BGer 9C_292/2019
 
BGer 9C_292/2019 vom 29.01.2020
 
9C_292/2019
 
Arrêt du 29 janvier 2020
 
IIe Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann et Moser-Szeless.
Greffier : M. Bleicker.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Emilie Conti Morel, avocate,
recourant,
contre
Fondation institution supplétive LPP,
Weststrasse 50, 8036 Zurich,
représentée par Me Didier Elsig, avocat,
intimée.
Objet
Prévoyance professionnelle,
recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 12 mars 2019 (A/2398/2018 ATAS/201/2019).
 
Faits :
 
A.
A.a. A.________, né en 1962, a travaillé pour l'entreprise B.________ dès le 1
A.________ a simultanément ouvert une action en paiement contre les deux institutions de prévoyance, concluant au versement par Allianz, subsidiairement par l'institution supplétive, de la somme de 49'215 fr. 80 avec intérêts à 5 % l'an à compter du jour du dépôt de la demande et d'une rente de 595 fr. 85 par mois pour lui-même et de 119 fr. 15 pour chacun de ses enfants, sous réserve d'indexation. Statuant par jugement du 20 septembre 2016, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales (ci-après: la Cour de justice), a partiellement admis la demande en tant qu'elle était dirigée contre l'institution supplétive, condamné celle-ci à payer au demandeur trois quarts de rente dès le 1er novembre 2011, puis une demi-rente d'invalidité dès le 1er juin 2013, majorées d'un intérêt de 5 % l'an dès le 2 octobre 2015, assorties des rentes pour enfant; elle lui a renvoyé la cause pour calcul du montant des rentes dues. Elle a pour le surplus rejeté la demande en tant qu'elle était dirigée contre Allianz. Par arrêt du 14 juillet 2017 (cause 9C_731/2016), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l'institution supplétive et réformé le jugement cantonal en ce sens que l'intérêt de 5 % l'an courait dès le 8 février 2016. Il a rejeté le recours pour le surplus.
A.b. Par courrier du 26 octobre 2017, l'institution supplétive a indiqué à A.________ qu'il avait bénéficié d'indemnités journalières de l'assurance-accidents à 100 % du 7 avril 2011 au 31 mars 2012, en raison d'un accident survenu le 4 avril 2011. Il n'y avait donc ni obligation d'assurance ni assujettissement, de sorte qu'elle refusait de lui verser des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle. Après un échange de correspondances, elle a maintenu sa position le 24 avril 2018.
B. A.________ a déposé le 12 juillet 2018 une demande en paiement contre l'institution supplétive devant la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales. Statuant par jugement du 12 mars 2019, la Cour de justice a rejeté la demande.
C. A.________ forme un recours en matière de droit public contre ce jugement dont il demande l'annulation. Il conclut principalement à ce que l'institution supplétive soit condamnée à lui payer la somme de 28'298 fr. 70, plus intérêts moratoires à 5 % l'an dès le 8 février 2016, sous réserve d'amplification, assortie des rentes pour enfants dus pour la période du 1 er novembre 2011 au 30 juin 2018, et à une rente d'invalidité de 395 fr. 90 par mois à compter du 1 er juillet 2018, avec intérêts moratoires à 5 % l'an à compter du 12 juillet 2018, sous réserve d'amplification, assortie des rentes pour enfants. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants.
L'institution supplétive conclut au rejet du recours dans la mesure où celui-ci est recevable, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
A.________ s'est encore déterminé sur la réponse de l'institution supplétive.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
 
