailleur. La demanderesse se plaint de violation de la convention collective mais elle ne tente pas de démontrer une application éventuellement incorrecte de l'art. 362 CO. Sur ce point, le recours est donc insuffisamment motivé.
Le Tribunal des prud'hommes a constaté que les parties avaient convenu d'un salaire annuel net incluant le treizième salaire et payable en douze tranches mensuelles. Avec raison, la défenderesse tient pour incorrect de calculer le salaire afférent aux vacances en ajoutant une part du treizième salaire qui est pourtant déjà incorporé à la rémunération convenue. Il s'impose de rectifier le calcul en réduisant le taux de la prestation journalière en proportion du montant indûment ajouté, comme suit :
prestation journalière =   367 fr.33  7'989 fr.45
On parvient à un taux de 341 fr. par jour de vacance à remplacer, soit 3'219 fr.05 pour 9,44 jours.
Ce montant est dû en sus de l'arriéré de salaire qui n'est plus litigieux. Le total s'élève à 6'812 fr.55, soumis aux déductions sociales et productif d'intérêts.
10. Au regard des conclusions présentées, aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause; en conséquence, l'émolument judiciaire et les dépens de l'instance fédérale doivent être répartis (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF) d'après le sort de la prétention litigieuse. Il convient d'arrêter l'émolument judiciaire à 2'000 fr. et de l'imputer à hauteur de 1'300 fr. au demandeur et de 700 fr. à la défenderesse. La charge des dépens peut être évaluée à 2'500 fr. tant pour le demandeur que pour la défenderesse. Le demandeur doit verser 1'650 fr. et recevoir 850 fr.; après compensation, le solde à sa charge s'élève à 800 francs.
Les organes de la juridiction cantonale n'ont pas perçu d'émoluments judiciaires ni alloué de dépens; il n'y a donc pas lieu de leur renvoyer la cause sur ces points.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est partiellement admis et l'arrêt de la Cour de justice est réformé en ce sens que la défenderesse doit payer au demandeur 6'812 fr.55, montant soumis aux déductions sociales, avec intérêts au taux de 5% par an dès le 1er novembre 2017.
2. Les parties acquitteront un émolument judiciaire de 2'000 fr., à raison de 1'300 fr. à la charge du demandeur et de 700 fr. à la charge de la défenderesse.
3. Le demandeur versera une indemnité de 800 fr. à la défenderesse, à titre de dépens.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 17 mars 2020
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La présidente : Kiss
Le greffier : Thélin