Erwägung 2
2.1. Dans un premier grief tiré du principe de l'autorité de la force jugée, le recourant reproche à l'autorité précédente de s'être, en divers points, écartée du jugement du 20 septembre 2016, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral du 14 juillet 2017 (cause 9C_731/2016). Il soutient en particulier que le principe de l'assurance avait déjà été définitivement tranché lors de la procédure précédente, si bien que seul le montant de la rente restait à calculer par l'institution supplétive.
2.2. Dans sa réponse, l'institution supplétive fait valoir que la Cour de justice a uniquement statué dans le jugement du 20 septembre 2016 sur la question de la connexité matérielle et temporelle (entre l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité et l'invalidité), désignant l'institution supplétive compétente pour trancher la question des éventuelles prestations à verser à A.________. Aussi, ce jugement ne tranchait pas le droit du recourant à une rente d'invalidité de la part de l'intimée.
3. Le Tribunal fédéral revoit librement s'il y a autorité de la chose jugée (ATF 142 III 210 consid. 2.2 p. 213), sur la base des faits constatés par l'autorité précédente.
3.1. L'autorité de la chose jugée (ou force de chose jugée au sens matériel) interdit de remettre en cause, dans une nouvelle procédure, entre les mêmes parties, une prétention identique qui a été définitivement jugée (ATF 142 III 210 consid. 2.1 p. 212 et les références). Il y a identité de l'objet du litige quand, dans l'un et l'autre procès, les parties soumettent au tribunal la même prétention, en reprenant les mêmes conclusions et en se basant sur le même complexe de faits (ATF 139 III 126 consid. 3.2.3 p. 130; 116 II 738 consid. 2a p. 743). L'identité de l'objet du litige s'entend au sens matériel; il n'est pas nécessaire, ni même déterminant que les conclusions soient formulées de manière identique (ATF 142 III 210 consid. 2.1 p. 213; 128 III 284 consid. 3b p. 286; 123 III 16 consid. 2a p. 18; 121 III 474 consid. 4a p. 477). L'identité de l'objet s'étend en outre à tous les faits qui font partie du complexe de faits, y compris les faits dont le juge n'a pas pu tenir compte parce qu'ils n'ont pas été allégués, qu'ils ne l'ont pas été selon les formes et à temps ou qu'ils n'ont pas été suffisamment motivés (ATF 139 III 126 consid. 3.1; 116 II 738 consid. 2b et 3).
3.2. Les constatations de fait du jugement attaqué déterminent quelles sont les conclusions formées dans la procédure pendante. Cependant, pour savoir si ces conclusions ont été définitivement tranchées dans un jugement précédent, il convient de se fonder non pas sur les constatations du prononcé attaqué mais sur le jugement précédent, dont le dispositif définit l'étendue de la chose jugée au sens matériel. L'autorité de la chose jugée est limitée au seul dispositif du jugement. Pour connaître le sens et la portée exacte du dispositif, il faut parfois se référer aux considérants en droit du jugement (ATF 142 III 210 consid. 2.2 p. 213; arrêt 8C_816/2015 du 12 septembre 2016 consid. 3.1 et les références).
 
Erwägung 4
4.1. Statuant par jugement du 20 septembre 2016, la Cour de justice a condamné l'institution supplétive à payer à A.________ trois quarts de rente dès le 1er novembre 2011, puis une demi-rente d'invalidité dès le 1er juin 2013, majorées d'un intérêt de 5 % l'an, assorties des rentes pour enfant, puis renvoyé la cause à l'institution supplétive pour calcul du montant des rentes dues. Cette condamnation était fondée sur le fait que A.________ était affilié auprès de l'institution supplétive au moment de la survenance de l'incapacité de travail (dès le 16 novembre 2011) dont la cause était à l'origine de son invalidité (jugement du 20 septembre 2016 consid. 24 et 25). La Cour de justice a ensuite constaté qu'elle ne disposait pas de tous les documents permettant de calculer le montant de la rente due à A.________ et à ses enfants, si bien qu'elle a renvoyé la cause à l'institution supplétive pour calcul du montant des prestations dues.
4.2. Dans le jugement du 12 mars 2019, l'autorité précédente a retenu que les débats de la première procédure avaient porté uniquement sur "la question de savoir auprès de quelle institution de prévoyance était affiliée l'entreprise lorsqu'a débuté l'incapacité de travail [de l'assuré] dont la cause était à l'origine de l'invalidité"; les questions relatives au salaire minimum requis pour l'obligation d'assurance, au montant du salaire coordonné, ou encore aux conséquences d'une diminution temporaire du salaire sur l'affiliation de l'assuré n'avaient pas du tout été examinées; d'ailleurs, la cause avait été renvoyée à l'institution supplétive pour le calcul du montant des rentes, celle-ci ne s'étant pas déterminée sur ce point et n'ayant pas produit les pièces permettant de le trancher (jugement du 12 mars 2019 consid. 6b). Partant, bien que les conclusions formulées par A.________ contre l'institution supplétive étaient similaires dans les deux causes, la Cour de justice a jugé qu'il n'y avait pas autorité de la chose jugée.
La Cour de justice a ensuite examiné si l'assuré avait droit à une rente d'invalidité. A cet égard, elle a laissé ouvert le point de savoir quel montant devait être pris en considération pour déterminer si A.________ percevait un salaire suffisant pour être soumis à la prévoyance professionnelle au 1er mai 2011 dès lors que l'obligation d'assurance avait de toute manière pris fin avant le 1er novembre 2011, date de la survenance de l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité. L'assuré avait en effet perçu des indemnités journalières de son assurance-accidents du 7 avril 2011 au 31 mars 2012 en raison d'une incapacité de totale de travail depuis l'accident du 4 avril 2011. Durant cette période, les indemnités journalières versées par l'assurance-accidents ne constituaient pas un salaire assuré. En application de l'art. 8 al. 3 LPP (le règlement de prévoyance n'étant pas plus favorable), le salaire coordonné avait en revanche été maintenu "au moins" pour la durée de l'obligation légale de l'employeur de verser le salaire selon l'art. 324a CO. Le contrat de travail ne mentionnant pas de conditions plus favorables, le droit au salaire de l'assuré avait été maintenu durant quatre mois (10e année de service), en application de l'échelle bernoise valable pour le régime légal de base. L'obligation de l'employeur de verser le salaire en cas d'accident avait donc pris fin le 4 août 2011. Conformément à l'art. 10 al. 3 LPP, A.________ était encore demeuré assuré durant un mois, soit jusqu'au 3 septembre 2011. Aussi, bien que la relation de travail se fût poursuivie du point de vue du droit civil et que A.________ eût continué à percevoir des indemnités journalières de l'assurance-accidents, la relation de prévoyance professionnelle avait cessé avant la survenance de l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité en novembre 2011.
4.3. En l'espèce, l'action en paiement ouverte en février 2016 par A.________ contre les institutions de prévoyance avait trait au droit de celui-ci à des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle de la part principalement de l'Allianz et, subsidiairement, de la part de l'intimée. Dans le jugement du 20 septembre 2016, la Cour de justice a constaté expressément que l'incapacité de travail du recourant, dont la cause fut à l'origine de l'invalidité, était survenue en novembre 2011, soit, toujours selon les constatations cantonales, durant les rapports d'affiliation avec l'institution supplétive. Elle en a déduit que l'institution supplétive était tenue de verser les prestations d'invalidité en faveur du demandeur. En se fondant sur la décision de l'Office AI, la Cour de justice a encore déterminé l'étendue des prestations en reconnaissant le droit de A.________ à trois quarts de rente dès le 1er novembre 2011, puis à une demi-rente d'invalidité dès le 1er juin 2013 (cf. chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement du 20 septembre 2016, en lien avec les considérants 24 à 26).
Vu la condamnation de l'intimée à payer à A.________ des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle, la question de l'affiliation de celui-ci au moment de la survenance de son incapacité de travail a déjà été tranchée de manière définitive et ne pouvait plus faire l'objet d'une nouvelle appréciation après un nouvel examen des faits. Le droit aux prestations selon l'art. 23 LPP, tel que reconnu par la juridiction cantonale dans le jugement du 20 septembre 2016, implique en effet nécessairement l'existence d'un lien d'assurance avec l'institution de prévoyance appelée à prester. Saisie d'une seconde demande tendant à la détermination concrète du montant des rentes dues, la Cour de justice n'avait par conséquent pas à examiner derechef si A.________ avait droit à une rente d'invalidité puisqu'elle était liée par son précédent jugement pourvu de l'autorité de chose jugée. En particulier, elle n'avait pas à revenir sur l'affiliation du recourant à l'institution supplétive au motif que l'intimée avait développé une nouvelle argumentation juridique. Aussi, il convient de constater que la Cour de justice a, dans le jugement du 20 septembre 2016, statué définitivement sur l'octroi d'une rente d'invalidité de la prévoyance professionnelle au recourant de la part de l'intimée. Le renvoi qu'elle a ordonné à l'institution supplétive ne concernait que le calcul du montant des rentes. A l'inverse de ce qu'elle prétend dans sa réponse, l'intimée n'avait par ailleurs nullement été désignée par la Cour de justice "pour trancher la question des éventuelles prestations à verser au demandeur" et "le droit ou non du recourant à une rente d'invalidité" de sa part, puisque le droit aux prestations avait déjà été définitivement jugé. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale devait se limiter à déterminer concrètement le montant des rentes dues.
4.4. Ensuite de ce qui précède, la juridiction cantonale n'était pas en droit de procéder à un nouvel examen des questions juridiques définitivement tranchées par jugement du 20 septembre 2016, au motif que l'institution de prévoyance invoquait une nouvelle argumentation juridique sur la base d'un fait déjà connu (l'accident du 4 avril 2011). Elle n'avait en particulier pas à reprendre les aspects relatifs à l'obligation d'assurance en lien avec le début ou la fin de l'affiliation de l'assuré à l'intimée. En niant le droit du recourant à des prestations de la prévoyance professionnelle au motif du défaut d'affiliation, la Cour de justice a violé l'autorité de force jugée du jugement du 20 septembre 2016 (en relation avec l'arrêt 9C_731/2016 précité).
5. Le recours doit, en conséquence, être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle détermine concrètement le montant des rentes dues. Compte tenu de son pouvoir d'examen restreint (consid. 1 supra), il n'appartient pas au Tribunal fédéral de compléter d'office les constatations cantonales (art. 105 al. 2 LTF) et de procéder pour la première fois à la détermination des rentes dues au recourant en fonction des conclusions de celui-ci en instance fédérale.
6. L'intimée, qui succombe, supportera les frais judiciaires afférents à la présente procédure (art. 66 al. 1, 1 ère phrase, LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis et la décision de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 12 mars 2019 est annulée. La cause est renvoyée à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3. L'intimée versera au recourant la somme de 2800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 29 janvier 2020
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Bleicker